L’hégémonie et la politique

Huges Lepaige : On vit une époque charnière : depuis 2008 la succession des crises provoquées par le capitalisme financier entraine un recul social sans précédent

J’évoquais la semaine der­nière le concept d’hégémonie cultu­relle et idéo­lo­gique à pro­pos de la repré­sen­ta­tion de la grève géné­rale du 30 jan­vier der­nier dans les médias. Ce concept d’hégémonie mérite que l’on s’y arrête un ins­tant car il est sans doute essen­tiel dans les affron­te­ments poli­tiques en cours et à venir. On le constate à la veille du contrôle bud­gé­taire qui doit tran­cher entre de nou­veaux efforts en matière de dépenses ou de ren­trée. Choix fon­da­men­tal qui entrai­ne­ra la poli­tique gou­ver­ne­men­tale vers encore plus d’austérité ou vers une cor­rec­tion en faveur d’un peu plus d’égalité dans les sacri­fices exi­gés. Choix déter­mi­nant qui mar­que­ra le réel rap­port de force au sein de la coalition.

On vit une époque char­nière : depuis 2008 la suc­ces­sion des crises pro­vo­quées par le capi­ta­lisme finan­cier entraine un recul social sans pré­cé­dent et les citoyens qui en sont vic­times peuvent iden­ti­fier les res­pon­sa­bi­li­tés. Et pour­tant, jusqu’ici, le plus sou­vent, la pré­ca­ri­té et la peur de l’avenir empêchent l’adhésion à une modi­fi­ca­tion pro­fonde d’une socié­té pour­tant vécue par la majo­ri­té comme injuste pour ne pas dire invi­vable. Ce para­doxe s’explique pré­ci­sé­ment par l’hégémonie cultu­relle et idéo­lo­gique que la droite libé­rale conti­nue d’exercer depuis plu­sieurs décen­nies en dépit de ses échecs éco­no­miques et sociaux. L’hégémonie, disait le théo­ri­cien mar­xiste Anto­nio Gram­sci qui en fut le concep­teur, l’hégémonie se défi­nit comme l’ensemble des fonc­tions de domi­na­tion, d’éducation et de direc­tion qu’exerce une classe sociale domi­nante pen­dant une période his­to­rique don­née, sur une autre classe sociale – et même sur l’ensemble de la socié­té- par l’intermédiaire de la socié­té civile.

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Anto­nio Gram­sci (1891 – 1937)

Ce concept éla­bo­ré au début du XXe siècle garde toute sa per­ti­nence. Aujourd’hui il se mani­feste par une série d’affirmations qui sont autant de choix idéo­lo­giques et poli­tiques tra­ves­tis en lieux com­muns pré­sen­tés comme indé­pas­sables. Des exemples ? La thèse selon laquelle il n’y a pas d’alternative aux poli­tiques d’austérité, la régres­sion sociale dégui­sée en « réforme » et conjoin­te­ment la défense des droits sociaux dure­ment arra­chés qua­li­fiée de « confor­misme » ou encore la mise sur le même pied de la fraude sociale et de la fraude fis­cale alors que le prix de cette der­nière est sans com­pa­rai­son pour la socié­té. Voi­là com­ment se tra­duit aujourd’hui cette hégé­mo­nie cultu­relle et idéo­lo­gique de la droite libé­rale qui, sûre de sa domi­na­tion, pousse la pro­vo­ca­tion jusqu’à pro­po­ser une nou­velle amnis­tie fis­cale pour les frau­deurs au moment où pré­ci­sé­ment on risque d’imposer des sacri­fices sup­plé­men­taires aux plus démunis.

Source de l’ar­ticle : blog de Hugues Lepaige