La colonisation a commencé ici

Pour que le capitalisme conquérant puisse triompher partout, il aura fallu que la spoliation fasse ses armes ici, contre les cultures populaires d’Europe de l’Ouest...

Dans Por­trait du colo­nia­liste (La Décou­verte, 2011), Jéré­mie Pio­lat démontre que les non-Occi­den­taux ne sont pas les seules vic­times de la vio­lence et des des­truc­tions du colo­nia­lisme. Bien au contraire : pour que le capi­ta­lisme conqué­rant puisse triom­pher par­tout, il aura fal­lu que la spo­lia­tion fasse ses armes ici, contre les cultures popu­laires d’Europe de l’Ouest. Et les consé­quences de ce ravage se font encore dou­lou­reu­se­ment sen­tir, ici et aujourd’hui. Entre­tien avec l’auteur.

CQFD : Dans ton livre, tu dis que la dépos­ses­sion subie par les peuples colo­ni­sés s’est appuyée sur une dépos­ses­sion préa­lable des peuples occi­den­taux. Qu’en est-il ?

Jéré­mie Pio­lat : Je pose en fait cette ques­tion : n’est-ce pas le colo­nia­lisme qui est la matrice ? Il faut qu’ait été fon­dée la colo­ni­sa­tion sous sa forme moderne pour qu’aie pu se déve­lop­per le capi­ta­lisme. Le XVIe siècle, avec la sup­pres­sion des terres pay­sannes com­munes et la chasse aux sor­cières a, selon moi, fon­dé l’acte colo­nial moderne.

Il peut se résu­mer en cinq étapes : 1) spo­lia­tion des terres com­mu­nales ; 2) sou­mis­sion de la terre aux demandes du mar­ché ; 3) des­truc­tion du lien des peuples euro­péens avec la terre ; 4) des­truc­tion des cultures popu­laires, thé­ra­peu­tiques, artis­tiques, qui per­mettent de main­te­nir le lien entre les membres des com­mu­nau­tés et le lien avec le monde vivant ; 5) ins­tau­ra­tion de la haine de soi, de sa culture, de son mode de vie.

Sans cette série de ravages, le déve­lop­pe­ment capi­ta­liste n’aurait pas été conce­vable. Il fal­lait apprendre aux peuples à mépri­ser tout ce que le capi­ta­lisme a besoin de rava­ger pour se déve­lop­per. La colo­ni­sa­tion, sous sa forme moderne, a été fon­dée ici avant de s’exporter avec les vio­lences et les hor­reurs que l’on sait.

La des­truc­tion des sols et des êtres qui étaient for­cés à les tra­vailler, aux Caraïbes, par exemple, n’aurait pu se pro­duire sans le prin­cipe selon lequel la terre, le vivant, végé­tal, ani­mal ou humain, doivent être sou­mis aux demandes du mar­ché. Le mar­ché demande du sucre ? Soit. Les Békés uti­li­se­ront les terres cari­béennes pour pro­duire exclu­si­ve­ment de la canne à sucre et impor­te­ront pour cela autant d’esclaves qu’il le faut.

Pour mettre à dis­po­si­tion le vivant, il faut d’abord le mettre à dis­tance. Cette mise à dis­tance a com­men­cé ici. Et ses consé­quences sur nos vies actuelles sont ter­ribles et ter­ri­ble­ment igno­rées, impensées.

C’est l’idéologie colo­nia­liste qui fait que l’exploité euro­péen se sent plus proche de son exploi­teur que de l’exploité colo­ni­sé ou immigré ?

L’écrivain Albert Mem­mi, le poète Aimé Césaire et l’essayiste Frantz Fanon nous ont appris que le crime colo­nial amène l’opprimé à tenir le dis­cours de l’oppresseur. Ce pro­ces­sus a été iden­ti­fié au même moment où les peuples colo­ni­sés ont enclen­ché les luttes de libé­ra­tion. Quelque chose chez les colo­ni­sés d’outre-mer s’était donc main­te­nu debout mal­gré l’horreur coloniale.

