Guerre irrégulière des ONG contre l’Amérique Latine

La guerre irrégulière est une lutte violente entre acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux pour dominer et influencer la population civile du pays adverse

Par André MALTAIS, same­di 26 novembre 2011

En l’espace de deux semaines, deux gou­ver­ne­ments pro­gres­sistes d’Amérique latine ont été réélus avec des majo­ri­tés historiques.

Au Nica­ra­gua, le 6 novembre, le pré­sident et chef du Front san­di­niste de libé­ra­tion natio­nale, Daniel Orte­ga, obte­nait 63% des voix contre 31% pour son plus proche rival, Fabio Gadea, à la tête d’une coa­li­tion de libé­raux et de dis­si­dents sandinistes.

Deux semaines aupa­ra­vant, la pré­si­dente de l’Argentine, Cris­ti­na Fer­nan­dez, était réélue au pre­mier tour avec 54% des suf­frages deve­nant ain­si la can­di­date pré­si­den­tielle avec le plus d’appuis popu­laires depuis le retour à la démo­cra­tie au cours des années 1980. Son prin­ci­pal adver­saire, Hermes Bin­ner, a obte­nu 17% du vote.

La droite, écrit le jour­na­liste équa­to­rien, Alber­to Mal­do­na­do, conti­nue de perdre des consul­ta­tions popu­laires de tous les côtés, en Amé­rique latine, et l’un de ses prin­ci­paux moyens de désta­bi­li­sa­tion, la guerre média­tique, com­mence à perdre de son efficacité.

« Les peuples pensent dif­fé­rem­ment de ceux qui leur disent ce qu’ils doivent pen­ser », conti­nue Mal­do­na­do, sinon com­ment expli­quer ces vic­toires élec­to­rales suc­ces­sives des Cha­vez, Morales, Cor­rea, Huma­la, Orte­ga et Fernandez ?

Bien sûr, cela n’échappe pas au gou­ver­ne­ment états-unien dont la nou­velle doc­trine de guerre irré­gu­lière est déjà déployée dans toute la région.

Alors que la guerre tra­di­tion­nelle consiste à défaire les forces armées de l’adversaire, explique l’avocate états-unienne et véné­zué­lienne, Eva Golin­ger, « la guerre irré­gu­lière est une lutte vio­lente entre acteurs gou­ver­ne­men­taux et non-gou­ver­ne­men­taux pour domi­ner et influen­cer la popu­la­tion civile du pays adverse. »Image_2-93.png

L’aide inter­na­tio­nale et les nobles causes défen­dues par les ONG (éco­lo­gie, liber­té d’expression, auto­no­mie des peuples indi­gènes, fémi­nisme, droits humains, etc.) sont au cœur de la guerre irrégulière.

Par exemple, en juin der­nier, le pré­sident équa­to­rien, Rafael Cor­rea, dénon­çait le fait que des ONG étran­gères tra­vaillaient auprès des popu­la­tions indi­gènes à la fron­tière colom­bienne pour « faire de la poli­tique, géné­rer le chaos, impo­ser des points de vue étran­gers » et désta­bi­li­ser son gouvernement.

Le 5 juillet, son gou­ver­ne­ment passe à l’action et adopte le décret exé­cu­tif 812 exi­geant des ONG étran­gères qu’elles fassent connaître l’origine et l’usage des mil­lions de dol­lars qu’elles dépensent en Équa­teur en décla­rant leurs pro­gram­ma­tions annuelles et rap­ports finan­ciers, la per­ti­nence de leur action avec le plan natio­nal du « bien vivre », les ter­ri­toires où elles opèrent et les acteurs sociaux auprès de qui elles agissent.

Conser­va­tion inter­na­tio­nale (CI) a refu­sé de se confor­mer à la loi équa­to­rienne et a donc été chas­sée du pays. Fon­dée en 1987, l’ONG éco­lo­giste états-unienne opère dans une dizaine de pays d’Amérique latine là où se trouvent ce qu’elle appelle les « points chauds » de la bio­di­ver­si­té situés en Ama­zo­nie et dans la forêt maya d’Amérique centrale.

En plus de l’USAID, elle compte par­mi ses par­te­naires et bailleurs de fonds des trans­na­tio­nales comme Rio Tin­to, Ford, Mon­san­to, Intel, Coca Cola, Star­bucks, Wal­mart, Walt Dis­ney, Mac­Do­nalds et Chevron.

Com­ment com­prendre, se demande le jour­na­liste pour l’Agence lati­no-amé­ri­caine d’information, Eduar­do Tamayo, que CI tra­vaille réel­le­ment à la conser­va­tion de la nature en Équa­teur quand Che­vron la finance et par­ti­cipe à ses projets ?

Entre 1964 et 1990, la pétro­lière états-unienne a cau­sé l’un des désastres envi­ron­ne­men­taux les plus graves de l’Amazonie en déver­sant ses eaux rési­duelles dans les cours d’eau équa­to­riens, pro­vo­quant des mala­dies graves chez les popu­la­tions vivant autour de ses sites d’extraction.

