“Le graffiti est une forme d’art contestataire qui permet avant tout de sensibiliser les populations”
Entretien d’Érika Nimis avec Docta
Source : africultures
Actif sur tous les fronts, hip-hop, slam, design street-wear et graffiti, Amadou Lamine Ngom alias Docta est surtout connu pour sa griffe engagée sur les murs dakarois, notamment à travers le projet Graff et Santé, mais aussi Festigraff, manifestation internationale qui hisse le graffiti au rang d’art majeur au Sénégal.
Docta, vous portez plusieurs casquettes, mais l’une de vos premières passions, c’est la musique…
Oui, je suis dans la musique, je suis slameur en même temps. Je collabore avec mon meilleur ami, Ama Diop ; c’est l’un des plus grands beatmakers du Sénégal. On a un studio qui s’appelle Bourba, qu’on gère avec Simon de Jolof 4 Life. La structure dans laquelle on évolue s’appelle Wali and Co, et notre orchestre qui accompagne en live les artistes hip-hopers, Wali and Band. Avec cette structure, on est en train de bosser depuis un bon bout de temps sur mon album. Mais de temps en temps, je zappe mon album pour mener mes activités de graffiti et de design avec la marque street-wear Docta Wear, en plus d’autres collaborations. Mais cela n’empêche que je reste toujours musicien, j’écris, je compose avec mes gars.
Comment votre carrière a‑t-elle démarré ?
Je suis rentré dans le hip-hop comme tous les old school du hip-hop sénégalais. On a reçu le hip-hop à travers la danse, c’était en 1984. En rentrant de l’école, le jour où on avait du free time, on s’exerçait à faire du break dance sur ma terrasse ou celle d’un ami. En 1986, j’ai écrit mon premier texte, parce qu’à force d’écouter les songs de tout le monde, de repasser sur le texte des rappeurs américains, l’inspiration est venue à moi. Mes premiers samples, je les ai faits en 1990. Après, j’ai fait partie d’un groupe qui s’appelait Médi Klan : c’était un groupe de la Médina composé de trois membres. En fait, on a fusionné deux groupes pour l’appeler Le clan de la Médina ou Médi Klan. Nous étions tous de la Médina et nous voulions faire des choses ensemble. Le gars avec qui je rappais est devenu le DJ du crew, et à partir de là, on a commencé à rapper en développant un style particulier. On avait un chanteur qui ne faisait pas de la dance hall comme ça se voyait souvent, mais du R & B, et à cette époque, c’était quelque chose de vraiment nouveau. Dans ce temps-là, il n’y avait pas de home studio, on ne pouvait pas accéder aux grands studios, alors on se débrouillait. Pour mon premier enregistrement, si je me rappelle bien, j’avais un instru sur une cassette TDK d’un côté, un second magnétophone de l’autre, et moi au centre : je faisais “play” et je rappais. Au bout d’un moment, on a fini par se retrouver en studio pour enregistrer. Avec un seul micro, on faisait tout en même temps : les shouts, les refrains, on faisait tout, d’un seul coup, c’était “one way”. Par la suite, dans les années 1990, on a pu collaborer avec le théâtre Daniel Sorano qui était équipé d’un studio multipistes, ce qui nous a permis d’évoluer. On a fait la première partie de pas mal de musiciens comme Youssou N’dour, Aliou Mbaye Nder…
Médi Klan a‑t-il sorti un album ?
On l’a enregistré, mais on n’a jamais sorti l’album. En fait, le groupe a fini par se séparer suite à des départs à l’étranger. Ça n’a pas seulement affaibli le groupe, parce que nous étions avant tout une famille. En concert, nous étions vingt-cinq personnes : il y avait quatre personnes qui rappaient, un DJ, et tout le reste qui nous accompagnait.
Quelle expérience gardez-vous de cette période ?
Certains nous disaient qu’on voyait trop gros, car on faisait des concerts sans avoir sorti d’album tout en invitant des pointures, car on voulait faire des choses vraiment professionnelles. Quand on a débuté, on ne connaissait pas le play-back, on faisait tout en live. En concert, on nous donnait des micros, on balançait l’instru et on rappait dessus. Mais à partir du moment où les rappeurs ont commencé à faire du play-back, on ne pouvait plus se permettre de jouer en live, car cela aurait pu détériorer notre image (à cause d’une mauvaise sono). C’est ce qui a favorisé le play-back et nous, ça nous a fait mal de laisser l’ancien système (live) qui était beaucoup plus chaleureux et nous permettait vraiment de nous exprimer. Finalement on s’est cotisé pour organiser nos propres concerts, même si ça coûtait super cher. Ça m’a permis en tout cas de côtoyer pas mal d’artistes. Je me rappelle la première fois que j’ai rencontré Jimmy Cliff, c’était lors du festival Ebony à Gorée, pendant lequel s’était produit également le guitariste de Kassav, Jacob Desvarieux. J’ai eu la chance de rencontrer de grandes stars et de discuter avec eux. C’étaient des stars que j’avais admirées petit et maintenant je me retrouvais avec eux dans un festival où je préparais la scène pour les artistes…
Vous faisiez déjà du graffiti à l’époque ?
