BHL et la Libye : la discrétion d’un héros

par Henri Maler, Julien Salingue (ACRIMED)

Publié le 6 avril 2011 par Hen­ri Maler, Julien Salingue

Source : http://www.acrimed.org/article3568.html

Encore BHL ? Oui encore. Non seule­ment parce qu’il est dif­fi­cile de ne pas le voir, l’entendre ou le lire dans les prin­ci­paux médias, mais parce que sa pré­sence est exem­plaire : elle montre com­ment un rôle effec­tif, mais indis­cu­ta­ble­ment dis­cu­table, peut être trans­for­mé en légende.

De toute évi­dence, BHL s’est mon­tré influent auprès de Nico­las Sar­ko­zy afin que celui-ci invite des repré­sen­tants de l’opposition libyenne. De même, il a lar­ge­ment sou­te­nu les ini­tia­tives diplo­ma­tiques du gou­ver­ne­ment fran­çais pour obte­nir le vote de la réso­lu­tion 1973 de l’ONU. De là à consi­dé­rer que ces inter­ven­tions furent déci­sives, il n’y a qu’un pas que seuls, jusqu’à pré­sent, BHL lui-même et ses admi­ra­teurs ont pris le risque de fran­chir. Il est vrai que l’absence de ver­sion offi­cielle peut s’expliquer par la volon­té de Nico­las Sar­ko­zy et de son gou­ver­ne­ment de s’attribuer le mérite exclu­sif de leur action.

Même s’il est désor­mais dif­fi­cile de dis­tin­guer les faits et la légende que BHL et ses fans ont construite, il est encore pos­sible de mon­trer com­ment les récits légen­daires et hagio­gra­phiques ont enro­bé les faits.

Le phé­no­mène n’aura échap­pé à per­sonne : depuis un mois, l’omniprésent Ber­nard-Hen­ri Lévy squatte le pay­sage média­tique. Télé, radio, presse écrite… Impos­sible de ne pas croi­ser le phi­lo­sophe botu­liste depuis qu’il a enfour­ché son nou­veau che­val de bataille : la révolte libyenne. BHL-moi-je est par­tout et brille, une fois de plus, par sa modeste modes­tie. Ses confrères le lui rendent bien qui, à de rares excep­tions près, riva­lisent de « por­traits » plus dégou­li­nants de cirage les uns que les autres.

BHL est partout

Effec­tuer un rele­vé des appa­ri­tions média­tiques de BHL est un exer­cice périlleux qui menace à chaque ins­tant de satu­rer les ser­veurs de Google. Mais, par chance, nous dis­po­sons, grâce au site dédié à BHL (http://www.bernard-henri-levy.com/), d’un moteur de recherche excep­tion­nel. Ce qui suit est une liste, pro­ba­ble­ment non-exhaus­tive, des « pas­sages » radio et télé de BHL entre le 1er et le 24 mars. Atten­tion, comme dirait l’homme à la che­mise blanche, ça décoiffe.

  • L’édition spé­ciale de Canal plus (1er mars)
  • Jour­nal de 13h de TF1 (5 mars)
  • Europe 1soir (7 mars)
  • Le Grand jour­nal de Canal plus (7 mars)
  • Le choix de Yves Cal­vi (RTL, 7 mars)
  • Pla­teau de France 24 (10 mars)
  • Jour­nal de 20h de France 2 (10 mars)
  • Invi­té de la rédac­tion sur RTL (12 mars)
  • Invi­té sur al-Jazee­ra (12 mars)
  • Invi­té de Guillaume Durand sur i>TELE (15 mars)
  • Invi­té du 7 – 9 de France Inter (17 mars)
  • Inter­view sur la BBC radio (17 mars)
  • Émis­sion l’Invité (TV5 Monde, 17 mars)
  • Jour­nal de 18h de BFM TV (17 mars)
  • Ce soir (ou jamais !) (France 3, 17 mars)
  • L’édition spé­ciale de Canal plus (18 mars)
  • Semaine cri­tique ! (France 2, 18 mars)
  • Revu et cor­ri­gé (France 5, 19 mars)
  • C’est arri­vé demain (Europe 1, 20 mars)
  • Du grain à moudre (France Culture, 21 mars)
  • Preuves par 3 (Public Sénat, 23 mars)
  • Jour­nal de 20h de France 2 (24 mars)

Soit, à peu de choses près (mais il est pos­sible qu’il en manque au recen­se­ment), un pas­sage par jour pen­dant plus de trois semaines, sans comp­ter les articles de presse écrite, de BHL et sur BHL.

