Par Adrien Levrat, François Ruffin
Le journal Fakir propose ici la traduction intégrale des propos de François Hollande tels que les rapporte le Guardian (lundi 13 février 2012). Au-delà de l’actualité politique, au-delà des polémiques sur « il n’y a pas de communistes en France », c’est en effet une pièce à conserver dans nos mémoires et dans nos archives.
François Hollande cherche à rassurer le Royaume-Uni et la City
François Hollande, le socialiste pressenti pour devenir le prochain président français, a déclaré vouloir courtiser l’Angleterre afin de la faire revenir au cœur de l’Europe et a cherché à rassurer la City de Londres en disant qu’elle ne devait pas avoir peur de son penchant pour plus de régulation dans le monde de la finance.
« Nous avons besoin que l’Angleterre se sente faire partie de l’Europe », a déclaré Hollande à des correspondants britanniques avant une visite importante à Londres la semaine prochaine. Mais il a ajouté que la France n’aurait jamais pu accepter la tentative de David Cameron de créer un « sanctuaire » protégé de la régulation financière pour la City de Londres dans le nouveau traité européen.
Hollande a repoussé les peurs de la droite à Londres selon lesquelles il serait dangereux pour la City. Il a déclaré qu’il n’était pas « agressif », ni vu en France comme étant très à gauche, et que son penchant pour la régulation financière n’était pas plus prononcé que celui de Barack Obama lors de son discours d’investiture au Congrès. « Vous pourriez dire qu’Obama et moi avons les mêmes conseillers ». Il a ajouté que ses vues en faveur d’une régulation plus importante du secteur financier était dans la ligne de l’ « opinion publique » en Europe et étaient similaires à celles de tous les autres présidentiables français, Nicolas Sarkozy inclus.
Hollande, un élu local jovial et consensuel, est vu comme celui qui remportera les élections présidentielles en mai. Quand, lors d’un récent meeting, il a nommé le « monde de la finance » comme étant son principal « adversaire », c’était un exemple rhétorique de l’importante campagne anti-banquiers menée par tous les candidats à l’élection présidentielle, ceux à sa droite inclus. Son programme augmente les taxes sur les très riches, qui ont largement échappé à la plus grande part de la charge fiscale française. Il est toutefois vu comme un modéré de centre-gauche, un social-démocrate dont les mains sont liées par la crise de la dette et le trou grandissant dans les finances de l’État. Son projet est plus modéré que tous ceux des candidats socialistes avant lui, et ne contient aucune des promesses traditionnelles de gauche d’augmenter le salaire minimum ou les salaires, mais envisage en revanche de freiner le déficit public. Sa mesure la plus concrète sur les banques – une loi pour séparer leur activité de prêt de leurs « opérations spéculatives » – est déjà envisagée au Royaume-Uni et aux États-Unis, et Sarkozy a coupé l’herbe sous le pied de Hollande en annonçant une taxe sur les transactions financières en France, dite Taxe Tobin, ou Taxe Robin des bois.
Mais les généreuses louanges de Hollande envers Tony Blair ont été révélatrices de sa propre orientation politique et de son style d’exercice du pouvoir en France. Pendant des années, Blair, le Parti travailliste et la troisième voie faisaient figure d’hérésie pour la plupart des socialistes français. Selon Hollande, Blair était si agréable « et intelligent qu’il n’avait pas besoin d’être arrogant ». Il a ajouté : « La première leçon à retenir de Blair, c’est sa longévité… Ensuite, il a été capable, après une longue période de thatchérisme, de restaurer l’éducation, la santé, et le secteur public… Ensuite il a succombé à la pensée dominante que les marchés pouvaient se réguler eux-mêmes et à la notion que les marchés et le libéralisme économiques en eux-mêmes pouvaient être un facteur de croissance… On en a vu les conséquences. »
Hollande a repoussé les soupçons faisant de lui un idéologue de gauche et a rejeté les comparaisons avec la peur qui avait accueilli l’élection de Mitterrand en 1981. « Les années 80, c’était une autre époque. Les gens disaient qu’il y aurait des chars soviétiques sur la place de la Concorde. Cette époque est finie, c’est l’histoire. C’est normal qu’il y ait eu des craintes à l’époque. La droite était au pouvoir depuis 23 ans, il y avait la Guerre froide, et Mitterrand a nominé des ministres communistes au gouvernement. Aujourd’hui, il n’y a plus de communistes en France. Ou pas beaucoup… La gauche a gouverné pendant 15 années, durant lesquelles nous avons libéralisé l’économie et ouvert les marchés à la finance et aux privatisations. Il n’y a pas de grandes inquiétudes. »
Il a renouvelé sa demande pour un changement du traité européen sur l’intégration économique, mais a semblé tempérer son appel à une renégociation complète, soulignant qu’il voulait ajouter une clause concernant la croissance économique, qu’elle soit incluse ou non dans le traité. Il a ajouté qu’il reviendrait au Parlement français de ratifier le traité après l’élection, et qu’il ne ferait pas de référendum.
