Le traitement médiatique de la guerre en Syrie

Les grands médias sont en train de nous vendre chacun à leur façon (directe ou indirecte) une Syrie post-Assad, démocratique, débarrassée de la violence et du totalitarisme.

bhl.pngPeut-on exi­ger une vraie infor­ma­tion sans être par­ti­san de a Syrie de Bachar Al-Assad ?

Il suf­fit aujourd’hui sim­ple­ment de s’interroger sur un sujet ou les médias ‑dans leur majo­ri­té- ont un par­ti pris pour tom­ber dans le viseur des cer­veaux bien-pen­sants. Le cas de la guerre actuelle en Syrie en est un exemple par­mi tant d’autres.

Toute per­sonne, jour­na­liste, écri­vain, homme/femme poli­tique, ou simple citoyen qui ose s’interroger sur le bien-fon­dé de ladite rébel­lion syrienne ne peut être qu’un com­plo­tiste nour­ri aux sites anti­sé­mites et aux thèses nauséabondes.

“Com­ment pou­vez-vous sou­te­nir le tyran Bachar Al-Assad ?! Vous savez ce qu’il se passe là-bas ?!

Vous n’y êtes pas allé ! Vous avez vu les images ?! C’est un bain de sang ! Ils ont bien rai­son de se révolter !!

Le sujet est sou­vent pris sous l’angle émo­tion­nel, sur le Net et en par­ti­cu­lier les réseaux sociaux, on dif­fuse en masse des pho­tos de cadavres, de per­sonnes muti­lées, d’enfants carbonisés.

On le sait bien, cette méthode dis­pense sou­vent d’avoir à expli­quer les évè­ne­ments en pro­fon­deur et dans leur complexité.

Car c’est bien de cela dont il s’agit, d’une situa­tion bien plus com­plexe que ne le laissent pen­ser les dif­fu­seurs d’images mor­bides et les jour­na­listes de grands médias par­lant de bom­bar­de­ment mas­sifs, de morts civils et de répression.

Com­ment le spec­ta­teur du JT peut t‑il se faire une opi­nion du conflit et en com­prendre les élé­ments consti­tu­tifs dans ce cas.

Cela relève de l’impossible.

La ligne sui­vie par les grands médias est en revanche elle, dénuée de com­plexi­té : il s’agit d’une guerre civile oppo­sant un dic­ta­teur et son armée meur­trière à un peuple révol­té menée par d’héroïques com­bat­tants. Flo­rence Aube­nas dans un article du Monde datant du 30 juillet parle même d’un “rebelle” de l’armée syrienne libre comme d’un “un grand type aux yeux verts, beau comme un sol­dat de cinéma.”

Il est très facile de mani­pu­ler l’opinion ain­si, d’autant que concrè­te­ment, la Syrie de Bachar Al-Assad n’est pas un para­dis de démo­cra­tie, et qu’il existe au sein du régime et de ses affi­liés une cor­rup­tion importante.

Ensuite il s’agit de mettre toutes les “révo­lu­tions arabes” dans le même panier.

Tuni­sie, Egypte, Yémen, Libye, Syrie, tout ça c’est la même chose : il s’agit de régimes dic­ta­to­riaux contre les­quels les peuples de ces pays se sont révoltés.

Dans nos médias de masse, peu importent les par­ti­cu­la­ri­tés de chaque pays et de chaque conflit, ce sont tous des pays “arabes”, donc tous dic­ta­to­riaux, les gens y crèvent tous la dalle et ne peuvent pas s’exprimer, donc la révolte est légi­time. La révo­lu­tion est légitime.

Il est inté­res­sant de voir comme les jour­na­listes appré­cient les révo­lu­tions loin de leur pays, plus par­ti­cu­liè­re­ment lorsqu’il s’agit de révoltes contre des régimes dia­bo­li­sés, mais rejette ce mot aus­si­tôt qu’il s’agit de contes­ter l’ordre libé­ral, dès lors la “révo­lu­tion” est impla­ca­ble­ment asso­ciée au chaos, à la gauche radi­cale, au com­mu­nisme, au goulag..

Les médias de masse mettent davan­tage l’accent sur les ripostes de l’armée syrienne que sur les attaques des “rebelles”.

Car quel que soit la posi­tion que l’on prend, tout le monde est d’accord pour recon­naître que l’ASL entre­prend des attaques et com­met des atten­tats sur le sol syrien. Ain­si les jour­na­listes ne peuvent faire autre­ment que de recon­naître que l’armée syrienne mène des contre-offen­sives. Elle mène des contre-attaques comme le ferait n’importe quelle armée natio­nale face à une gué­rilla armée.

Après, il est pos­sible évi­dem­ment de débattre de l’ampleur de ces contre-attaques.

Il y a une autre chose frap­pante dans la cou­ver­ture média­tique sur le conflit syrien : la plu­part des chiffres sur les “mas­sacres” com­mis par l’armée syrienne sont don­nés par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

Il est éton­nant de voir que des médias cen­sés être neutres, uti­lisent des chiffres d’une ONG clai­re­ment enga­gée en faveur des insur­gés syriens.