À cette omni­pré­sence audio­vi­suelle, il convient en effet d’ajouter les phi­lip­piques du « Bloc-notes » du Point, sys­té­ma­ti­que­ment reprises par El País, (Espagne), le Cor­riere del­la Sera (Ita­lie) et l’Huffington Post (USA), et les repor­tages [1].

Sans oublier, tout de même, les entre­tiens accor­dés à F. Ger­schel, pour Le Pari­sien, le 13 mars, à Pierre Cher­ruau pour Slate.fr le 16 mars et à Jean-Jacques Rouch pour La Dépêche du Midi le 21 mars. Sans omettre les dépêches d’agence de Reu­ters (le 19 mars) et de l’AFP, et les comptes-ren­dus de la ren­contre avec des repré­sen­tants de l’opposition libyenne orga­ni­sée par BHL à l’hôtel Raphaël, publiés par 20minutes.fr, Le Point.fr et Le Figa­ro (Le 23 mars).

Sans négli­ger, en outre, la presse étran­gère. Le Frank­fur­ter All­ge­meine Zei­tung trace un por­trait de BHL le 20 mars et lui consacre un nou­vel article le 24 mars. The New Yor­ker, le 25, et The Obser­ver, le 27, dédient eux-aus­si un article à BHL, tan­dis que The Chris­tian Science Moni­tor publie une inter­view le 26 mars.

Sans déva­luer, enfin, les articles hagio­gra­phiques que l’on peut lire sur le site de BHL et sur celui de la Règle du jeu, le plus « abou­ti » étant paru le 11 mars sur le site de Ber­nard-Hen­ri sous la plume de Maria de Fran­ça, pré­po­sée à l’idolâtrie. À lire si l’on aime le genre…

Bref. Comme l’écrivait BHL lui-même dans le livre Enne­mis publics, cosi­gné avec Michel Houel­le­becq, à pro­pos de l’ostracisme dont les deux auteurs rebelles seraient vic­times : « Pour­quoi tant de haine ? D’où vient-elle ? Et d’où vient qu’elle ait, dès qu’il s’agit d’écrivains, une tona­li­té, une viru­lence si extrêmes ? ». Pauvre, pauvre BHL…

BHL est modeste

Mal­gré cette orgie média­tique, Ber­nard-Hen­ri est modeste, à un point tel… qu’il le dit lui-même : « Je me fais l’avocat, le porte-parole modeste des Libyens bom­bar­dés, mas­sa­crés, tor­tu­rés depuis 40 ans » (Europe 1, 20 mars). C’est si vrai que BHL-moi-je ne recourt pas à la pre­mière per­sonne uni­que­ment pour par­ler de son action, mais constam­ment pour évo­quer ce qu’il voit ou ce qu’il pense. À la dif­fé­rence des repor­ters ordi­naires, le style imper­son­nel lui est étran­ger. Au point que pour mini­mi­ser son rôle, il lui arrive de par­ler de lui à la troi­sième per­sonne : « Et ce qui est encore plus impor­tant, c’est qu’on a évi­té un bain de sang à Ben­gha­zi. Com­pa­rées à cela, les cri­tiques de Ber­nard-Hen­ri Lévy n’ont aucune impor­tance, pour être franc » (article de The Obser­ver, 27 mars) ; « Moi je serais le Quai d’Orsay, je ne serais pas fan de Ber­nard-Hen­ri-Lévy » (Public Sénat, 23 mars).

