L’Héritage de la Chouette (1989) de Chris Marker

Douze films signés Chris Marker : il rencontre des hellénistes, des logiciens, des hommes politiques, des artistes et les interroge pour connaître l'influence de la Grèce antique sur le monde moderne.

L_He_ritage_de_la_Chouette.jpg Douze films, sor­ti en 1989, de quelque 25 minutes, cha­cun signés Chris Mar­ker et ont pour sujet l’hé­ri­tage de la Grèce antique. Douze mots de racine grecque que Chris Mar­ker décor­tique pour connaître l’héritage de la Grèce antique sur le monde moderne. Des États-Unis au Japon, il a bala­dé sa camé­ra là où tout mot prend sens, il a ren­con­tré des hel­lé­nistes, des logi­ciens, des hommes poli­tiques, des artistes et a confron­té leurs dis­cours aux mémoires des ciné­ma­thèques pour connaître l’in­fluence de la Grèce antique sur le monde moderne. 

Pour les voir direc­te­ment sur le site Gor­go­man­cy


Treize mots de racine grecque que Chris Mar­ker décor­tique pour connaître l’héritage de la Grèce antique sur le monde moderne. Des États-Unis au Japon, il a bala­dé sa camé­ra là où tout mot prend sens, il a ren­con­tré des hel­lé­nistes, des phi­lo­sophes, des logi­ciens, des hommes poli­tiques, des artistes et a confron­té leurs dis­cours aux mémoires des cinémathèques.


« L’Héritage de la chouette est un pro­jet ency­clo­pé­dique qui, par le détour de la Grèce antique, se pro­pose de jeter un peu de lumière sur les sources de notre civi­li­sa­tion, et du même coup sur sa mor­ta­li­té. (…) À part le plai­sir et l’intérêt de voir ou revoir ces treize demi-heures rares, on peut trou­ver plu­sieurs choses dans L’Héritage de la chouette : un pro­jet de ce qu’aurait pu être une télé­vi­sion por­tée par le même esprit d’innovation que le ciné­ma à ses débuts, un pro­gramme d’enseignement socra­tique, un serial (chaque cha­pitre se ter­mi­nant sur une ques­tion lais­sée en sus­pens), un lexique mar­ke­rien, la suite d’une conver­sa­tion, à deux ou à plu­sieurs (par­fois même un mono­logue), menée au fil des années, une énu­mé­ra­tion comme celles de Sei Shô­na­gon (“Choses qui ne font que pas­ser : le prin­temps, l’été, l’automne et l’hiver”), ou encore une autre manière d’aborder une fil­mo­gra­phie dif­fi­ci­le­ment orga­ni­sable, tant les caté­go­ries sont dans les films dé- ou retour­nées. »

Ber­nard Eisen­schitz, « Mar­ker Mémoire », pro­gramme de la Ciné­ma­thèque fran­çaise, jan­vier-février 1998. 


L’Héritage de la Chouette (1989) de Chris Marker

Epi­sode 1 : Sym­po­sium ou les Idées reçues

Pre­nant l’i­dée du sym­po­sium (“boire avec”: vous en appre­nez des trucs, hein ?), des spé­cia­listes sont réunis autour d’une table, ou face à la camé­ra pour les moins chan­ceux, pour débattre de notre héri­tage (cultu­rel, phi­lo­so­phique, enfin tout quoi…) de la Grèce Antique. Il est ques­tion dans cet épi­sode de recon­naître à nos ancêtres d’a­voir déjà explo­ré les concepts du conscient et du sub­cons­cient, ou encore d’é­go­tisme et de dédou­ble­ment de la per­son­na­li­té ; le fameux “connais-toi toi-même” comme pré­cepte de base. Si l’ordre et la mesure pou­vaient être atteints, c’é­tait tou­jours “contre la réa­li­té” — jamais gagné d’a­vance, vous voyez. On évoque ain­si le fait que si aucune limite n’é­tait alors fixée, s’il n’y avait point de table de lois au sens strict, c’é­tait à cha­cun de savoir jus­qu’où aller… Bien, bien… Celui qui était dans la déme­sure (l’hu­bris) était puni en étant jeté dans l’a­byme (en fait “qui fait le malin tombe dans le ravin”, c’est même po de moi… mon Dieu, on invente rien quoi!). Bon je ten­te­rai d’être un peu moins didac­tique au pro­chain épi­sode, faut que je me chauffe.


