Soixante jeunes refusent de servir dans l’armée israélienne

L’AURDIP (Asso­cia­tion des Uni­ver­si­taires pour le Res­pect du Droit Inter­na­tio­nal en Pales­tine) est une orga­ni­sa­tion fran­çaise d’universitaires créée en liai­son avec la Cam­pagne Pales­ti­nienne pour le Boy­cott Aca­dé­mique et Cultu­rel d’Israël PACBI et avec l’organisation bri­tan­nique BRICUP.

Pour signer la Décla­ra­tion de soli­da­ri­té inter­na­tio­nale : bit.ly/shministiyot-solidarity

 

EN LIEN :

Illus­tra­tion : Les objec­teurs de conscience Sha­har Per­etz (à gauche) et Daniel Pel­di (à droite) lors une mani­fes­ta­tion contre l’annexion, dans la ville de Rosh Ha’ayin en juin 2020. (Oren Ziv

Lettre aux lycéens et lycéennes 

Nous sommes un groupe d’Israéliens et d’Israéliennes de 18 ans, à la croi­sée des che­mins. L’état israé­lien demande notre conscrip­tion dans l’armée. Elle est cen­sée être une force de défense sup­po­sée sau­ve­gar­der l’existence de l’état d’Israël. En réa­li­té, l’objectif de l’armée israé­lienne n’est pas de se défendre des armées hos­tiles, mais d’exercer son contrôle sur une popu­la­tion civile. En d’autres termes, notre enga­ge­ment dans l’armée israé­lienne a un contexte poli­tique et des impli­ca­tions. Il a des impli­ca­tions, d’abord et avant tout, sur les vies des Pales­ti­niens qui ont vécu sous une vio­lente occu­pa­tion depuis 72 ans. De fait, la poli­tique sio­niste de vio­lence bru­tale envers les Pales­ti­niens et d’expulsion de leurs mai­sons et de leurs terres a com­men­cé en 1948 et n’a pas ces­sé depuis. L’occupation empoi­sonne aus­si la socié­té israé­lienne — elle est vio­lente, mili­ta­riste, oppres­sive et chau­vine. Il est de notre devoir de nous oppo­ser à cette réa­li­té des­truc­trice en uni­fiant nos luttes et en refu­sant de ser­vir ces sys­tèmes vio­lents — et tout d’abord le pre­mier d’entre eux, l’armée. Notre refus de nous enga­ger dans l’armée n’est pas l’acte de tour­ner notre dos à la socié­té israé­lienne. Au contraire, notre refus est un acte témoi­gnant de notre prise de res­pon­sa­bi­li­té sur nos actions et leurs répercussions.

L’armée ne fait pas que ser­vir l’occupation, elle est l’occupation.

Pilotes, uni­tés de ren­sei­gne­ments, employés admi­nis­tra­tifs, sol­dats au front, tous exé­cutent l’occupation. L’un la fait avec un cla­vier, l’autre avec une mitrailleuse à un check­point. Mal­gré tout cela, nous avons gran­di dans l’ombre de l’idéal sym­bo­lique du sol­dat héroïque. Nous avons pré­pa­ré des paniers de nour­ri­ture pour lui pen­dant les grandes vacances, nous avons visi­té le tank dans lequel il a com­bat­tu, nous avons pré­ten­du que nous étions lui dans les pro­grammes pré-mili­taires du lycée et nous avons hono­ré sa mort lors de la jour­née de com­mé­mo­ra­tion. Le fait que nous sommes tous accou­tu­més à cette réa­li­té ne la rend pas apo­li­tique. La conscrip­tion, tout comme le refus, est un acte politique.

Nous avons l’habitude d’entendre qu’il n’est légi­time de cri­ti­quer l’occupation que si nous avons pris une part active dans son appli­ca­tion. Com­ment ferait-il sens que pour pro­tes­ter contre la vio­lence et le racisme sys­té­miques nous devions d’abord faire par­tie du sys­tème d’oppression même que nous critiquons ?

