Nestlé face aux altermondialistes

Après le classement de sa plainte pénale en 2009, Attac espère obtenir justice lors du procès civil qui s’ouvre demain à Lausanne. Indemnisation de 27 000 francs demandée.

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Yanik San­son­nens, lun­di 23 jan­vier 2012

Le pro­cès civil de l’affaire du « Nest­lé­gate » s’ouvre demain à Lau­sanne. Neuf plai­gnants, membres de l’organisation alter­mon­dia­liste Attac, réclament à la mul­ti­na­tio­nale vevey­sane et à l’entreprise Secu­ri­tas une indem­ni­té de 27 000 francs et la publi­ca­tion du juge­ment dans la presse.

Ecri­vain et membre fon­da­trice d’Attac, Susan George est l’une des par­ties au pro­cès. Pour cette intel­lec­tuelle fran­co-amé­ri­caine, il faut que jus­tice soit faite. « La Suisse, un pays garant des liber­tés indi­vi­duelles et chantre de la démo­cra­tie, ne doit pas per­mettre à Nest­lé d’utiliser des méthodes mora­le­ment et léga­le­ment répré­hen­sibles. Dans cette affaire, nos liber­tés d’opinion et d’expression ont été bafouées. Si Nest­lé peut agir comme bon lui semble en Suisse, nous ne sommes plus en démo­cra­tie.»

L’éthique de Nestlé

Les faits remontent à l’automne 2003. Sous le pseu­do­nyme de « Sara Mey­lan », une employée de Secu­ri­tas rejoint la sec­tion d’Attac Vaud, alors en pleine pré­pa­ra­tion du livre « Attac contre l’empire Nest­lé ». Ayant gagné la confiance du groupe, elle par­ti­cipe à plu­sieurs réunions pri­vées, où elle a accès à des docu­ments confi­den­tiels. Elle livre à Nest­lé des comptes-ren­dus détaillés de ces dis­cus­sions. Ses rap­ports men­tionnent éga­le­ment des détails sur la vie pri­vée des auteurs. Peu après la révé­la­tion des faits, en 2008, une deuxième taupe de l’entreprise de sécu­ri­té sera confondue.

  1. Dans ce dos­sier, les citoyens hel­vé­tiques sont éga­le­ment invi­tés à s’interroger sur l’éthique et les valeurs morales véhi­cu­lées par le colosse de l’agroalimentaire. Bar­ba­ra Rimml est mili­tante chez Attac et une des auteurs du livre « Attac contre l’empire Nest­lé ». Elle rap­pelle qu’une « plainte a été dépo­sée il y a trois ans. Tout a pris beau­coup de temps et j’espère que la jus­tice fera son tra­vail.» Mais qu’escompter fina­le­ment de la jus­tice, quand on repense au volet pénal de l’affaire ? A la suite des révé­la­tions de la TSR à l’été 2008, une plainte a été dépo­sée. La pro­cé­dure s’est conclue par un non-lieu, en juillet 2009.

Pas une exception

Le juge d’instruction Jacques Ante­nen (aujourd’hui com­man­dant de la police vau­doise) a en effet esti­mé que la seule infrac­tion sus­cep­tible d’être pour­sui­vie, à savoir une contra­ven­tion à la loi fédé­rale sur la pro­tec­tion des don­nées, était pres­crite au bout de trois ans. Il n’a tenu compte que de la pre­mière espionne, qui a agi entre l’automne 2003 et l’été 2004. Quant à la seconde taupe, débus­quée par Attac en sep­tembre 2008, le juge d’instruction ne l’a pas prise en considération.

En atten­dant la déci­sion du Tri­bu­nal d’arrondissement lau­san­nois, une ques­tion plus glo­bale se pose. Cette affaire repré­sente-elle un cas iso­lé ou d’autres scan­dales couvent-ils en toute impu­ni­té ? On se sou­vient qu’après le Nest­lé­gate, une autre infil­tra­tion d’un agent de Secu­ri­tas avait déjà été mise au jour : à Lau­sanne une jeune femme avait espion­né durant plu­sieurs années le Groupe Anti-Répres­sion (GAR), tou­jours pour le compte de Nestlé.
« Je serais très sur­pris si cette affaire était une excep­tion. L’intelligence éco­no­mique est si grande et les pro­cé­dés uti­li­sés par les mul­ti­na­tio­nales sont tels, qu’il y a aucune rai­son que Nest­lé soit la seule. Des méthodes d’espionnage sont aus­si uti­li­sées dans des domaines plus sen­sibles comme le nucléaire ou les indus­tries pol­luantes », affirme Jamil Sous­si, avo­cat à Genève. A l’époque, le Nest­lé­gate a été fer­me­ment condam­né par bon nombre d’élus, sans pour autant qu’une remise en ques­tion du sys­tème légis­la­tif ne soit envisagée.

Nest­lé est confiant

Selon Me Sous­si, « l’arsenal légis­la­tif est assez fort en Suisse, mais le pro­blème réside dans les moyens mis en œuvre pour tra­quer les espions, ain­si que dans la fai­blesse des délais de pres­crip­tion en géné­ral ».
Quant au mon­tant déri­soire (27 000 francs) deman­dé par Attac, en répa­ra­tion du tort moral subi, Me Sous­si n’est pas sûr que les plai­gnants reçoivent autant : « L’indemnisation pour­rait être infé­rieure, mais le plus impor­tant pour les plai­gnants reste l’obtention du prin­cipe de la condam­na­tion. Le risque de pres­crip­tion est aus­si pos­sible au vu de l’écoulement du temps et de la série d’obstacles pro­cé­du­raux à venir.»
Contac­tés, Nest­lé et Secu­ri­tas n’ont pas vou­lu s’exprimer sur un pro­cès en cours. Porte-parole de Nest­lé, Nina Caren Backes pré­cise tout de même : « Nous avons obte­nu une ordon­nance de non-lieu au pro­cès pénal et nous sommes confiants quant à l’issue de la pro­cé­dure civile.» La jus­tice sau­ra-t-elle se mon­trer à la hau­teur de l’événement ? Elé­ment de réponse dès demain, au Palais de jus­tice de Mont­be­non. Le pro­cès est ouvert au public.

Source : cour­rier