Toujours sous la pluie, la 13e édition du FSM s’est donc terminée. Une marche en solidarité avec la Palestine à laquelle je n’ai pas pu participer a clôt l’événement.
Du côté du bilan quantitatif, il semble que les objectifs soient remplis. Le choc du Bardo ne semble pas avoir affecté — ou peu — la participation. C’est une victoire en soi. Être présent après les évènements était à mon sens la principale chose à faire. Quant à l’événement lui-même, il est en réalité difficile d’annoncer des chiffres vérifiables en matière de participation mais celui de 70 000 circule et est largement repris. Plus de 5 000 organisations ( dont la moitié du Maghreb) étaient présentes. Je crois qu’il est impossible de rendre compte de la diversité et de la qualité des 1 200 activités qui ont été organisées pendant ces cinq journées (24 – 28 mars).
Ce FSM aura permis à de nombreuses coalitions d’organisations de préparer des événements déterminants comme la Conférence sur le climat (COP 21) qui se tiendra à Paris en décembre. Je crois que ce FSM fonctionne désormais à la fois comme une sorte de Fête de l’humanité internationale ouverte à toutes et tous et comme un point de ralliement ponctuel pour des coalitions stabilisées qui travaillent régulièrement ensemble — avec des ressources dédiées — depuis une quinzaine d’années pour avancer sur des agendas internationaux communs.
Il offre un espace et une culture d’organisations pour cela. Au fond, sa fonction est un peu celle d’une Foire de la société civile, une Foire au sens médiéval du terme : espace de liens, d’échanges et de transactions entre des mondes lointains et connectés en recherche de complémentarités et de construction de relations profitables durables. C’est donc un espace utile. Utile aussi parce qu’il est le seul disponible au niveau international. Ce point n’est pas secondaire dans la période.
Mais on sent bien que ce FSM évolue dans des conditions historiques qui ne ne sont plus celles de sa création. De ce point de vue, l’histoire a tranché. Il n’offre pas de clés pour résoudre une question plus globale posée à la nébuleuse d’organisations et de mouvements qui y participe : quelle est la stratégie et quels sont les acteurs pour transformer le système économique et politique international ?
A mon sens, notre mouvement ne doit pas être pris pour ce qu’il n’est pas. Sa diversité est sa nature, sa fragmentation son principe d’organisation. C’est un sujet liquide, pas solide. Il n’ est pas un acteur qui agit en fonction de decisions prises. Le FSM est ce moment où le ” tout diversifié” conflue avant de se re-diversifié au travers des flux. C’est là son point limite. Je crois qu’il ne peut rien offrir au-delà.
Pour celles et ceux que cela intéresse, voici un des documents issus de ce millésime. Il s’ agit de l’Appel des mouvements sociaux du FSM 2015 publié sur le site du CADTM.
“Unis, nous vaincrons le terrorisme” ? C’est le titre de la marche qui se tiendra demain 29 mars à Tunis. Après l’attentat du Bardo, une réplique régionale du 11 janvier de Paris se prépare donc. François Hollande, Matteo Renzi, le président polonais, de Palestine et d’autres seront donc là.
Quelques jours passés à Tunis confortent le sentiment de malaise devant ce type de ballet. Tout de même, quand on sait l’impact de l’intervention franco — anglo — américaine en Libye sur le renforcement djihadiste — je ne parle même pas de celui de l’expédition américaine en Irak de 2003 qui est le point d’origine de l’émergence de Al-qaida dans le pays, puis de Daesh- quand on regarde à quel point les pays qui financent et appuient ces mouvements (on pense notamment à l’Arabie Saoudite) sont protégés par les grandes puissances occidentales, quand on voit les conséquences de la politique de nos pays en Syrie, quand on voit comment les gouvernements islamistes post-2011 en Tunisie ou en Égypte ont continué les mêmes politiques neoliberales que leurs prédécesseurs — ces politiques qui disloquent les économies et les sociétés — , tout ceci laisse sans voix.
Peut-on nous préciser qui est “nous” ?