Non, c’est venu plus tard. Dieu a fait que j’ai un don pour le dessin. Enfant, je dessinais sur les murs chez ma grand-mère. Et ma famille m’a toujours encouragé, si bien que je me suis lancé en 1988 pendant le Set/Setal[[Pour comprendre toute l’importance du Set/Setal (qui veut dire littéralement “rendre propre” — dans tous les sens du terme), lire l’article de l’historien Mamadou Diouf (disponible en pdf sur Internet) : “Fresques murales et écriture de l’histoire : Le Set/Setal à Dakar”, Politique africaine, 46, juin 1992, p. 41 – 54 : “Les années 1988 et 1989 ont vu naître sur les murs des villes, surtout de Dakar et de sa banlieue, une peinture productrice de représentations qui façonnent, de manière certes balbutiante, une nouvelle mémoire historique, désireuse de rompre avec celle qui a accompagné l’ascension de la génération nationaliste, à la fin de la Seconde Guerre mondiale” (M. Diouf, 1992, p. 41).]] , un mouvement populaire où les associations nettoyaient et repeignaient leur quartier. Une fois le grand nettoyage terminé, on faisait appel aux artistes peintres du quartier pour venir faire des fresques. C’est durant cette période que j’ai eu accès à des espaces pour m’exprimer et réaliser mes premières murales. Je me suis formé de manière autodidacte, en m’inspirant des lettrages que je trouvais dans des magazines venus des États-Unis ou d’Europe. Ce que je graffais au départ, c’était mon nom, Docta, et le nom de mon groupe, Médi Klan. De temps en temps, je graffais aussi le nom de mes amis, des autres artistes de mon quartier. À force de développer la chose, en 1990 – 1991, j’ai rencontré Matador, président d’Africulturban (Afrique cultures urbaines) qui organise chaque année Festa2H[[FESTA2H est le plus grand festival de hip-hop au Sénégal, organisé par [Africulturban]]] avec lequel je collabore depuis. Il fait partie du old school du graffiti et c’est le premier slameur du Sénégal.
Pouvez-vous me parler du festival Graff et Santé qui démarre ces jours-ci ?
Le but est de réunir le corps médical dans la rue pour offrir en direct à la population des soins gratuits, des médicaments, des conseils par rapport à des maladies bien précises. Pendant ce temps, nous, les graffeurs, on fait des fresques pour sensibiliser la population à ces maladies-là. Cette année, Graff et Santé a lieu dans les quartiers de Rufisque, Yeumbeul, Guédiawaye et Médina. Et on va se rendre aussi dans des dispensaires comme celui de Grand-Dakar où il n’y a même pas de médicaments pour les premiers soins. L’un de nos objectifs cette année est aussi de collecter beaucoup de médicaments pour les amener au dispensaire de Grand-Dakar.
Donc votre objectif est de marier la pratique du graffiti à l’action sociale…
Mon objectif, c’est que les graffeurs qui sont des artistes à part entière soient respectés pour ce qu’ils apportent à la société. On ne doit pas les réprimer : ils ont une manière de voir, de s’exprimer qui est différente des autres, mais qui a un grand impact auprès de la population. Les gens ont besoin de couleurs. La couleur égaye le quotidien et en même temps guérit, apaise certaines personnes. L’art ne peut pas être tout le temps contenu dans une boîte. À un moment, ça explose, et quand ça explose, on voit ce que ça fait. Notre combat, c’est d’avoir le respect pour le graffeur et que le graffiti soit rentable pour la société dans laquelle il est né : défendre, conscientiser la société, appuyer le développement de cette société, que ce soit fait dans la société pour la société et qu’aussi la société se l’approprie. Depuis, on a vu qu’à chaque fois qu’une œuvre graffiti est posée sur un mur combien c’est beau et ça redonne vie.
Comment vous y prenez-vous pour redonner vie à ces murs ?
