La Belgique laissera-t-elle mourir Ali Aarrass dans sa prison marocaine ?

Le désintérêt total manifesté envers le sort d’Ali Aarrass est emblématique d’une certaine xénophobie d’Etat.

Exclu­sif : Une lettre adres­sée par Didier Reyn­ders à son homo­logue maro­cain contre­dit les affir­ma­tions du ministre MR selon qui les Affaires étran­gères belges feraient tout leur pos­sible pour venir en aide à notre compatriote.

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« Sym­bole vivant d’une injus­tice », voi­là bien le genre d’étiquette dont tout un cha­cun se pas­se­rait volon­tiers. Sur­tout quand cette injus­tice met direc­te­ment en cause l’Etat dans lequel vous êtes incar­cé­ré. C’est le cas d’Ali Aar­rass, Bel­go-Maro­cain de 53 ans condam­né à douze ans de pri­son ferme au Maroc, sur base de ses seuls aveux obte­nus sous la tor­ture (lire le « rap­pel des faits » ci-des­sous). Une injus­tice à ce point emblé­ma­tique que l’ONG Amnes­ty Inter­na­tio­nal en a fait le récent visage de sa cam­pagne contre la tor­ture. En Bel­gique, le comi­té de sou­tien à Ali Aar­rass, emme­né par sa sœur Fari­da, réclame sa libé­ra­tion et l’intervention des Affaires étran­gères belges en sa faveur, deux reven­di­ca­tions éga­le­ment sou­te­nues par le MRAX et la Ligue des Droits de l’Homme.

Or, offi­ciel­le­ment bien sûr, le Maroc ne pra­tique pas la tor­ture. L’« affaire Ali Aar­rass » et sa média­ti­sa­tion mettent donc sérieu­se­ment à mal les dis­cours ché­ri­fiens pour gagner en res­pec­ta­bi­li­té. Sans doute la rai­son pour laquelle notre com­pa­triote ne cesse de subir bri­mades, coups et humi­lia­tions diverses depuis son incar­cé­ra­tion à la pri­son de Salé (Rabat). Pour preuve, la vidéo tour­née clan­des­ti­ne­ment dans la cel­lule d’Ali et révé­lée en début du mois, dans laquelle on le voit amai­gri, titu­bant, le visage et le corps tumé­fiés et zébrés d’ecchymoses. Seule arme à sa dis­po­si­tion pour récla­mer la fin de ces mau­vais trai­te­ments : la grève de la faim. Ali Aar­rass en est aujourd’hui à son 56e jour.

Mau­vaise foi ministérielle

Que font les Affaires étran­gères belges en faveur de notre conci­toyen ? Inter­pel­lé par Pas­cal Vre­bos sur le pla­teau de RTL dimanche 11 octobre, le ministre Didier Reyn­ders décla­rait ceci : « J’interviens régu­liè­re­ment, non seule­ment j’en parle à mon col­lègue maro­cain – je lui ai encore écrit pour lui deman­der l’accès pour les avo­cats et pour la famille, mais aus­si pour des trai­te­ments qui soient tota­le­ment humains en pri­son. Je pense, comme dans beau­coup d’autres cas, que c’est à tra­vers ce type d’intervention qu’on arrive à faire pro­gres­ser les choses. Et j’en repar­le­rai encore avec mon col­lègue maro­cain. »

Tant de bonne volon­té semble pour­tant dif­fi­ci­le­ment col­ler avec la réa­li­té. Car cela fait des années qu’Ali Aar­rass réclame, en vain, l’assistance consu­laire de la Bel­gique. En déses­poir de cause, il intente, en 2014, un pro­cès contre l’Etat belge, qu’il gagne tant en pre­mière ins­tance qu’en appel. Tou­jours aus­si réti­centes à s’acquitter de leurs obli­ga­tions, les Affaires étran­gères décident de se pour­voir en cas­sa­tion, en juin der­nier. D’ici au pro­cès, l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles les contraint à accor­der des visites heb­do­ma­daires à Ali, via le consu­lat au Maroc. Pour cela, il faut, bien sûr, la per­mis­sion des auto­ri­tés maro­caines. Or, la lettre que Didier Reyn­ders a adres­sée à son homo­logue maro­cain et dont il a fait réfé­rence dans l’émission de Pas­cal Vre­bos (lire le PDF) est révé­la­trice de son absence de volon­té à inter­ve­nir dans cette affaire. Le seul argu­ment avan­cé par Reyn­ders pour obte­nir un droit de visite est l’obligation à cet effet for­mu­lée par la jus­tice belge. Et notre ministre MR de bien pré­ci­ser ensuite qu’un pour­voi en cas­sa­tion contre cette déci­sion a déjà été intro­duit. Inutile d’ajouter que cette si peu convain­cante mis­sive est res­tée lettre morte et qu’Ali n’a tou­jours pas reçu la moindre visite consulaire.