Le che­min sur lequel nous nous enga­geons dès l’enfance, celui d’une édu­ca­tion ensei­gnant la vio­lence et la reven­di­ca­tion sur le pays, atteint son point culmi­nant à l’âge de 18 ans, avec l’engagement dans l’armée. Nous avons l’ordre d’endosser un uni­forme mili­taire tâché de sang et de pré­ser­ver l’héritage de la Nak­ba et de l’occupation. La socié­té israé­lienne a été construite sur ces racines pour­ries et cela est appa­rent dans toutes les facettes de la vie : dans le racisme, le hai­neux dis­cours poli­tique, la bru­ta­li­té poli­cière et bien d’autres choses.

Cette oppres­sion mili­taire va main dans la main avec l’oppression économique.

Alors que les citoyens des Ter­ri­toires pales­ti­niens occu­pés sont appau­vris, les élites for­tu­nées deviennent encore plus riches à leurs dépens. Les tra­vailleurs pales­ti­niens sont sys­té­ma­ti­que­ment exploi­tés et l’industrie des armes uti­lise les Ter­ri­toires pales­ti­niens occu­pés comme banc d’essai et comme vitrine pour sti­mu­ler ses ventes. Quand le gou­ver­ne­ment choi­sit de sou­te­nir l’occupation, il agit contre notre inté­rêt en tant que citoyens – de larges por­tions de l’argent de nos impôts finance l’industrie dite « de sécu­ri­té » et le déve­lop­pe­ment des colo­nies au lieu de notre bien-être, de notre édu­ca­tion et de notre santé.

L’armée est une ins­ti­tu­tion vio­lente, cor­rom­pue et cor­rup­trice jusqu’au coeur. Mais son pire crime est de ren­for­cer la poli­tique des­truc­trice de l’occupation de la Pales­tine. Des jeunes gens de notre âge sont obli­gés de prendre part au ren­for­ce­ment des clô­tures comme moyens de « puni­tion col­lec­tive », à l’arrestation et à l’emprisonnement de mineurs, au chan­tage pour recru­ter des « col­la­bo­ra­teurs » et plus encore – toutes ces choses sont des crimes de guerre qui sont exé­cu­tés et cou­verts chaque jour. La domi­na­tion mili­taire vio­lente dans les Ter­ri­toires pales­ti­niens occu­pés est impo­sée par des poli­tiques d’apartheid impli­quant deux sys­tèmes juri­diques dif­fé­rents : un pour les Pales­ti­niens et l’autre pour les juifs. Les Pales­ti­niens sont constam­ment confron­tés à des mesures non démo­cra­tiques et vio­lentes, alors que les colons juifs qui com­mettent des crimes vio­lents – d’abord et avant tout contre des Pales­ti­niens mais aus­si contre des sol­dats – sont « récom­pen­sés » par l’armée israé­lienne, qui ferme les yeux et couvre ces trans­gres­sions. L’armée a appli­qué un siège sur Gaza depuis plus de dix ans. Ce siège a créé une crise huma­ni­taire mas­sive dans la Bande de Gaza et est l’un des prin­ci­paux fac­teurs qui per­pé­tue le cycle de vio­lence d’Israël et du Hamas. A cause du siège, il n’y a ni eau potable ni élec­tri­ci­té à Gaza pen­dant la plus grande par­tie de la jour­née. Le chô­mage et la pau­vre­té sont géné­ra­li­sés et le sys­tème de san­té manque des moyens les plus basiques. Cette réa­li­té est le fon­de­ment au-des­sus duquel le désastre du COVID-19 n’a fait qu’empirer la situa­tion à Gaza.

Il est impor­tant de sou­li­gner que ces injus­tices ne sont pas des déra­pages ou des écarts isolés.

