On ne frappe pas un blond devant une caméra

Michel Warschawski : Frapper un international qui manifeste dans les territoires occupés n’est pas non plus une violation des normes courantes, à condition de le faire discrètement.

Shalom_Eisner.jpgVENDREDI 27 AVRIL 2012

AU PIED DU MUR

Un offi­cier qui frappe bru­ta­le­ment un mani­fes­tant avec son fusil-mitrailleur, quoi de plus banal dans cette contrée de non-droit que sont les ter­ri­toires pales­ti­niens occu­pés ? Pour­tant, le lieu­te­nant-colo­nel Sha­lom Eis­ner, com­man­dant adjoint de la bri­gade de la val­lée du Jour­dain, vient d’être sus­pen­du de ses fonc­tions par le chef d’état-major et inter­dit de com­man­der une uni­té mili­taire pen­dant deux ans. 

La bru­ta­li­té est ins­crite dans le code géné­tique de l’occupation colo­niale : tout y est vio­lence, depuis la pré­sence impo­sée d’une armée étran­gère depuis plus de quatre décen­nies, jusqu’au pillage des res­sources natu­relles – l’eau en par­ti­cu­lier –, en pas­sant par la main­mise sur plus de 40% des terres de Cis­jor­da­nie. Sans par­ler de la vio­lence dite « illé­gale », quand cer­tains colons en font encore plus que ce que leur auto­rise for­mel­le­ment leur sta­tut de maîtres des lieux.

Les colons sont presque tou­jours gagnants, même lorsqu’ils anti­cipent les déci­sions gou­ver­ne­men­tales, ou s’installent sur des terres dûment ins­crites au cadastre comme pro­prié­tés pri­vées pales­ti­niennes. C’est le cas de la nou­velle colo­nie de Migron. Le droit à la pro­prié­té étant sacré pour Israël, bien plus d’ailleurs que le droit à la vie, le gou­ver­ne­ment vient d’annoncer qu’il se plie­rait, le cas échéant, à la déci­sion des tri­bu­naux qui exa­minent le bien-fon­dé de l’appel inter­je­té par les pro­prié­taires pales­ti­niens… et relo­ge­rait ces colons dits « sau­vages » quelques cen­taines de mètres plus loin.

C’est dans un tel contexte de non-droit abso­lu qu’il faut com­prendre ce que l’affaire de Sha­lom Eis­ner a de par­ti­cu­lier : sanc­tion­ner un offi­cier supé­rieur pour avoir frap­pé un mani­fes­tant ? S’attaquer à des Pales­ti­niens qui pro­testent contre des confis­ca­tions de terres ou des agres­sions de colons, cela arrive au moins une fois par semaine, avec des consé­quences sou­vent beau­coup plus graves et, bien évi­dem­ment, per­sonne n’est puni. En réa­li­té, si Eis­ner a été sanc­tion­né, c’est pour sa bêtise et non pas pour son acte : frap­per un Pales­ti­nien n’est pas une dévia­tion des normes de l’occupation colo­niale, même devant des caméras. 

Frap­per un inter­na­tio­nal qui mani­feste dans les ter­ri­toires occu­pés n’est pas non plus une vio­la­tion des normes cou­rantes, à condi­tion de le faire dis­crè­te­ment. Or le lieu­te­nant-colo­nel en ques­tion, connu pour ses posi­tions d’extrême droite, a frap­pé un jeune Danois, blond aux yeux bleus, devant une camé­ra. Morale de l’histoire : c’est bien pour sa stu­pi­di­té que le lieu­te­nant-colo­nel Sha­lom Eis­ner a été sanctionné.

Michel War­schaws­ki

Source : le cour­rier