Si la révolution ne s’exporte pas, le Venezuela est au moins le symbole du post-néolibéralisme, raison pour laquelle la droite internationale veut la faire tomber dans le sang et la poussière
Depuis l’Europe, l’image de la Révolution bolivarienne qui domine nos écrans est celle d’une dictature, un récit simpliste, à sens unique et binaire. Pourtant, si l’on fait un effort, si l’on regarde derrière le décor, on pourra découvrir un pays où le 20 mai 2018 on aura réalisé le record démocratique de vingt-cinq élections en 18 ans, où le seuil de pauvreté a baissé de 60% en 1996 à 19,6% en 2013, deux millions de logements sociaux attribués en 2018… La Révolution bolivarienne est bien la révolution de notre époque et comme toute révolution, elle interpelle sa génération, convie les militants de gauche à des actions en faveur de sa défense… c’est précisément ce que la droite internationale tente d’éviter.
Le casting
Identifions les acteurs de ce récit. Nous avons d’un côté le principal adversaire international des chavistes : le gouvernement des États-Unis, qui bien avant Donald Trump, nous rappelle qu’il s’agit avant tout d’un conflit à caractère géopolitique. Puis, les 12 gouvernements néolibéraux d’Amérique Latine rassemblés au sein du « Groupe de Lima ». Notons que l’existence de ce Groupe est le résultat du revers de l’Organisation des États d’Amérique dans sa tentative d’isolation diplomatique du Venezuela.
L’Union européenne est aussi de la partie et particulièrement le Parti Populaire en Espagne. Ensemble ils participent activement au concert anti-Maduro. Rappelons que le 22 janvier 2017, les ministres des Affaires étrangères des 28 pays membres de l’UE ont adopté des sanctions contre le Venezuela, s’ajoutant à un embargo sur les livraisons d’armes et autres matériaux « pouvant servir à la répression interne ».
A niveau national, l’adversaire politique du chavisme est la Table de l’Unité Démocratique (Mesa de la Unidad Democrática, MUD), une coalition des partis de droite dont les figures sont issues pour la plupart de grands conglomérats financiers, de familles oligarques, des grands propriétaires terriens et même de la hiérarchie ecclésiastique ! Sa base sociale est celle de la classe moyenne et bourgeoise. Leur projet politique est teinté de nostalgie de l’époque pré-Chavez, mais aussi de revanche… en effet, pour récupérer le pouvoir politique, économique et symbolique, tous les moyens sont bons y compris la violence. Dans ce scénario on ne parlera donc plus d’adversaire, mais plutôt d’ennemi.
En face il y a le chavisme, souvent victime d’incompréhension par la gauche européenne. D’abord à cause de la figure omniprésente du leader, élément fédérateur d’un mouvement historiquement atomisé et qui incarne les aspirations d’une majorité sociale. Ensuite parce que le chavisme est un mouvement politique qui trouve ses origines dans l’unité civile et militaire. Loin d’être homogène, le Parti Socialiste Unifié du Venezuela s’en revendique, tout comme d’autres formations politiques tel que le parti communiste vénézuélien. Le chavisme et son projet politique offre plusieurs regards et interprétations, allant du socialisme communal jusqu’au socialisme d’État. Mais le plus important, c’est que le chavisme est composé d’un mouvement social et populaire qui s’exprime à travers différentes formes d’organisations présentes dans les quartiers populaires et en zones rurale, comme les CDI (Centre de soins intégraux), les CLAP (comité local d’approvisionnement et de production), les missions sociales… Rappelons qu’Hugo Chavez au début de la Révolution incitait le peuple à l’auto-organisation afin de mettre en oeuvre la démocratie participative. Le chavisme est donc l’expérience populaire dans la vie politique et par ce biais il s’est construit son identité.
Donc, d’un côté nous avons un processus révolutionnaire et en face une contre-révolution menée par les classes dominantes et les États-Unis qui s’acharnent à vouloir détruire le chavisme.
Guerre économique
Il s’agit donc d’un conflit de classe et d’une guerre non-conventionnelle, baptisée aussi « guerre de 4e génération ». L’année 2017 se caractérise par une série de défaites de la droite dans son aventure insurrectionnelle et paramilitaire, mais elle cumule aussi des échecs électoraux… Ce fiasco a fini par faire effondrer la droite vénézuélienne. D’ailleurs, c’est souvent lorsqu’elle est en déclin que la droite internationale vient à son secours… Comment expliquer sinon le prix Sakharov 2017 octroyé par le président du Parlement européen à l’opposition vénézuélienne, fin octobre ? Ce coup de pouce de 50.000 euros oblige la droite divisée à se réunir autour de la table, car s’il y a bien un terrain d’entente, c’est l’attaque à l’économie, là où le chavisme peine à trouver des solutions. L’inconfort matériel de la population privera-t-il le chavisme d’un vote favorable ?
Dans la capitale, la pénurie alimentaire et des médicaments touche surtout les quartiers populaires situés à l’ouest, base sociale du chavisme. Acheter un litre de lait, un savon ou un paracétamol est un chemin de croix qui s’accentue dans les périodes pré-électorales. Ces trois dernières années l’explosion des prix des produits de base et de l’inflation est devenue permanente. Ajoutez à cela la baisse du prix du baril de pétrole, les sanctions économiques des États-Unis poussant ainsi le secteur populaire au désespoir, au pillage, à l’émigration ou à voter à droite. Il s’agit ici clairement d’un remake vénézuélien du Chili de Salvador Allende. L’œuvre du président Richard Nixon consistait à « faire hurler l’économie chilienne » suite au revers obtenu par la droite dans les urnes. C’est une stratégie criminelle car elle retire la nourriture de la bouche des affamés et les médicaments aux malades.
