Iels ont retrouvé le chemin de la grève

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tra­duc­tion par la revue A l’Encontre

Joe Allen s’entretient ici avec Ian Allin­son, mili­tant syn­di­ca­liste et socia­liste bri­tan­nique de longue date, au sujet de la pous­sée des luttes syn­di­cales en Grande-Bretagne. 

Cette vague de grèves s’inscrit dans le contexte d’une incroyable confluence de crises poli­tiques, éco­lo­giques et éco­no­miques au Royaume-Uni, qui inten­si­fie les enjeux de ces luttes et, sans doute, offre à la gauche bri­tan­nique des pos­si­bi­li­tés impor­tantes – mal­gré l’éviction de Jere­my Cor­byn et la poli­tique de purge menée par son suc­ces­seur Keir Star­mer contre les franges de gauche du Par­ti travailliste. 

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Joe Allen : Le Royaume-Uni connaît actuel­le­ment une vague de grèves qui rap­pelle les luttes dans les entre­prises amé­ri­caines l’an der­nier. Elles ne sont pas limi­tées à un syn­di­cat ou à une indus­trie en par­ti­cu­lier. Qu’est-ce qui ali­mente cette vague de grèves ? 

Ian Allin­son : Lorsque la loi COVID-19 est entrée en vigueur, les syn­di­cats n’ont pas été en mesure d’organiser des scru­tins pour des grèves, confor­mé­ment à la légis­la­tion anti­syn­di­cale 1, et dès lors les acti­vi­tés de grève « décla­rées » (offi­cielles) ont ces­sé. Cepen­dant, il y a eu une vague d’actions et de menaces d’actions liées à la san­té et à la sécu­ri­té, notam­ment de la part des enseignant·e·s qui ont réus­si à repous­ser les mesures gou­ver­ne­men­tales visant à reve­nir à l’enseignement en pré­sen­tiel dans des condi­tions dan­ge­reuses. Au début de l’année 2021, nous avons assis­té à un cer­tain nombre de conflits longs et amers sur la pra­tique du « fire and rehire » (licen­cie­ment et réem­bauche), qui consiste pour les employeurs à licen­cier l’ensemble de leur per­son­nel et à leur pro­po­ser ensuite de reprendre leur emploi avec condi­tions et des salaires moins avantageux.

En 2021, l’inflation a décol­lé, le taux annuel pas­sant de 1,4% en jan­vier à 3,9% en juin et 7,5% en décembre. Depuis, elle est pas­sée à 12,3% pour l’année se ter­mi­nant en juillet 2022. Cette situa­tion, qui s’ajoute à la résis­tance des syn­di­cats, a entraî­né une dimi­nu­tion des licen­cie­ments et des réem­bauches. Les employeurs n’ont pas besoin de prendre des mesures aus­si extrêmes pour s’attaquer au niveau de vie des salarié·e·s. Ils peuvent sim­ple­ment faire bais­ser les salaires. Ain­si, à par­tir de la fin de l’année 2021, les salaires sont deve­nus le thème domi­nant des grèves, même s’ils sont par­fois liés à d’autres ques­tions telles que les exi­gences de pro­duc­ti­vi­té des employeurs.

Il est évident qu’il y a une aug­men­ta­tion signi­fi­ca­tive des actions de grève, bien que les sta­tis­tiques offi­cielles ne soient plus col­lec­tées. Au début de l’année 2022, des scru­tins por­tant sur le déclen­che­ment d’une grève et des grèves ont eu lieu dans un cer­tain nombre de sec­teurs de taille moyenne du sec­teur pri­vé, où se déroulent des négo­cia­tions et qui com­portent une pré­sence syn­di­cale, en par­ti­cu­lier dans les poches syn­di­quées de l’industrie et de la logis­tique, et dans les ser­vices publics pri­va­ti­sés ou exter­na­li­sés, y com­pris les trans­ports publics.

Unite (Unite the Union) est l’un des prin­ci­paux syn­di­cats dans ce type de sec­teurs. L’indemnité de grève de 70 livres [80 euros] par jour qu’il assure pour tous les conflits offi­ciels [recon­nus après scru­tin] a contri­bué à la crois­sance des grèves conti­nues et recon­duc­tibres. Dans la région de Man­ches­ter, où je vis, nous avons connu quelques grèves impor­tantes ces deux der­nières années, ce qui a contri­bué à la créa­tion d’importants réseaux de solidarité.