On prend ces espaces, on les nettoie d’abord. Ensuite, on peint le mur et on pose les graffitis dessus. Quand on nettoie, on rend propre, quand on peint, on maintient l’environnement propre, donc c’est vivable pour la personne qui est en face ou qui passe, qui peut l’utiliser comme un coin pour prendre le thé ou même vendre de la nourriture, puisque c’est devenu propre. On met de la couleur pour égayer, pour donner de la vie, pour donner différentes sensations… En plus, il y a le message dans tout ça.
Quels genres de messages faites-vous passer à travers le graffiti ?
On parle politique, on parle société, on parle santé, éducation, économie, citoyenneté, on parle de tout ce qui peut développer la société et la rendre meilleure, tout en sachant qu’il y a des choses positives comme il y a des choses négatives. Alors on dénonce les choses négatives et on applaudit les choses positives. Graff et Santé existe car trop de situations rencontrées au quotidien rappellent que nous vivons dans un environnement précaire où la pauvreté a atteint un niveau exceptionnel. Dans l’apparence, comme ça, quand tu vois les gens marcher, tu ne le sens pas, mais quand tu te rapproches des gens, apparemment bien habillés, tu vois qu’ils n’ont rien dans les poches, ils n’ont rien pour nourrir leur famille. S’ils tombent malades, comment font-ils ? Pour se rendre à l’hôpital, il faut prendre un taxi, et le taxi, c’est de l’argent. Arrivé à l’hôpital, il faut acheter un ticket, avant même de se faire soigner. C’est des sous et si tu n’as pas ça, tomber malade devient dangereux, puisque se soigner est un luxe. Des ONG nationales ou internationales agissent déjà auprès des populations démunies, mais encore faut-il que ces populations soient au courant, soient sensibilisées pour que ça leur serve. Si les campagnes menées sont restreintes, certains n’iront pas à l’hôpital, donc tout ce qui peut permettre à la population de se rapprocher du corps médical est une bonne chose.
Comment cela se passe-t-il ? Est-ce que la population prend part à la création des œuvres ?
Avec Graff et Santé, on amène le corps médical dans la rue et ce n’est pas rien. On installe des tentes juste en face des fresques murales qu’on est en train de réaliser, et on incite la population des quartiers à venir regarder, à travers des petites campagnes pas compliquées. Les médecins sont en tenue de ville : on les appelle les “médecins sans blouse”. Quand les gens viennent nous voir et nous demandent ce que nous sommes en train de faire, nous les renvoyons vers les “médecins sans blouse” en leur disant que ces gens-là vont leur expliquer. L’objectif principal est de sensibiliser les gens à se faire dépister. Avec ce dispositif minimum, avant de quitter les lieux, on aura cent et quelques personnes de dépistées, de simples passants. Comment arrive-t-on en si peu de temps à faire dépister ces gens-là avec les moyens du bord ? Alors que des millions sont dépensés à faire des campagnes à la télé que les gens n’écoutent même pas… On leur dit que tout ce qui est là est pour eux et que c’est gratuit. C’est grâce à la curiosité des gens qui viennent à nous, que le contact peut être établi, que les gens peuvent approcher ces agents de la santé et accepter de se faire dépister, d’autant plus quand ils s’aperçoivent qu’ils ont à faire à des médecins en grand boubou, en jeans et t‑shirt, qui parlent normalement et leur apportent des réponses directes.
Vous organisez également depuis trois ans un festival d’art du graffiti, Festigraff…
Festigraff est un festival d’expérimentation, 100 % artistique, où je réunis des graffeurs nationaux et internationaux. Festigraff revient chaque année au mois d’avril. L’objectif, c’est de décréter le mois d’avril comme le rendez-vous africain de tous les grands graffeurs du monde et de toutes les grandes expériences au niveau de l’art urbain, surtout du graffiti et du street art.
Y a‑t-il un thème différent à chaque édition ?
Oui, à la première édition, on parlait de l’intégration comme solution pour lutter contre la pauvreté. La deuxième année, on a traité de la connaissance comme étant la plus grande richesse. Cette année, on est revenu sur les récents changements nés de la contestation populaire, avec des retournements de situation inattendus que ce soit sur le plan politique ou social. Politiquement même, le Sénégal a vécu des instants. Ces instants-là ont également été vécus en Tunisie, en Égypte. Quel est le point de vue du graffiti par rapport à ces changements-là ?
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre implication dans les mouvements citoyens nés de la contestation populaire de 2011 ?
Je fais partie de Y’en a marre. Le jour où Barthélémy Dias a été attaqué, moi j’étais sur la Corniche près du tunnel de Soumbédioune où je faisais un graff qui disait non à la violence. L’esprit que développe Y’en a marre, c’est de défendre les intérêts de la population, de porter la voix de la population, mais dans un esprit de non-violence. On a refait ça sur la place de l’Obélisque où la plupart des interventions musclées de la police, des bavures, se sont produites.