Pour cela, Che­vron a été jugée en Équa­teur et condam­née à une amende record de 20 mil­liards de dol­lars. Elle rétorque main­te­nant en inten­tant des pour­suites contre l’État équa­to­rien et en convain­quant le gou­ver­ne­ment des États-Unis d’exclure l’Équateur des pré­fé­rences doua­nières de l’ATPDEA.

L’ONG équa­to­rienne, Accion Eco­lo­gi­ca, dénonce l’appropriation par des ONG étran­gères comme CI, sou­vent en échange d’une par­tie de la dette exté­rieure d’un pays, de vastes ter­ri­toires qui deviennent ensuite des « zones natu­relles pro­té­gées » sous­traites au contrôle des gouvernements.

Une fois la zone pro­té­gée offi­cia­li­sée, arrivent les scien­ti­fiques et autres cher­cheurs uni­ver­si­taires qui sont aus­si des bio-pros­pec­teurs tra­vaillant pour les spon­sors et par­te­naires de l’ONG propriétaire.

D’autres scien­ti­fiques res­semblent à s’y méprendre à des mili­taires. Au Chia­pas, CI est appa­rue quelques mois après le sou­lè­ve­ment zapa­tiste du 1er jan­vier 1994 et ses pre­mières acti­vi­tés ont été des vols de sur­veillance de cou­ver­ture végé­tale et une car­to­gra­phie très pré­cise de la Réserve de la bio­sphère Monte Azul (REBIMA), dans la Forêt lacan­done où avait été contraintes de se réfu­gier l’EZLN et ses bases d’appuis indigènes.

Depuis dix ans, CI presse le gou­ver­ne­ment mexi­cain de dépla­cer les com­mu­nau­tés indi­gènes zapa­tistes sous le pré­texte qu’il y a trop de monde dans la REBIMA. Dans d’autres pays, l’ONG prive les habi­tants des zones pro­té­gées de l’usage de la forêt sous pré­texte que les cultures et les incen­dies menacent cette dernière.

En chas­sant CI du pays, l’État équa­to­rien a repris la sou­ve­rai­ne­té sur la ges­tion de ses pro­grammes et poli­tiques envi­ron­ne­men­tales. Mais, quelques semaines plus tard, trois jour­na­listes indi­gènes et une ONG, la Fon­da­tion andine pour l’observation et l’étude des médias (FUNDAMEDIOS), ouvraient un nou­veau front contre le gou­ver­ne­ment en dénon­çant auprès de la Com­mis­sion inter­amé­ri­caine des droits de l’homme (CIDH) de l’OEA, une sup­po­sée répres­sion d’état contre les médias équatoriens.

Cela fait suite à l’affaire El Uni­ver­so où trois direc­teurs et un édi­to­ria­liste de ce quo­ti­dien ont été condam­nés à trois ans de pri­son cha­cun et à une amende de 40 mil­lions $ pour avoir gra­ve­ment calom­nié le pré­sident Correa.

Alexis Ponce, conseiller social au minis­tère de l’Eau équa­to­rien, nous dit que les trois jour­na­listes, Cris­thian Zuri­ta, Cesar Ricaurte et Wil­son Cabre­ra, ont été ame­nés à la CIDH par une autre ONG états-unienne, Due Pro­cess of Law Foun­da­tion (DPLF), dont l’objectif est la « moder­ni­sa­tion des sys­tèmes natio­naux de jus­tice de l’Amérique latine ».

Pour y par­ve­nir, DPLF, selon son site Web, offre à ses « par­te­naires », aux prises avec des « litiges stra­té­giques » dans les pays lati­no-amé­ri­cains, des for­ma­tions et conseils sur les « bonnes pra­tiques » en matière de légis­la­tion et de justice.

La « presse libre » et « l’indépendance du pou­voir judi­ciaire » font par­tie des litiges stra­té­giques visés, ajoute Ponce, et, en plus des ser­vices men­tion­nés, DPLF met en contact ses clients de la « socié­té civile » avec des acteurs clé comme des offi­ciels gou­ver­ne­men­taux, juges et hauts fonc­tion­naires de l’ONU et de l’OEA.

De cette manière, les par­te­naires de DPLF peuvent nouer des liens impor­tants et « rele­ver leur pro­fil public », opti­mi­sant ain­si leur « pou­voir d’influencer la concep­tion et l’exécution des poli­tiques publiques dans la région ».

C’est ain­si, conclut Ponce, que d’obscurs jour­na­listes locaux, diri­geants indi­gènes et membres d’ONG éco­lo­giques et des droits de l’homme équa­to­riens, forts de leur pro­fil public ren­for­cé, se retrouvent à para­der à l’antenne de CNN et à faire les man­chettes des médias états-uniens pour dis­cré­di­ter le gou­ver­ne­ment Correa !

C’est en pen­sant sans doute à ces tac­tiques que, le soir de son triomphe élec­to­ral, Cris­ti­na Fer­nan­dez lan­çait un vibrant appel à la mobi­li­sa­tion et à l’organisation du peuple argen­tin pour que, dit-elle, « per­sonne ne puisse défaire ce qu’on est par­ve­nu à faire ».

Source de l’ar­ticle : L’aut­jour­nal