Mais les choses ont vrai­ment chan­gé lorsque le syn­di­cat Rail, Mari­time and Trans­port (RMT) a décla­ré sa pre­mière jour­née de grève natio­nale le 25 juin, pro­vo­quant l’arrêt de la majeure par­tie du réseau fer­ro­viaire. La per­tur­ba­tion a été telle qu’elle a fait la une des médias et a réel­le­ment contri­bué à popu­la­ri­ser l’idée de la syn­di­ca­li­sa­tion et de la grève2

Les syn­di­cats ont signa­lé une aug­men­ta­tion des demandes d’adhésion. En Grande-Bre­tagne, les indi­vi­dus peuvent adhé­rer à un syn­di­cat, que leur lieu de tra­vail soit ou non sou­mis aux règles de la négo­cia­tion collective.

Nous avons éga­le­ment assis­té à plu­sieurs grèves sau­vages (« wild­cat strike »). Les tra­vailleurs de base de l’ingénierie et de la construc­tion orga­nisent des actions dans tout le pays. Il y a eu une grève sau­vage à la raf­fi­ne­rie de pétrole de Gran­ge­mouth en Ecosse [en août 2022 ; en 2021, l’ajustement des salaires avait été limi­té à 5% sur deux ans ; la raf­fi­ne­rie est aux mains de Petro­Chi­na et de la firme Ineos contrô­lée par le mil­liar­daire Jim Rat­cliffe]. Les grèves sau­vages des tra­vailleurs et tra­vailleuses non syn­di­qués dans une usine ali­men­taire [Crans­wick Conti­nen­tal Foods à Pils­worth dans le Grand Man­ches­ter, sur les salaires et les condi­tions de tra­vail] et dans plu­sieurs entre­pôts d’Amazon sont encore plus prometteuses.

Depuis la pre­mière grève du RMT, nous avons assis­té à des actions natio­nales menées par plu­sieurs autres syn­di­cats, notam­ment le Com­mu­ni­ca­tion Wor­kers Union (CWU) dans la socié­té pri­va­ti­sée Royal Mail [depuis octobre 2013 ; la part res­tante de l’Etat a été ven­due en 2015], impli­quant plus de 100 000 pos­tiers. Jusqu’à pré­sent, ces conflits natio­naux n’ont don­né lieu qu’à des jour­nées déter­mi­nées de grève et res­tent fer­me­ment sous contrôle offi­ciel. De nom­breux autres syn­di­cats et sec­teurs s’engagent vers des actions directes.

Il reste à voir si les syn­di­cats qui orga­nisent les plus impor­tants sec­teurs et où existent des négo­cia­tions col­lec­tives, ceux du sec­teur public [san­té, éta­blis­se­ments sco­laires, ser­vices du feu, trans­port, cen­trales nucléaires, douanes], pren­dront les mesures néces­saires d’organisation pour ripos­ter aux exi­gences anti-démo­cra­tiques de par­ti­ci­pa­tion au scru­tin néces­saires per­met­tant une action de grève légale depuis 2016 [au moins 40% – 50% dans le sec­teur pri­vé – de celles et ceux ayant le droit de vote doivent se pro­non­cer pour qu’une grève devienne légale, selon l’amendement du Trade Union Act en 2016].

La grève la plus coû­teuse pour le capi­ta­lisme bri­tan­nique est celle du port de Felixs­towe [qui a com­men­cé le 21 août], qui n’a pas fait grève depuis trois décen­nies. Pou­vez-vous en par­ler à nos lecteurs ?

