par Maurice Lemoine, mercredi 17 avril 2013
Source : monde diplo
En élisant M. Nicolas Maduro (Parti socialiste uni du Venezuela ; PSUV) avec 50,75 % des voix, le 14 avril, les Vénézuéliens ont, à une courte majorité, manifesté leur fidélité à l’héritage de feu le président Hugo Chávez et à la « révolution bolivarienne » qu’il a initiée. Comme le laissaient prévoir les déclarations qui ont ponctué ces dernières semaines, le candidat de la Table d’unité démocratique (MUD ; coalition de droite), M. Henrique Capriles Radonsky, crédité de 48,98 %, refuse de reconnaître le résultat. A l’instar de ce qui s’est systématiquement passé lors des seize scrutins précédents, la mise en cause de l’impartialité du Conseil national électoral (CNE) et la dénonciation d’obscures manœuvres du gouvernement pour « tordre la volonté populaire » ont servi de thème central à la campagne de l’opposition.
Provoquant la surprise d’une majorité d’observateurs et déjouant les sondages, la victoire de M. Maduro, adoubé par un Chávez conscient de la gravité du cancer qui l’a finalement emporté, a été beaucoup plus courte que prévue. Le 7 octobre 2012, briguant un troisième mandat, le chef de l’Etat disparu l’avait emporté avec 55,14 % des suffrages et plus de dix points d’avance sur M. Capriles (44,24 %).
Entre ces deux scrutins, le chavisme a perdu 685 794 voix ; l’opposition en a gagné 679 099[[Estimation faite alors que 99,12% des votes avaient été enregistrés par le CNE.]]. De fait, le facteur « Chávez », c’est-à-dire du « leader », du comandante, a joué à plein. A la marge de l’immuable noyau dur de son électorat, nombre de ceux qui votaient pour lui ne le faisaient pas forcément par conviction idéologique ou parce qu’ils partageaient à 100 % son projet politique, mais parce que cet orateur né savait emporter leur adhésion et leur apparaissait plus à même que la droite de préserver la stabilité du Venezuela. En menant une campagne dépourvue de propositions programmatiques (hormis celle de restaurer « l’efficacité du marché »), mais très agressive (et passablement méprisante) sur le thème « Nicolas, tu n’es pas Chávez », le candidat Capriles a su jouer sur ce segment de la population qui soit a basculé, soit s’est abstenu (de 81 %, le taux de participation est passé à 78,71 % d’un scrutin l’autre). Voici pour les défections à gauche.
D’un autre côté, la disparition physique du président charismatique a remobilisé des électeurs de droite qui avaient baissé les bras en sa présence – M. Capriles lui-même, après sa défaite d’octobre, ayant déclaré qu’il avait eu en face de lui « l’un des plus grands adversaires de l’histoire latino-américaine récente, un Cassius Clay de la politique[[BBC Mundo, Londres, 22 mars 2013.]] ». D’où, avec l’appui enthousiaste de la majorité des médias privés, une re-mobilisation de son électorat et le gain de voix.
Pour autant, même plus étroite que prévue ou espérée, une victoire n’est pas une défaite. Elle conforte même le caractère démocratique de la révolution bolivarienne en démontrant, s’il en était besoin, que sa permanence au pouvoir ne résulte pas d’une « succession dynastique » mais bel et bien du choix des électeurs, en acceptant tous les aléas d’une consultation.
Sous réserve de mettre en œuvre avec succès le « Plan Patrie 2013 – 2019 », dont la présentation avait permis la large victoire de Chávez, d’approfondir son projet de transformation sociale et de s’attaquer vigoureusement aux dysfonctionnements du processus en cours — inflation, insécurité, production non pétrolière insuffisante, problèmes économiques (infiniment moins préoccupants que ceux de nombre de pays européens, soit dit en passant) —, la tendance peut parfaitement s’inverser (ou non) d’ici au 10 janvier 2019, terme du mandat de M. Maduro.
