9 octobre par Victor Nzuzi
Article venant de http://www.cadtm.org/La-Republique-democratique-du,5965
La dette de la RD Congo vient d’être allégée, passant de 13,704 à 2,931 milliards de dollars, suite à l’atteinte par la RD Congo du point d’achèvement de l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) le 1er juillet 2010. Selon le gouvernement congolais, il s’agit du plus important allègement de dette pour un pays du Sud dans le cadre de l’initiative PPTE. Mais en contrepartie, le gouvernement a dû se soumettre aux diktats des institutions financières internationales |1|. De plus, l’allègement consenti par les créanciers porte sur une dette odieuse : une dette contractée par un dictateur, le maréchal Mobutu, n’ayant pas profité à la population et ce, avec la complicité des créanciers occidentaux.
Pourquoi le gouvernement n’a‑t-il pas mis en avant le caractère odieux de cette dette et ne l’a‑t-il pas répudiée ? La réponse peut se résumer ainsi : par peur de se sentir isolé dans un monde injuste où ceux qui détiennent les finances ont instauré, avec la dette, une autre forme de colonisation. Au lieu de se libérer de ce néocolonialisme, la RDC a choisi, comme les autres pays classés « PPTE », de se soumettre aux injonctions de la Banque mondiale, du FMI et du Club de Paris |2|, dans le cadre de cette initiative portant le terme humiliant de « Pays pauvres très endettés ».
Au niveau des mouvements sociaux, nous crions haut et fort que la RD Congo n’est ni pauvre ni très endettée ! C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en 2007 nous avions adressé au président de la RD Congo une pétition exigeant l’audit de la dette afin de connaître la vérité sur cette dette qu’on nous impose, d’établir les responsabilités, de sanctionner les coupables, et d’obtenir réparation pour les dommages causés au peuple congolais. De cette correspondance, seul le Sénat, mis en copie de cette lettre, en avait accusé réception.
Notre démarche d’audit reste d’actualité, surtout qu’au moment du point d’achèvement, les autorités congolaises ont parlé explicitement de « dette odieuse ». En effet, le porte-parole du gouvernement a déclaré « cette dette odieuse vient d’être allégée ». Plus grave, les autorités parlent d’« une grande victoire pour le peuple congolais qui a enduré des sacrifices des années durant ».
Avant d’expliquer ces sacrifices, il faut revenir sur l’origine de la dette congolaise. Dès l’indépendance en 1960, la Belgique et la Banque mondiale ont organisé le transfert illicite de la dette contractée par l’ancienne métropole coloniale à l’égard de la Banque mondiale sur le dos du Congo. Or, le Traité de Versailles interdit un tel transfert de dette coloniale. En deuxième lieu vient la dette contractée par le dictateur Mobutu, soutenu financièrement par le camp occidental. Ce dernier s’est endetté pour construire des « éléphants blancs », au bénéfice des multinationales occidentales : les barrages hydroélectriques d’Inga 1 et 2, avec une ligne de transport du courant sur 2000 kilomètres, allant d’Inga vers la région minière du Katanga, en direction de la Zambie. Cette ligne construite pour l’alimentation des entreprises en électricité ne profite pas au peuple congolais. De nombreux villages sont dans le noir de même que certaines villes comme Kananga dans la province du Kasaï. Pour Inga 2 qui dispose de huit turbines, la Belgique a vendu quatre turbines qui n’ont jamais tourné…
Autre exemple, la Sidérurgie de Malaku, construite par les Italiens, recycle la ferraille en provenance d’Europe au lieu d’utiliser le fer du Congo. La France a, quant à elle, installé du matériel de communication et de radio avec l’entreprise Thomson, matériel qui n’a jamais fonctionné. La France a également construit une tour de 22 étages comme centre de commerce international mais cette tour est inhabitée jusqu’à aujourd’hui, faute de climatisation. L’Allemagne a construit, toujours au frais du peuple congolais, une cimenterie à Kimpese dans le Bas-Congo, qui n’a jamais tourné à plus de 30% de ses capacités. Il y a bien d’autres exemples : dans la coopération militaire notamment, où des avions de guerre comme les Mirages et autre matériel de guerre ont été vendus au dictateur Mobutu dans un contexte de guerre froide, armes qui ont également servi à réprimer le peuple congolais.
Comble de l’injustice : c’est pour ce type de dettes que le peuple congolais a enduré et continue d’endurer les sacrifices auxquels font allusion les autorités congolaises aujourd’hui. Voilà pourquoi nous refusons le paiement de ces dettes !