Pour comprendre l’évolution de la situation dans la région et le phénomène de l’Etat islamique, je recommande un excellent ouvrage qui se lit comme un roman, “Le retour des djihadistes”. Il est signé du journaliste britannique Patrick Cockburn, l’un des meilleurs spécialistes de la presse outre-manche du Moyen-Orient.
Je termine sur le FSM. Mémoire des luttes (www.medelu.org) a co — organisé un séminaire sur la situation de la gauche et des mouvements sociaux dans le monde après la crise de 2008. Nous y reviendrons. Je relève une remarque d’une intervenante italienne habituée des Forums depuis leur origine. Elle en est l’une des principales animatrices. Sa remarque est fort juste. “Quel est notre fonction à nous, mouvements sociaux ? C’est de produire de la participation sociale. Mais aujourd’hui, au FSM ou dans nos pays, le fait qu’il n’y ait pas de traduction politique de nos idées et de nos propositions abouti à une nouvelle situation : nous produisons de la frustration !”. Nous y reviendrons.
Christophe Ventura
Source de l’article : FB de Ch. Ventura
Déclaration de l’Assemblée des mouvements sociaux — Forum social mondial 2015
Tunis 27 mars
28 mars par Assemblée des mouvements sociaux
Les peuples unis ne seront jamais vaincus !
Nous, réuni-e‑s lors de l’Assemblée des mouvements sociaux du Forum social mondial 2015 à Tunis, avec notre diversité, pour construire un agenda commun de luttes contre le capitalisme, l’impérialisme, le patriarcat, le racisme et toutes les formes de discrimination et d’oppression.
Nous avons construit une histoire et un travail commun qui a permis des avancées, avec l’espoir de réaliser la victoire contre le système dominant et concrétiser plusieurs alternatives pour un développement socialement juste et respectueux de la nature.
Les peuples du monde entier subissent aujourd’hui l’aggravation d’une crise profonde du capitalisme dans laquelle les sociétés privées transnationales, les banques, les conglomérats médiatiques, les institutions financières internationales cherchent à accroître leurs profits au prix d’une politique interventionniste et néo-colonialiste, avec la complicité des gouvernements libéraux.
Guerres, occupations militaires, traités néo-libéraux de libre-échange (Transatlantique, transpacifique, ALECA, UE-MERCOSUR, APE, MERCOSUR-Israël et différents traités bilatéraux) et politiques d’austérité se voient traduits en paquets économiques qui privatisent les biens communs et les services publics, baissent les salaires, violent les droits, augmentent le chômage, la précarité et la surcharge des femmes dans le travail de soins et détruisent la nature.
Ces politiques néolibérales affectent lourdement à la fois les pays du Sud et les pays du Nord, augmentent les migrations, les déplacements forcés, les délogements, l’endettement et les inégalités sociales. Elles renforcent le conservatisme et le contrôle sur le corps et la vie des femmes. Elles nous imposent « l’économie verte » comme fausse solution à la crise environnementale et alimentaire, ce qui non seulement aggrave le problème, mais débouche sur la marchandisation, la privatisation et la financiarisation de la vie et de la nature.
Nous affirmons que les peuples ne sont pas responsables de cette crise et ne doivent pas en payer le prix, et qu’il n’y a pas d’issue possible au sein du système capitaliste. Ici, à Tunis, nous réaffirmons notre engagement pour la construction d’une stratégie commune de lutte contre le capitalisme. C’est pour ça que, nous, les mouvements sociaux luttons :
Contre les transnationales et le système financier (FMI, BM et OMC), principaux agents du système capitaliste, qui privatisent la vie, les services publics et les biens communs comme l’eau, l’air, la terre, les semences, les ressources minérales, promeuvent les guerres, violent les droits humains et pillent les ressources. Les transnationales reproduisent des pratiques extractivistes nuisibles à la vie, accaparent nos terres et développent des semences et aliments transgéniques qui privent les peuples de leur droit à l’alimentation et détruisent la biodiversité.
Nous luttons pour l’annulation de la dette illégitime et odieuse qui est aujourd’hui un instrument global de domination, de répression et d´asphyxie économique et financière des peuples. Nous refusons les accords de libre-échange que nous imposent les États et les transnationales et nous affirmons qu’il est possible de construire une mondialisation d’un autre type, par les peuples et pour les peuples, fondée sur la solidarité et sur la liberté de circulation pour tous les êtres humains.
