Photo : Julie Jaroszewski, Nicaragua novembre 2011.
Interview de William Grigsby par Sergio Ferrari. elmercuriodigital.es
Le 6 novembre, des élections générales auront lieu au Nicaragua, pays centraméricain qui suscita dans les années 1980 l’un des mouvements de solidarité internationale les plus actifs dans l’histoire contemporaine. Comme à cette époque, le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) continue d’être aujourd’hui l’une des principales forces politiques et son candidat, l’actuel président Daniel Ortega, se représente à l’élection présidentielle. Un scénario particulier où 4 alliances tentent de disputer au parti gouvernemental son hégémonie. Ci-dessous, un entretien avec William Grigsby Vado, militant sandiniste, directeur de la radio La Primerísima et analyste politique réputé en Amérique centrale.
Q : Les derniers sondages pré-électoraux prévoient une victoire commode pour le candidat de l’alliance « Uni, le Nicaragua triomphe » (Unida, Nicaragua Triunfa), l’actuel président Daniel Ortega. Êtes-vous donc d’accord avec ces prévisions ?
Willliam Grigsby Vado (WGV) : La tendance générale prévoit effectivement la victoire électorale de Daniel Ortega. Je pense même qu’il pourrait obtenir une majorité écrasante, ce qui déboucherait pour lui sur une majorité parlementaire de 2/3 (l’Assemblée nationale compte 90 député-e‑s). Un résultat qui faciliterait une future réforme de la Constitution. Les quatre autres partis – tous de droite – qui participent aux élections sont conscients de cette tendance, tout comme les grands entrepreneurs et les gouvernements, comme celui des Etats-Unis. Néanmoins, le FSLN ne se fie pas à ce pronostic et ses militants continuent de faire leur travail, de maison en maison, dans toutes les communautés des 153 municipalités des 17 départements et régions du pays. Le verdict final tombera le 6 novembre, lorsque les Nicaraguayens se rendront aux urnes.
Q : L’opposition dénonce ces élections comme illégales. Pour elle, Daniel Ortega n’est pas autorisé à briguer un second mandat successif, vu qu’il avait déjà gouverné dans les années 1980.
WGV : Dans un état de droit, il revient au pouvoir judiciaire de déterminer, en dernière instance si une norme touche les droits fondamentaux d’un ou de plusieurs citoyens. Au Nicaragua, la Cour suprême de justice a décidé que l’on ne peut appliquer l’interdiction de réélection présidentielle à quelqu’un qui a déjà exercé auparavant deux mandats. La Cour a compris qu’empêcher la candidature de Daniel Ortega violerait les principes essentiels de la Constitution, qui priment sur toute autre norme juridique. Le problème, c’est qu’au Nicaragua l’opposition ne se soumet à l’application de la loi et aux sentences judiciaires que si ces dernières lui conviennent. Au final, la légitimité d’un nouveau mandat du candidat sandiniste, en termes politiques, dépendra surtout de la manière dont les citoyens s’exprimeront dans les urnes. Et je pense que le vote sera net.
Q : L’opposition parle du « clientélisme » gouvernemental pour expliquer la possible victoire électorale du sandinisme…
WGV : La majorité des Nicaraguayens savent qu’aujourd’hui ils vivent beaucoup mieux qu’il y a cinq ans. Un seul exemple : dans un pays où 78 % de la population vit avec 2 dollars ou moins par jour, il fallait, jusqu’en janvier 2007, payer l’éducation et la santé. Aujourd’hui, celles-ci sont totalement gratuites. D’autres indicateurs pour la même période : le pays a doublé le montant de ses investissements ; le salaire minimum a aussi doublé ; il y a une croissance de l’emploi ; la crise de l’énergie électrique a été résolue : la couverture de ce service a passé de 56 % à 70 % ; à la campagne, 80.000 femmes sont aujourd’hui productrices de lait et de viande ; 217.000 femmes ont bénéficié de micro-crédits sans intérêts. En outre, l’analphabétisme a été réduit de 32 % à 4 % de la population ; l’Etat a créé un réseau national de distribution des aliments de base, avec 4.000 magasins qui les vendent à des prix plus favorables que le marché privé ; 481.537 producteurs agricoles (de dimensions variables) ont obtenu des crédits. Ajoutons qu’en quatre ans le gouvernement a fourni à l’agriculture des crédits pour un montant de 1.397 millions de dollars. Aujourd’hui, 152.000 fonctionnaires reçoivent un bon mensuel de 700 cordobas (Ndr : à peu près 35 dollars US) comme complément salarial. Voici, parmi beaucoup d’autres, les raisons pour lesquelles je pense que l’électorat plébiscitera massivement le FSLN.
Q : Plusieurs personnalités qui, à l’origine, faisaient partie du Front sandiniste appuient aujourd’hui Fabio Gadea Mantilla, l’un des candidats de la droite. Comment comprendre l’attitude de la dissidence sandiniste ?