Mais une ques­tion vitale devrait se poser : qui est l’armée syrienne libre ? et qui sont les membres du conseil natio­nal syrien ?

Qui sont ceux qui com­battent et que l’ont pré­sente si sou­vent comme des com­bat­tants de la liber­té mas­sa­crés par le régime syrien.

Il ne s’agit pas ici de prendre posi­tion contre Bachar Al-Assad ou contre le CNS, mais de se poser les ques­tions essen­tielles à la com­pré­hen­sion du conflit. Et pour cela il faut connaitre les belligérants.

En quoi mon­trer une image roma­nesque des com­bat­tants anti-régime va t‑il aider à cela ?

Si l’ASL fut for­mée par des mili­taires syriens déser­teurs, elle ne se limite pas à cela.

En pre­mier lieu, sou­le­vons un point essen­tiel : la place des com­bat­tants étran­gers au sein de l’opposition syrienne.

Par­mi eux : nous trou­vons Mah­di Al-Hara­ti, l’un des lea­ders de la rébel­lion libyenne qui a ren­ver­sé et tué le colo­nel Kadhafi.

AL-Harati.pngAL-Hara­ti fut le numé­ro deux du gou­ver­ne­ment mili­taire de Tri­po­li der­rière l’ancien dji­ha­diste Abdel­ha­kim Belhadj.

Il dirige aujourd’hui le groupe isla­miste extré­miste Liwa al-Umma qui com­bat aux côtés de l’ASL et qui est très pré­sent dans l’actuelle bataille d’Alep (la deuxième ville du pays).

Il y a quelques jours, le jour­na­liste hol­lan­dais à peine libé­ré Jeroen Oer­le­mans affir­mait qu’il n’avait vu aucun syrien dans le camp dji­ha­diste où il se trouvait.

L’ASL et ses alliés ont pu comp­ter sur l’arrivée d’un cer­tain nombre de com­bat­tants sala­fistes venues de Libye mais aus­si de tout le monde Arabe et d’Europe.

Elle a une base en Tur­quie, et reçoit le sou­tien de ce pays ain­si que du Qatar, de l’Arabie Saou­dite, des Etats-Unis et de la plu­part des pays européens.

Mais l’opposition syrienne si elle est unie dans le com­bat, ne forme pas une force homogène.

Il existe en son sein des isla­mistes radi­caux, des libé­raux, etc.

Les grands médias sont en train de nous vendre cha­cun à leur façon (directe ou indi­recte) une Syrie post-Assad, démo­cra­tique, débar­ras­sée de la vio­lence et du tota­li­ta­risme. Nul besoin d’être un spé­cia­liste de poli­tique inter­na­tio­nale pour com­prendre qu’il s’agit d’une énorme tarte à la crème déjà servie.

Quand nous nous rap­pe­lons de ce qu’ils disaient sur la Libye post-Kadha­fi, et quand nous consta­tons ce qu’est deve­nu ce pays depuis sa chute, nous pou­vons légi­ti­me­ment nous inter­ro­ger sur la nature de l’information qui nous est dif­fu­sée sur le conflit syrien.

Il y a peu l’ex ministre des affaires étran­gères fran­çais Ber­nard-Hen­ri Levy affir­mait sur le pla­teau d’Eric Naul­leau et Eric Zem­mour que l’objectif en Libye n’était pas d’établir la démo­cra­tie et la laï­ci­té mais d’en finir avec l’ère Kadhafi.

Ce même BHL affir­mait à la une de Libé­ra­tion : “Quoi qu’il arrive la Libye nou­velle sera meilleure”.

En cas de ren­ver­se­ment de Bachar Al-Assad, ce sont ces mêmes jour­na­listes qui se cho­que­ront des mas­sacres de Chré­tiens syriens (12% de la popu­la­tion) et de la mino­ri­té alaouite par cer­tains rebelles. Comme ils ont été pris pour cible en Irak après la vic­toire amé­ri­caine. Dans le vil­lage de Hama le Père Basi­lios Nas­sar fut assas­si­né pour avoir ten­té d’aider un homme agres­sé en pleine rue. A Homs plus de 200 Chré­tiens furent tués par des rebelles.

Mais le plus écœu­rant dans tout cela c’est cer­tai­ne­ment le deux poids deux mesures opé­ré par les grands médias, car ceux-ci ont étran­ge­ment été peu bavards lors de la répres­sion des mani­fes­tants dans le Royaume de Bah­reïn par les troupes saou­diennes avec la béné­dic­tion des Etats-Unis, grands alliés des deux monarchies.

La bataille pour l’information n’existe donc pas que dans les dic­ta­tures visibles au JT. Elle n’est pas près de s’arrêter, et les forces en pré­sence dans chaque camp res­tent très inégales. C’est peut être sur ce ter­rain que les jour­na­listes devraient com­men­cer à être par­ties prenantes.

Fré­dé­ric André

Source : Le Grand Soir