Mort ou vif, Chavez est la cible du mépris des médias

CNN : Désormais de nombreuses entreprises états-uniennes vont suivre de très près la transition au Venezuela. Ils vont vouloir s’assurer que les investissements sont sûrs, et...

vd-Hugo-Chavez_died-408x264.jpgLa mort d’Hugo Cha­vez a sus­ci­té, en France, une tem­pête média­tique d’informations et de com­men­taires approxi­ma­tifs, biai­sés, voire men­son­gers qui les appa­rentent à de la pure pro­pa­gande. Que le rôle du Pré­sident du Vene­zue­la et la poli­tique qu’il a conduite fassent l’objet de contro­verses, rien de plus nor­mal. Pour peu qu’elles reposent sur des infor­ma­tions exactes et des enquêtes effec­tives, et non sur une sur­en­chère de rac­cour­cis et de slo­gans. Nous y reviendrons…

… Après nous être tour­nés vers les médias états-uniens qui ont don­né la pleine mesure de ce que des médias domi­nants peuvent accom­plir. C’est pour­quoi nous publions ci-des­sous un article dis­po­nible sur le site de FAIR – « Fair­ness and Accu­ra­cy in Repor­ting » [[Que l’on peut tra­duire ain­si : « Pour des médias impar­tiaux et rigou­reux ».]] ] –, un obser­va­toire dédié à la cri­tique des pra­tiques média­tiques aux États-Unis. “[In Death as in Life, Chá­vez Tar­get of Media Scorn” – c’est le titre de cet article date du 6 mars 2013 – est publié sous licence Créa­tive Com­mons. En voi­ci la tra­duc­tion. (Acri­med)

Le pré­sident popu­liste de gauche du Vene­zue­la [ [[« Popu­liste » n’a pas, aux États-Unis, les conno­ta­tions pure­ment péjo­ra­tives qu’il a en France (note d’Acrimed).]] ], Hugo Cha­vez, est mort mar­di 5 mars après avoir lut­té pen­dant deux ans contre le can­cer. Si les diri­geants du monde devaient être jugés sur les doses de vitriol média­tique et de dés­in­for­ma­tion dont leur action poli­tique ont fait l’objet, Cha­vez serait dans une caté­go­rie à part.

Juste après sa pre­mière élec­tion en 1998, le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain le dénon­çait comme une menace contre les inté­rêts amé­ri­cains – une image que les médias états-uniens ont lar­ge­ment cari­ca­tu­rée. Lorsqu’un coup d’État pré­pa­ré par les milieux du pri­vé et les élites média­tiques réus­sit à évin­cer Cha­vez du pou­voir, de nom­breux titres de presse états-uniens applau­dirent (Extra !, 6/02). Le New York Times (4/13/02), annon­ça une « démis­sion », expli­quant : « la démo­cra­tie véné­zué­lienne n’est plus mena­cée par un dic­ta­teur en puis­sance ». Le Chi­ca­go Tri­bune (4/14/02) applau­dit lui aus­si le départ d’un diri­geant qui aurait « fait les louanges d’Ousama Ben Laden » – une allé­ga­tion bien enten­due com­plè­te­ment fausse.

Ces allu­sions sans fon­de­ment eurent cepen­dant des réper­cus­sions média­tiques. Sept ans plus tard, CNN (1/15/09) orga­ni­sait une dis­cus­sion sur Cha­vez avec le stra­tège démo­crate Doug Schoen. Alors que le pré­sen­ta­teur lui deman­dait si Cha­vez était pire ou non qu’Ousama Ben Laden, Schoen affir­ma que Cha­vez « avait don­né une invi­ta­tion à Al Qai­da et au Hamas de venir à Caracas ».

