Source : http://www.lespetitspoissontrouges.org/index.php?post/2011/05/25/De-Puerta-del-Sol-%C3%A0-la-Bastille-:-la-calle-no-calla!-%289%29&utm_source=twitterfeed&utm_medium=twitter
Avant de passer au récit de Céline Meneses, voici le message de nos camarades espagnols qui nous appellent à prendre la rue :
Vous qui n’êtes pas en Espagne, pour une démocratie réelle, prenez la rue ! Commission internationale, Campement de Barcelone, 22 mai 2011
CRIDA ADREÇADA ALS PAÏSOS FRANCÒFONS
LLAMAMIENTO DESTINADO A LOS PAISES FRANCOFONOS
Chèr(e)s ami(e)s,
Nous souhaitons partager avec le plus grand nombre les moments inoubliables que nous vivons lors de notre /spanishrevolution/, et nous appelons à ce que cette protestation s’étende au monde entier.
Avec cet appel, nous encourageons la convocation de campements hors de l’État espagnol, et organisés par les habitants. Ici, nous sommes unis, nombreux, et nous résistons. Mais nous avons conscience que la lutte est aujourd’hui mondiale et que les voix doivent s’élever par et pour elles-mêmes.
Nous proposons que les manifestations ne se réduisent pas aux ambassades espagnoles de vos pays : la presse espagnole ne couvre pratiquement pas ces actions. Nous proposons de monter dans chaque pays une lutte qui lui est propre, de prendre les places de vos villes, suivant le modèle des révolutions arabes (et espagnoles), d’entrer en contact avec les collectifs et les organisations locales, et monter des campements.
Ainsi que, travailler en commissions et commencer à rédiger publiquement et démocratiquement vos propres documents (manifestes, appels, propositions, actes d’assemblées, etc.) pour les diffuser par la suite.
Ce qui se passe dans les différentes villes espagnoles n’est pas arrivé par hasard et n’est pas non plus spécifique à la société espagnole :
nous luttons pour récupérer notre dignité, pour la liberté et la justice sociale, pour la démocratie directe, pour reprendre nos vies en main.
Nous sommes un réseau spontané, indépendant, nous ne voulons pas de chef, et c’est pourquoi nous voulons la prise de toutes les places, que chacun commence à penser par soi-même pour chercher ensemble des alternatives à ce monde mercantile et inhumain, et à la domination de la planète par nos gouvernements.
Nous considérons que les frontières n’existent pas. Le réseau est nôtre et la rue aussi !! Un autre monde est possible maintenant !
Lundi minuit — Voilà ce à quoi ressemblait la place de la Puerta del sol il y a quelques minutes. Le campement est un peu plus grand chaque jour. Les soutiens arrivent de partout. Les journalistes aussi.
C’est vrai que tout le monde est fatigué et qu’une forme d’habitude s’est créée. Pas une routine mais l’habitude du campement, des contraintes, des débats.
Mais rien d’anormal. Le mouvement a plusieurs jours. Il doit prouver qu’il peut s’inscrire dans la durée sans être divisé ou récupéré par qui que ce soit.
Pas simple. Mais ici personne ne pense se laisser intimider par l’ampleur de la tâche.
Mardi 20h — Le campement lyonnais a envoyé un message de remerciement aux indignés de la Puerta del Sol.
Au micro, on annonce : “Nous recevons en ce moment même un appel depuis Lyon. La camarade française va vous le traduire en direct”
“Chers camarades, depuis Lyon, en France, nous voulons vous remercier mille fois pour votre soutien. Nous allons continuer à lutter. Continuez vous aussi ! Que no ! Que no nos vamos!”
Les gens ont prêté attention quand ils ont entendu qu’ils s’agissait d’un appel en direct de là-bas. Ici, tout le monde compte sur la mise en place d’un mouvement en France. Le message a été entendu dans tout le campement. Les cris et les applaudissements ont fusé et réchauffé le cœur de nos camarades lyonnais qui craignent ce soir une nouvelle expulsion.