Guerre médiatique
Le martellement de l’image néfaste du chavisme qu’effectuent les médias dans nos têtes est quotidienne et massive. L’empire étasunien ne nous bombarde pas qu’avec des bombes et les journalistes trop pressés ne vérifient même plus les pamphlets de l’extrême droite vénézuélienne qu’ils reproduisent en toute insouciance. Les fake-news et des « cas d’école » font légion.
Ainsi, fin juin 2017, alors que l’insurrection bourgeoise en était à son troisième mois et que les phases de violence allaient en crescendo, un opportun « archange venu du ciel », un nouveau « super-héros » sur son engin volant, le « rebelle » et « insurgé » Oscar Perez… Depuis son hélicoptère « récupéré » à l’ennemi chaviste, il a tiré au fusil-mitrailleur sur le bâtiment du ministère de l’intérieur où se tenait « la journée de la presse », puis il a survolé le Tribunal Suprême de Justice pour y lancer des grenades qui n’ont pas toutes réussie à exploser.
Une vidéo préenregistrée est aussitôt viralisée, on le voit à visage découvert, entouré d’hommes cagoulés, fortement armés et lisant sa première déclaration face à la caméra. Son courageux coming-out était destiné à provoquer un effet de sympathie auprès de ses anciens collègues. L’armée aurait du se fissurer et changer massivement de camp. Ce « Robin-Hood » au « teint mat et grands yeux azur » donna l’exemple à suivre : quitter les rangs du régime et rejoindre l’armée rebelle. Justement, s’il a été choisi pour ce rôle c’est qu’il était un exemple à suivre : brillant officier de la police scientifique ayant effectué une carrière sans failles, agent hautement préparé de la Brigade des Opérations Spéciales et président d’une association de bienfaisance.
Effet prévisible, la presse intriguée par ce nouveau visage cherche à savoir rapidement qui il est. Les journalistes puisent largement dans le stock d’images déjà tout prêt où l’on voit ce « Rambo Vénézuélien » mis en valeur dans diverses situations de combat. En effet, Oscar Perez participa en 2015 à un film d’action : Mort suspendue où il tient le rôle du chef des opérations de la police scientifique dans une action de sauvetage réussie. Il est également le coproducteur de ce long-métrage.
Malheureusement pour Oscar Perez, la réalité dépasse la fiction. Le 15 janvier 2018 il est repéré et son refuge encerclé par les services spéciaux qui engagèrent un combat de plusieurs heures jusqu’à son élimination définitive. Dans n’importe quel pays, un homme déclarant la guerre au gouvernement les armes à la main, opérant avec une bande armée et en réalisant des actions armées, serait qualifié de terroriste. Malgré d’autres exemples d’usage d’armes létales de la part de groupes paramilitaires ou des manifestants, le traitement médiatique dominant n’autorisera jamais le qualificatif de terroriste pour définir l’action de l’opposition vénézuélienne.
Si les cas de manipulation médiatique sur le Venezuela abondent, il est intéressant de noter que les média-mensonges opèrent surtout par omission car il faut empêcher de s’identifier avec les révolutionnaires et donc ne pas montrer la révolution, cela pourrait donner des idées à d’autres.
Le hors-champ
Dans la zone invisible du Venezuela, il y a l’univers des communes… Un processus de transformation d’un modèle de société centrée sur l’idée de conseils communaux, des gouvernements populaires qui émanent des quartiers, de la ruralité et mettent en place une économie solidaire et autogérée. Ce processus réinvente une certaine vision de la gestion communale populaire, avec usines sous contrôle ouvrier. Son pilier basé sur la démocratie participative et populaire permet de dépasser le prisme bolchévique que la gauche a porté durant plus d’un siècle, remettant à jour le concept du socialisme du XXIe siècle.
“Socialisme”… un mot que l’on n’ose plus prononcer en Europe tellement la décadence autoritaire du socialisme réel et les incohérences des socialistes au pouvoir l’ont souillé, tellement les médias l’associent au mot « échec »…
Si la révolution ne s’exporte pas, le Venezuela est au moins le symbole du post-néolibéralisme, raison pour laquelle la droite internationale veut la faire tomber dans le sang et la poussière et veut casser l’espoir afin d’éviter une contagion non seulement en Amérique Latine, mais aussi en Europe.
Si le travail médiatique nous prépare à un événement majeur, le chavisme quant à lui, cherche à stabiliser la situation économique du pays et aller vers la paix, notamment à sa frontière poreuse qu’elle partage avec la Colombie. Il avance uni avec ses débats internes, notamment sur les problèmes de corruption, de népotisme et de bureaucratisme. Tout militant de gauche ne devrait-il pas se proposer de débattre cette révolution avec ses passions et ses contradictions sans perdre l’élan de solidarité ?
Pour l’instant le Venezuela semble être au bord de l’invasion militaire, il est difficile de débattre dans ces conditions, mais cela ne veut pas dire qu’il faille agir en inconditionnel car le débat est nécessaire pour toute révolution. Le plus important pour le chavisme, c’est de résoudre ses questions politiques et économiques, car son défi est de révolutionner l’économie et de construire son chemin vers le socialisme. Dans une révolution légale, démocratique et pacifique, il n’y pas de mode d’emploi, juste un niveau élevé de conscience politique d’une population qu’il ne faut pas sous-estimer.
Par Ronnie Ramirez
Cinéaste, enseignant et membre de ZIN TV