Quels sont ces sacrifices au juste ? Voici quelques exemples. L’éducation est à charge des parents au point qu’aujourd’hui plus de 30% des enfants ne vont pas à l’école. Après l’accouchement, les femmes et leurs bébés sont pris en otage dans des hôpitaux car elles n’ont pas de quoi payer. Alors que la RD Congo est la deuxième réserve d’eau douce du monde, seul 17% de la population a accès à l’eau potable et les enfants meurent toujours de maladies hydriques. Seul 1% de la population a accès à l’électricité dans un pays où trône le barrage d’Inga. Plus de 17% de la population souffrent de sous-alimentation. Le salaire de l’enseignant et du fonctionnaire est de 40 dollars par mois, de quoi manger seulement pendant 10 jours. Dans ces conditions, comment vivre dignement et parler sérieusement des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ?
Chaque jour, notre Constitution est violée. A titre d’exemples, le gouvernement n’a pas pu assurer aux provinces les frais de fonctionnement liés à la décentralisation tel qu’indiqué dans la Constitution. Les provinces sont donc restées sans moyens et les élections locales n’ont pas encore été organisées. Le gouvernement, qui avait pris un accord pour la construction d’infrastructures avec les Chinois, fut obligé de revoir son accord sous la pression du FMI |3|. La souveraineté de la RD Congo est donc confisquée comme notre droit au développement. Nos droits sociaux continuent d’être bafoués alors que le point d’achèvement est censé libérer des ressources financières et que les grèves se succèdent : enseignants, fonctionnaires, médecins, magistrats, etc. Les autorités demandent encore aux travailleurs d’attendre le paiement de leurs arriérés de salaire…
La lutte contre la dette doit donc continuer et doit aller de pair avec le combat contre les fonds vautours, ces entreprises privées qui rachètent à très bas prix, sur le marché secondaire de la dette, des dettes de pays en développement, à leur insu, pour ensuite les contraindre par voie judiciaire à les rembourser au prix fort, c’est-à-dire le montant initial des dettes, augmenté d’intérêts, de pénalités et de divers frais de justice. Ainsi le fonds vautour FG Hemisphere a obtenu des tribunaux le droit de confisquer pendant les 15 prochaines années les recettes de vente du courant électrique à l’Afrique du Sud pour une valeur de 105 millions de dollars. Mais il y a aussi toutes les pressions sur les ressources du pays liées aux contrats léonins signés entre les autorités congolaises et les multinationales, comme la canadienne First Quantum. Ce pillage des ressources du Congo est facilité par les lois que le parlement congolais vote pour satisfaire les créanciers : loi sur la TVA, loi sur la passation des marchés publics, loi sur le climat des affaires pour s’aligner sur les règles de OMC, etc. Enfin, que dire de la mission de l’ONU en RD Congo ? Chaque année, cette mission onusienne coûte 1 milliard de dollars pour un résultat négatif sur le terrain. Les femmes continuent d’être violées à quelques dizaines de kilomètres de ces casques bleus qui sont parfois eux-mêmes impliqués dans ces crimes.
Arrêtons de payer la dette et stoppons l’ingérence étrangère en RD Congo !
Notes
|1| Pour être éligible à l’initiative PPTE, un pays doit avoir suivi pendant au moins trois ans un programme d’ajustement structurel. La RDC s’est donc résolue à ouvrir économiquement son pays, ce qui facilite évidemment l’accès des sociétés transnationales à ses ressources naturelles (cuivre, coltan, uranium, or, agriculture…) et humaines. Comme l’a répété à maintes reprises le CADTM, cette initiative ne vise pas à libérer les pays en question du fardeau de la dette mais à rendre celle-ci « soutenable ». Pour Damien Millet, « la différence est de taille : on va annuler juste ce qu’il faut pour [les] faire payer au maximum de leurs possibilités. (…) L’initiative PPTE est avant tout destinée à garantir la pérennité des remboursements et à dissimuler le renforcement de l’ajustement structurel sous une apparence de générosité » (Extrait de Damien Millet, L’initiative PPTE : entre illusions et arnaques, décembre 2003 http://www.cadtm.org/L‑initiative-PPTE-entre-illusion).
|2| Institution informelle qui s’est réunie pour la première fois en 1956, composée aujourd’hui de 19 pays : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Irlande, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Russie, Suède et Suisse. Ce Club a pour but de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale des pays du Sud et de trouver une issue la plus favorable possible aux pays créanciers.
|3| Sur la révision du contrat chinois, lire Renaud Vivien, Yvonne Ngoyi, Victor Nzuzi, Dani Ndombele, José Mukadi, Luc Mukendi, « L’ingérence sournoise du FMI et de la Banque mondiale en République démocratique du Congo », 7 octobre 2009, http://www.cadtm.org/L‑ingerence-sournoise-du-FMI-et-de