Com­ment notre héros s’est-il retrou­vé en Libye ? La ques­tion lui a été posée à de mul­tiples reprises. Et sa réponse ne varie guère : c’est son « ins­tinct » (légen­daire) qui l’y a conduit : « C’était un acci­dent de l’histoire. Je me trou­vais en Égypte quand Kadha­fi a envoyé ses avions tirer sur les mani­fes­ta­tions paci­fiques à Tri­po­li. Cela me parut tel­le­ment énorme, sans pré­cé­dent, et je sen­tis les démo­crates égyp­tiens autour de moi tel­le­ment hor­ri­fiés, que je déci­dais ins­tinc­ti­ve­ment de me rendre en Libye sur le champ » (article de The Obser­ver, 27 mars). Non sans une escale par Paris et le cos­su hôtel Raphaël, et un coup de fil à Nico­las Sar­ko­zy pour s’assurer que notre phi­lo­sophe à manches longues ne ferait pas, ins­tinc­ti­ve­ment, le voyage pour rien. Nous y reviendrons.

Lorsqu’un lec­teur inso­lent du Monde lui demande quelle légi­ti­mi­té il a pour « mettre [son] nez dans les affaires de la Libye », BHL reste modeste : « Je n’ai aucune autre légi­ti­mi­té que celle de ma propre conscience. Je suis un citoyen du monde » (« tchat » du Monde, 24 mars). Un simple citoyen du monde qui, comme tous ses pairs, est en liai­son directe avec le pré­sident de la Répu­blique : « [J’ai] eu, un soir, à Ben­gha­zi, l’idée folle de décro­cher mon télé­phone pour appe­ler le pré­sident de la Répu­blique de mon pays et lui sug­gé­rer de rece­voir une délé­ga­tion de la Libye libre » (« tchat » du Monde, 24 mars).

BHL oublie sim­ple­ment de rap­pe­ler, comme nous venons de la men­tion­ner, qu’il avait déjà eu « l’idée folle » d’appeler Nico­las Sar­ko­zy avant de par­tir en Libye. C’est en tout cas ce qui est rap­por­té par un jour­na­liste du Point, sans que BHL ait démen­ti les pro­pos qui lui sont attri­bués : « La diplo­ma­tie est par­fois simple comme un coup de fil pas­sé depuis un salon roco­co de l’hôtel Raphaël. Ber­nard-Hen­ri Lévy : “Je t’appelle car je pars demain en Libye. Si jamais j’ai un contact inté­res­sant sur place, qui peut être utile ou nous éclai­rer sur la situa­tion, je peux te télé­pho­ner de là-bas ?” Nico­las Sar­ko­zy : “Natu­rel­le­ment, n’hésite pas !”. Le phi­lo­sophe rac­croche son télé­phone et boucle ses valises, ravi de cette béné­dic­tion pré­si­den­tielle » (Le Point, 24 mars). Grand fou…

Une prise de risque incon­si­dé­rée, cha­cun le com­pren­dra, mais qui n’est après tout, comme le confirme Ber­nard-Hen­ri lui-même, que la suite logique de son iné­nar­rable cou­rage à l’égard des sou­lè­ve­ments tuni­siens et égyp­tiens : « Nous n’avons pas été très nom­breux à saluer, tout de suite, l’événement égyp­tien. Et, encore moins, le tuni­sien. Je me rap­pelle : quand, avant la chute de Ben Ali, j’ai appe­lé, sur le site de la Règle du Jeu, à « hacker » les sites offi­ciels du régime tuni­sien, les gens m’ont regar­dé comme un fou… » (inter­view dans l’hebdomadaire alle­mand Die Zeit, 31 mars). Le modeste BHL réécrit à peine l’histoire : rap­pe­lons que son « appel » aux hackers a été lan­cé… la veille de la chute de Ben Ali, et que Ber­nard-Hen­ri n’avait jusqu’alors rien dit sur le sou­lè­ve­ment en cours depuis plu­sieurs semaines, comme nous l’expliquions ici même… « Nous n’avons pas été nom­breux ». Certes.