Contrairement à Sarkozy, Hollande a déclaré parler anglais « comme un Français, avec un accent, mais je le parle ». Il a ajouté qu’il connaissait la Grande Bretagne et qu’il n’avait « aucun préjugé ».
1 – Une « Finance sans parti » ?
Au Bourget : « Mon adversaire n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. »
Au Guardian : « La gauche a gouverné pendant quinze années, durant lesquelles nous avons libéralisé l’économie et ouvert les marchés à la finance et aux privatisations. »
Après le discours du Bourget, on s’étonnait de ses lacunes. Car pour nous, cet « adversaire » en a, des « visages », et pas qu’un : c’est Marc Ladreit de Lacharrière, patron du fonds Fimalac – qui possède l’agence de notation Fitch Rating, qui a délocalisé loin du continent la production des outils Facom, qui conseille de faire de même avec les voitures Renault ; c’est Michel Pébereau, le PDG de BNP-Paribas, qui joue avec les dettes des états et jongle avec les paradis fiscaux ; c’est Jean-Charles Naouri, qui a arraché une plus-value du naufrage de Moulinex, etc.
Car, surtout, cet adversaire en a un, de « parti », ou plutôt deux : c’est la droite de gouvernement, le RPR, qui a privatisé les banques – notamment sous Chirac (1986). Mais c’est aussi son camp, le Parti socialiste, qui a libéralisé la Finance sous Bérégovoy (1984). Et ces stock-options qu’il se propose aujourd’hui de « supprimer », c’est son camarade Dominique Strauss-Kahn qui en a allégé la fiscalité (1997).
« Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies », poursuivait François Hollande, comme s’il s’agissait, quasiment, d’une catastrophe naturelle, d’une fatalité tombée d’un ciel peu clément – mais c’est peut-être, surtout, davantage, que des dirigeants politiques, par des lois, dans les ministères et les parlements, ont confié à cette finance « le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies ». Dans ses propos tenus au Guardian, François Hollande rétablit cette vérité historique : « La gauche a gouverné pendant quinze années, durant lesquelles nous avons libéralisé l’économie et ouvert les marchés à la finance et aux privatisations. Il n’y a pas de grandes inquiétudes. » C’est honnête. Seul hic : ces orientations – « ouverture des marchés à la finance » et « privatisations » – François Hollande les range dans la colonne positif du bilan de la gauche, plus qu’il ne se livre à une autocritique faite de regrets…
2 – Avec quelles armes ?
Au Bourget : « Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. »
Au Guardian : « La City de Londres ne doit pas avoir peur… » « Il n’y a pas de grandes inquiétudes… ». Lui ne se montrera pas « agressif ». Et pour rassurer les marchés, François Hollande affirme même que, dans sa lutte contre la finance, il n’en fait ni plus ni moins que « tous les autres présidentiables français, Nicolas Sarkozy inclus ».
Après le discours du Bourget, Le Nouvel Observateur – et autres médias roses bonbon – s’enflammaient pour ce « Cap à gauche ». Pas nous. Car même alors, alors qu’il dénonçait cet « adversaire » ô combien redoutable, la Finance, son « emprise [qui] est devenue un empire », à aucun instant, jamais, il ne nous dit de quelles armes il userait comme futur président : reviendrait-il sur « la libre circulation des capitaux, y compris avec les pays tiers » – cet instrument de chantage permanent pour les forces de l’argent ? Abolirait-il ces dogmes qui inspirent l’Europe libérale – « la concurrence libre et non faussée », « l’indépendance de la Banque centrale européenne », etc. ? Sur tout ça, rien. Nulle rupture annoncée avec les traités de Lisbonne ou de Maastricht, nulle refondation de l’Union sur un nouveau socle.