Les Bel­go-Maro­cains, des citoyens de seconde zone ?

Com­ment expli­quer les réti­cences de la Bel­gique à venir en aide à un de ses citoyens, alors que la pro­tec­tion consu­laire fait pour­tant par­tie des obli­ga­tions de tout Etat de droit ? Reçue au minis­tère des Affaires étran­gères mer­cre­di der­nier, la famille d’Ali Aar­rass s’est enten­due répondre que la Bel­gique ne s’impliquerait pas davan­tage dans cette affaire. Avec, en fili­grane, l’idée qu’il ne faut sur­tout pas mettre à mal nos excel­lentes rela­tions avec le Maroc. Un mes­sage déplo­rable envoyé à tous les Bel­go-Maro­cains (soit l’immense majo­ri­té des Belges d’origine maro­caine, puisqu’ils acquièrent auto­ma­ti­que­ment la natio­na­li­té maro­caine par filia­tion), comme l’ont rele­vé tant le pré­sident du MRAX que celui de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), le 5 octobre der­nier. Ain­si, pour Car­los Cres­po (MRAX), « la Bel­gique donne des leçons de civi­li­sa­tion à la tri­bune des Nations unies, mais est inca­pable de pro­té­ger ses citoyens natio­naux. Le dés­in­té­rêt total mani­fes­té envers le sort d’Ali Aar­rass est emblé­ma­tique d’une cer­taine xéno­pho­bie d’Etat. » Quant à Alexis Des­waef (LDH), il estime que « celui qui pos­sède la double natio­na­li­té – même s’il ne l’a pas sou­hai­tée, comme c’est le cas d’Ali Aar­rass – sera tou­jours un citoyen de seconde zone, ce qui est inac­cep­table.»

Coïn­ci­dence : le même jour, la Bel­gique annon­çait sa volon­té de faire appel aux ser­vices de police maro­cains pour inter­ve­nir dans les quar­tiers à forte popu­la­tion immi­grée. Comme si les jeunes d’origine maro­caine étaient à ce point dif­fé­rents qu’il faille recou­rir aux ser­vices d’un Etat dans lequel ils ne sont pas nés pour s’en occu­per. Pour­tant, le pre­mier pas dans la bonne direc­tion serait, au contraire, de leur mon­trer qu’ils sont des citoyens à part entière, béné­fi­ciant des mêmes droits et devoirs que n’importe quel Belge « de souche ». Avec l’« affaire Ali Aar­rass », on en est loin.

Rap­pel des faits

Citoyen modèle, ayant effec­tué son ser­vice mili­taire en Bel­gique, avant d’ouvrir une pape­te­rie à Bruxelles, et qui n’a jamais connu le moindre démê­lé avec la jus­tice belge, rien ne pré­des­ti­nait Ali Aar­rass au triste sort qui est le sien aujourd’hui. Sa vie bas­cule pour­tant en 2006, lorsque la jus­tice espa­gnole le soup­çonne de tra­fic d’armes. Le célèbre juge anti­ter­ro­riste Bal­tha­zar Gar­zon conduit l’enquête pen­dant deux ans et demi, pour fina­le­ment conclure à un non-lieu. Hélas, au mépris de toutes les règles de droit, cela n’empêche pas l’Espagne d’extrader Ali, fin 2010, vers le Maroc qui le réclame. En 2011, il y est condam­né à quinze ans de pri­son ferme pour « ter­ro­risme » (réduits à douze en appel), sur base de ses seuls aveux obte­nus sous la tor­ture, comme l’attestera le rap­por­teur spé­cial de l’ONU contre la tor­ture, Juan Men­dez. Depuis 2012, Ali Aar­rass attend tou­jours que le Maroc réponde à sa demande de pour­voi en cassation.

Can­dice Van­hecke, 19 octobre 2015

Source : blog de Can­dice Vanhecke