Nous soutenons l’appel à la journée d’action internationale contre les traités de libre échange prévue le 18 avril 2015.
Pour la justice climatique et la souveraineté alimentaire parce que nous savons que le réchauffement global est le résultat du système capitaliste de production, distribution et consommation. Les transnationales, les institutions financières internationales et les gouvernements qui sont à leur service ne veulent pas réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Nous dénonçons « l’économie verte », et refusons les fausses solutions à la crise climatique comme les agrocarburants, les organismes génétiquement modifiés, la géo-ingénierie et les mécanismes de marché de carbone, comme le REDD (Réduction des Émissions liées à la Déforestation et à la Dégradation), qui font miroiter aux populations appauvries des progrès, tout en privatisant et transformant en marchandises les forêts et territoires où ces populations ont vécu pendant des millénaires.
Nous défendons la souveraineté alimentaire et l’agriculture paysanne qui sont les solutions réelles à la crise alimentaire et climatique, ce qui signifie aussi l’accès à la terre pour celles et ceux qui la travaillent.
Nous appelons à une grande mobilisation sur le climat au mois de décembre 2015 à Paris en marge de la COP21. Faisons de 2015 l’année des mobilisations des mouvements sociaux partout dans le monde pour la justice climatique.
Contre la violence envers les femmes qui est exercée régulièrement dans les territoires occupés militairement, mais aussi contre la violence dont souffrent les femmes quand elles sont criminalisées parce qu’elles participent activement aux luttes sociales. Nous luttons contre la violence domestique et sexuelle qui est exercée sur les femmes quand elles sont considérées comme des objets ou marchandises, quand leur souveraineté sur leur corps et leur spiritualité ne sont pas reconnues. Nous luttons contre la traite des femmes, des filles et garçons.
Nous défendons la diversité sexuelle, le droit à l’autodétermination du genre, et nous luttons contre l’homophobie et les violences sexistes.
Nous appelons à soutenir les actions de la 4e marche mondiale des femmes entre mars et octobre 2015.
Pour la paix et contre la guerre, le colonialisme, les occupations et la militarisation de nos territoires. Nous dénonçons le faux discours de défense des droits humains et des combats aux intégrismes, qui sont souvent utilisés pour justifier les interventions militaires. Nous défendons le droit à la souveraineté et à l’auto-détermination des peuples. Nous dénonçons l’installation des bases militaires étrangères pour fomenter des conflits, contrôler et piller les ressources naturelles et promouvoir des dictatures en divers endroits du monde.
Nous exigeons des réparations pour tous les peuples du monde victimes du colonialisme.
Pour la démocratisation des médias de masse et la construction de médias alternatifs, qui sont fondamentales pour faire renverser la logique capitaliste.
Pour la résistance et la solidarité : Nous luttons pour la liberté de nous organiser dans des syndicats, des mouvements sociaux, des associations et toutes autres formes de résistance pacifique.
Nous dénonçons l´intensification de la répression contre les peuples rebelles, les arrestations, emprisonnements et assassinats des activistes, des étudiants et des journalistes. Ainsi que la criminalisation de nos luttes.
Inspirés par l’histoire de nos luttes et par la force rénovatrice des peuples dans les rues, l’Assemblée des mouvements sociaux appelle toutes et tous à développer des actions de mobilisation coordonnées au niveau mondial dans une semaine globale de luttes contre le capitalisme du 17 au 25 octobre 2015.
Mouvements sociaux du monde entier, avançons vers une unité globale pour défaire le système capitaliste !
Renforçons notre solidarité avec les peuples du monde qui luttent au quotidien contre l’impérialisme, le colonialisme, l´exploitation, le patriarcat, le racisme et l’injustice, en Tunisie, en Palestine, au Kurdistan, en Syrie, en Irak, en Lybie, en Grèce, en Espagne, au Burkina Faso, au Mali, au Congo (RDC), en Centre Afrique, au Sahara occidental…
Vive la lutte de tous les peuples !
Les peuples unis ne seront jamais vaincus !