Felixs­towe traite près de la moi­tié du fret conte­neu­ri­sé entrant au Royaume-Uni, donc toute grève y est très signi­fi­ca­tive. Le port appar­tient à la socié­té por­tuaire mon­diale CK Hut­chi­son, déte­nue par Li-Ka Shing, basé à Hong Kong, le 31e homme le plus riche du monde, dont la for­tune est esti­mée à 35 mil­liards de dol­lars. Le conflit porte sur les salaires et concerne envi­ron 1900 tra­vailleurs qui veulent une aug­men­ta­tion de salaire cor­res­pon­dant à l’inflation, bien que [la secré­taire géné­rale d’Unite] Sha­ron Gra­ham ait décla­ré que le syn­di­cat ne demande que 10% : « L’entreprise [Felixs­towe Ports] fait de fara­mi­neux gains. Elle pour­rait aug­men­ter vos salaires de 50% et faire encore des béné­fices. Or, nous deman­dons 10%. Quel est le pro­blème ? ». Depuis 2017, l’entreprise a ver­sé 198 mil­lions de livres en divi­dendes, dont la plu­part sont allés à la socié­té mère CK Hut­chi­son Holdings.

La grève ini­tiale de huit jours, la pre­mière depuis trente ans, aurait coû­té envi­ron 680 mil­lions de livres [776 mil­lions d’euros]. Les membres d’Unite au port de Liver­pool, le qua­trième plus grand port de Grande-Bre­tagne, appar­te­nant à Peel Ports Limi­ted, ont éga­le­ment voté la grève pour des rai­sons sala­riales, mais aucune date de grève n’a encore été fixée. Les dockers de plu­sieurs autres ports dans le monde menacent de refu­ser de trai­ter les mar­chan­dises de Felixs­towe si le conflit n’est pas réso­lu. [La direc­tion de Felixs­towe a pro­po­sé une aug­men­ta­tion de 7% après huit jours de grève, ce qui a été refu­sé. Dès lors, la direc­tion d’Unite a annon­cé un nou­veau mou­ve­ment de grève qui devrait com­men­cer le 27 sep­tembre et durer jusqu’au 5 octobre.]

Ama­zon UK a éga­le­ment vu naître le mécon­ten­te­ment des tra­vailleurs et tra­vailleuses. L’année der­nière, les Team­sters [syn­di­cat des conduc­teurs rou­tiers aux Etats-Unis] ont décla­ré qu’Amazon repré­sen­tait une menace exis­ten­tielle pour le syn­di­cat. Ama­zon repré­sente-t-il une menace simi­laire pour les syn­di­cats au Royaume-Uni ?

Les syn­di­cats ne l’ont cer­tai­ne­ment pas recon­nu comme tel, bien que Sha­ron Gra­ham d’Unite ait pro­mis de s’attaquer à Ama­zon, en aver­tis­sant : « Si nous ne le fai­sons pas, vous igno­rez la créa­ture qui donne le ton des mau­vais agis­se­ments [anti-syn­di­caux].» Si Unite est le prin­ci­pal syn­di­cat qui orga­nise les chauf­feurs rou­tiers, la menace d’Amazon est éga­le­ment déployée contre le Syn­di­cat des tra­vailleurs de la com­mu­ni­ca­tion (CWU) de Royal Mail. Des par­ti­ci­pants à des piquets de grève m’ont racon­té com­ment la direc­tion exi­geait des conces­sions sur les salaires, les effec­tifs et la pro­duc­ti­vi­té en poin­tant du doigt les socié­tés de trans­port. L’activité de Royal Mail s’est consi­dé­ra­ble­ment dépla­cée vers les colis plu­tôt que vers les lettres et doit faire face à une concur­rence accrue de la part de firmes rivales non syn­di­quées. Bien qu’Amazon ne pro­pose pas de ser­vice géné­ral de livrai­son de colis, de nom­breuses entre­prises vendent par l’intermédiaire d’Amazon et uti­lisent son réseau de livraison.

Les mobi­li­sa­tions ont été incroya­ble­ment sti­mu­lantes. Les tra­vailleurs de plu­sieurs centres de livrai­son d’Amazon, dont celui de Til­bu­ry (qui fait par­tie du port de Londres), ont orga­ni­sé des sit-in en réponse à l’annonce d’augmentations sala­riales micro­sco­piques. Cer­taines actions ont impli­qué des cen­taines de tra­vailleurs et tra­vailleuses et ont inté­gré plu­sieurs équipes [fonc­tion­ne­ment en 3×8]. Unite et le GMB (syn­di­cat géné­ra­liste qui compte quelque 460 000 membres pré­sents dans l’industrie, la dis­tri­bu­tion, etc.) ont tous deux ten­té de s’implanter chez Ama­zon, mais n’ont pas encore réus­si à per­cer. Le suc­cès de l’Amazon Labor Union à JFK8 [voir à ce pro­pos l’article publié sur ce site le 7 avril 2022] à Sta­ten Island a été lar­ge­ment dis­cu­té par les militant·e·s en Grande-Bretagne.