WGV : Le Mouvement de renovaton sandiniste (MRS) est aujourd’hui une faction de droite qui a renié le sandinisme et fait partie des forces les plus réactionnaires de la société nicaraguayenne. La majorité de ses militants (pas plus de 150) ont occupé, durant les années 1980, des positions privilégiées comme membres du FSLN. Ensuite, lorsque le FSLN était dans l’opposition, ils se sont consacrés aux affaires. Actuellement le MRS soutient l’Unidad Nicaragüense por la Esperanza (UNE), alliance de droite. Leur motivation actuelle est plus personnelle que politique. Ce secteur hait personnellement Daniel Ortega et recherche une vengeance politique, car il ne contrôle plus le FSLN comme c’était le cas jusqu’en 1994.
Q : L’Amérique centrale vit un moment très particulier de son histoire. L’ancienne guérilla salvadorienne du Front Farabundo Martí de libération nationale gouverne aujourd’hui le Salvador. La résistance hondurienne qui soutient l’ancien président Manuel Zelaya (déposé en juin 2009 par un coup d’état) a démontré sa force, ces derniers mois, et aspire à gagner les prochaines élections. Quel pourrait être l’impact du résultat des élections nicaraguayennes du 6 novembre sur le contexte régional ?
WGV : Historiquement, le Nicaragua a toujours joué un rôle-clé dans toute la région. Ce qui s’y passe influence les cinq autres pays centraméricains. L’intégration économique de ces pays, avec des économies très interdépendantes, prime sur toute divergence idéologique entre les gouvernements, comme cela a été démontré au cours des cinq dernières années. Le FSLN a été un facteur de stabilité et de consensus dans la région, comme en attestent la réaction mondiale au coup d’état militaire de 2009, qui renversa le président Manuel Zelaya, et le retour ultérieur de ce dernier au Honduras. Je le souligne : le sandinisme est un élément qui contribue activement à la stabilité régionale.
Q : En conclusion, l’Amérique latine vit un processus quasi-généralisé de consolidation démocratique avec une prédominance progressiste. Quel est aujourd’hui le rapport entre le vécu du Nicaragua et cette conjoncture régionale ?
WGV : Du XVIIIe au XXe siècle, l’Europe a accouché des changements qui se propagent aujourd’hui dans une grande partie de la planète. Le XXIe siècle est celui de l’Amérique latine. L’Europe ne vieillit pas seulement au niveau de sa population, mais dans le domaine des idées. Elle connaît une crise des paradigmes et des valeurs. Par contre, l’Amérique latine vit une vague de révolutions nationalistes et progressistes qui rompent les moules de l’orthodoxie marxiste ou des révisionnismes sociaux-démocrates. La majorité des pays latino-américains ont commencé à s’engager sur des chemins différents avec une même proposition : en finir avec la pauvreté, impulser le développement et l’équité sociale. Les sandinistes intègrent ce courant de Notre Amérique. Or, en Europe et aux Etats-Unis, le pouvoir fait exactement le contraire. Il cherche à sauver le capitalisme en produisant davantage de pauvres, en approfondissant les différences sociales, en réduisant les tâches de l’Etat et en privilégiant la mafia financière qui dirige ces sociétés. Nous avons pris des chemins antagoniques et seule l’histoire pourra remettre chacun à sa place.
Sergio Ferrari
Traduction Hans-Peter Renk, collaboration journal suisse Le Courrier, et de E‑CHANGER, ONG de cooperation solidaire présent et active au Nicaragua
Source en espagnol : http://www.rlp.com.ni/noticias/general/109118/la-mayoria-de-la-gente-vive-mucho-mejor-hoy-que-cinco-anos-atras
Les derniers sondages pré-électoraux Près de 3 millions de Nicaraguayen-ne‑s se rendront, le dimanche 6 novembre, dans les 12.960 bureaux de vote répartis dans tout le pays. Cinq forces politiques se disputent la présidence et la vice-présidence de la République pour les cinq prochaines années, ainsi que les 90 député-e‑s de l’Assemblée nationale (pouvoir législatif) et les 20 représentant-e‑s du Nicaragua au Parlement centraméricain (PARLACEN).
Selon une étude publiée à mi-octobre par l’institut de sondage « Siglo Nuevo », l’alliance « Unida Nicaragua triunfa », dont le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) représente la colonne vertébrale, remporterait le scrutin par un score écrasant de plus de 58 % des suffrages.
À la seconde place, avec environ 16 % des suffrages, viendrait l’ Unidad Nicaragüense por la Esperanza (UNE) construit sur la base du Parti libéral indépendant, dont le leader est Fabio Gadea Mantilla, homme politique de droite et propriétaire de radio. Son partenaire à la vice-présidence est le dissident sandiniste Edmundo Jarquín, l’un des dirigeants du Mouvement de rénovation sandiniste (MRS).
Plus loin, avec 12 % des suffrages, on trouve l’ex-président Arnoldo Alemán, du « Partido liberal constitucionalista » (Parti libéral constitutionnaliste). Deux autres candidats, également de droite, ferment la marche : le total cumulé de leurs suffrages est estimé à 1,5 %. Les élections seront suivies par des centaines d’observateurs envoyés par l’Organisation des Etats américains (OEA), l’Union européenne (UE), des organisations non-gouvernementales et des institutions internationales privées. Par contre, les représentants de l’ambassade étatsunienne à Managua ont été récusés comme observateurs accrédités (Sergio Ferrari)
Source : Larevolucionvive