Fidan Dogan, jeune militante kurde, assassinée à Paris (entretien)

En Turquie les jeunes kurdes ne croient plus en la démocratie. C’est la réponse répressive du gouvernement qui dirige les jeunes Kurdes à rejoindre la guérilla, les montagnes.

fidan.pngFidan Dogan (Roj­bin Dogan) fait par­tie des trois mili­tantes kurdes tuées d’une balle dans la tête dans les locaux du Centre d’in­for­ma­tion du kur­dis­tan. Cette jeune mili­tante de 32 ans, per­ma­nente du Centre et repré­sen­tante en France du Congrès natio­nal du Kur­dis­tan, avait expli­qué en juin der­nier son enga­ge­ment pour la cause kurde à Avant-Garde.

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Nous publions l’ar­ticle du jour­nal du Mou­ve­ment des jeunes communistes.

Kur­dis­tan : ren­contre avec le Centre d’Information du Kur­dis­tan (C.I.K.)

Avant Garde. Recep Erdo­gan, pre­mier ministre de la Tur­quie depuis 2003, avait affir­mé vou­loir trou­ver une solu­tion poli­tique à la ques­tion kurde. Loin de là, la situa­tion est aujourd’hui très ten­due dans la région et la répres­sion ne fait qu’augmenter. On en est où de la poli­tique d’Ankara sur le Kurdistan ?

Fidan Dogan. En 2003 quand Erdo­gan arrive au pou­voir il annonce qu’il veut résoudre la ques­tion kurde. C’était le pre­mier chef de gou­ver­ne­ment turc qui disait recon­naitre les erreurs et faire face à l’histoire. Il avait nom­mé son pro­jet, « l’ouverture kurde ». Mais dans les faits, Erdo­gan s’est trou­vé confron­té à la dif­fi­cul­té de trou­ver un inter­lo­cu­teur poli­tique kurde. Cet inter­lo­cu­teur, c’est le PKK (Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan). Très vite Erdo­gan a renom­mé son pro­jet « l’ouverture démo­cra­tique » pour ne plus par­ler de la ques­tion kurde.

Alors, en 2009, lorsqu’aux élec­tions muni­ci­pales le BDP (Le Par­ti de la Paix et de la Démo­cra­tie) passe de 56 à 100 mai­ries, Erdo­gan décide d’opérations mas­sives d’arrestations. Des cen­taines de membres du BDP ont été arrê­tés dont les maires des plus grandes villes. Arrê­ter des élus, c’est arrê­ter la popu­la­tion qui a voté pour eux. 6 dépu­tés sont empri­son­nés en Tur­quie dont Ley­la Zana, prix Zakha­rov du par­le­ment euro­péen. C’est une décla­ra­tion de guerre contre tous nos sym­boles. C’est envoyer le mes­sage que tous ceux qui défendent les droits des kurdes seraient des terroristes.

Erdo­gan essaye de vendre une image exem­plaire de la Tur­quie dans ses visites. Mais on ne peut aucu­ne­ment par­ler de droits des peuples en Tur­quie. Ce que nous vivons c’est la dic­ta­ture d’Erdogan. Ces arres­ta­tions se pour­suivent jusqu’à aujourd’hui pour arri­ver à un chiffre de 7000 pri­son­niers poli­tiques et nous pour­rions être à beau­coup plus. Le gou­ver­ne­ment AKP (le par­ti poli­tique d’Erdogan, majo­ri­taire à l’assemblée turc) est convain­cu que cette voie per­met d’éradiquer la ques­tion kurde. Mais nous avons vécu les guerres et les coups d’état en Tur­quie et nous avons tou­jours lut­té. Lorsque l’on va au Kur­dis­tan, chaque famille a un membre qui a été tué dans cette guerre ou qui fait par­tie des 17 000 disparus.

Pour le gou­ver­ne­ment turc la ques­tion kurde est ins­crite au registre de la lutte contre le ter­ro­risme avec le sou­tien de l’Union Euro­péenne et des Etats-Unis. Ça veut dire que la Tur­quie serait un pays où il y a 20 mil­lions de ter­ro­ristes ! Ain­si au mois de décembre, 34 vil­la­geois ont été tués dans des raids aériens. Dans n’importe quel autre pays dit démo­cra­tique, le chef de l’état aurait dû démis­sion­ner après un tel mas­sacre. Mais Erdo­gan n’a même pas pris la peine de s’excuser et per­sonne n’a protesté.

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Com­ment s’explique ce déploie­ment de force et la puis­sance de cette répres­sion alors même que les orga­ni­sa­tions kurdes demandent une réso­lu­tion poli­tique du conflit ?