Grèce, 12 mots ou l’Héritage de la chouette 01… par Davo­Lo­Schia­vo


Epi­sode 2 : Olym­pisme ou la Grèce imaginaire

On se sent un peu petit devant ces intel­lec­tuels ou ces artistes qui débattent de l’hé­ri­tage de la civi­li­sa­tion grecque avec un tel brio. Bon, ten­tons de ne point dire de grosses bêtises, ça nous chan­ge­ra (je me fais tout humble devant Mar­ker). L’é­pi­sode com­mence avec des images des J.O. de Ber­lin en 1936, pas la meilleure idée que l’on se fait de l’es­prit olym­pique… Comme le dit l’un des inter­ve­nants, chaque siècle (voire chaque pays, voire cha­cun de nous…) a sa propre réin­ter­pré­ta­tion de la civi­li­sa­tion grecque. L’hé­ri­tage des Grecs est for­cé­ment dif­fi­cile à défi­nir à l’i­mage de la belle inter­ven­tion de Théo Ange­lo­pou­los qui s’est ren­du compte, lors de son pre­mier film qu’il avait, incons­ciem­ment, été ins­pi­ré par l’his­toire d’A­ga­mem­non. Si le chris­tia­nisme lui-même s’est par­fois appuyé sur les écrits grecs, il est sur­tout ici ques­tion des liens tenus entre l’Al­le­magne et la Grèce ancienne. Que ce soit en ce qui concerne ses phi­lo­sophes (de Hegel à Hei­deg­ger) voire ses poètes (Hol­der­lin, Rilke), il y a une évi­dente affi­ni­té entre les deux cultures ; là où l’é­pi­sode achoppe, c’est sur la récu­pé­ra­tion par les Nazis d’un cer­tain “idéal” de la Grèce — aus­si bien pour don­ner le sens de l’u­ni­té à l’Al­le­magne que dans l’u­ti­li­sa­tion de repré­sen­ta­tions artis­tiques (des images de l’O­lym­pia de Rie­fens­tahl vienne cor­ro­bo­rer cet aspect). On évoque éga­le­ment les rituels dio­ny­siaques remis au goût du jour ou la figure d’A­pol­lon, sorte de véri­table Dieu des Nazis. La der­nière séquence est véri­ta­ble­ment godar­dienne en met­tant en paral­lèle le défi­lé des ath­lètes (Alle­mands et Japo­nais entre autres) dans le stade de Ber­lin et celui des mili­taires, d’un cou­reur por­teur de flamme et de per­sonnes pre­nant la fuite… La Grèce ancienne a ain­si été uti­li­sée d’une cer­taine façon pour ser­vir une ima­ge­rie et un esprit tota­li­ta­riste (et encore aujourd’­hui dit le com­men­taire… alors, disons en 2008… ah oui…). Plu­tôt para­doxal quand la Grèce rime géné­ra­le­ment avec l’i­dée de “démo­cra­tie”: ça tombe bien, c’est le sujet du pro­chain épisode.