Refusant le verdict des urnes, et criant à la fraude, M. Capriles, appuyé par Washington, Madrid et le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA), M. José Miguel Insulza, demande un recomptage de tous les votes et met en cause le CNE. Pourtant, tout comme il avait accepté sa défaite, le 7 octobre 2012, lors de la présidentielle organisée par ce même CNE, on ne sache pas qu’il ait mis en cause l’arbitre électoral lorsqu’il fut réélu gouverneur de l’Etat de Miranda, le 16 décembre dernier, avec 51,83 % des voix (contre 47,82 % à son adversaire chaviste Elias Jaua)[[A cette occasion le PSUV a conquis vingt des vingt-trois des Etats fédérés du Venezuela.]]. Arguant de la marge extrêmement étroite qui les sépare (262 473 voix), M. Capriles n’en a pas moins déclaré qu’il considérait M. Maduro comme un « président illégitime ». Rappelons que, en 1968, Rafael Caldera (Copei) fut élu président avec seulement trente-deux mille voix d’avance sur son adversaire Gonzalo Barrios (Action démocratique) et que, lors du référendum de décembre 2007 sur la réforme de la Constitution, Chávez a accepté sans barguigner la défaite alors que le « non » ne l’avait emporté qu’avec un avantage légèrement supérieur à 50 %.
Le scrutin du 14 avril a été suivi par cent soixante-treize observateurs internationaux de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), de l’Union interaméricaine des organismes électoraux (Uniore), du Marché commun du sud (Mercosur) et du Centre Carter, notamment. Dès le 15 avril, déclarant avoir été le témoin « d’un ample exercice de citoyenneté et de liberté du peuple vénézuélien », le chef de la mission de l’Unasur, M. Carlos Alvarez, a demandé que soient « respectés les résultats » émanant du CNE, « unique autorité compétente » en matière électorale. De son côté, M. Roberto Rosario, président de l’Uniore, déclarait que le processus électoral a démontré « son efficacité, sa transparence et sa sécurité ».
La loi organique électorale prévoit que 54 % des votes doivent être recomptés manuellement[[Le vote se fait électroniquement, un bulletin imprimé étant remis par la machine à l’électeur, qui le dépose dans une urne, afin de pouvoir procéder à un éventuel audit.]], ce qui a été fait sans que ne soit détectée aucune anomalie majeure. Dès lors, la présidente du CNE, Mme Tibisay Lucena, estime infondée la demande de l’opposition qui exige que le scrutin soit réexaminé à 100 %. Elle n’en laisse pas moins la porte ouverte à une demande déposée dans les formes juridiques légales, M. Capriles s’étant jusqu’à présent contenté de déclarations incendiaires devant les micros. Mais ces diatribes ont eu leurs premiers effets. Quatre sièges régionaux du PSUV ont été incendiés le 15 avril, plusieurs centres médicaux et leurs médecins cubains ont été pris d’assaut, des radios communautaires ont été attaquées, quatre militants chavistes ont été tués (les affrontements post-électoraux ont fait sept morts au total). Dans un climat de tension rappelant les semaines qui ont précédé le coup d’Etat du 11 avril 2002, un concert de casseroles — le fameux cacerolazo — a résonné pendant une heure dans les quartiers bourgeois de Caracas tandis que la Garde nationale, à coups de gaz lacrymogènes, dispersait des milliers de manifestants.
M. Capriles continuant à appeler ses partisans à descendre dans la rue, se dirige-t-on vers une recrudescence d’actions destinées à créer un climat de déstabilisation et d’ingouvernabilité ? Le 26 mars dernier, trois députés de droite, MM. Ricardo Sánchez (suppléant de Mme María Corina Machado), Andres Avelino (suppléant de M. Edgar Zambrano) et Carlos Vargas (suppléant de M. Rodolfo Rodríguez), ont retiré leur appui à M. Capriles en dénonçant l’existence d’un plan élaboré par la MUD pour rejeter les résultats émis par le CNE lors de l’élection du 14 avril et orchestrer une période de violence dans le pays.