Le même pro­ces­sus ne s’est pas vu en Europe de l’Ouest. Le pro­ces­sus colo­nial moderne semble avoir mieux abou­ti ici. Il a détruit presque tota­le­ment les cultures dont les peuples sont les auteurs et non les spec­ta­teurs. Les cultures des peuples non occi­den­taux colo­ni­sés ont été éga­le­ment meur­tries, mais pas inté­gra­le­ment détruites. Car une fois détruites, est-il pos­sible encore de se dif­fé­ren­cier du colo­ni­sa­teur, du sys­tème et de ceux qui en tirent pro­fit ? Je pense que non. Cela explique que l’exploité euro­péen finisse par se sen­tir plus proche de son exploi­teur que de l’exploité colo­ni­sé ou immi­gré. Il n’est rien d’autre, en tant que peuple, que ce que lui per­mettent d’être ses exploi­teurs. Et chaque fois qu’il com­mence à recon­qué­rir quelque chose, par exemple la soli­da­ri­té ouvrière, l’éducation mutua­li­sée, cela est vite reca­dré par les pou­voirs en place.

Dans les anciennes colo­nies, le mépris des élites locales pour la culture « arrié­rée » de leurs peuples se cache der­rière un dis­cours natio­na­liste et un ver­nis cultu­rel de bon aloi. On retrouve la même déma­go­gie dans une ville comme Mar­seille où le maire, qui pra­tique volon­tiers la pagno­lade, s’entête à effa­cer les cultures popu­laires locales.

J’étais récem­ment invi­té à inter­ve­nir dans une confé­rence sur le cin­quan­tième anni­ver­saire de l’indépendance algé­rienne. À mes côtés se trou­vait un brillant éco­no­miste algé­rien vivant en France et mili­tant pour les droits de l’homme en Algé­rie. Avant que ne com­mence la confé­rence, en dis­cu­tant dans le cou­loir, il a eu un mot que j’ai trou­vé étrange.

Quelqu’un lui demande : « L’Algérie est tom­bée bien bas, non ? » L’économiste répond : « Non. Nous étions déjà en bas et nous le sommes res­tés. » Inter­pel­lé par ces paroles, je lui demande : « L’Algérie était basse au début de l’indépendance ? » Et il me répond : « Oui, il y avait 90 % d’analphabètes. » Je lui pose une nou­velle ques­tion : « Et quand on ne sait pas lire et écrire, on ne pense pas ? » « L’alphabétisation est quand même la base, non ? », répond-il.

Pour moi il y a là la base d’un rai­son­ne­ment et d’un mépris tout colo­nial. Et je dis cela sans irres­pect pour cet intel­lec­tuel, let­tré, pro­fes­seur d’université, qui fit par la suite un expo­sé aus­si rigou­reux qu’alarmant de la situa­tion éco­no­mique, sociale, poli­tique, de l’Algérie actuelle. Ce qu’il y a de colo­nial dans ce rai­son­ne­ment réside en cela : le fait de croire qu’hors alpha­bé­ti­sa­tion, il n’y a pas de pen­sée, d’idées à par­tir des­quelles conce­voir l’avenir d’un ter­ri­toire, d’un pays. À mes yeux, l’alphabétisation – tout comme l’informatisation ou tout autre apport tech­no­lo­gique occi­den­tal – sans prise en compte, écoute, connais­sance de la puis­sance des savoirs issus de la culture pay­sanne, entre autres orale, fonc­tionne for­cé­ment comme un rou­leau com­pres­seur voué à sa stricte fonc­tion d’écrasement.

Ce qui est drôle et très révé­la­teur, c’est que cet éco­no­miste oppo­sant n’a par ailleurs, lors de son expo­sé, ces­sé de dénon­cer le fait que l’Algérie vive presque exclu­si­ve­ment de la rente pétro­lière (c’est-à-dire qu’elle soit dépen­dante du point de vue ali­men­taire). Et il a éga­le­ment, à juste titre encore, fait un bilan catas­tro­phique de la poli­tique algé­rienne des années 1970 dite de « l’industrie indus­tria­li­sante [1] ». Or cette poli­tique, qui fut un échec, fonc­tionne sur la même base que l’idéologie selon laquelle il ne peut y avoir de pen­sée, de réser­voir à idées dans le monde rural (majo­ri­taire au moment de l’indépendance) et ses cultures. Il faut donc le raser. Cela est une des rai­sons de la dépen­dance actuelle de l’Algérie en matière d’alimentation.

