Lexique médiatique de la guerre de Libye

par Julien Salingue avec Henri Maler (ACRIMED)

Lexique média­tique de la guerre de Libye

Publié le 28 mars 2011 par Julien Salingue

Source : http://www.acrimed.org/article3561.html


Les mots de la guerre au ser­vice de la guerre ?


Toutes les infor­ma­tions ne relèvent pas de la pro­pa­gande ou ne se réduisent pas à de la pro­pa­gande. Et la pro­pa­gande ne consiste pas seule­ment (ni par­fois prin­ci­pa­le­ment) en men­songes gros­siers et déli­bé­rés ou en par­tis pris outran­ciers, cibles faciles pour la contre-propagande.

Dans les conflits les plus aigus, qu’ils soient sociaux ou mili­taires, les médias et les jour­na­listes et, le cas échéant, leurs cri­tiques, ne sont jamais de simples obser­va­teurs. Ce sont des acteurs. Mais ce n’est pas rêver à une impro­bable « neu­tra­li­té » ou à une très aléa­toire « objec­ti­vi­té », que de sou­li­gner que les par­tis pris les plus insi­dieux se dis­si­mulent der­rière le voca­bu­laire appa­rem­ment le plus anodin.

Que l’on soit ou non favo­rable à l’intervention mili­taire en cours en Libye, on est en droit d’attendre des médias et des jour­na­listes, quelles que soient leurs prises de posi­tion, que la condam­na­tion du régime libyen ne se trans­forme pas en pro­pa­gande de guerre qui se bor­ne­rait à redif­fu­ser, sans les véri­fier, les infor­ma­tions four­nies par les états-majors, ou, plus sim­ple­ment, à épou­ser le voca­bu­laire diplo­ma­tique, poli­tique ou mili­taire de l’un des camps en présence.

« Guerre »  — Se dit, dans le cas pré­sent, le moins sou­vent pos­sible, non seule­ment dans les décla­ra­tions des res­pon­sables poli­tiques et mili­taires, mais sous la plume et dans la bouche de nombre de com­men­ta­teurs. Comme dans nombre de guerres modernes, l’opération mili­taire actuel­le­ment menée en Libye porte un nom, peu repris il est vrai : « Aube de l’Odyssée ». Pour­tant – qui peut le nier ? – cette guerre est une guerre.

« Riposte » — Se dit des opé­ra­tions mili­taires de « nos » armées, quand on veut en sou­li­gner le carac­tère pré­ten­du­ment défensif.

Les états-majors et les chefs de gou­ver­ne­ment n’ont pas osé pré­tendre que l’opération mili­taire en Libye pou­vait être consi­dé­rée comme une « riposte ». Qu’à cela ne tienne. Cer­tains jour­na­listes ont fran­chi le pas. Mais ne soyons pas mal­hon­nêtes, ils ne sont pas majo­ri­taires dans la pro­fes­sion. Pour l’instant. Mais, comme le montrent les deux cap­tures d’écran qui suivent, on ne parle pas ici de médias tota­le­ment marginaux :

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Ou encore, sur le site de L’Express : « Pen­dant que le débat diplo­ma­tique se pro­longe, cer­tains évoquent un risque réel de voir les forces de Kadha­fi gagner la par­tie sur le ter­rain avant que les grandes puis­sances conviennent d’une riposte au conflit » (15 mars).

Une « riposte » ? Les « grandes puis­sances » ou « l’Occident » auraient-ils été agres­sés par Kadha­fi ? Se bor­ne­raient-ils à « répondre » à une attaque, à « ripos­ter » ? À moins d’être de mau­vaise foi, la réponse est évi­dem­ment non. Alors, a‑t-on affaire ici à de simples excès de lan­gage ou à de mau­vaises habi­tudes prises à force de trai­ter des guerres pré­sen­tées comme « pré­ven­tives », c’est-à-dire au cours des­quelles l’attaque est une « riposte » par anti­ci­pa­tion ? À voir. Mais dans un cas comme dans l’autre, les lec­teurs et les audi­teurs ne sortent pas gagnants de l’emploi tota­le­ment dépla­cé d’un terme aus­si dépour­vu d’ambiguïté…

« Les alliés » — Se dit, sans autre pré­ci­sion, des États enga­gés dans la guerre qui ne dit pas ou fort peu son nom. Ceux-ci peuvent être affu­blés de plu­sieurs autres dési­gna­tions : « la coa­li­tion », « le front anti-Kadha­fi », voire même « les occi­den­taux » (par un lap­sus fort peu diplo­ma­tique envers ceux qui ne le sont pas)… Mais « alliés » est l’un des termes les plus sou­vent employés, et l’un des plus significatifs :

« Libye : les alliés mettent au point leur dis­po­si­tif mili­taire » (titre d’un article du Figa­ro, 18 mars) ; « Libye : les alliés ver­rouillent le ciel » (titre d’un article du Midi-Libre, 21 mars) ; « La route d’Ajdabiah en par­tie rou­verte par les alliés » (site de L’Express, 20 mars) ; etc.