Ce genre de polé­mique média­tique sur Cha­vez ne connaît, semble-t-il, pas de limite. Dans un article de presse, News­week (11/2/09) par­vint même à le com­pa­rer à Mus­so­li­ni, Hit­ler et Sta­line. (Cha­vez s’était alors construit un stu­dio de tour­nage, ce qu’apparemment font tous les dic­ta­teurs). Pour ABC (World News, 10/7/12) c’est un « enne­mi farouche des États-Unis », pour le Washing­ton Post (10/16/06) un « déma­gogue auto­crate ». Fox News (12/5/05) annon­ça que le gou­ver­ne­ment était « authen­ti­que­ment com­mu­niste » mal­gré le fait que Cha­vez ait été régu­liè­re­ment réélu lors d’élections cer­ti­fiées par des obser­va­teurs inter­na­tio­naux (Extra !, 11 – 12/06), élec­tions qua­li­fiées de « meilleures du monde » par Jim­my Car­ter (Guar­dian, 10/3/12).

Outre les accu­sa­tions de ter­ro­risme et la dénon­cia­tion d’une menace mili­taire crois­sante que le Vene­zue­la ferait peser sur la région (FAIR Blog, 4/1/07), les médias ont sou­vent essayé de faire pas­ser le mes­sage selon lequel Cha­vez était nui­sible pour les Véné­zué­liens, invo­quant une pré­ten­due ruine éco­no­mique du pays. L’éditorial du Washing­ton Post (1/5/13) se lamente sur les « souf­frances éco­no­miques cau­sées par M. Cha­vez », l’homme qui a « détruit leur pays jadis pros­père ». Un article récent du New York Times (12/13/12) décri­vait les dif­fi­cul­tés de la vie quo­ti­dienne au Vene­zue­la en expli­quant que ces sou­cis sont typiques, pour les pauvres comme pour les riches, et com­ment le pré­sident Hugo Cha­vez s’était main­te­nu en poste 14 ans, res­tant popu­laire dans la majo­ri­té de la popu­la­tion grâce à sa per­son­na­li­té hors du com­mun, les lar­gesses de ses dépenses publiques et sa capa­ci­té à convaincre les Véné­zué­liens que la révo­lu­tion socia­liste qu’il pro­mou­vait amé­lio­re­rait un jour leur vie.

Il n’est pour­tant pas si fou de pen­ser que Cha­vez a d’ores et déjà amé­lio­ré le quo­ti­dien des véné­zué­liens (FAIR Blog, 12/13/12), avec un niveau de pau­vre­té divi­sé par deux, la mise à dis­po­si­tion de nour­ri­ture et de soins, l’amélioration du sys­tème d’enseignement public et un effort pour construire des ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques depuis la base (pour plus d’information, lire l’article de Greg Gran­din dans Nation (3/5/13).

Cet aspect-là n’est certes pas tou­jours entiè­re­ment omis par les médias état­su­niens. Mais ces poli­tiques sociales, qui reflètent de nou­velles prio­ri­tés dans la redis­tri­bu­tion de la richesse pétro­lière du pays, sont pré­sen­tées comme un plan pré­pa­ré par Cha­vez pour s’attirer les faveurs des pauvres. C’est ce que sous-entend à peine le Washing­ton Post (2/24/13) indi­quant que Cha­vez a gagné le « sou­tien incon­di­tion­nel des masses frap­pées par la pau­vre­té » en « dis­tri­buant des postes à ses sou­tiens et en fai­sant crou­ler les pauvres sous les cadeaux ». Pour l’émission « All Things Consi­de­red » de NPR – Natio­nal Public Radio – (3/5/13), des « mil­lions de Véné­zué­liens l’aimaient parce qu’il mul­ti­pliait à outrance les pro­grammes sociaux pour les pauvres. »

Ache­ter le sou­tien de ses propres citoyens est une chose ; faire état de sen­ti­ments hos­tiles à l’égard des États-Unis en est une autre. Ain­si comme le JT CBS Eve­ning News (1/18/13) l’expliquait récem­ment, « Cha­vez a fait car­rière en s’attaquant aux États-Unis ». Mais per­sonne ne s’interroge sur la manière dont un diri­geant amé­ri­cain se com­por­te­rait à l’égard d’un pays qui aurait sou­te­nu un coup d’État contre lui.