Quelle est l’alternative à l’industrie indus­tria­li­sante ? L’agriculture dite « verte » non indus­trielle. Or, elle était là, au moins par­tiel­le­ment, même après la colo­ni­sa­tion. Une vraie déco­lo­ni­sa­tion aurait consis­té à recons­truire à par­tir des res­sources cultu­relles du pays en accord avec le besoin évident de tout pays : l’auto-suffisance ali­men­taire, donc la pré­ser­va­tion de l’environnement qui nour­rit, et de ceux pos­sé­dant le savoir pour assu­rer cette pré­ser­va­tion en culti­vant la terre. Or, ceux et celles qui étaient alors capables de don­ner des idées rela­tives à cette agri­cul­ture verte étaient les pay­sans, du moins dans les régions qui n’avaient pas été tota­le­ment rava­gées par la colonisation.

Je ne dis pas que l’Algérie aurait dû faire juste ce choix. Mais au moins, par­tiel­le­ment, par­tir de cet élé­ment pay­san, rural, propre à son ter­ri­toire. Quelque chose a foi­ré, dû, selon moi, à un héri­tage colo­nial des élites mino­ri­taires qui ont cadré la révo­lu­tion algérienne.

En Métro­pole, il existe aus­si un mépris tout colo­nial pour les cultures locales. Mar­seille évoque un mélange entre les cultures ouvrières et les cultures immi­grées récentes et pas­sées. Il y a là une mosaïque d’influences en mou­ve­ment per­ma­nent. Et ce qu’on appelle spon­ta­né­ment les « cultures de quar­tier ou de rue » ne sont pas sans lien avec cette culture pay­sanne dont j’ai par­lé, puisqu’elles en sont issues en termes de rythmes tra­di­tion­nels, d’aptitude à la méta­phore, à la rime, à la danse, au chant, mais éga­le­ment de modes d’organisation et de com­pli­ci­té sociale.

L’effacement des cultures locales, à la fois enra­ci­nées et ouvertes, par les élites locales est un phé­no­mène assez géné­ra­li­sé. Je suis ori­gi­naire du Sud-Est, de la val­lée de la Roya, et on y retrouve le même mépris quant aux déci­sions pour les quar­tiers, pour les pay­sages, pour le patri­moine éco­lo­gique, tout cela caché der­rière un « sudisme » de façade : la pétanque, les expres­sions de lan­gage cen­sées typer celui qui les emploie, le pas­tis, etc. Je n’ai rien contre, mais dans ce cadre, recon­nais­sons que la pétanque et le reste sont aux pou­voirs médi­ter­ra­néens euro­péens ce que les apé­ros sau­cis­son-pinard sont à d’autres.

Le mépris pour les cultures dites de quar­tier est lié à la culture colo­niale. Il y a eu un trans­fert théo­rique et pra­tique du colo­nia­lisme d’outre-mer sur les immi­grés : contrôles de police au faciès, contrôle des quar­tiers, mar­ché aux tra­vailleurs. Les immi­grés ont été trai­tés comme des pos­ses­sions d’outre-mer. Et leurs enfants sont trai­tés comme des fel­la­ghas. Le dis­cours actuel sur les quar­tiers est qua­si­ment le même que celui tenu sur les quar­tiers algé­riens au début de la guerre d’Algérie.

Les pou­voirs occi­den­taux sont por­teurs d’une mis­sion : la domi­na­tion et l’exploitation de la nature et de tout ce qui n’est pas capable de lui résis­ter tech­no­lo­gi­que­ment. La Chine l’a com­pris. En ce sens, tout ce qui pour­rait ralen­tir le mag­ma capi­ta­liste, toute culture popu­laire qui tend plus à déve­lop­per le « vivre avec » que le vivre « aux dépens de » devient un ennemi.