Où peut-on voir les réalisations de Festigraff 2012 ?
La plupart se trouvent au niveau de la Médina : au stade Iba Mar Diop, où une grande partie a été graffée, et en face de la maison d’un lutteur, Gris Bordeaux, où la population nous a donné un espace, l’a nettoyé pour nous, a dégagé tout ce qui était autour pour qu’on puisse venir faire notre graff. Aussi au lycée Maurice Delafosse : les gens avaient transformé le mur de l’établissement en urinoir. On est venu, on a nettoyé, on a mis des graffitis et ça a réglé le problème. On est allé aussi à Pikine, au stade Alassane Djigo où on a graffé les murs. Le directeur veut qu’on revienne maintenant graffer les loges des footballeurs. On a eu également la chance cette année d’avoir comme sponsor la société Rapido qui gère l’autoroute à péage. Ils nous ont offert un long mur de 60 mètres, pour réaliser un graff sur la thématique des transports, une “autoroute de l’avenir” qui fluidifierait le trafic routier sénégalais, car les embouteillages dans une ville comme Dakar sont un véritable fléau.
Quels sont les partenaires de Festigraff ?
L’Institut français nous soutient depuis le début du festival, mais aussi les ambassades du Brésil, des Pays-Bas, de la France, également des artistes d’Amérique, d’Europe et d’Afrique qui sont venus participer au festival par leurs propres moyens. Durant la dernière édition, on a pu également expérimenter de nouvelles surfaces, comme celles des cars rapides qui circulent dans Dakar et sont habituellement décorés par des artistes peintres. On s’est adapté à leur environnement. On a partagé nos techniques, nos surfaces : ils sont venus peindre sur nos murs et nous avons graffé trois cars rapides qui circulent présentement à Dakar. De temps en temps, je les croise. La population en tout cas a aimé ce changement de déco. Le graff apporte un autre point de vue à la décoration des cars rapides.
Festigraff 2012 a‑t-il été marqué par d’autres temps forts ?
Oui, on a présenté une exposition sur le graffiti à la galerie d’art le Manège. On a aussi exposé pendant deux jours le travail de stylistes street-wear à l’Institut français. On a proposé également des conférences et des projections de films comme Le point de vue du lion de Didier Awadi qui rejoignait la thématique du festival. On a projeté trois autres films sur le hip-hop : 100 % Galsen de Keyti[[100% Galsen : a hip-hop documentary made in Senegal a été réalisé en 2008 par Cheikh Sene, mieux connu sous le nom de scène de Keyti. Galsen signifie Sénégalais en verlan. Et en effet, ce documentaire est 100 % sénégalais, entièrement réalisé par une équipe sénégalaise. C’est le premier d’une série de plusieurs courts-métrages documentaires sur la redéfinition du hip-hop africain, proposée par Africanhiphop.com, Optimiste production à Dakar et la Faculty of Hip Hop du Cap en Afrique du Sud. Pour voir le film : — [http://www.youtube.com/watch?v=cKhGLH3DygE]]], Graffiti Yassa ! du français Julien Lefebvre et le documentaire Dakar, parle-moi de murs d’Abdoul Aziz Cissé et Wagane Gueye (dans lequel j’interviens). On a aussi pour la première fois organisé une Nuit du graffiti, pendant laquelle on a graffé à fond la caisse, en compagnie d’artistes qui gravitent autour du graffiti, entre autres des slameurs et des designers. Les breakers aussi étaient là. Pour la clôture, on a organisé un “Island Graffiti Day” : on est tous parti à Gorée réaliser une fresque murale. Mais comme l’île de Gorée fait partie du patrimoine mondial, on n’a pas obtenu le droit de graffer sur les murs.
Que nous réservez-vous pour 2013 ?
En 2013, on va expérimenter la teinture, ce qu’on appelle le batik ici. Les graffeurs vont apprendre à faire du graffiti avec la teinture. Ils vont préparer des sketchs et montrer aux teinturiers comment superposer les couleurs. Quant aux teinturiers, ils expliqueront aux graffeurs comment ils appliquent leur teinture. Ça veut dire qu’ils vont travailler en partenariat.