Grèce, 12 mots ou l’Héritage de la chouette 02… par Davo­Lo­Schia­vo


Epi­sode 3 : Démo­cra­tie ou la Cité des Songes

Quelle dif­fé­rence existe-t-il entre la démo­cra­tie ancienne et la démo­cra­tie moderne ? Le phi­lo­sophe fran­co-grec Cor­ne­lius Cas­to­ria­dis prend la parole et faut recon­naître que c’est tou­jours pas­sion­nant et clair. Démo­cra­tie signi­fie le “pou­voir du peuple” et notre Cor­ne­lius d’in­sis­ter sur le fait pri­mor­dial de ne pas confondre la cité — disons Athènes — et le peuple — les Athé­niens : ce sont ces der­niers qui détiennent véri­ta­ble­ment le pou­voir poli­tique ; lors d’im­menses assem­blées de citoyens (15.000, 20.000 per­sonnes sur 30.000), sans repré­sen­tants élus, cha­cun peut pro­po­ser une loi qui est alors adop­tée ou non, avec tou­jours le recours de dis­cu­ter à nou­veau d’une déci­sion prise devant une assem­blée de citoyens choi­sis au hasard. L’in­di­vi­du à la base des lois, c’est une pre­mière chose. Là où le Cor­ne­lius fait une réelle dif­fé­rence entre hier et aujourd’­hui, c’est sur­tout sur la pas­sion des citoyens d’a­lors pour la vie poli­tique, qui n’a rien à voir avec celle de nos temps modernes, où alternent des périodes gérées par “poli­ti­ciens pro­fes­sion­nels” et celles où explosent les révo­lu­tions. Il cite Ben­ja­min Constant qui en 1820 avait su résu­mer d’a­près lui tout ce que demande doré­na­vant un simple citoyen : “la garan­tie de ses jouis­sances”. Eh oui, les temps changent et les pas­sions partent en fumée, même en politique… 


Grèce, 12 mots ou l’Héritage de la chouette 03… par Davo­Lo­Schia­vo


Epi­sode 4 : Nos­tal­gie ou le Retour impossible

Ouver­ture de cet épi­sode sur l’O­dys­sée, un film de De Liguo­ro de 1911 qui marque for­cé­ment des points. En quoi la Grèce moderne est-elle l’hé­ri­tière de la Grèce ancienne ? Si les avis divergent, il est sur­tout ques­tion des notions d’i­den­ti­té (pour Ange­lo­pou­los, on donne des pré­noms de la Grèce ancienne aux enfants d’au­jourd’­hui comme pour se ras­su­rer et la langue grecque fut, d’a­près lui, après l’oc­cu­pa­tion des Turcs, un véri­table moteur pour réunir le peuple) et sur­tout de nos­tal­gie. Nos­tal­gie de la Grèce ancienne mais aus­si sen­ti­ment de nos­tal­gie pour ces Grecs immi­grés inter­ro­gés. Vas­si­lis Vas­si­li­kos recon­naît ain­si que l’ ”on aime la Grèce quand on est loin, et la déteste quand on est dedans” s’a­vouant heu­reux de vivre à l’é­tran­ger car “on ne [lui] détruit pas la Grèce qu’[il] veut faire dans sa tête”… S’il fal­lait ten­ter de défi­nir les Grecs, le mot nos­tal­gique (répé­tez après moi — et n’ou­bliez pas le guide -: du mot “nos­tos”, le désir de ren­trer chez soi et d’ ”algos”: dou­leur) semble pour cer­tains le mieux conve­nir : même si cette terre a été vic­time d’in­va­sion et de crises poli­tiques ter­ribles, même s’il on est en exil, il demeure impor­tant de res­ter atta­ché à cette terre d’o­ri­gine, cha­cun à sa façon, quitte par­fois à l’i­déa­li­ser… D’ailleurs dans l’O­dys­sée d’Ho­mère, comme le dit un inter­ve­nant au tout début, Ithaque repré­sen­te­rait jus­te­ment cette “patrie” loin­taine que per­sonne ne doit oublier… Bon, pro­mis, j’ou­blie po la France les gars (si je peux me per­mettre un com­men­taire per­so), j’ai un peu de mal à l’i­déa­li­ser par­fois, certes, mais il me suf­fit de pen­ser à un pot de rillettes pour conti­nuer d’y croire.