Dès lors, la manœuvre apparaissait dans sa simplicité. Et Sylvie-Pierre Brossolette (du Point) la dévoilait très lucidement sur le plateau de Mots Croisés le 23 janvier 2012 : « Je pense qu’un gouvernement de gauche se doit de donner à ses électeurs, aux électeurs français qui vont lui faire confiance, des symboles, du verbe, un peu presque de la mythologie en compensation de la future inévitable rigueur. Tout le monde le sait très bien. Mais sur le moment, je suppose que les gens de gauche qui écoutaient François Hollande étaient heureux. Ils ont entendu ce qu’ils ont envie d’entendre, qu’ils n’entendaient pas depuis un bout de temps, et ils se sont dit “ça y’est”. Ils ont enfin un leader qui nous dit, effectivement, que l’argent c’est pas bien, il faut pas être fasciné par l’argent, il faut aimer les gens, c’est mieux. Que là effectivement, le monde de la finance, c’est quelque chose d’un peu traumatisant, que il faut l’égalité dans ce pays… À mon avis, c’est le grain à moudre pour pouvoir mieux faire passer le reste, parce que après il faudra évidemment serrer les boulons. » À ses côtés, Manuel Valls, porte-parole de Hollande, approuvait du bonnet : « Oui oui ».
D’emblée, nous le savions – mais la rencontre avec The Guardian le confirme : face à la Finance, il n’y aura pas de bataille du tout. Même pas avec un pistolet à bouchon…
3 – Revenir sur « le Traité européen » ?
Au Bourget : « Je proposerai à nos partenaires un pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance. »
Au Guardian : « Il a renouvelé sa demande pour un changement du traité européen sur l’intégration économique, mais a semblé tempérer son appel à une renégociation complète, soulignant qu’il voulait ajouter une clause concernant la croissance économique, qu’elle soit incluse ou non dans le traité. Il a ajouté qu’il reviendrait au Parlement français de ratifier le traité après l’élection, et qu’il ne ferait pas de référendum. »
Déjà, avec Le Bourget et le « pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance », les Bourses devaient trembler. Mais voilà qu’il modère encore sa modération : une petite « clause » mentionnant la croissance, et il sera content…
Ça rappelle des souvenirs. Durant l’été 1997, en effet, Lionel Jospin vient d’entrer à Matignon. Le passage à l’euro, prévoit le programme du PS, ne sera accepté par la France que « sous conditions ». Mais à Amsterdam, les « partenaires » ne font qu’une concession de vocabulaire : « le pacte de stabilité » devient « pacte de stabilité et de croissance ». La gauche plurielle s’est rendue sans combattre – et François Hollande, alors Premier secrétaire de son parti, entérine. « À ce moment-là, m’expliquait l’économiste Jacques Généreux – alors au PS, aujourd’hui au Front de Gauche – la gauche gouverne l’Europe. Treize pays sur quinze ont des socio-démocrates à leur tête, ou sont présents dans des coalitions. À Paris, Lionel Jospin vient d’être élu. Il a fait campagne sur les conditions pour que la France signe un nouveau traité – notamment l’harmonisation sociale, fiscale, etc. Il va à Amsterdam. Il évoque ces conditions. Il se fait renvoyer dans ses buts par ses amis, par des gouvernements du même bord. Et là, malgré tout, il se couche : il accepte de signer. Il présente ça comme un progrès. Ce jour-là, c’est devenu lumineux, parfaitement incontestable : le libéralisme était ancrée dans leurs têtes. »
4 – Pour gagner quoi ?
Au Bourget : « J’ai parlé du Rêve français. Oui, le beau rêve, le rêve que tout au long des siècles, depuis la Révolution française, les citoyens ont caressé, ont porté. Ce rêve de vivre mieux, ce rêve de laisser un monde meilleur, ce rêve du progrès, ce rêve de pouvoir franchir à chaque fois les étapes de l’humanité. C’est ce rêve-là que j’ai voulu de nouveau ré-enchanter. »
Le Guardian conclut : « Son projet est plus modéré que tous ceux des candidats socialistes avant lui, et ne contient aucune des promesses traditionnelles de gauche d’augmenter le salaire minimum ou les salaires, mais envisage en revanche de freiner le déficit public. » Avec sobriété, voilà un excellent résumé de cette campagne « au centre toute ! ».
Il est désormais certain, et cet article en témoigne, que le candidat socialiste, s’il devenait président, ne prendrait pas la moindre mesure contre son « adversaire » la Finance (suppression des stock-options, taxe sur les mouvements de capitaux, etc.). N’apporterait aucune conquête, ni écologique ni sociale… Sauf si une pression populaire l’exigeait. À nous d’y travailler… en commençant par dévoiler ce véritable programme. C’est-à-dire, pour l’essentiel, sa vacuité.
Traduction assurée par Adrien Levrat
Source : journal Fakir