23h — On s’organise chaque jour un peu mieux. Aujourd’hui, au milieu de la place Pontejos (la place où se réuni l’assemblée depuis le samedi 21 Mai), on a scotché les règles de fonctionnement des assemblées et les consensus obtenus la veille. Mieux : on commence à l’heure 🙂
Une fois de plus, nous sommes près de 400 à être venus travailler ensemble. Les visages sont fatigués. Je dois avouer que moi même je tombe de sommeil. Mais l’assemblée commence. Tout le monde met toute sa rage au service du travail en commun. “On n’est pas fatigués!”
Ce matin, l’assemblée générale a décidé de rédiger un “Manifeste de la Puerta del Sol” avec les points qui font consensus entre toutes et tous. Un jeune journaliste précaire, très favorable à cette initiative, prend la parole. Il veut nous mettre en garde : “Attention ! Maintenant que les élections sont passées, le PP et le PSOE, les médias, ils vont tous se concentrer sur ce qui peut nous diviser pour tuer le mouvement. Soyons très vigilants!”
Aujourd’hui on discute des espaces publics : les places, les parcs, les gymnases etc. “Ils sont à nous après tout” s’exclame un vieux monsieur. “On va les occuper pour tenir nos assemblées”. “Les places publiques sont à nous ! S’ils nous expulsent on reviendra” crie un autre. Une question se pose alors : “Et quand ont nous les vole, quand on les privatise?” . “On les occupera aussi ! Ils ne nous exproprieront plus!”
Les propositions n’iront pas beaucoup plus loin ce soir mais c’est déjà pas mal. Demain je modère. Au menu, sauf avis contraire : “changer de constitution?” 😉
Mercredi matin — Des nouvelles nous arrivent de l’assemblée des assemblées de quartiers. Une page web a été créée pour suivre les débats des assemblées madrilènes : madrid.todoslosbarrios.net (note : lien non fonctionnel à l’heure où je reprends ces infos)
A l’ordre du jour des assemblées de quartier de Madrid, il a été décidé qu’il y aurait toujours 1- les questions propres au quartier 2- les questions d’intérêt général à porter à l’assemblée générale de Puerta del Sol
La révolution citoyenne débarque dans les quartiers de Madrid ! 🙂
Mercredi matin. Le campement grossit de jour en jour. Ce matin, c’est plus impressionnant que jamais. Il est 9H. Le bruit des marteaux résonne. Les nouveaux arrivant montent des “tentes” en dur sur la place. La physionomie évolue tellement que je n’arrive plus à retrouver le chemin de la commission extension dans laquelle je travaille ! Il y a pourtant urgence : on vient de nous prévenir que des indignés ont prévenu une action sur la place Syntagma à Athènes. Il faut vérifier l’information. Je reviens d’Athènes. Les copains compte sur mon aide.
Une fois à mon poste, les copains m’assaillent de questions. “Alors ? Comment ça c’est passé à Lyon hier soir?”. Je peux leur répondre avec le sourire. Malgré les menaces, il y avait beaucoup de monde place Bellecour hier. La police n’a rien fait. Visiblement les vidéos de l’expulsion de lundi soir et le communiqué de la Puerta del Sol ont refroidi les ardeurs de la police 🙂
La nouvelle est accueilli avec joie. On décide d’appeler à Lyon et à Paris. C’est Antonio, un camarade de la commission qui appelle. Au téléphone, l’émotion est palpable. “Merci pour tout ce que vous faites. Vous nous donnez beaucoup de force et mine de rien on en a besoin. Fuerza, hein?!!!”
La communication rapprochée s’organise. Ce soir, une réunion par skype est prévue à 21H avec toutes les villes espagnoles + Lyon + Paris ! “C’est important qu’on se voie, qu’on se sentent réunis en même temps” explique Antonio, très ému. Il n’a pas dormi de la nuit. Il tient à peine debout. Mais il tient à faire le lien avec la France. “C’est super important que ça bouge en France!” s’exclame-t-il.
Un événement commence à prendre de l’importance : l’appel du 29 Mai. On essaie de se coordonner partout à l’international, à 12H. En France, la date a son importance : c’est l’anniversaire du non à la Constitution européenne. “Il faut qu’on s’en serve!” disent les copains ici. Alors la France : adelante ! Faites du 29 Mai la journée du “qu’ils dégagent tous!” 😉
11H — L’assemblée générale commence. L’eau, les parapluie et la crème solaire circulent comme toujours. Les copains et copines se relaient pour brumiser l’assistance. “Buvez les copains s’il vous plaît ! Vous allez choper une insolation si vous ne le faite pas” avertit la modératrice.