Ces injus­tices ne sont pas une erreur ou un symp­tôme, ils sont la poli­tique et la mala­die elles-mêmes. Les actions de l’armée israé­lienne en 2020 ne sont rien d’autre que la conti­nua­tion et le main­tien de l’héritage du mas­sacre, de l’expulsion des familles et des vols de terres, l’héritage qui a « ren­du pos­sible » l’établissement de l’état d’Israël, comme état démo­cra­tique légi­time, pour juifs seulement.

His­to­ri­que­ment, l’armée a été per­çue comme un outil qui ser­vait la poli­tique du « mel­ting pot », une ins­ti­tu­tion qui tra­ver­sait les divi­sions de classes sociales et de genre dans la socié­té israé­lienne. Mais cela ne pour­rait pas être plus loin de la véri­té. L’armée met en oeuvre un pro­gramme clair de « cana­li­sa­tion » ; les sol­dats issus de la classe moyenne supé­rieure sont diri­gés vers des posi­tions dotées de pers­pec­tives éco­no­miques et civiles, tan­dis que les sol­dats issus de milieux socioé­co­no­miques infé­rieurs sont diri­gés vers des posi­tions à haut risque men­tal et phy­sique et qui ne leur four­nissent pas le même trem­plin vers la socié­té civile. Simul­ta­né­ment, la repré­sen­ta­tion des femmes dans des posi­tions vio­lentes, comme pilotes, com­man­dantes de tanks, sol­dates et agentes de ren­sei­gne­ment, est com­mer­cia­li­sée comme une réa­li­sa­tion fémi­niste. Com­ment ferait-il sens que le com­bat contre l’inégalité de genre soit réa­li­sé par l’oppression des Pales­ti­niennes ? Ces « réa­li­sa­tions » éludent la soli­da­ri­té avec la lutte des Pales­ti­niennes. L’armée cimente ces rela­tions de pou­voir et l’oppression des com­mu­nau­tés mar­gi­na­li­sées en co-optant cyni­que­ment leurs luttes.

Nous appe­lons les lycéens et lycéennes de notre âge à se deman­der : que ser­vons-nous et qui ser­vons-nous quand nous nous enga­geons dans l’armée ? Pour­quoi nous enga­geons-nous ? Quelle réa­li­té créons-nous en ser­vant dans cette armée d’occupation ? Nous vou­lons la paix et la paix réelle exige la jus­tice. La jus­tice exige la recon­nais­sance des injus­tices pas­sées et pré­sentes et de la Nak­ba, qui se pour­suit. La jus­tice exige une réforme : la fin de l’occupation, la fin du siège de Gaza et la recon­nais­sance du droit au retour des réfu­giés pales­ti­niens. La jus­tice demande la soli­da­ri­té, la lutte com­mune et le refus.

Décla­ra­tion de soli­da­ri­té internationale 

Je sou­tiens les lycéens et lycéennes d’Israël qui refusent de ser­vir dans l’armée israélienne.

En tant que per­sonnes de conscience du monde entier, nous par­ta­geons leur enga­ge­ment pour la soli­da­ri­té, leur sou­ci pro­fond de tous et toutes, et la recon­nais­sance que les sys­tèmes d’oppression ont été créés par des per­sonnes et peuvent être déman­te­lés par d’autres. En refu­sant de par­ti­ci­per à l’occupation menée par le gou­ver­ne­ment israé­lien et en reje­tant le mili­ta­risme et le colo­nia­lisme, ces lycéennes et lycéennes montrent leur soli­da­ri­té avec le peuple pales­ti­nien vivant sous occu­pa­tion ain­si qu’avec les réfu­giés pales­ti­niens et leurs des­cen­dants en exil. Il est de notre res­pon­sa­bi­li­té comme com­mu­nau­té inter­na­tio­nale de sou­te­nir ceux et celles qui voient de l’injustice dans leurs propres socié­tés et choi­sissent à sa place la solidarité.

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