Fidan Dogan. Le PKK a appe­lé une dizaine de fois à des ces­sez-le-feu. Mais la réponse turque a tou­jours été mili­taire. Le PKK veut une réso­lu­tion paci­fique du conflit et ne demande pas l’indépendance. Il pro­pose une auto­no­mie démo­cra­tique dans la région. Le res­pect des droits cultu­rels et poli­tiques et l’éducation en langue mater­nelle. Ce sont des droits fon­da­men­taux recon­nus à tous les peuples sauf aux kurdes. Mais il faut savoir que le Kur­dis­tan est une région très riche en pétrole, en eau en gaz. Éco­no­mi­que­ment c’est une région incon­tour­nable et les grandes puis­sances occi­den­tales sont alliées de la Tur­quie pour cette rai­son-là. Les kurdes et leur com­bat pour défendre leurs droits sont vic­times des inté­rêts éco­no­miques de ces pays.

En France nous vivons la même poli­tique qu’en Tur­quie. La France s’est oppo­sée à l’entrée de la Tur­quie dans l’UE, mais pour conser­ver ses rela­tions avec la Tur­quie, ils ont pas­sé les accords pour l’arrestation des mili­tants kurdes. C’est une sorte de don­nant-don­nant. Je refuse ton adhé­sion mais je t’aide avec tes « ter­ro­ristes ». Depuis 2007 il y a une mul­ti­pli­ca­tion des arres­ta­tions, des per­qui­si­tions et des pro­cès en France et lors de la visite de Claude Guéant (alors ministre de l’intérieur) l’an der­nier en Tur­quie un accord a été signé pour l’extradition des Kurdes.

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Visite de Nico­las Sar­ko­zy en Tur­quie en février 2011

En Tur­quie les jeunes kurdes ne croient plus en la démo­cra­tie. Leurs maires essayent de ser­vir leur ville et militent pour eux puis se font arrê­ter sous leurs yeux. Ils voient donc qu’il n’y a aucune voie légale pour eux. Alors il ne faut pas se deman­der pour­quoi est-ce qu’il y a une gué­rilla. C’est la réponse répres­sive du gou­ver­ne­ment qui dirige les jeunes Kurdes à rejoindre la gué­rilla, les mon­tagnes. Alors qu’ils risquent, leur vie, la pri­son et la répres­sion, les kurdes conti­nuent leurs mani­fes­ta­tions et leurs ras­sem­ble­ments. Un peuple de vingt mil­lion d’habitants ne peut pas vivre caché. On peut arrê­ter autant de kurdes qu’on veut d’autres les remplaceront.

Alors quels leviers pour le changement ?

Fidan Dogan. Il faut d’abord que les pays euro­péens mettent de côté leurs inté­rêts éco­no­miques. On parle de 40 mil­lions de per­sonnes, d’un peuple qui a une his­toire et d’une des pre­mières civi­li­sa­tions de la Méso­po­ta­mie. Ce sou­tien à Anka­ra doit ces­ser car il est en défa­veur de la réso­lu­tion du pro­blème kurde. Les kurdes sont vic­times de cette alliance avec le gou­ver­ne­ment turc. Le pro­blème kurde est un pro­blème de tous les pays membres du Conseil de l’Europe. La Tur­quie en est membre avec 47 autre pays. On ne peut pas nous dire que c’est un pro­blème de la Tur­quie et que c’est la Tur­quie qui doit résoudre ce pro­blème. Le pro­blème n’est pas limi­té aux fron­tières turques.

Mais Laurent Fabius, ministre des affaires étran­gères annonce pour­suivre les rela­tions avec la Tur­quie. Un pays qu’il juge très impor­tant. Donc il devrait y avoir une conti­nui­té avec le pré­cèdent gou­ver­ne­ment. C’est notre peur. Les rela­tions avec la Tur­quie ne peuvent pas conti­nuer sur les seuls inté­rêts éco­no­miques. La prio­ri­té c’est l’arrêt du sou­tien au gou­ver­ne­ment turc par la vente d’arme et les accords Guéant de sécu­ri­té. Les arres­ta­tions en France doivent cesser.

Sar­ko­zy s’était tou­jours oppo­sé à l’adhésion de la Tur­quie à l’UE parce que c’est un pays musul­man. Mais nous sommes pour. A condi­tion d’imposer le res­pect des droits de l’homme et la recon­nais­sance des droits, poli­tiques et sociaux des kurdes. Être contre l’adhésion de la Tur­quie à l’UE c’est mettre la ques­tion kurde de côté. L’adhésion à l’UE doit faire pro­gres­ser la démo­cra­tie et les droits de l’homme en Tur­quie. Ce que nous vou­lons c’est une auto­no­mie démo­cra­tique. Une décen­tra­li­sa­tion où les déci­sions seront prises sur le ter­rain, dans les régions. Nous ne vou­lons pas de fron­tières. Ce ne sont pas aujourd’hui les fron­tières qui vont sau­ver les peuples. Nous ne sommes pas pour une indé­pen­dance, nous vou­lons notre droit à l’autodétermination.

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Source de l’ar­ticle : L’Hu­ma