Mais si les grèves sau­vages chez Ama­zon avaient un lien direct avec les efforts d’organisation pré­cé­dents, les per­sonnes impli­quées ont très bien réus­si à ne pas le décla­rer. Cer­tains res­pon­sables du GMB ont joué un rôle utile dans la mise en place de l’action en par­ta­geant des images fil­mées avec des télé­phones por­tables depuis l’intérieur des usines, à la grande fureur de la direc­tion. Il existe plu­sieurs grands groupes Face­book de tra­vailleurs d’Amazon et ils étaient ani­més par des dis­cus­sions sur les actions impli­quant des tra­vailleurs et tra­vailleuses de dif­fé­rents sites.

La der­nière fois que nous nous sommes entre­te­nus, il y a un an, Sha­ron Gra­ham venait de prendre la tête de Unite the Union, deve­nant ain­si la pre­mière femme élue à la tête du deuxième plus grand syn­di­cat du Royaume-Uni. Sha­ron Gra­ham a‑t-elle fait évo­luer le syn­di­cat dans la direc­tion qu’elle avait pro­mise pen­dant sa campagne ?

Sha­ron Gra­ham a pris la direc­tion d’Unite en août 2021, juste à temps pour le début de la relance des grèves en Grande-Bre­tagne. Sha­ron Gra­ham a mis la vic­toire des grèves au cœur de sa stra­té­gie et joue un rôle beau­coup plus actif que son pré­dé­ces­seur, Len McClus­key. Cette atti­tude est très popu­laire auprès des militant·e·s. Elle a éga­le­ment pris un bon départ dans la créa­tion de « regrou­pe­ments » qui ras­semblent des tra­vailleurs et tra­vailleuses qui sont des repré­sen­tants syn­di­caux de toutes les entre­prises d’un employeur ou d’un sec­teur par­ti­cu­lier. Il était scan­da­leux qu’un syn­di­cat comme Unite, dont une grande par­tie des membres sont employés par des employeurs mul­ti­sites, ne coor­donne guère les cam­pagnes entre les divers lieux d’implantation.

C’est un point que j’ai moi-même sou­li­gné lorsque je me suis pré­sen­té au poste de secré­taire géné­ral lors des der­nières élec­tions. Le fait de réunir les repré­sen­tants et de four­nir aux sec­tions syn­di­cales des res­sources et un sou­tien ren­force la confiance des militant·e·s et les aide à apprendre les uns des autres. Cepen­dant, ces « regrou­pe­ments » n’en sont encore qu’à leurs débuts. Nous voyons encore de nom­breux exemples où une meilleure coor­di­na­tion don­ne­rait plus de pou­voir aux tra­vailleurs et tra­vailleuses. Par exemple, le sec­teur des bus est domi­né par quelques grandes entre­prises dont les filiales gèrent les ser­vices dans de nom­breuses régions de Grande-Bre­tagne. Pour­tant, nous assis­tons encore à des grèves dans dif­fé­rentes filiales, à des moments dif­fé­rents, plu­tôt qu’à des actions coordonnées.

Sha­ron Gra­ham pro­gresse éga­le­ment dans d’autres dimen­sions de son pro­gramme, telle l’organisation de confé­rences pour les repré­sen­tants de la san­té et de la sécu­ri­té dans chaque région. Les domaines qui me pré­oc­cupent le plus concernent peut-être la démo­cra­tie du syn­di­cat. Sha­ron Gra­ham avait pro­mis de s’appuyer sur les réseaux qui ont fait cam­pagne pour son élec­tion afin d’encourager le déve­lop­pe­ment de réseaux de membres qui pour­raient faire avan­cer son pro­gramme et, par la suite, lui deman­der des comptes. Mais cela ne s’est pas pro­duit – une occa­sion manquée.