Enfin, la modes­tie de notre citoyen du monde l’oblige, pour éva­luer une poli­tique, à juger exclu­si­ve­ment ceux qui l’incarnent. « Com­ment vous vous expli­quez la posi­tion alle­mande ? » lui demande un jour­na­liste de l’hebdomadaire alle­mand Die Zeit. Réponse du phi­lo­sophe : « D’abord, le mau­vais hasard. Le fait d’avoir, aux com­mandes, un ministre médiocre, incom­pé­tent, peut-être même incons­cient et qui, comme Hai­der autre­fois, ou comme Ber­lus­co­ni aujourd’hui, ne prend pas la mesure de ce désastre mon­dial qui porte le nom de Kadha­fi. […] Et puis, bien sûr, l’électoralisme à courte vue d’une Mme Mer­kel qui devait pro­ba­ble­ment pen­ser que l’opinion alle­mande ne vou­lait pas de cette opé­ra­tion » (Die Zeit, 31 mars).

Pas de doute, ce qui manque à l’Allemagne, c’est un homme de la trempe de Ber­nard-Hen­ri. Mais il ne peut pas être par­tout, et a tel­le­ment à faire en France, comme il l’affirme modes­te­ment dans une inter­view au Spie­gel le 28 mars :


 — Der Spie­gel : « Est-ce que vous pou­vez ima­gi­ner un monde sans BHL ? »
 — BHL : « Oh oui, sûre­ment. Ça mar­che­rait tout à fait bien. »
 — DS : « Et une France ? »
 — BHL : « Ah ça… Je ne sais pas… Peut-être qu’il fau­drait l’inventer (rires) ».

Ces rires d’une exquise modes­tie devraient satis­faire la cohorte des média­tiques admi­ra­teurs qui contri­buent à bâtir la légende de l’indispensable BHL.


Les médias aiment BHL

Nul doute que la modes­tie de BHL en souffre, mais force est de consta­ter que l’enflure de cer­tains articles qui lui sont dédiés consacre et ampli­fie l’égocentrisme et les van­tar­dises de leur béné­fi­ciaire. On tremble à la lec­ture des extraits qui suivent lorsque l’on sait qu’ils ont été écrits par des jour­na­listes, déten­teurs d’une carte de presse.

Évo­ca­tions littéraires :

- « Au petit matin, vêtu de son tra­di­tion­nel cos­tume noir sur che­mise blanche, Ber­nard-Hen­ri Lévy s’en va consta­ter l’étendue du désastre. Il marche en équi­libre sur des gra­vats, console une femme éplo­rée, inter­pelle des jeunes gar­çons qui portent sur le dos des dra­peaux aux cou­leurs de la Libye d’avant l’instauration de la Jama­hi­riya » (Le Point, 24 mars).

- « Imper­tur­bable dans sa che­mise Char­vet si recon­nais­sable, à moi­tié débou­ton­née pour révé­ler son torse bron­zé, le phi­lo­sophe fran­çais de 62 ans a l’habitude d’être sur la ligne de front – qui est par­fois, de la Bos­nie dans les années 1990 au Burun­di en 2000, bien réelle et dan­ge­reuse » (The Obser­ver, 27 mars).

Emphases géo­po­li­tiques :

« Avec le rôle clé qu’il a joué avant l’intervention fran­çaise en Libye, Ber­nard-Hen­ri Lévy (BHL) peut rai­son­na­ble­ment pré­tendre être le phi­lo­sophe le plus puis­sant du monde » (Forei­gn Poli­cy, 28 mars).

Une men­tion spé­ciale à CNN…

Image_1-40.png « L’homme qui a conduit le monde à la guerre en Libye ». Rien que ça… Les che­villes de Ber­nard-Hen­ri vont faire explo­ser ses rangers…

Ou, dans un autre style, cette dépêche AFP du 23 mars, dans laquelle on peut lire ce qui suit : « Le très média­tique écri­vain Ber­nard-Hen­ri Lévy, figure contem­po­raine de l’intellectuel enga­gé, est deve­nu un lob­byiste effi­cace au ser­vice de l’opposition libyenne, au point d’avoir une influence remar­quée sur la poli­tique étran­gère de Nico­las Sar­ko­zy ». BHL y est en outre décrit comme un « phi­lo­sophe au phy­sique avan­ta­geux ». Du grand journalisme.