Vous n’arrêtez pas…
On n’a pas le droit ! Encore cette année, le graffiti a participé pour la première fois à la Biennale de Dakar, durant laquelle on a fait une fresque murale sur une surface de 300 m² : la baie vitrée du centre commercial Métropolitan, sur l’avenue Blaise Diagne, en face d’Orca un autre centre commercial]. Sur ce projet, j’ai travaillé avec mon équipe Doxandem Squad et un ami brésilien, Keto, venu dans le cadre de Festigraff, qui est resté pour participer à cette œuvre commanditée par un organisme qui s’appelle United Artists of Africa[[[United Artists of Africa]]]. Le but de cet organisme est de collaborer ave des artistes africains, je suis le premier à m’être prêté à cette expérience. Leur projet s’appelle : “Habiller les murs”. On est donc parti de cette thématique en utilisant le tissu comme support, pour habiller cette surface vitrée d’un immense graffiti. On a utilisé pas mal de techniques différentes, et graffé sur des tissus, des toiles de jute, des papiers peints, des cartons… Ce qui fait que cet événement est assez unique en Afrique[[Lire à ce sujet l’article de Saïdou Alcény Barry : “[Graffiti en Afrique : la reconnaissance passe par l’enracinement”, L’Observateur Paalga (Burkina Faso), 27 juin 2012
Saïdou Alcény Barry écrit : “Le graffiti africain, contrairement à celui d’Occident, n’a jamais connu le tag narcissique, cette autocélébration de l’artiste. Il a toujours été soucieux des préoccupations sociales de sorte que, dès l’origine, il a bénéficié d’une forte adhésion populaire. Au Sénégal, il est partie prenante à toutes les luttes sociales à travers les campagnes de sensibilisation et les revendications politiques”.]].
Connaissez-vous d’autres scènes graffiti actives en Afrique ?
Si je parle du graffiti en Afrique, il y a l’Afrique du Sud où ça se développe beaucoup. Au Kenya également. Mais il n’y a pas de festival.
Est-ce seulement au Sénégal que vous trouvez des festivals ?
Il y a en a deux au Sénégal : Festigraff à Dakar et le Festival International de Graffiti de Nioro du Rip [au sud-est de Kaolack] initié par 2MGRAFF. Festigraff est l’un des plus grands festivals d’Afrique. Récemment, j’ai entendu dire qu’il y avait également un festival en Afrique du Sud, monté par un gars qui s’appelle Rasty, mais je ne sais pas si c’est pérennisé.
Qu’est-ce que le graffiti sénégalais a de particulier ?
Le graff est universel, donc la langue est la même partout. Cela dit, en Afrique, le graffiti est avant tout social, c’est pourquoi il y a une très grande différence avec le graffiti d’ailleurs, notamment celui d’Europe ou des États-Unis… Dans tout graff, il y a de l’illégal. L’illégalité, c’est d’aller faire un graff sur un mur où tu n’as pas l’autorisation. Mais les buts sont différents. La particularité avec le graffiti sénégalais, c’est qu’on se soucie vraiment du thème qu’on va développer sur les murs. C’est ce qui fait que le graffiti est accepté : il n’y a pas de loi qui l’interdit.
Le Sénégal serait-il le paradis des graffeurs ?
Maintenant… Comme je dis toujours, le graffiti est une forme d’art contestataire qui permet avant tout de sensibiliser les populations. Donc il est normal que le graffiti revienne à ses origines qui sont de servir la communauté, une communauté pour laquelle Graff et Santé est né en 2008. Pour l’édition de cette année, on va essayer de travailler sur la longue durée : développer la chose, faire venir des graffeurs d’ailleurs. Faire découvrir ce qu’on est en train de vivre ici, c’est important.
Avez-vous songé à monter une école du graffiti ?
Une école existe déjà, naturellement, parce que les gens viennent à moi pour s’initier au graffiti. Je leur réponds que le graffiti demande beaucoup de concentration, qu’il faut réveiller quelque chose qui existe en soi, qu’il faut de la recherche et du temps pour cette recherche. On ne devient pas graffeur du jour au lendemain parce qu’on fait du gribouillage sur un papier. Non, il faut prendre le temps de connaître la philosophie qui tourne autour. Il faut que les gens puissent respecter la chose, et que les parents acceptent que le graffiti puisse avoir un impact positif sur l’éducation de leurs enfants.
Y a‑t-il des graffeuses au Sénégal ?
Zenix est la première fille à faire du graffiti au Sénégal. Je suis en train d’en former deux autres. Pour moi l’objectif, c’est aussi d’assurer la relève, car personne n’est éternel. J’aimerais transmettre la philosophie du graffiti, que les nouvelles générations soient vraiment conscientes de l’importance du graffiti dans notre environnement, dans l’évolution de ce monde. Il faut positiver l’apport du graffiti dans la société, servir avant tout les intérêts de la population et pas seulement les siens. Que les gens puissent enfin apprécier cet art en tant qu’art et support de communication incomparable, qui rend propre, embellit, lance un message et en plus de ça, réinvente un langage.