Au début de l’année, des élec­tions ont eu lieu pour presque tous les postes de res­pon­sables syn­di­caux, et cela à par­tir du lieu de tra­vail et à tous les éche­lons. C’était l’occasion de sen­si­bi­li­ser les membres, au-delà de la couche mili­tante exis­tante, et d’essayer d’attirer du sang neuf. Sha­ron Gra­ham et son équipe ont fait peu d’efforts visibles dans ce sens, de sorte que les struc­tures démo­cra­tiques du syn­di­cat res­tent lar­ge­ment peu­plées de frac­tions qui s’opposent à elle.

Peut-être espère-t-elle d’abord déve­lop­per les « regrou­pe­ments », paral­lè­le­ment aux struc­tures démo­cra­tiques du syn­di­cat, puis encou­ra­ger les per­sonnes concer­nées à prendre des posi­tions lors des pro­chaines élec­tions, dans trois ans. Si c’est le cas, je ne l’ai pas enten­du dire. L’opposition d’un grand nombre de res­pon­sables rému­né­rés du syn­di­cat [per­ma­nents] et le manque de sou­tien de la part des struc­tures démo­cra­tiques ren­dront plus dif­fi­cile la réa­li­sa­tion de ses pro­messes, ain­si que la pos­si­bi­li­té d’agir de manière plei­ne­ment responsable.

Le Royaume-Uni pos­sède cer­taines des pires lois anti­syn­di­cales d’Europe occi­den­tale. Le gou­ver­ne­ment conser­va­teur a mena­cé d’imposer des lois encore plus dra­co­niennes au mou­ve­ment syn­di­cal à la suite de la vague de grèves. Com­ment cela a‑t-il été reçu ?

Les Tories ont déjà abro­gé l’interdiction faite aux agences d’emploi de four­nir des tra­vailleurs tem­po­raires pour rem­pla­cer les gré­vistes. Ils menacent de faire bien pire, y com­pris l’idée d’introduire des niveaux de ser­vice mini­mum à assu­rer pen­dant les grèves. A cela s’ajoute l’obligation de sus­pendre l’action et de pro­cé­der à un nou­veau vote des membres chaque fois que l’employeur fait une nou­velle offre.

Les syn­di­cats ont réagi avec une colère pré­vi­sible. On parle de résis­tance, mais il y a peu de preuves de pré­pa­ra­tion pra­tique pour s’opposer à cette pro­vo­ca­tion. La pos­si­bi­li­té pour les employeurs de recou­rir à des agences inté­ri­maires n’a pas eu beau­coup d’impact jusqu’à pré­sent. Il existe de nom­breux emplois pour les­quels les tra­vailleurs inté­ri­maires seraient peu utiles si les tra­vailleurs régu­liers n’étaient pas là pour leur mon­trer quoi faire.

Le CWU (Com­mu­ni­ca­tion Wor­kers Union) a réus­si à obte­nir de Man­po­wer, une impor­tante agence four­nis­sant des inté­ri­maires à Royal Mail, qu’elle refuse de four­nir du per­son­nel pour bri­ser la grève. Mettre les tra­vailleurs et tra­vailleuses dans une posi­tion où ils ne peuvent pas léga­le­ment mener une action effi­cace semble être un risque pour les Tories à un moment où la crise du coût de la vie génère un sou­tien public impor­tant pour les gré­vistes et où nous voyons quelques grèves sau­vages éclater.

Votre livre Wor­kers Can Win : A Guide to Orga­ni­zing at Work va sor­tir à un moment favo­rable. Vous avez éga­le­ment créé un site web pour faci­li­ter sa dis­cus­sion. Pou­vez-vous en par­ler à nos lecteurs ?

En tant que mili­tant sur le lieu de tra­vail depuis de nom­breuses années, j’ai été frus­tré par le fait que, bien qu’il existe d’excellents livres plai­dant pour des stra­té­gies par­ti­cu­lières pour le mou­ve­ment syn­di­cal, et d’autres (mais pas en Grande-Bre­tagne) par­lant des aspects pra­tiques de l’organisation sur le lieu de tra­vail, il n’y avait rien qui com­bine vrai­ment les tech­niques d’organisation avec la poli­tique socia­liste de la base.

