Entretien avec Romain Migus
Les résultats de la course à la présidence ont placé le candidat de la droite Guillermo Lasso au second tour avec 19,74% des voix en lisse avec le candidat de la gauche Andrés Arauz qui s’impose avec 32,72%. Non sans controverse, des accusations de fraude et déclarations convulsives de part et d’autres ont surgi de tout part. Malgré les attaques et la diabolisation dont le parti de Rafael Correa a été victime ces dernières années, Arauz apparaît comme le favori. Son leadership s’est construit avec l’identité politique de la révolution citoyenne, en rupture avec le cycle de démantèlement mis en place par Lenin Moreno et la relance du projet politique que certains ont qualifié de “fini”.
Arauz a promis de verser une prime de 1.000 dollars à un million de familles pauvres, afin de relancer l’économie familiale en pleine pandémie et crise économique. Il a annoncé qu’il ignorera l’accord financier conclu par le gouvernement actuel avec le Fonds monétaire international. Arauz propose un audit complet de la dette publique interne et externe, une réforme fiscale pour que “ceux qui ont plus, paieront plus” et le rapatriement des capitaux à l’étranger. Il propose d’inverser le déficit fiscal que les Équatoriens pauvres paient aujourd’hui, avec une diminution des licenciements, des impôts et du budget public, ainsi qu’une nouvelle Constitution. Suite au retrait de l’Équateur de l’alliance progressiste des pays d’ALBA-TCP et du démantèlement du siège de l’UNASUR, par décision de Moreno, il vise à reprendre les alliances, ainsi que l’intégration régionale. La campagne d’Arauz s’est avérée payante, car basée sur des positions clairement ancrées à gauche, évitant de se retrouver dans l’ambivalence diffuse du centre politique, polarisant et en canalisant le malaise social.
Fraichement revenu de Quito, le journaliste Romain Migus, principal animateur du média en ligne Les 2 Rives et connaisseur engagé des processus sociaux et politiques en Amérique Latine, nous livre son témoignage.
Avec un quart de votes pour le social-démocrate Xavier Hervás et un autre quart pour l’éco-socialiste Yaku Perez, on pourrait croire que la droite est en voie de disparition ?
La droite néolibérale traditionnelle, représentée lors de cette élection par l’alliance entre le parti Creo (du banquier et candidat Guillermo Lasso) et le parti Social-Chretien de Jaime Nebot a divisé ses voix par deux par rapport à l’élection de 2017. C’est un véritable revers mais qui s’explique surtout par des critères plus émotionnels qu’idéologiques. Ces élections ont été traversé par un fort rejet de la politique de polarisation liée à l’Histoire récente de l’Équateur. Une grande partie des votes d’Hervás et Yaku peut s’expliquer par une volonté d’une partie de l’électorat de dépasser l’axe Correisme-antiCorreisme, ou plutôt État volontariste/néolibéralisme du passé. Si le candidat de la Révolution citoyenne, Andres Arauz, a fait le plein des voix chez ses partisans, un grand nombre d’électeur ont choisi des options politiques apparemment neuves, ou ne s’inscrivant pas directement dans ce schéma. Toutefois, chez ces deux outsiders, on trouve aussi des mesures économiques qui s’apparentent à la droite traditionnelle comme la continuité de mesures d’austérité ou de déconstruction de l’État équatorien. Parler de disparition de la droite en Équateur est un peu osé. Disons qu’elle est en train de se renouveler. Si le choix des électeurs d’Hervás et de Yaku pour le 2e tour est encore une inconnue, ces deux leaders ont exprimé des positions radicalement anti-Correiste dans la foulée des résultats du 1er tour.
Arauz était un ancien ministre de Correa, il a 36 ans et est appelé le “fils prodigue” de la “Révolution citoyenne”. Peux-tu me raconter ta rencontre avec lui ?
Ma rencontre avec Arauz date, en réalité, de 2014. Lors d’une manifestation à Quito, un ami commun nous avait présenté. Déjà, à l’époque, malgré son jeune âge, j’avais été frappé par sa capacité d’homme d´État et sa grande connaissance de certains dossiers économiques ainsi que par son humilité. Lorsque je l’ai interviewé le jour de l’élection à Quito, ces deux qualités sont ressorties, et m’ont rappelé ce souvenir de 2014. Il n’y a aucun doute qu’Andrés Arauz est en capacité de diriger l’Équateur. C’est un homme d’État, un technocrate dans le bon sens du terme, qui a un véritable plan de gouvernement et saura le mener à bien. Après le traumatisme de la trahison de Lenin Moreno, certains ont peur d’un nouveau coup de poignard dans le dos de la Révolution citoyenne. Ce ne sera pas le cas avec Arauz qui est un économiste très marqué à gauche.
Les élections du second tour prévu pour le 11 avril connaît des sérieux rebondissements. Peux-tu nous expliquer les différentes étapes de cette mauvaise saga politico-judiciaire ?
Un sondage de l’entreprise Perfiles de Opinion montraient qu’à la veille des élections, 58% des équatoriens jugeaient « mauvaise » ou « très mauvaise » la gestion du Conseil National Electoral (CNE), l’organisme chargé d’organiser les élections. Cet organisme n’est pas neutre. Sa présidente est membre de Pachakutik, le parti de Yaku Perez. Parmi les autorités électorales, on trouve aussi des personnalités proches de la droite. Rappelons aussi que le Tribunal des litiges électoraux a ouvert une enquête contre quatre des cinq autorités du CNE.
Alors que les résultats étaient très serrés entre Guillermo Lasso et Yaku Perez, le CNE a décidé de publier des résultats intermédiaires plaçant le candidat de Pachakutik devant le banquier. Ce qui a, bien évidemment, entrainé une zizanie et des soupçons de fraude lorsque ce dernier est repassé devant. Après avoir décidé de manière illégale un recomptage des voix lors d’une réunion entre deux candidats (sur 16), le CNE est revenu sur cette décision. Désormais, le pouvoir judiciaire est rentré dans la partie. Le parquet vient d’ordonner la saisie de la base de données du CNE. Or cette institution de l’État est celle qui a permis l’instauration des persécutions judiciaires contre les Correistes, avec des visées éminemment politiques. Voir que le parquet, responsable du Lawfare en Équateur, entend désormais s’immiscer directement dans la course électorale et s’imposer à la volonté populaire est très inquiétant. Il va falloir continuer de suivre avec attention la situation en Équateur, car c’est la démocratie qui est maintenant en jeu dans ce pays andin.