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Epi­sode 5 : Amné­sie ou le Sens de l’Histoire

Comme l’an­nonce de façon lucide l’un des inter­ve­nants : “l’homme poli­tique éloigne le citoyen de la mémoire, la mémoire ser­vant de point de départ à la contes­ta­tion ; notre homme poli­tique “joue sur le quo­ti­dien”, livrant un dis­cours (comme les oeufs) “du jour”… et oublié trois jours plus tard”. On a alors droit à un petit rap­pel his­to­rique des faits avec l’ar­ri­vée, en Grèce indé­pen­dante, en 1820 du roi bava­rois Otto et un habile paral­lèle est fait entre l’his­toire en 1840 et en 1940 avec les mêmes pays se dis­pu­tant la Grèce ; on revient plus pré­ci­sé­ment sur les Amé­ri­cains, qui ont pris la suc­ces­sion des Anglais et qui de 47 à 49 inter­vinrent direc­te­ment et mili­tai­re­ment dans le pays — comme un coup de force en forme de coup d’es­sai de leur poli­tique future. On finit par évo­quer enfin la prise de pou­voir par les Colonels.


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Epi­sode 6 : Mathé­ma­tique ou l’Em­pire des Signes

Richard Ben­net s’ex­ta­sie devant le génie de Pytha­gore et fait une fine dif­fé­rence, concer­nant les nombres, entre ceux des com­mer­çants (pour les échanges), les nombres scien­ti­fiques (phy­sique, chi­mie) et les nombres divins. Il rap­pelle l’im­por­tance de la géo­mé­trie à cette époque (on retrouve chez Pla­ton, deux siècles plus tard, cet inté­rêt, lui dont l’en­trée s’or­naient des mots sui­vants : “Nul n’entre ici s’il n’est géo­mètre” — bon ben j’au­rais pas pu aller bouf­fer chez Pla­ton, c’est déjà un regret de moins) et Michel Serres d’en rajou­ter une couche : les phi­lo­sophes pas­saient leur temps à se cha­mailler en débat­tant d’i­dées mais finirent par créer avec l’u­ni­vers de la géo­mé­trie, une sorte d’u­to­pie, un “espace uni­ver­sel de paix” — deman­dez à Gols, il opi­ne­ra. Serres a l’air vache­ment content que le voca­bu­laire scien­ti­fique des Grecs ait éten­du un véri­table Empire dans le temps (de Thalles à aujourd’­hui, le mot “paral­lèle” signi­fie la même chose — c’est pas vrai­ment le cas pour le mot “démo­cra­tie”, vu le nombre d’es­claves à Athènes (“La Chine est une démo­cra­tie”, si, on peut le dire… au sens grec…)) mais aus­si dans l’es­pace, les mêmes mots reve­nant presque à l’i­den­tique dans les dif­fé­rentes langues euro­péennes. Les Grecs étaient les rois de la logique mais — et c’est là, fusil, qu’il faut s’ac­cro­cher — lors­qu’on évoque la notion d’al­go­rithme, à la base, de nos jours, de l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle (puis­qu’il est ques­tion des notions d’in­cer­ti­tude et de flou — si on vous le dit!), il faut remon­ter jus­qu’à l’é­poque des Egyp­tiens et des Baby­lo­niens (ouh là, ça fait loin dis donc) et Serres de regret­ter que l’on soit aujourd’­hui de piètres héri­tiers des pré-Socra­tiques chez les­quels la phi­lo­so­phie et la science ne fai­saient qu’un. Qu’il se ras­sure, il y en a beau­coup qui ne sont ni l’un ni l’autre… et ne me regar­dez pas, c’est pénible.


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Epi­sode 7 : Logo­ma­chie ou les Mots de la Tribu

Dis­cus­sion autour du mot “logo” — “lan­guage et pen­sée”, “parole”… On évoque, pour cer­tains, la “schi­zo­phré­nie natio­nale” de la Grèce, pour d’autres “sa richesse”, avec la coha­bi­ta­tion des deux langues (la popu­laire et la savante) voire de trois avec l“archaïsante”. Il est ques­tion de l’his­toire des racines grecques (pour­quoi uti­lise-t-on le mot “tech­no­lo­gie” et non pas le mot “logo­tech­nie”? (lit­té­ra­ture), vous répon­dez quand on vous parle!…), du Cra­tyle de Pla­ton qui par­lait des affi­ni­tés entre les mots et les choses (po sym­pa pour Saus­sure, plus cool pour les poètes, comme le dit l’ex­celllllllent George Stei­ner) où encore d’A­ris­tote pour qui “l’a­ni­mal humain”, doué de parole, se livre, dans le cadre de la dia­lec­tique, à une véri­table “bataille avec les mots” — je suis pour, je suis paci­fiste. Stei­ner, again, fait enfin un paral­lèle entre la bouche d’Or­phée, d’a­près les mots d’O­vide, et celle pré­sente sur scène dans une pièce de Beckett, po piqué des han­ne­tons, et on se sent de plus en plus petit devant le niveau des discussions…