C’est la commission légale qui prend la parole la première. Le système mis en place est impressionnant : des avocats se relaient en permanence au stand de la commission. La police peut venir au stand si elle veut des interlocuteurs. “Des interlocuteurs, pas des représentants” précise un des avocats. Il répète : “En cas d’expulsion, restez calmes, asseyez-vous et prenez vos voisin-e‑s par le bras”. “Nous vous donnerons les noms des avocats de garde depuis le micro central. Si on vous arrête, donnez un de ces noms. Nous appellerons la centaine d’avocats qui soutiennent le mouvement et tous viendront avec un panneau ‘avocat indigné’. Nous sommes avec vous, nous sommes avec cet espoir, ne vous inquiétez pas!”. “Bravo!”, “Gracias!”. Les avocats sont applaudis à tout rompre. Il y a de quoi ! 🙂
Comme à chaque début d’AG, les commissions et groupes de travail défilent au micro. Plusieurs propositions sont adoptées suite aux débats de la commission qui travaille sur les questions animales. L’AG décide d’accepter les propositions suivante : interdire les spectacles qui mettent en scène la souffrance des animaux (principalement visée : la tauromachie) , mises en place de menus végétariens dans les entreprises publiques, investissements dans la recherche pour les alternatives aux expérimentations animales.
Les tentatives de division sont sur toutes les lèvres. A l’extérieur mais aussi parfois de l’intérieur (le mouvement est ouvert à toutes et à tous), les tentatives de déstabilisation sont nombreuses. Mais la technique de consensus et de la transparence permet d’y faire face sans problème pour le moment. “Ne laissons personne nous diviser. On fait ça pour nos enfant, pour notre planète, pour le monde. Unidos’podemos!” crie un intervenant.
Les travaux d’élaboration du Manifeste de la Puerta del Sol avancent peu à peu. L’AG de demain se décidera sur les points suivants qui remontent des quartiers et des autres villes d’Espagne :
-réforme de la loi électorale pour plus de participation citoyenne
‑lutte contre corruption et transparence
‑séparation des pouvoirs judiciaire et politique
‑que les responsables de la crise en assument les conséquence
Moment fort sur la place : l’annonce du retour sur la place Bellecour des copains de Lyon, du retour aussi à Toulouse des copains après, là aussi, une tentative d’expulsion par la police, et l’annonce du nombre croissant d’indignés à la Bastille à Paris ! 🙂
En Grèce, on annonce la création du mouvement du 25 Mai, sur l’exemple du mouvement espagnol, à Syntagma (place du Parlement à Athènes). C’est désormais confirmé. Ici, c’est l’euphorie ! 🙂
Toute la fatigue de ces derniers jours s’est effacée d’un coup !
Une jeune fille arrive tout juste du campement de Cáceres : “Surtout ne cédez pas, restez là, vous être notre exemple et notre inspiration. Si vous cédez, tout tombera à l’eau. Fuerza ! On compte sur vous!”
Un monsieur débarque tout juste des Asturies : “Je viens recharger les batteries ici. Dans les coins plus petits c’est plus dur. Vous savez, j’ai 73 ans et c’est la première fois que je vois des assemblées dans la rue ! On ne doit surtout pas arrêter ça ! On va tout changer!”
Une action est en débat : dans les 650 villes d’Espagne et à l’international, à 20H, dimanche 29 Mai, on pourrait tous faire une minute de silence puis on lancera un cri à l’air. Ou une autre action brève en commun. Attention en France : n’oubliez pas l’heure et filmez ! 😉
On se penche sur une question plus technique. Il faut créer un logo du mouvement. L’idée est de dessiner le monde se transformant en soleil, le monde se transformant en la place de la Puerta del Sol. La commission des arts va s’y atteler.
Rappel : si vous voulez suivre la révolution espagnole en direct, allez sur tomalaplaza.net. On a du mal à tout mettre en ligne comme il faut (la police nous coupe le wifi etc) mais la commission communication fait tout son possible ! Un grand bravo !