Le nouveau « manu militari » des vieux dominateurs coloniaux.

Une nouvelle distribution coloniale du monde

Une nou­velle dis­tri­bu­tion colo­niale du monde

Le nou­veau « manu mili­ta­ri » des vieux domi­na­teurs coloniaux.

L’Europe et les États-Unis avec leur ges­ti­cu­la­tion envers la Libye [et la Côte d’Ivoire] essaient de reve­nir au XIXe Siècle, pro­mou­vant une nou­velle répar­ti­tion colo­niale du monde. En réa­li­té il n’y a eu jamais d’indépendance effec­tive des anciennes colo­nies. Grâce aux arti­fices du com­merce inter­na­tio­nal et sur­tout de la cir­cu­la­tion des capi­taux, la dépen­dance éco­no­mique et poli­tique des pays péri­phé­riques s’est maintenue.

Par Mau­ro Santayana

Durant les vingt der­nières années avec la glo­ba­li­sa­tion néo­li­bé­rale la domi­na­tion des pays cen­traux a pro­gres­sé. Dis­rae­li, le contro­ver­sé homme d’Etat bri­tan­nique, avait rai­son quand il disait que les colo­nies ne s’arrêtent pas d’être des colo­nies par le simple fait d’être décla­rées indé­pen­dantes. Cette domi­na­tion indi­recte ne leur suf­fit pas : elles veulent reve­nir au sta­tut colo­nial ouvert à deux bat­tants. A la per­cep­tion de signes d’insurrection géné­rale des peuples contre l’oppression de ceux qui leur répondent au pou­voir, elles prennent l’initiative de la répres­sion préventive.

La doc­trine de la guerre pré­ven­tive de Bush demeure en vigueur et est actuel­le­ment appli­quée par la France et la Grande-Bre­tagne, par délé­ga­tion de Washing­ton. Les usa­me­ri­cains bien inten­tion­nés qui ont voté Oba­ma découvrent qu’ils ne peuvent pas chan­ger le sys­tème à tra­vers les pro­ces­sus élec­to­raux. Comme l’avait dénon­cé et pré­vu le grand pré­sident répu­bli­cain Eisen­ho­wer – l’un des mili­taires le plus impor­tant du siècle pas­sé — celui qui domine le sys­tème c’est le « com­plexe mili­ta­ro-indus­triel », avec sa direc­tion actuel­le­ment par­ta­gée entre le Penta­gone et Wall Street.

Le pré­sident Oba­ma res­semble, chaque jour davan­tage, à Bush. Bien que son objec­tif final soit le même, il s’applique à par­ler tran­quille­ment à l’Amérique Latine tan­dis qu’il excite ses alliés contre la Libye, dans un mou­ve­ment de recon­quête impé­riale du nord de l’Afrique. Comme Tony Blair dans le cas de l’Irak, Came­ron se dis­pose à faire le sale tra­vail. Selon l’hebdomadaire alle­mand Focus, il y avait déjà en Libye des com­man­dos bri­tan­niques quelques semaines avant l’officialisation de l’alliance.

Le mou­ve­ment pour la re-colo­ni­sa­tion éma­nant d’anciennes métro­poles, se déve­loppe « pari pas­su » à coté de la glo­ba­li­sa­tion. Et il obéit à l’hypocrite dis­cours qu’en dehors des modèles catho­liques et pro­tes­tants de la civi­li­sa­tion occi­den­tale, tous les peuples sont bar­bares et inca­pables de s’autogouverner.

La réa­li­té est tota­le­ment dif­fé­rente : pour main­te­nir les niveaux de confort et de consom­ma­tion des pays occi­den­taux il est néces­saire de dis­po­ser de toutes les res­sources humaines et natu­relles de la périphérie.

L’espace asia­tique de pillage s’est réduit pen­dant ce temps grâce à l’augmentation de la popu­la­tion et de la consom­ma­tion confor­mé­ment aux sché­mas occi­den­taux- et à la crois­sance de la Chine. Mais encore il y a, le gaz et le pétrole de la Cas­pienne à cause des­quels les usa­me­ri­cains cherchent à contrô­ler l’Afghanistan et menacent l’Iran. Main­te­nir les sources pétro­li­fères du Moyen-Orient et du Nord de l’Afrique, c’est leur objec­tif prin­ci­pal – mal­gré leur dis­cours hypo­crite sur l’environnement… La même hypo­cri­sie est mise en évi­dence quand ils déclarent qu’ils ne veulent pas tou­cher à Kadha­fi : sa rési­dence a été atta­quée avec des mis­siles par Oba­ma, de la même façon que l’avait fait Regan en 1986, tuant une fille du diri­geant libyen.

