L’hiver dernier, en Belgique, les chasseurs ont tué 4.368 cerfs, biches et faons, dont la maman et le papa de Bambi, ses deux sœurs, cinq cousins et plusieurs copains superchouettes. Aucun des chasseurs n’a fait l’objet de protestations.
Un bébé palestinien a été brûlé vif par des colons. Deux adolescents sont morts dans les protestations qui ont suivi.
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil.
Après avoir assassiné près de 200 innocents lors d’un raid sur Kobane dans l’indifférence mondiale (ils n’étaient pas touristes en Tunisie), l’Organisation État islamique a assassiné une trentaine de jeunes militants socialistes turcs et kurdes à Suruç dans une indifférence remarquable (ils n’étaient pas jeunes militants socialistes en Norvège).
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil.
Depuis, la Turquie a lancé des dizaines d’attaques aériennes sur le PKK, faisant, selon les Kurdes, plus de 200 victimes notamment civiles, avec l’assentiment politique des pays de l’OTAN, dont le vôtre.
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil.
Des activistes « propalestiniens » qui passent l’année à condamner Israël pour son occupation n’ont pas levé le petit doigt pour les Kurdes, opprimés par notre allié, la Turquie, depuis bien plus longtemps que les Palestiniens.
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil.
Les Rohingyas, musulmans, sont toujours victimes de nettoyage ethnique voire de génocide sans que l’Union européenne ne demande sérieusement de comptes à Aung San Suu Kyi qu’elle a pourtant érigée en héroïne humaniste.
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil.
La communauté internationale reste de marbre alors que Boko Haram massacre des hommes, femmes et enfants pratiquement quotidiennement.
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil.
Les communautés chrétiennes n’ont jamais été aussi menacées qu’aujourd’hui dans le berceau de leur religion, les Proche et Moyen-Orient.
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil.
Près de 2.000 hommes, femmes et enfants sont morts cette année en Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe.
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil.
Le 28 juillet, Sadik, pakistanais de 30 ans, est mort en tentant de rejoindre le Royaume-Uni depuis la France. Sadik signifie ami en arabe. Sadique décrit plutôt le jeu qu’on joue avec ces hominidés. C’est le onzième mort en deux mois, dont deux femmes, Ganet et Zebiba, toutes deux Érythréennes, toutes deux âgées de 23 ans, toutes deux mortes sur l’autoroute aujourd’hui réservée aux vacanciers.
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil.
Cette année, en France, 239 animaux de race homo sapiens sapiens sont morts dans la rue. Le dernier en date est Boussad, 68 ans, mort à Lyon la nuit passée. La première de l’année s’appelait Francesca, morte à Lille le premier janvier. Elle avait deux mois et demi. Un mois plus tard, à Bagnolet, une enfant de cinq ans, non identifiée, la rejoignait « au ciel », comme on dit à nos enfants.
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil.
La faim tenaille les Zimbabwéens. La production de lait a baissé de 80 % par rapport aux années grasses, le bœuf aussi. Le café, de 90 %. Le blé de 95 %. L’industrie de 70 %. Le pays a vécu chaque année de l’aide alimentaire, depuis 2001. Le chômage dépasse les 60 %. Les deux tiers de la population vit sous le seuil national de pauvreté. Près de 15 % des adultes vivent avec le virus du SIDA, la plupart souffrant de malnutrition. Des femmes sont forcées de se prostituer pour nourrir leurs enfants et vendent leur corps pour deux ou trois dollars. Le président Mugabe en a dépensé plus de 500.000 rien que pour fêter ses 91 ans.
Mais Walter Palmer a tué le lion Cecil, au même Zimbabwe.
Dans la presse locale, un Zimbabwéen affirme qu’il y aurait eu moins d’engouement s’il s’était agi d’un Zimbabwéen, tué par le même dentiste. Vous vous souvenez de cette blague affreuse sur les Panous ?
Et peu importe que les lions tuent là-bas, car Walter a tué Cecil.
Alors, très vite, sur les réseaux, Ricky Gervais, Alyssa Milano ou Shannen Doherty ont clamé leur colère contre Walter Palmer. Depuis, on compte par dizaine de milliers les appels à assassiner l’odieux dentiste, distillés depuis un clavier d’ordinateur.