Les inter­vie­weurs ne sont pas en reste, qui, à l’instar de Per­rine Tar­neaud, de Public Sénat, n’hésitent pas à poser de cou­ra­geuses ques­tions à Ber­nard-Hen­ri : « On a en tout cas l’impression, Ber­nard-Hen­ri Lévy, que vous pre­nez un cer­tain plai­sir à prendre posi­tion sur des sujets qui ne sont pas consen­suels… » (23 mars). Voi­là qui est envoyé…

Bref. Guy Sit­bon, de Marianne, n’a plus qu’à bien se tenir, qui s’était fen­du d’un article apo­lo­gé­tique en février der­nier, « BHL l’Égyptien » : « Des chars cou­verts d’enfants dans les bras des sol­dats pro­tègent l’accès de la place. Ber­nard gra­vit un de ces mas­to­dontes. […] La den­si­té humaine est telle que, pres­sé de toutes parts par les mani­fes­tants, BHL est lit­té­ra­le­ment pro­pul­sé sous une tri­bune crou­lant sous des grappes humaines, his­sé de force et agrip­pé par des dizaines de mains, et il bran­dit le dra­peau égyp­tien. La foule applau­dit, se remet à dan­ser ».

Les pho­tos publiées, que ce soit dans le JDD à l’occasion du repor­tage de Ber­nard-Hen­ri en Libye ou sur le site du fan-club de BHL, sont à l’image de ce modeste récit. Le témoin por­tant témoi­gnage est au moins aus­si impor­tant que ce dont il témoigne : le pho­to­graphe atti­tré de BHL ne s’y est pas trompé !

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Un site qui a, au pas­sage, le mérite d’annoncer la couleur :

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Mais le comble est sans doute atteint par un article de Saïd Mah­rane paru dans Le Point du 24 mars 2011, pieu­se­ment repro­duit sur le site de « La Règle du jeu », la revue de BHL. Son titre ? « BHL, l’autre ministre des Affaires étran­gères » (http://laregledujeu.org/2011/03/31/5267/bhl‑l%E2%80%99autre-ministre-des-affaires-etrangeres/). Tout simplement…

Et pen­dant ce temps-là…

… On oublie les ques­tions qui fâchent, et on laisse dire tout et n’importe quoi.

Per­sonne ne semble en effet avoir rele­vé les outrances pro­fé­rées par BHL ces der­nières semaines. N’en rete­nons que deux, qui auraient méri­té, cha­cun le recon­naî­tra, des demandes d’explications.

- Le « modeste porte-parole » des insur­gés libyens se pré­sente comme l’infaillible porte-voix des peuples arabes. On exa­gère ? Un seul exemple par­mi tant d’autres.

Quand un jour­na­liste lui demande pour­quoi « Les Arabes semblent contre l’effort fran­çais pour ren­ver­ser Kadha­fi », l’inébranlable répond : « Quels arabes ? Pas l’opinion publique arabe, en tout cas. Les Égyp­tiens par exemple, les forces vives de l’Égypte nou­velle, sou­tiennent leurs frères libyens, vibrent et souffrent avec eux et, contrai­re­ment à ce que croit peut-être Mon­sieur Mous­sa, n’ont aucun pro­blème avec la pré­sence d’avions amé­ri­cains, anglais et fran­çais dans le ciel libyen. » (inter­view sur le site du quo­ti­dien alle­mand Die Welt, 30 mars). Si BHL le dit, c’est que ça doit être vrai, lui qui est un fin connais­seur du monde arabe, dans lequel il a récem­ment situé l’Iran, comme nous l’avions rele­vé (http://www.acrimed.org/article3520.html).