En même temps il leur convient de s’assurer l’approvisionnement de mine­rais et de den­rées ali­men­taires de l’Amérique Latine et de l’Afrique Noire. Mena­cés par la péné­tra­tion des chi­nois sur le conti­nent afri­cain, ils sont dis­po­sés à jouer le tout pour le tout, afin de res­tau­rer leur ancienne domi­na­tion. Et ils ne manquent pas les asso­ciés de second rang, les sous-trai­tants du colo­nia­lisme comme sont les Espa­gnols et les ita­liens. Les Espa­gnols nos­tal­giques de Car­los V et de Felipe II s’unissent à Oba­ma, à Came­ron, à Sar­ko­zy. Il n’ ya pas de dif­fé­rences entre Zapa­te­ro et Aznar : les deux sont le même, dans leurs efforts pour recon­qué­rir l’Amérique du Sud. Les ita­liens sont moins insis­tants sachant per­ti­nem­ment que même si Kadha­fi tombe, la Libye ne leur sera pas rendue.

Les néo­co­lo­nia­listes essaient de pro­fi­ter d’une rébel­lion sans idées, bien que juste, contre la cor­rup­tion et le pou­voir dic­ta­to­rial des pays arabes. Mais il n’est pas sûr qu’ils obtiennent un quel­conque succès.

Les usa­me­ri­cains créent tou­jours, sti­mulent et financent les mou­ve­ments d’opposition dans les­quels leur inté­rêt est de désta­bi­li­ser les gou­ver­ne­ments et les sys­tèmes poli­tiques. Nous nous rap­pe­lons ces jours de 1964. Nous pour­rions nous rap­pe­ler toutes les années pré­cé­dentes, sur­tout de la période 1945 – 1954 quand Var­gas, élu pré­sident du Bré­sil, a créé les ins­tru­ments éco­no­miques néces­saires au déve­lop­pe­ment indé­pen­dant, avec de grandes entre­prises publiques. Après la mort du grand pré­sident, Jus­ce­li­no a réus­si à se main­te­nir grâce à l’option poli­tique savante de mobi­li­ser la nation dans des tra­vaux pour une crois­sance accélérée.

De manière qu’il ne serait pas sur­pre­nant que leurs agents et alliés, des pays musul­mans ont sti­mu­lé le mou­ve­ment qui s’est ini­tié en Tuni­sie de manière appa­rem­ment acci­den­telle. Les jeunes de ces pays étaient insa­tis­faits de leur vie. Les oppor­tu­ni­tés de réa­li­sa­tion pro­fes­sion­nelle et per­son­nelle leur manquent. Leur liber­té est limi­tée et leurs rêvent se meurent devant une socié­té fer­mée sur elle- même.

Le 21 mars der­nier, le New York Time a publié un article d’un jeune de 24 ans, col­la­bo­ra­teur heu­reux du res­pec­table « Conseil des Rela­tions exté­rieures de New York », Mat­tew C. Klein dans lequel il ana­lyse la situa­tion des jeunes éta­su­niens et montre que la situa­tion de chô­mage est simi­laire à celle des jeunes de pays pauvres et de que leurs rêves se trouvent éga­le­ment limi­tés. Il aurait pu aus­si avoir men­tion­né le désen­chan­te­ment face à un gou­ver­ne­ment peu atten­tif à la jeu­nesse de son pays, avec la cor­rup­tion par­le­men­taire et avec le com­por­te­ment indé­cent des grandes cor­po­ra­tions qui sont au com­mande de Wall Street, face au bel­li­cisme de son pays. Le fait qu’il y a une liber­té de la presse et des élec­tions régu­liè­re­ment ne réduit pas l’absolutisme essen­tiel du sys­tème des Etats-Unis. Le peuple vote tous les quatre ans, la presse est libre, le sys­tème judi­ciaire fonc­tionne, bien que la Cour Suprême ne juge pas tou­jours avec impar­tia­li­té. Mais mal­gré cela la liber­té, comme dans d’autres lieux, est un bien de mar­ché. Il est néces­saire de l’acheter.

Les droits de l’homme même s’ils sont pro­cla­més dans des décla­ra­tions ron­flantes, sont aus­si vio­lés aux États-Unis et dans les pays qui leur font allé­geance. Il suf­fit de rap­pe­ler ce qu’il se passe à Guan­ta­na­mo, ce qui a été enre­gis­tré à Abu Graib et les condi­tions aux­quelles se trouve sou­mis le sol­dat éta­su­nien Brad­ley Man­ning dans pri­son de la Marine des Etats-Unis.