Bien que le sou­tien des États-Unis au coup d’État de 2002 ait été clai­re­ment éta­bli, ce simple fait est sou­vent consi­dé­ré comme une des théo­ries de la conspi­ra­tion véhi­cu­lées par Cha­vez ain­si que l’explique le Washing­ton Post (1/10/13) : « Un des piliers idéo­lo­gique du pou­voir de Cha­vez pen­dant 14 années a consis­té à s’opposer aux admi­nis­tra­tions répu­bli­caines et démo­crates, qu’il accu­sait de vou­loir désta­bi­li­ser son gouvernement. »

Des docu­ments du dépar­te­ment d’État (FAIR Blog, 1/11/13) montrent pour­tant que plu­sieurs agences états-uniennes ont « appor­té entraî­ne­ment, for­ma­tion au gou­ver­ne­ment et sou­tien aux per­sonnes et orga­ni­sa­tions acti­ve­ment impli­quées dans la brève évic­tion du gou­ver­ne­ment Cha­vez ». L’administration Bush avait d’ailleurs décla­ré son sou­tien au régime d’un jour issu du coup d’État en expli­quant que Cha­vez « était res­pon­sable de son des­tin » (Guar­dian, 4/21/09).

Bien enten­du, comme pour n’importe quel autre pays, il y a des aspects du régime de Cha­vez qui prêtent à cri­tique. Néan­moins, il est vrai­sem­blable que l’attention toute par­ti­cu­lière que les médias états-uniens ont por­té sur les points faibles du Vene­zue­la n’était pas sans lien avec l’agenda de Washing­ton ; une étude de FAIR (Extra !, 2/09) sur les édi­to­riaux sur les droits humains montre que le Vene­zue­la fai­sait l’objet de cri­tiques beau­coup plus viru­lentes que la Colom­bie, alliée des États-Unis, mal­gré la vio­lente répres­sion de l’opposition dans ce pays.

La cou­ver­ture média­tique de la mort de Cha­vez n’y change rien. « Le tyran du Vene­zue­la Cha­vez est mort » rap­porte la Une du New York Post (3/6/13) ; « Mort d’un déma­gogue » peut-on lire sur l’écran d’accueil du Time (3/6/13). Le pré­sen­ta­teur de CNN Ander­son Cooper (3/5/13) a décla­ré que c’était « la mort d’un diri­geant qui fai­sait l’Amérique voir rouge, rouge comme Fidel Cas­tro, le pré­sident socia­liste du Vene­zue­la Hugo Chavez. »

« Les mots “homme fort du Vene­zue­la” ont sou­vent pré­cé­dé son nom, et ce pour une bonne rai­son » décla­rait le pré­sen­ta­teur de NBC Night­ly News Brian Williams (3/5/13) ; pour ABC World News (3/5/12), « de nom­breux amé­ri­cains le voyaient comme un dic­ta­teur ». C’est en effet pro­ba­ble­ment le cas s’ils étaient à l’écoute des grands groupes de médias.

Le fait que les inté­rêts des élites amé­ri­caines soient l’un des prin­ci­paux enjeux des rela­tions entre les États-Unis et le Vene­zue­la n’est pas tou­jours pas­sé sous silence. De nom­breux repor­tages sur la mort de Cha­vez ont noté la richesse pétro­lière immense du pays. Williams expli­quait sur NBC, « tout cela est très impor­tant pour les États-Unis, car le Vene­zue­la est assis sur un tas de pétrole, et c’est là que ça devient inté­res­sant pour les États-Unis ». Ce qui est confir­mé par Rachel Mad­dow sur MSNBC (3/5/13) [ [[MSNBC est une chaîne d’information en conti­nu du câble dif­fu­sée aux États-Unis et au Cana­da.]] ] : « Vous com­pre­nez, le Vene­zue­la est un pays qui compte sur la scène mon­diale. Il est assis sur les réserves les plus impor­tantes de pétrole de la planète ».

Et Bar­ba­ra Starr (3/5/13) d’expliquer sur CNN : « Désor­mais de nom­breuses entre­prises états-uniennes vont suivre de très près la tran­si­tion au Vene­zue­la. Ils vont vou­loir s’assurer que les inves­tis­se­ments sont sûrs, et que le pays est suf­fi­sam­ment stable pour inves­tir ». Et par­mi ces entre­prises, comp­tons les grands groupes de média.

Tra­duc­tion de Fré­dé­ric Lemaire