L’art de la guerre
par Manlio Dinucci, Le 2 novembre 2011, ilmanifesto.it
L’Opération Protecteur Unifié terminée, tandis que l’OTAN « continue à surveiller la situation, prête à aider si nécessaire », la course vers l’or s’est ouverte en Libye même pour les entreprises occidentales mineures. Celles-ci se placent à côté des puissantes compagnies pétrolières et banques d’investissement étasuniennes et européennes, qui ont déjà occupé les positions clé. La Farnesina (ministère des affaires étrangères italien, NdT) s’est engagée à « faciliter la participation des petites et moyennes entreprises italiennes à la construction de la Libye libérée ». Mais auparavant déjà, était arrivée à Tripoli une délégation de 80 entreprises françaises, et le ministre de la défense anglais Philip Hammond avait sollicité les entreprises britanniques à « faire leurs valises » pour courir en Libye.
De grosses affaires sont en vue, après que l’OTAN a démoli l’Etat libyen. Et puis il y a ce coffre-fort ouvert sur lequel mettre la main : au moins 170 milliards de dollars de fonds souverains « congelés », a quoi s’ajoutent les entrées de l’export pétrolier, qui peuvent atteindre les 30 milliards annuels. Mais il y a un problème : le climat de tension qui rend dangereux les déplacements des entrepreneurs dans le pays.
La première denrée précieuse à vendre en Libye est donc la « sécurité ». Dont s’occupe entre autres la compagnie militaire britannique Sne Special Projects Ltd : elle est dirigée par un ex parachutiste qui a travaillé comme contractor (mercenaire) en Israël, Irak, Afghanistan, Pakistan, Soudan et Nigeria, assisté par des ex officiers du renseignement militaire, des forces spéciales et des forces anti-émeutes et anti-terrorisme. La compagnie, qui précise qu’elle est présente à Benghazi, Misrata et Tripoli depuis mai 2011, a ouvert, dans une luxueuse villa de la capitale à 15 minutes de l’aéroport, une résidence pour VIP surveillée par des mercenaires britanniques et libyens super armés, à laquelle s’adjoint un centre d’affaires, toujours dans la capitale. Le tarif du « taxi » qui les transporte depuis l’aéroport est un peu cher, 800 dollars au lieu des 5 habituels. Mais le véhicule est un blindé lourd, relié par satellite à un centre opérationnel à Tripoli et à un autre en Grande-Bretagne, tous deux reliés en outre au système de surveillance OTAN.
En partenariat avec la société Trango Limited, compagnie spécialisée dans l’assistance à des entreprises dans des zones à haut risque, la Special Projects fournit, en particulier aux petites et moyennes entreprises du secteur énergétique, une gamme complète de services : informations de tout type (assorties de photos et vidéos), libre transit de personnes et matériels sous escorte aux frontières avec l’Egypte et la Tunisie, contacts interpersonnels au CNT pour conclure d’avantageuses affaires. Des services analogues sont fournis par les compagnies étasuniennes Scn Resources Group et Security Contracting Network, ainsi que diverses autres récemment installées en Libye.
En bénéficient non seulement les entreprises occidentales, en piste pour s’accaparer les contrats les plus juteux avant que n’arrivent de nouveau les Chinois, mais aussi le Département d’Etat étasunien et autres ministères occidentaux, pour leurs opérations en Libye aussi bien directes que par le biais d’organisations « non profit » payées par eux.
Le vide laissé par l’effondrement de l’Etat libyen, sous les coups de l’OTAN, se trouve ainsi comblé par un réseau souterrain d’intérêts et de pouvoirs. Et, en cas de réactions populaires dangereuses, il y a toujours le blindé de Special Projects qui permet de rejoindre rapidement l’aéroport.
Edition de mercredi 2 novembre 2011 de il manifesto
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio