Commencé dans la rue à cause d’un enjeu économique, il s’est transformé en une position politique.
“La Nelson Domínguez” est un groupe de latin jazz qui a choisi de répéter dans la rue et revendique l’espace public comme espace de création, ce sont neuf musiciens qui se sont regroupé il y a deux ans sur la Plaza Brasil, situé dans le quartier historique de Santiago du Chili.
Ils décrivent cette place comme un lieu qui les “accueille et protège, afin de créer une nouvelle façon de faire de la musique. C’est la création à partir du quotidien, depuis la vie sociale avec le gars ivre et qui rejoint le groupe jusqu’à la petite fille qui vient taper sur les tambours.” Seulement en hiver, ils rentrent les instruments dans les salles de répétition habituelles.
“Du chien errant qui s’endort au son des mélodies ou du colporteur qui fait une pause dans routine difficile pour profiter de la musique : dans ce carré tout est permis et c’est la raison pour laquelle le groupe veut vivre ce tourbillon créatif qui leur donne toutes sortes d’images pour créer ses compositions”, disent-ils.
Avec leurs propres compositions et d’autres empruntés ailleurs ils se préparant à enregistrer un album prévu en Mars de l’année prochaine.
“Manouche”
Selon les fans, le groupe adopte le “Swing Street”, un mélange de “jazz manouche”, un style européen des années 30 dont l’un des maîtres est le belgo-gitan Django Reinhardt, avec la un son cristallin de la musique latino-américaine, donnant lieu à de nouvelles créations musicales envoutantes.
Ses principales sources d’inspiration proviennent de la musique populaire chilienne des années quarante, qui à son tour s’est inspiré du « jazz manouche » pour adapter et développer ce qui est aujourd’hui connu au Chili comme le “Guachaca jazz”.
L’intégration de nouveaux rythmes, des sons mélangés ou des instruments qui font partie des genres de musique d’Amérique latine comme la cueca, le tango et le mambo. Un exemple c’est sa version du tango “Fumando espero” qui va du “jazz manouche” jusqu’à un “festejo peruano” pour terminer en salsa.
Le mix a à voir avec le background de chacun des neuf musiciens, explique l’accordéoniste Pablo Zárate, mais aussi avec ce qui se passe dans la rue, selon son frère Nicolas. “Nous utilisons beaucoup le concept de rendez-vous musical, c’est à peu près comme cela se passe dans la rue, où l’on trouve tous ces images, de personnes, de gens.”
Un jour un journaliste de la télé est venu faire reportage sur le quartier et il a fini par faire un reportage sur eux. Des cinéastes comme Juan Francisco Gonzalez et Omar O. Zeballos ont fait des vidéos visibles sur YouTube. Les chansons sont également sur des sites comme soundcloud.com.
Le groupe est composé de Miguel Zarate (vibraphone), ses fils Nicolas (batterie) et Paul (accordéon), Jaime Mora (guitare), Sebastian Aravena (guitare), Bricson Rubio (trompette), Sébastien Abuter (clarinette), Ricardo Villacura (basse) et William Pinto (percussions).
Sans d’argent, mais avec envie
Nicolas raconte qu’ils ont démarré en Décembre 2012 parce qu’ils ne pouvaient pas se permettre de louer un lieu, mais ce qui a commencé comme un phénomène temporaire est désormais consolidé dans leur identité.
Le groupe a commencé à partir d’une rencontre fortuite entre son frère Pablo et le guitariste Jaime, un ancien camarade de classe. C’est Jaime qui lui a parlé du “jazz manouche” et lui a proposé d’essayer ce style. Ils ont commencé par se rassembler dans la place, où vit la famille Zárate, et peu à peu ils ont ajouté de plus en plus de musiciens. Certains sont des simples passants qui sont restés.