Le pré­texte selon lequel l’intervention en Libye se fait au nom des droits de l’homme et de la pro­tec­tion les civils est immo­ral. Et consi­dé­rée insen­sée par les par­le­men­taires bri­tan­niques eux mêmes, comme le dépu­té Rory Ste­wart le fait dans un article publié par le Londres Review of Books le 18 de ce mois [mars 2011 : http://www.lrb.co.uk/]. Ste­wart n’est pas un homme de gauche. Dépu­té d’un des réduits tra­di­tion­nels conser­va­teurs du Nord-ouest de l’Angleterre, celui de Pen­rith and the Bor­der, le par­le­men­taire montre la connais­sance du sujet. Il a fait par­tie des troupes bri­tan­niques en Irak et ensuite il a tra­ver­sé à pied l’Afghanistan, dans le cadre d’un voyage plus long, de 6 mille kilo­mètres, depuis la Tur­quie au Népal qui a duré deux ans.

Bien que conser­va­teur, Ste­wart consi­dère comme une erreur la par­ti­ci­pa­tion de son pays dans les croi­sades anti-isla­miques. Il jus­ti­fie en par­tie l’intervention en You­go­sla­vie, au nom de la pro­tec­tion des popu­la­tions civiles devant les menaces de géno­cide – mais il n’est pas d’accord avec les autres. Nous repro­dui­sons quelques pas­sages de son article « Here we go again » :

« Il sem­blait dou­ble­ment impro­bable que l’Angleterre inter­vien­drait mili­tai­re­ment un jour dans un pays comme la Libye. Bien que pauvre en pétrole, l’Afghanistan en Asie cen­trale fût vu par beau­coup de musul­mans comme un objet d’occupation par des croi­sés infi­dèles com­man­dés par Israël, et avec l’objectif d’établir des bases mili­taires et d’obtenir un pétrole bon mar­ché. Tout mou­ve­ment contre la Libye, — un pays arabe musul­man, embar­qué dans une lutte sans trêve contre le colo­nia­lisme et trans­pi­rant le pétrole – don­nait l’impression qu’il serait vu comme un mou­ve­ment extrê­me­ment hos­tile et sinistre, d’abord par ses voi­sins arabes, mais aus­si dans le monde déve­lop­pé et même par les Libyens eux mêmes.

Le cas Libye ne répond pas même aux cri­tères du droit inter­na­tio­nal comme objec­tif d’intervention mili­taire. Kadha­fi est le pou­voir sou­ve­rain, non les rebelles ; il ne réa­li­sait pas de géno­cide, ni une puri­fi­ca­tion eth­nique. En Bos­nie la situa­tion était dif­fé­rente : en peu de semaines 100 mille per­sonnes étaient mortes. Et la Bos­nie elle même– état sou­ve­rain bien que non recon­nu pour l’ONU – deman­dât for­mel­le­ment l’intervention.

Le cas Koso­vo a été moins clair, mais l’intervention a poin­té Milo­se­vic et e est arri­vée après la guerre des Bal­kans qu’il a ini­tié en for­çant à l’exode 200 mille per­sonnes avec d’abondantes preuves d’un grand nombre d’atrocités com­mises au nom de pré­ju­gés eth­niques. Ce type d’attitude dans laquelle on estime qu’une inter­ven­tion mili­taire est légale et qui en 1999 parais­sait la quin­tes­sence de la gou­ver­na­bi­li­té et du consen­sus glo­bal, a ces­sé d’être un concept domi­nant dans l’Occident.

Comme dépu­té de la Chambre des Com­munes je crois que peut-être est arri­vée l’heure de rap­pe­ler que mal­gré son mal­heur l’Afghanistan et jusqu’à l’Angleterre peuvent encore avoir un rôle construc­tif dans le monde »

En ter­mi­nant son article le par­le­men­taire est cepen­dant plus pes­si­miste et revient sur les pré­textes des colonisateurs :

« Rien ne me fait sor­tir de la tête que le plus grand dan­ger, ce n’est pas le déses­poir, mais les déci­sions irré­pres­sibles, presque hyper­ac­tives, le sen­ti­ment d’une obli­ga­tion morale, la peur des états-ban­dits, des états ratés, à perdre notre « cré­di­bi­li­té ». Cela me fait craindre que nous soyons au début d’une décen­nie de super inter­ven­tion militaire
 »

Rory Ste­wart (est né à Hong Kong, de parents anglais, édu­qué en Angle­terre) confirme ain­si l’objectif d’un nou­veau mou­ve­ment colo­nia­liste, d’un nou­veau « manu mili­ta­ri » des vieux domi­na­teurs. Pour­sui­vis par le manque de pétrole bon mar­ché, ils s’accrochent au pas­sé en cher­chant à main­te­nir leur sécu­ri­té et leur orgueil, comme pro­prié­taires du monde.

Mau­ro Santayana

Tra­duc­tion de l’espagnol pour El Cor­reo de : Estelle et Car­los Debiasi

Source : http://www.elcorreo.eu.org/?Le-nouveau-manu-militari-des-vieux-dominateurs-coloniaux