Devant le domicile du chasseur, un panneau lui propose de pourrir en enfer. Un autre indique qu’il y a déjà une « cavité profonde » qui l’attend. Sous ces mots qui évoquent le meurtre, des enfants déposent des peluches en hommage à un lion qu’ils n’ont jamais vu auparavant et dont ils ignoraient jusqu’à l’existence.
Des papas et des mamans, desperate housemen et housewives de l’indignation petite-bourgeoise, les amènent, la larme à l’œil, participer à ce mélange de pitié animale, de mépris bestial et d’appel au meurtre. Pas un instant, il ne leur viendrait à l’idée de parler à leur progéniture des droits de l’accusé, ni de la présomption d’innocence, les fondements de notre justice.
Car Walter Palmer, ce porc (selon une journaliste du Monde), a tué le lion Cecil.
Mais faut les comprendre. Ce lion était emblématique. Il faisait tant plaisir aux touristes qui visitaient la réserve nationale dont il était le héros. Ou plutôt, à ceux des touristes qui peuvent se payer le safari au Zimbabwe !
Et pour les autres, une photo suffira à les convaincre que Palmer, c’est Hitler, mais en mille fois pire. Parce que dans les quartiers tranquilles de notre société si équitable, la vie sauvage fait rêver, vous comprenez ! Au point qu’on pardonne tout juste aux Masaïs de tuer les lions qui tuent leurs cheptels, leurs chèvres ou leurs ânes.
Alors, indignez-vous !
Car Walter Palmer a tué le lion Cecil.
Et oubliez que de 1999 à 2008, 5.663 lions ont été abattus en Afrique pour le sport, dont plus de 3.600 par des Américains. Aucun d’entre eux n’avait un nom. Aucun des chasseurs n’a fait l’objet de menaces.
Selon Geo, de 2006 à 2008, 16.400 chasseurs auraient dépensé 70 millions d’euros en Afrique pour chasser. L’argent profiterait aux Africains mais ce n’est pas sûr.
L’hiver dernier, en Belgique, les chasseurs ont tué 4.368 cerfs, biches et faons, dont la maman et le papa de Bambi, ses deux sœurs, cinq cousins et plusieurs copains superchouettes. Aucun des chasseurs n’a fait l’objet de protestations. Personne n’a posé de peluche devant leur porte. Les cervidés non plus n’avaient pas de nom.
Par ailleurs, le quota à abattre était de 5.000 cervidés, pour maintenir l’équilibre de la faune et de la flore.
Pour manger avec nos frites, nous les Belges faisons abattre par autrui, et le plus loin possible de nous, 470.000 boeufs et 324.000 veaux chaque année. Il faut bien se nourrir.
Par tradition, les habitants des îles Féroé tuent en groupe, et à la main, des centaines de baleines-pilotes par an. Tuer l’animal soi-même fait selon eux prendre conscience du geste requis pour manger de la viande. Je ne suis pas sûr qu’ils aient tort. Les cétacés non plus n’ont pas de nom.
Par contre, les 140 ménages de maîtres qui ont abandonné leur chien, en seulement deux jours, en France, connaissaient très bien le nom de leur animal de compagnie, que la SPA a dû euthanasier par manque de place.
L’histoire ne dit pas combien d’entre eux ont twitté que Walter Palmer était une ordure.
Allez, bon peuple, indigne-toi ! Walter Palmer a tué le lion Cecil ! Bon sang ! Qu’on le batte ! Qu’on l’abatte ! Qu’on lui coupe les couilles ! Qu’on le brûle ! Qu’on le…
Indigne-toi. Walter sert à ça. Comme ça, tu ne te demanderas pas combien de victimes tu as négligé parce qu’elles te semblait moins familières que ce héros Disnéyen, ce Roi Lion, ce Cecil dont tu n’avais jamais entendu parler auparavant, abattu par un dentiste sportif.
Ni combien de gens notre mode de vie, notre égocentrisme ou notre égoïsme tuent chaque année. En 2015, la première en France était donc Francesca. Deux mois et demi. Lille. Premier janvier.
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Marcel Sel
Source de l’article : un blog de sel
Un hamburger, quelqu’un ?
Si ça se trouve, la vache s’appelait Marguerite.