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Epi­sode 8 : Musique ou l’Es­pace de dedans

Où com­mence la musique ?, c’est la ques­tion au départ de cet épi­sode où l’on suit le bruit de la marche au pas de deux gardes grecs, le chant d’une prière ou le son d’un pia­no, ou encore, pour faire plai­sir à Cha­brol, le cri de la chouette… Un cri ana­ly­sé, dis­sé­qué, mis en image même, par un ordi­na­teur, et alors qu’on se demande où cela peut bien nous mener, une femme rap­pelle le Mythe de Gor­gone (“créa­ture effrayante” dont l’oeil res­semble… à la chouette) et la créa­tion par Athé­na de la musique à par­tir de l’i­mi­ta­tion d’un cri natu­rel… Voyez, quoi… Cet épi­sode est presque un one man show de Ianis Xena­kis qui nous explique que les pho­nons sont plus gros que les pho­tons (faut le croire sur parole) et que le son est donc fina­le­ment “plus proche de l’homme, plus per­cep­tible, plus acces­sible” que les images. Bien. Il est ques­tion éga­le­ment des rela­tions entre le rythme et le corps et de la musique byzan­thine (“l’homme peut deve­nir un Dieu dont le nom est musique” nous dit le com­men­taire, j’o­pine). Xena­kis cite enfin Paul Valé­ry qui disait, le bougre, qu’à 18 ans, l’homme avait plu­sieurs facettes mais que l’u­sure de la vie, les dif­fé­rents échecs l’o­bligent à faire des choix (faut que je remette abso­lu­ment la main sur ma facette…). Pour le Ianis, la musique repré­sente défi­ni­ti­ve­ment sa seule façon d’exis­ter. Angé­lique Iona­tos sou­ligne pour sa part la dua­li­té dan­ge­reuse de la musique qui, à ses yeux, est seule capable de lui don­ner le goût de la vie, d’é­loi­gner la peur de la mort mais qui peut aus­si sou­li­gner le triom­pha­lisme, le nar­cis­sisme d’un tyran. Bon, un épi­sode à ma portée. 


Grèce, 12 mots ou l’Héritage de la chouette 08… par Davo­Lo­Schia­vo


Epi­sode 9 : Cos­mo­go­nie ou l’U­sage du Monde

Allez, quelques petites réflexions piquées à droite à gauche ; Michel Serre nous parle des sta­tues cycla­diques qui étaient enter­rées, en plu­sieurs mor­ceaux, avec les morts ; de même que pour mar­quer un lieu, à un car­re­four, on uti­li­sait sou­vent une repro­duc­tion d’Her­mès. De là l’i­dée que la sta­tue repré­sente à la fois la mort et le lieu : lorsque l’on évoque d’ailleurs ses ori­gines, on parle du lieu où sont inhu­més ses ancêtres. Mais les sta­tues peuvent éga­le­ment voya­ger, comme ces sta­tues grecques expo­sées au Japon où l’on connais­sait Her­mès avant tout… comme marque de vête­ments — trop fortes, ces sta­tues. Cas­to­ria­dis revient au monde du chaos et à la théo­rie pes­si­miste de nos amis grecs où “l’homme doit dis­pa­raître pour payer la ran­çon de l’in­jus­tice” — mau­dit, dès la nais­sance… Xena­kis lui emboîte le pas en citant Pla­ton : Dieu a créé un monde har­mo­nique puis les humains, qui vont foutre for­cé­ment le bazar ; Dieu reprend alors le contrôle, exhume les morts qui vont refaire le che­min, à l’en­vers, jus­qu’à l’en­fance — un paral­lèle est fait avec la théo­rie moderne du Big Bang et, si on com­prend po tout, on se dit qu’ils en avaient sacré­ment sous la cas­quette ces phi­lo­sophes. Enfin, on ter­mine sur l’his­toire de Per­sée cou­pant la tête de la Gor­gone (créa­ture fas­ci­nante et image de la propre mort de l’homme) dans un sou­ci de détour­ner la ter­reur, de “désar­mer la mort”… Ouais po simple ce mot cosmogonie… 