J’ai entre­pris d’écrire une bro­chure pour com­bler cette lacune, mais il est vite appa­ru que quelque chose de plus sub­stan­tiel était néces­saire. C’est vrai­ment pas­sion­nant que Plu­to Press ait publié le livre, ce qui aide­ra à atteindre plus de lecteurs.

Plu­sieurs rai­sons m’ont pous­sé à créer un site web. Tout d’abord, le pay­sage dans lequel nous nous orga­ni­sons évo­lue, la nou­velle légis­la­tion anti­syn­di­cale en est un excellent exemple. Je vou­lais donc que les lec­teurs puissent s’inscrire sur le site pour rece­voir des mises à jour régu­lières. Deuxiè­me­ment, aucun livre n’a toutes les réponses. J’espère que les lec­teurs essaie­ront cer­taines des idées conte­nues dans l’ouvrage et qu’ils m’enverront des rap­ports sur ce qui a fonc­tion­né pour eux, sur la manière dont ils ont adap­té cer­taines de mes sug­ges­tions et sur ce qui n’a pas été utile. Pour écrire ce livre, je me suis ins­pi­ré des idées de cen­taines de mili­tants et d’écrivains. Le pro­ces­sus col­lec­tif d’élaboration d’un mode d’organisation effi­cace ne s’arrête pas à la publi­ca­tion d’un livre.

Troi­siè­me­ment, dans le livre, j’encourage les tra­vailleurs à construire leurs réseaux pour obte­nir des conseils, du sou­tien et de la soli­da­ri­té. J’ai tou­jours trou­vé très impor­tant d’avoir un groupe de per­sonnes que je pou­vais consul­ter lorsque j’étais aux prises avec un pro­blème. Je veux aider les lec­teurs et lec­trices à créer de tels réseaux pour eux-mêmes, ce qui les ren­dra plus effi­caces en tant qu’organisateurs et les aide­ra à acqué­rir la force dont ils ont besoin pour gagner. (

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Cet article a été publié sur le site états-unien Tem­pest Mag, le 15 sep­tembre 2022 ; tra­duc­tion par la revue A l’Encontre.

Ian Allin­son est membre de rs21 et ancien can­di­dat socia­liste de base au poste de secré­taire géné­ral de Unite the Union en 2017, et l’auteur de Wor­kers Can Win ! A Guide to Orga­ni­zing at Work publié par Plu­to Press.

Illus­tra­tion : Wiki­me­dia Commons.

  1.  Mick Lynch, le secré­taire géné­ral du RMT, décla­rait : « Notre mes­sage doit être le sui­vant… la classe ouvrière est de retour… Nous refu­sons d’être dociles, nous refu­sons d’être humi­liés, nous refu­sons de dépendre des poli­ti­ciens et des chro­ni­quers poli­tiques – et nous refu­sons d’être davan­tage pauvres. » 
  2.  Voir à ce pro­pos l’article de Steve Jef­fe­rys, « Des syn­di­ca­listes bri­tan­niques tou­jours bla­ck­lis­tés ! L’anti-syndicalisme patro­nal au Royaume-Uni », in Emploi et tra­vail, 2016/2 n° 146. Liz Truss a pro­mis d’introduire une nou­velle loi anti-syn­di­cales dans les 30 jours sui­vant son entrée en fonc­tion. Les pro­po­si­tions envi­sa­gées peuvent être résu­mées ainsi :

    • Dou­bler à nou­veau le temps de pré­avis que les syn­di­cats doivent don­ner aux employeurs avant de prendre des mesures de grève : de 14 à 28 jours.

    • Aug­men­ter pour tous les sec­teurs (pri­vés où c’est déjà le cas et ser­vices publics impor­tants) la dis­po­si­tion rela­tive au « seuil de sou­tien pour une action » de 40% à 50%.

    • Intro­duire des exi­gences de « pres­ta­tion de ser­vice mini­mum » pen­dant les grèves. Peut-être même l’interdiction pure et simple de la grève dans cer­tains secteurs.

    • Obli­ger les syn­di­cats à pro­cé­der à un nou­veau vote après un cer­tain nombre de jours de grève.

    • Obli­ger les tra­vailleurs à payer des impôts sur les indem­ni­tés de grève. (Réd. A l’Encontre)