Ils ont pratiquent deux fois par semaine, généralement le matin, pendant une période de trois à quatre heures. Le week-end est consacré aux concerts en tant que tels. “Maintenant, nous avons un groupe de neuf personnes qui sont très unis et nous avons des idées très claires, de même avec la création. Il s’agit d’un collectif, sans de directeur musical”, raconte Nicolas.
“Le noyau du groupe est le « jazz manouche », mais nous faisons une fusion avec les rythmes latins, Afro-Péruviens, chachacha et aussi Chiliens. L’astuce consiste à mélanger tous ces sons.”
La place
“Jouer dans la place t’ouvre la porte à la création”, dit-il. Cela convoque un esprit qui imprègne ce l’on appelle le “jazz de la rue”. C’est un style “qui va avec tout” et accueille facilement toutes les sortes d’influences musicales, ajoute-il.
“Sur la place il y a une université, un collège … c’est un lieu central”, raconte Pablo. “On y voit des gens éparpillés un peu partout, des écoliers … ceux qui vivent dans la rue, les exclus, mais quand nous sommes arrivés, nous les avons tous accueillis. A la fin (de la répétition) c’était aussi de l’enseignement, car nous partageons, en jouant… Il faut parler, ne pas être si loin”.
“Nous ne jouons pas ici, nous répétons. Le concept est bien différent”, insiste Nicolas. “Nous créons un cercle, on joue entre nous, et les gens se rapprochent. Nous sommes devenus copains de tout le quartier, les gens nous adorent”, dit-il. Aussi avec les hommes et les femmes qui passent leur temps sur place à boire.
“Parfois, ils viennent causer, et même si on a envie de répéter, il faut l’accepter.” dit Pablo
Nicolas précise que même s’ils ont commencé dans la rue à cause d’un enjeu économique, il s’est transformé en une position politique. “Nous avons commencé à prendre soin de cela, c’est à dire, nous avons répété dans la rue parce qu’il nous incombe de prendre ce lieu comme un espace public, et si nous n’avons pas de place pour diffuser la musique, nous le faisons ici.”
Jouer dans la rue a des inconvénients, c’est clair. Par exemple, le 1er mai, alors qu’ils jouaient, la répression policière les a fait fuir ainsi que le public. Nous avons également assisté à de nombreuses bagarres de rue.
L’imprévisibilité de la rue se reflète dans notre travail, de fait. “Cela t’ouvre ton niveau créatif. C’est pour cela que je pense que la musique que nous faisons est très semblable à la rue, on passe du coq à l’âne”. C’est pourquoi, entre autres, on ne veut pas perdre le contact avec elle.
Le nom, une synthèse
La rue leur a aussi donné un nom. Nelson Dominguez est l’un des fans des plus fidèles et c’était pour lui rendre hommage qu’ils se sont baptisé ainsi. Il apparait dans une vidéo qu’ils ont réalisé.
“C’est une sorte de poète du quartier”, dit Nicolas. Aussi connu par le sobriquet de “Chuck Norris”… Il leur rendait toujours visite et systématiquement ils leurs demandait de jouer le thème “Mejillones”. “Il était toujours à nos côtés, nous l’aimons beaucoup. Dès que nous jouions, il arrivait. Il est très heureux que le groupe porte son nom”, dit-il. “Il prenait ces coups, parlait d’art et de beaucoup de choses. C’est la beauté de la rue, tout peut arriver.”
“Je pense qu’il résume une partie ce de quoi il s’agit, un gars planté dans un espace de loisirs. Cela peut être mal vu, car cette pensée a été installé par le système néolibéral, mais pour moi c’est essentiel pour la création”, explique Nicolas. “Loisir ne signifie pas être aliéné à la maison à regarder la télévision, mais d’avoir un moment dans ta vie pour penser, écouter de la musique, lire un livre, et c’est ce que génère la place. Le loisir est nécessaire dans toutes les sociétés, c’est le moment où l’on se met à penser, à créer quelque chose. Sans loisirs, il n’y a pas de culture.”