- L’élégant spé­cia­liste de l’histoire contem­po­raine s’est par ailleurs ris­qué à d’audacieuses com­pa­rai­sons, qu’il a eu la cour­toi­sie, comme on dit à la radio, d’infliger aux lec­teurs de la presse allemande :

- « La poli­tique alle­mande de l’après-guerre a été construite sur le prin­cipe du “plus jamais ça”. Plus jamais le nazisme… Plus jamais les yeux fer­més face aux crimes contre l’humanité… Eh bien l’Allemagne de Mer­kel et Wes­ter­welle a rom­pu ce pacte qu’elle avait noué avec elle-même » (Inter­view au Spie­gel, 28 mars).

- « Alors, bien sûr, Kadha­fi n’est pas Hit­ler et Ben­gha­zi ce n’est pas Ausch­witz. Mais enfin ce n’est pas com­plè­te­ment le contraire. Kadha­fi est une des figures majeures de la bar­ba­rie contem­po­raine » (Inter­view à Die Welt, 30 mars).

Tra­duc­tion : le « mal » est « un », même s’il a plu­sieurs visages ; et qui­conque com­bat, mais à la façon de BHL, le régime de Kadha­fi, est un libé­ra­teur de l’humanité dans son ensemble, une libé­ra­teur dont il serait par consé­quent vain de conte­nir la fougue et les rac­cour­cis vengeurs…

… Même si ses indi­gna­tions sont sélec­tives. Certes, il est arri­vé qu’on lui demande pour­quoi il ne pré­co­ni­sait pas une ingé­rence étran­gère dans d’autres pays de la région. Mais rares, très rares sont ceux qui ont osé lui rap­pe­ler son der­nier acte de bra­voure mili­taire, lorsqu’il avait accom­pa­gné l’armée israé­lienne lors de son offen­sive meur­trière sur la bande de Gaza à l’hiver 2008 – 2009 (Un repor­tage fort peu roma­nesque com­men­té ici-même : http://www.acrimed.org/article3062.html). Nous n’avons pas trou­vé de jour­na­liste, si l’on excepte Fré­dé­ric Tad­deï, qui ait seule­ment évo­qué Gaza avec BHL. Un lec­teur du Monde a abor­dé la ques­tion lors du « tchat » du 24 mars, ain­si qu’un audi­teur de France Inter lors du 7 – 9 du 17 mars. BHL a soi­gneu­se­ment contour­né la ques­tion, quand il ne l’a pas balayé d’un revers de manche : « Ne mélan­gez pas tout. L’opération israé­lienne d’il y a deux ans fai­sait suite à des bom­bar­de­ments du ter­ri­toire israé­lien par les milices du Hamas » (« tchat » du Monde). Et BHL, comme on vient de le voir, s’y connaît en comparaisons.

Même s’il ne s’agit évi­dem­ment pas de « tout mélan­ger », n’y aurait-il pas eu un inté­rêt à se sou­ve­nir, par exemple, du récit qu’a fait Oli­vier Rafo­wicz, lieu­te­nant-colo­nel et ancien porte-parole de l’armée israé­lienne pour la presse étran­gère, de la par­ti­ci­pa­tion de BHL à des opé­ra­tions mili­taires qui ont fait, rap­pe­lons, plus de 1400 morts, très majo­ri­tai­re­ment civils ? Un récit publié sur le site du modeste accom­pa­gna­teur… le 18 février 2011 (http://www.bernard-henri-levy.com/ses-combats-2002 – 2009-bhl-sous-le-feu-par-olivier-rafowicz-lieutenant-colonel-dans-larmee-israelienne-16099.html) :

« Ber­nard-Hen­ri Lévy monte dans un véhi­cule en ma com­pa­gnie. Au milieu des ten­sions et des situa­tions les plus dan­ge­reuses, il va, en pleine obs­cu­ri­té, par­cou­rir plu­sieurs kilo­mètres au cœur des com­bats. Pour voir. Com­prendre. Pour par­ler avec ces hommes qui portent l’uniforme de Tsa­hal et qui lui racontent ce qu’ils res­sentent dans ce com­bat contre les ter­ro­ristes du Hamas et du Jihad isla­mique. […] Après quelques heures intenses pas­sées avec ces sol­dats et ces offi­ciers de ter­rain, BHL revient satis­fait d’avoir rem­pli sa mis­sion. Il pour­ra de nou­veau se baser sur ce qu’il a vu et enten­du sur le ter­rain et non pas sur ces rumeurs et ces “ils” tou­jours por­teurs de cynisme et de haine lorsqu’il s’agit d’Israël face à ses enne­mis ».