À la péri­phé­rie de l’Europe, cer­taines cultures popu­laires résistent…

L’Andalousie et le Mez­zo­gior­no ita­lien sont des régions limi­trophes, au bord de l’Europe occi­den­ta­li­sée. Elles sont encore très riches cultu­rel­le­ment. Même à l’intérieur du ter­ri­toire appe­lé « France », il existe des poches de résis­tances : la Bre­tagne, le Pays basque, et la Corse qui est un cas à part. Ces trois « pays » ont encore leurs cultures propres, vivantes, dont une par­tie de la popu­la­tion est l’actrice et l’auteure. Ce sont trois régions qui n’ont ces­sé d’être en résis­tance. Au final, elles ont tou­jours une langue. Les chants poly­pho­niques corses sont encore vivants. Ils sont un signe pour le sud de la France de ce qui a pu être per­du en termes de richesse artis­tique popu­laire, quand on entend la com­plexi­té de cet art tra­di­tion­nel. Et c’est pour cette rai­son qu’ont pu se déve­lop­per et durer des mou­ve­ments de résis­tance y com­pris armés. Je ne fais pas ici l’apologie de la lutte armée, mais il faut médi­ter le fait que là où il y a culture popu­laire vivante, il y a du lien, une com­mu­nau­té qui pro­tège ses membres. Et de ce fait, naissent des modes de résis­tance aux choix natio­naux qui peuvent obli­ger les pou­voirs à la négo­cia­tion. La viva­ci­té des cultures anda­louse ou ita­liennes tient à mes yeux au refus réus­si, par­tiel­le­ment, de la domi­na­tion coloniale.

Tu opposes le concept de culture popu­laire, trans­mise hori­zon­ta­le­ment, à celui de culture aca­dé­mique. D’où vient ce hiatus ?

Ce que j’appelle la culture popu­laire est la culture trans­mise et trans­for­mée par les peuples, les gens eux-mêmes, dans la rue, en famille et non par des ins­ti­tu­tions. Le mot culture a été pha­go­cy­té, soit par la notion de culture que l’on consomme, soit par la notion de culture que l’on étu­die. Quant à ce qu’on nomme « culture aca­dé­mique », il y a tout et son contraire dans ce qui est recon­nu par les États comme digne de por­ter ce nom. J’ai pu en tout cas consta­ter que lorsque des jeunes ou des adultes n’ont pas été dépos­sé­dés de leur culture tra­di­tion­nelle vivante, lorsqu’ils n’ont pas été for­cés à en avoir honte, ils s’intéressent éga­le­ment, sans oublier leur sens cri­tique, à ce que j’appelle la culture « aca­dé­mi­sée ». C’est le cas par exemple d’une assez grande majo­ri­té de la jeu­nesse séné­ga­laise. En revanche, ici, le mépris colo­nial est encore si écra­sant qu’il est dur de ne pas être dans le rejet qua­si abso­lu de toute culture (et du reste) venant de l’État.

Dans les dif­fé­rentes mani­fes­ta­tions cultu­relles tra­di­tion­nelles, dans une danse, dans la manière de régler cer­tains pro­blèmes en com­mu­nau­té, de savoir répondre aux besoins d’un nou­veau-né, il y a éga­le­ment du savoir, quelque chose qui gagne à être connu, com­pris, pen­sé. Et ces savoirs, cette intel­lec­tua­li­té, sont niés en Europe de l’Ouest. Le pro­blème se situe là, et éga­le­ment dans la manière dont est trans­mise la culture aca­dé­mique. Le mépris colo­nial n’est pas étran­ger à ce mode de transmission.

Les peuples euro­péens de l’Ouest ont accep­té le déni­gre­ment des cultures tra­di­tion­nelles, du corps et du monde vivant en échange de l’abominable ego occi­den­tal. Cet ego cade­nasse jusqu’à la mémoire des pertes et des ravages. Nous avons accep­té le ravage ici et chez les autres, et nous l’avons déi­fié en « progrès ».