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Epi­sode 10 : Mytho­lo­gie ou la Véri­té du Mensonge

A l’o­ri­gine éty­mo­lo­gique du mot poé­sie, il y a la racine “faire”, d’où le paral­lèle entre le fait de par­ler, de dis­cu­ter et de construire, de faire un monde. George Stei­ner mène le débat : après avoir évo­qué l’in­fluence des mythes sur la lit­té­ra­ture, l’His­toire, les faits divers ou la psy­cha­na­lyse ou encore cer­tains concepts (le futur dans Pro­mé­thée, le “qui-suis-je” dans Oedipe, les inter­dits, comme l’in­ceste, d’a­près les mythes sur la paren­té,… par­lant de l’exis­tence d’une “gram­maire du mythe”), il revient sur la créa­tion des pre­miers mythes par l’homme qui se fait “mil­liar­daire du rêve” en étant capable de bâtir des “contre-pos­si­bi­li­té à la réa­li­té”, de dépas­ser l’i­dée de la mort. D’a­près lui, les his­toires “nous sauvent du déses­poir” en ce qu’elles nous per­mettent d’in­ter­ro­ger les Dieux et sur­tout nous-mêmes. Il pousse même l’i­dée plus loin, après avoir dis­cu­té de l’in­fluence sur la lit­té­ra­ture des mythes grecs (Oreste pour Ham­let, Pro­mé­thée pour Faust): c’est comme s’il exis­tait en cha­cun de nous, enfer­mé dans nos cer­veaux, comme une conscience enfouie de ces mythes et que la “struc­ture du cer­veau et du dire”, ce n’é­tait jamais que “le mythe de la décou­verte de la per­son­na­li­té par elle-même” — bon, ne me regar­dez pas comme ça, il l’ex­plique sûre­ment mieux. Un paral­lèle est ensuite fait sur le poly­théisme grec et japo­nais (cer­taines idées auraient tran­si­té par l’in­ter­mé­diaire de com­mer­çants Scythes) et le culte de la nature dans les deux sys­tèmes (petite visite des temples de Delphes et d’Ise au Japon par­fai­te­ment bien­ve­nue). Enfin, Stei­ner pense que si la tra­di­tion grecque poly­théiste avait fini par triom­pher — rejoi­gnant ain­si cer­taines idées de Nietzsche — on pour­rait avoir un monde sans guerre, “sans bar­ba­rie idéo­lo­gique”. On est prêt à le croire. Encore du lourd dans cet épisode.


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Epi­sode 11 : Miso­gy­nie ou les Pièges du Désir