Un tel témoin est irré­cu­sable et peut bien être déco­ré d’un Légion d’honneur – média­tique – pour son indé­fec­tible soli­da­ri­té avec les peuples opprimés.

***

Alors disons-le : quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur l’intervention mili­taire en Libye, que l’on se féli­cite du rôle effec­tif joué récem­ment par Ber­nard-Hen­ri Lévy ou qu’on le déplore, nul doute que la modes­tie de ce der­nier souffre de son omni­pré­sence dans les médias, de la mise en scène média­tique de son héroïsme, de la trans­for­ma­tion de la moindre de ses actions en nou­velle page de sa légende. Invi­té par­tout, com­plai­sam­ment inter­viewé, célé­bré sou­vent sans rete­nue, Ber­nard-Hen­ri Lévy a beau jeu, dès lors, de se mettre lui-même en scène, comme si la construc­tion de son per­son­nage était indis­pen­sable à la défense du peuple libyen.

Car c’est évi­dem­ment dans le seul inté­rêt de ce peuple que dans le repor­tage publié dans le JDD du 6 mars (« Dans la Libye libé­rée »), BHL emploie à 13 reprises le pro­nom « je ». En 12 para­graphes… Et comme la pro­mo­tion de BHL dans le JDD méri­tait un retour sur un inves­tis­se­ment, l’hebdomadaire s’est offert et nous a offert et cette publicité :

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Comme on l’a vu plus haut, com­pa­rai­son n’est pas tou­jours rai­son, mais l’on ne peut s’empêcher de pen­ser à ce que Ber­nard-Hen­ri lui-même écri­vait récem­ment au sujet des Frères musul­mans : « Je répète qu’ils furent les grands absents du sou­lè­ve­ment mais dont rien ne per­met d’exclure qu’ils tentent, comme le renard de la fable, de le récu­pé­rer tout de même après coup » (« Bloc-notes » du Point, 17 février). Toute ressemblance…

Julien Salingue et Hen­ri Maler (grâce aux docu­ments recen­sés par Arman­do Padovani).

Notes

[1] À la fin du mois de février, BHL se trou­vait en Égypte, et confiait à Libé­ra­tion (le 26 février) un humble témoi­gnage de titré « Égypte, année zéro » (repris le len­de­main par The Huf­fing­ton Post Cor­riere del­la Sera, El País et le 10 mars par Haa­retz). « BHL l’Égyptien », pour reprendre le titre de l’article hagio­gra­phique que lui consacre son accom­pa­gna­teur, Gilles Hert­zog, le 2 mars 2011, devient BHL le Libyen quelques jours plus tard. Le 3 mars 2011, dans son « Bloc-notes » du Point, BHL s’interroge : « Et si l’Égypte (et la Tuni­sie) inter­ve­naient en Libye ? » (article déjà paru deux jours aupa­ra­vant dans The Huf­fing­ton Post). Avant de s’aviser, en bon connais­seur de la région, que cette « solu­tion » n’était fina­le­ment pas la bonne, comme on peut le décou­vrir en lisant, le 6 mars dans le JDD, les réponses de BHL à la ques­tion « Que pou­vons-nous faire pour la jeune révo­lu­tion libyenne ? » (L’article est repris le même jour par The Huf­fing­ton Post et El País). Et, pour le « Bloc-notes » du Point, « Sar­ko­zy et la Libye » (11 mars), « Quand Arabes et Occi­den­taux volent au secours de la Libye libre » (21 mars), etc.
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