Les dix stratégies de manipulation de masses

par Noam Chomsky

Le lin­guiste nord-amé­ri­cain Noam Chom­sky a éla­bo­ré une liste des « Dix Stra­té­gies de Mani­pu­la­tion » à tra­vers les média. Nous la repro­dui­sons ici. Elle détaille l’é­ven­tail, depuis la stra­té­gie de la dis­trac­tion, en pas­sant par la stra­té­gie de la dégra­da­tion jus­qu’à main­te­nir le public dans l’i­gno­rance et la médiocrité.

PRESSENZA Bos­ton, 21/09/10

Article dis­po­nible sur : http://www.pressenza.com/npermalink/les-dix-strategies-de-manipulation-de-masses


1/ La stra­té­gie de la distraction

Élé­ment pri­mor­dial du contrôle social, la stra­té­gie de la diver­sion consiste à détour­ner l’attention du public des pro­blèmes impor­tants et des muta­tions déci­dées par les élites poli­tiques et éco­no­miques, grâce à un déluge conti­nuel de dis­trac­tions et d’informations insi­gni­fiantes. La stra­té­gie de la diver­sion est éga­le­ment indis­pen­sable pour empê­cher le public de s’intéresser aux connais­sances essen­tielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psy­cho­lo­gie, de la neu­ro­bio­lo­gie, et de la cyber­né­tique. « Gar­der l’attention du public dis­traite, loin des véri­tables pro­blèmes sociaux, cap­ti­vée par des sujets sans impor­tance réelle. Gar­der le public occu­pé, occu­pé, occu­pé, sans aucun temps pour pen­ser ; de retour à la ferme avec les autres ani­maux. » Extrait de « Armes silen­cieuses pour guerres tranquilles »


2/ Créer des pro­blèmes, puis offrir des solutions

Cette méthode est aus­si appe­lée « pro­blème-réac­tion-solu­tion ». On crée d’abord un pro­blème, une « situa­tion » pré­vue pour sus­ci­ter une cer­taine réac­tion du public, afin que celui-ci soit lui-même deman­deur des mesures qu’on sou­haite lui faire accep­ter. Par exemple : lais­ser se déve­lop­per la vio­lence urbaine, ou orga­ni­ser des atten­tats san­glants, afin que le public soit deman­deur de lois sécu­ri­taires au détri­ment de la liber­té. Ou encore : créer une crise éco­no­mique pour faire accep­ter comme un mal néces­saire le recul des droits sociaux et le déman­tè­le­ment des ser­vices publics.


3/ La stra­té­gie de la dégradation

Pour faire accep­ter une mesure inac­cep­table, il suf­fit de l’appliquer pro­gres­si­ve­ment, en « dégra­dé », sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des condi­tions socio-éco­no­miques radi­ca­le­ment nou­velles (néo­li­bé­ra­lisme) ont été impo­sées durant les années 1980 à 1990. Chô­mage mas­sif, pré­ca­ri­té, flexi­bi­li­té, délo­ca­li­sa­tions, salaires n’assurant plus un reve­nu décent, autant de chan­ge­ments qui auraient pro­vo­qué une révo­lu­tion s’ils avaient été appli­qués brutalement.


4/ La stra­té­gie du différé

Une autre façon de faire accep­ter une déci­sion impo­pu­laire est de la pré­sen­ter comme « dou­lou­reuse mais néces­saire », en obte­nant l’accord du public dans le pré­sent pour une appli­ca­tion dans le futur. Il est tou­jours plus facile d’accepter un sacri­fice futur qu’un sacri­fice immé­diat. D’abord parce que l’effort n’est pas à four­nir tout de suite. Ensuite parce que le public a tou­jours ten­dance à espé­rer naï­ve­ment que « tout ira mieux demain » et que le sacri­fice deman­dé pour­ra être évi­té. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du chan­ge­ment et l’accepter avec rési­gna­tion lorsque le moment sera venu.

5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge

La plu­part des publi­ci­tés des­ti­nées au grand-public uti­lisent un dis­cours, des argu­ments, des per­son­nages, et un ton par­ti­cu­liè­re­ment infan­ti­li­sants, sou­vent proche du débi­li­tant, comme si le spec­ta­teur était un enfant en bas-age ou un han­di­ca­pé men­tal. Plus on cher­che­ra à trom­per le spec­ta­teur, plus on adop­te­ra un ton infan­ti­li­sant. Pour­quoi ? « Si on s’adresse à une per­sonne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en rai­son de la sug­ges­ti­bi­li­té, elle aura, avec une cer­taine pro­ba­bi­li­té, une réponse ou une réac­tion aus­si dénuée de sens cri­tique que celles d’une per­sonne de 12 ans ». Extrait de « Armes silen­cieuses pour guerres tranquilles »

6/ Faire appel à l’émotionnel plu­tôt qu’à la réflexion

Faire appel à l’émotionnel est une tech­nique clas­sique pour court-cir­cui­ter l’analyse ration­nelle, et donc le sens cri­tique des indi­vi­dus. De plus, l’utilisation du registre émo­tion­nel per­met d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implan­ter des idées, des dési­rs, des peurs, des pul­sions, ou des comportements…


7/ Main­te­nir le public dans l’ignorance et la bêtise

Faire en sorte que le public soit inca­pable de com­prendre les tech­no­lo­gies et les méthodes uti­li­sées pour son contrôle et son escla­vage. « La qua­li­té de l’éducation don­née aux classes infé­rieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fos­sé de l’ignorance qui isole les classes infé­rieures des classes supé­rieures soit et demeure incom­pré­hen­sible par les classes infé­rieures. Extrait de « Armes silen­cieuses pour guerres tranquilles »

8/ Encou­ra­ger le public à se com­plaire dans la médiocrité

Encou­ra­ger le public à trou­ver « cool » le fait d’être bête, vul­gaire, et inculte…


9/ Rem­pla­cer la révolte par la culpabilité

Faire croire à l’individu qu’il est seul res­pon­sable de son mal­heur, à cause de l’insuffisance de son intel­li­gence, de ses capa­ci­tés, ou de ses efforts. Ain­si, au lieu de se révol­ter contre le sys­tème éco­no­mique, l’individu s’auto-dévalue et culpa­bi­lise, ce qui engendre un état dépres­sif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution!…

10/ Connaître les indi­vi­dus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

Au cours des 50 der­nières années, les pro­grès ful­gu­rants de la science ont creu­sé un fos­sé crois­sant entre les connais­sances du public et celles déte­nues et uti­li­sées par les élites diri­geantes. Grâce à la bio­lo­gie, la neu­ro­bio­lo­gie, et la psy­cho­lo­gie appli­quée, le « sys­tème » est par­ve­nu à une connais­sance avan­cée de l’être humain, à la fois phy­si­que­ment et psy­cho­lo­gi­que­ment. Le sys­tème en est arri­vé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signi­fie que dans la majo­ri­té des cas, le sys­tème détient un plus grand contrôle et un plus grand pou­voir sur les indi­vi­dus que les indi­vi­dus eux-mêmes.