Chez nos amis les Grecs, la sexua­li­té n’est point consi­dé­rée comme une mau­vaise chose en soi et on les en remer­cie. Tou­te­fois, l’homme doit prendre garde à ce plai­sir infi­ni, à ce leurre, qui finit par déce­voir. Ah!. Il est aus­si ques­tion, bien sûr, de cet homme qui était à l’o­ri­gine com­po­sé de 8 membres (2 bras, deux corps…) et qui, en recher­chant sa moi­tié, fait de l’a­mour un acte quelque part très nos­tal­gique… On évoque l’ho­mo­sexua­li­té, comme un pas­sage pour les ado­les­cents qui leur per­met de s’i­ni­tier à la phi­lo­so­phie, la phi­lo n’é­tant jamais qu’un amour pour le savoir qui s’a­morce dans l’a­mour de la beau­té, dans le désir phy­sique (ça doit être pour ça que, main­te­nant, on ne com­mence d’é­tu­dier cette matière qu’en Ter­mi­nale…) En ce qui concerne l’hé­té­ro­sexua­li­té, le constat est rela­ti­ve­ment amer pour la pauvre femme grecque, per­çue géné­ra­le­ment comme un com­pa­gnon de beu­ve­rie, un genre de com­plé­ment : sa qua­li­té pre­mière, être une bonne gym­naste, ce qu’elles ont dû un peu perdre en route vu les der­niers résul­tats aux jeux olym­piques. Bon fran­che­ment, la condi­tion fémi­nine dans la Grèce ancienne, c’é­tait appa­rem­ment po le pied, les femmes n’a­vaient po le droit de voter et se retrou­vaient donc consi­dé­rées toute leur vie comme des “mineures”, ayant besoin d’un tuteur lors d’un pro­blème avec la Jus­tice. La dis­tinc­tion est faite entre les simples pros­ti­tuées et les hétaïres — genre de gei­shas, femmes pour le plai­sir, certes, mais culti­vées, atten­tion — et, maigre lot de conso­la­tion pour la femme au foyer, qui demeu­rait le chef à la mai­son — une sorte de matriar­cat po super exci­tant au demeu­rant… L’une des inter­ve­nantes ose un petit paral­lèle guère réjouis­sant avec le Grec moderne, dont le goût pour la dic­ta­ture prou­ve­rait qu’un petit tyran som­meille tou­jours en lui. Po sympa. 


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Epi­sode 12 : Tra­gé­die ou l’Illu­sion de la Mort

Moins pas­sion­né par ce tron­çon. Ange­lou­po­los évoque sa volon­té dans le Voyage des Comé­diens de rendre le mythe plus proche du quo­ti­dien. Il fait un paral­lèle entre le rythme dans le théâtre japo­nais (kabu­ki ou nô) et celui de la tra­gé­die grecque ; de larges extraits du Médée de Yul­do Nina­ga­wa viennent illus­trer cette évi­dente sen­si­bi­li­té nip­pone à cap­ter l’es­prit tra­gique de la Grèce antique. Per­son­nel­le­ment, je n’y vois aucun inconvénient.


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Epi­sode 13 : Phi­lo­so­phie ou le Triomphe de la Chouette

Ultime épi­sode (un peu ampu­té de quelques minutes mais je ne peux pas décem­ment blâ­mer le gars qui nous a fait par­ta­ger cette série d’an­tho­lo­gie) qui rend hom­mage à la chouette et à la phi­lo­so­phie. Cha­cun y va de son petit mot pour célé­brer la chouette que l’on asso­cie volon­tiers à Athé­na et donc à la sagesse. Pour cer­tains les yeux de la chouette posent des “tas de ques­tions”, pour d’autres ils sont capables comme la phi­lo­so­phie de voir dans la nuit… Pour ce qui est de la phi­lo­so­phie, Kos­tos Axe­los (un Grec nan?) pense qu’elle est morte avec Hegel tout en pré­ci­sant que “la fin d’une chose dure plus long­temps que la chose elle-même” — ouais moi non plus j’ai po com­pris, mais la phrase vaut le détour, on est d’ac­cord. Pour l’ex­cellent Cor­ne­lius Cas­to­ria­dis (il était pas arrière droit à l’Eu­ro 2004 ?) la phi­lo­so­phie est éter­nelle, sym­bo­li­sant avant tout la liber­té de pen­ser et de s’in­ter­ro­ger. (Bon autant dire que j’ai po fini de phi­lo­so­pher, per­son­nel­le­ment, n’é­tant tou­jours pas fou­tu d’ou­vrir une bière avec un bri­quet) Quelques mots, en guise de conclu­sion, en citant Michel Serres qui ne sou­haite point que les phi­lo­sophes prennent le pou­voir ; à ses yeux, “une idée est tou­jours bonne quand elle n’a pas le pou­voir, toute idéo­lo­gie deve­nant dès lors une idéo­cra­tie” (faites comme moi, dans le doute, cher­chez dans le dic­tion­naire) ajou­tant qu’il n’y a pas de “tyran­nie plus mor­telle”. Eh bé, j’en ai appris des trucs…


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