La langue fran­çaise ne fait pas bon ménage avec l’oralité et les langues dites minoritaires…

Ce n’est pas que la langue fran­çaise ne fait pas bon ménage avec les langues mino­ri­taires, c’est qu’elle a fait le ménage ! Elle est ce « ménage ». La langue fran­çaise telle que nous la par­lons est une langue exces­si­ve­ment cadrée et « cadrante », peu musi­cale, peu ryth­mique – tous les temps forts tombent sur la fin des mots à la manière d’un rou­le­ment de tam­bour mili­taire. Nous en sommes là. À nous de rani­mer cette langue. Cela se fait déjà par le rap, les accents et ce que j’appelle le « créole immi­gré », le lan­gage inven­té par les immi­grés lorsqu’ils apprennent le fran­çais – lan­gage qui est un cou­sin des nom­breux argots, jar­gons, langues des rues, des voyous, des marginaux…

Cer­tains ont cru que mon livre par­tait en guerre contre la langue fran­çaise. Il n’en est rien. Je dirais même que depuis que, notam­ment à tra­vers mon tra­vail avec les migrants, nous inter­ro­geons les limites de la langue fran­çaise, ma rela­tion à cette langue change. Elle rede­vient un peu atten­dris­sante, ouverte, invi­tante. Je pense que le fran­çais est la consé­quence d’une colo­ni­sa­tion lin­guis­tique mul­tiple qui a réus­si ici. La manière dont les ima­gi­naires migrants pour­raient « enchan­ter » la langue fran­çaise, ce serait peut-être de nous per­mettre de retrou­ver les langues bles­sées en elle. Alors la langue fran­çaise ne serait plus seule­ment la langue du colo­ni­sa­teur. L’expression « enchan­ter » fait allu­sion à la refor­mu­la­tion par cer­tains Séné­ga­lais de l’expression « mettre enceinte ». Cela devient « encein­ter » puis, avec l’accent, « enchan­ter ». C’est ce que peut appor­ter la langue fran­çaise quand les migrants se l’approprient : du réenchantement.

Tu dis que les Occi­den­taux doivent se réap­pro­prier leur corps et leur spiritualité…

Ne pas savoir faire corps avec un rythme, par exemple, n’est pas ano­din. Cela vient d’une his­toire et a des consé­quences sur de nom­breux aspects de nos vies : la nais­sance, la proxi­mi­té avec nos parents et nos enfants, et plus lar­ge­ment avec notre ou nos com­mu­nau­tés ; notre rela­tion à la nature, à sa force et à ses astreintes, à l’art de nous soi­gner ; notre capa­ci­té d’autonomie par rap­port au mar­ché et aux gou­ver­nants, dans nos pra­tiques ; notre capa­ci­té à pen­ser et résister.

L’idéologie colo­niale est tou­jours là. C’est le fruit d’une his­toire au fil de laquelle nous avons été décul­tu­rés, pri­vés de nos cultures de rue, de vil­lage. Quand nos corps ne sont plus édu­qués à dan­ser, à accueillir, à faire sens, nous ne sommes plus que dis­po­nibles à véhi­cu­ler l’idéologie des pou­voirs dans nos com­por­te­ments, nos pas­si­vi­tés. Nous sommes en fait malades du colo­nia­lisme nous aus­si, et donc dis­po­nibles à l’exploitation. Il fau­dra se battre pour gué­rir, retrou­ver nos mémoires et nos corps. Et cela ne se fera pas sans, entre autres, un contact pro­lon­gé avec ceux et celles qui pos­sèdent encore une part de cela : les popu­la­tions immi­grées. Elles peuvent nous aider à nous retrouver.

James Bald­win, dans La Pro­chaine fois, le feu, disait que la solu­tion pour les Afro-Amé­ri­cains n’était ni dans l’intégration, ni dans le repli com­mu­nau­taire. Il affir­mait que la solu­tion rési­dait dans la capa­ci­té des Afro-Amé­ri­cains à inté­grer les dits « Blancs » à leur monde. Parce que, selon lui, ce n’est pas les esclaves et leurs des­cen­dants qui sont malades. Les malades sont les escla­va­gistes et les colons.

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paru dans CQFD n°100 (mai 2012), rubrique Le dos­sier, par Nico­las Arraitz, illus­tré par Rémi 

Notes

[1] Poli­tique volon­ta­riste menée après les indé­pen­dances, visant à accom­plir à marche for­cée la révo­lu­tion indus­trielle qu’avait connue l’Europe depuis deux siècles. Impo­sée par l’État au détri­ment de l’agriculture et autres savoir-faire autoch­tones, elle pro­dui­sit des aber­ra­tions en com­plet déca­lage avec les besoins de la population.

Source : http://www.cqfd-journal.org/La-colonisation-a-commence-ici