« Les alliés ». Lors de l’invasion de l’Irak déjà, l’attelage amé­ri­ca­no-bri­tan­nique (flan­qué de quelques troupes auxi­liaires, mais pri­vé de « la France »), avait, comme nous le rele­vions alors, béné­fi­cié de cette appel­la­tion. Elle vaut sou­tien à la guerre en cours : un sou­tien qui relè­ve­rait du débat public, s’il s’assumait comme tel au lieu de s’abriter der­rière une réfé­rence his­to­rique qui ren­voie à l’un des deux camps en pré­sence lors de la Deuxième Guerre mon­diale. Cha­cun avoue­ra que la com­pa­rai­son est des plus osées, pour ne pas dire hasar­deuse, quelle que soit l’ampleur des crimes com­mis par le régime libyen. Rien ne nous garan­tit, devant l’abondance de la réfé­rence aux « Alliés », que Kadha­fi ne nous sera pas pré­sen­té demain comme le nou­vel Hit­ler. Ou, pour être plus exact, comme le nou­veau nou­veau nou­vel Hit­ler. Contre lequel la mobi­li­sa­tion armée de la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » ne peut être contestée.

« Com­mu­nau­té inter­na­tio­nale »  — Se dit, indif­fé­rem­ment, des membres du Conseil de Sécu­ri­té qui ont adop­té la réso­lu­tion, de ceux qui la sou­tiennent et de ceux qui, en s’abstenant, l’ont réprou­vé. Cette expres­sion semble désor­mais moins uti­li­sée que lors de l’euphorie des pre­miers jours :

« La com­mu­nau­té inter­na­tio­nale montre sa soli­da­ri­té avec le prin­temps arabe » (site de La Croix, 20 mars) ; « Kadha­fi menace la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » (titre tout en nuance d’une dépêche publiée sur le site du Point le 19 mars) ; « Dos­sier Libye : la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale décide d’intervenir » (site de Marianne, 19 mars) ; etc.

Ce disant — comme nous l’avions déjà fait remar­quer dans un article pré­cé­dent — les médias ont pen­dant quelques jours oublié « de rap­pe­ler que quelques pays mineurs, péri­phé­riques et peu influents, n’ont pas voté la réso­lu­tion de l’ONU, la Rus­sie, la Chine, l’Inde, le Bré­sil, l’Allemagne… ». On a sem­blé davan­tage s’intéresser aux quatre avions (de fabri­ca­tion fran­çaise) gra­cieu­se­ment mis à dis­po­si­tion par ce géant qu’est le Qatar qu’aux réac­tions des gou­ver­ne­ments de pays qui repré­sentent plus de la moi­tié de l’humanité… Plu­tôt que de s’efforcer d’informer pour les com­prendre, quitte, ensuite, à les sou­te­nir ou les désa­vouer, l’on n’a guère épi­lo­gué sur les rai­sons pour les­quelles ils n’étaient pas convain­cus de cette guerre. Ou plu­tôt, de ces « frappes ».

« Frappes » — Désigne les bom­bar­de­ments effec­tués par « les alliés » : en effet, les « alliés » ne bom­bardent pas, ils « frappent ». Ils « frappent » la Libye, comme d’autres « frappent » à la porte, « frappent » un bal­lon de foot­ball ou se « frappent » dans les mains. On parle pour­tant bien de cen­taines de mis­siles. Mais cha­cun avoue­ra que le terme « frappes » n’est pas aus­si néga­ti­ve­ment conno­té que le mot « bombardements » :

« Libye. Les frappes mili­taires devraient bais­ser d’intensité, selon les USA » (titre gla­né sur le site inter­net de Ouest France, 22 mars) ; « Libye : frappes fran­çaises en sus­pens » (titre d’une dépêche AFP, 21 mars) ; « Le pétrole recule légè­re­ment, mal­gré la pour­suite des frappes en Libye » (site du Pari­sien, 22 mars) ; etc.

Quant à Kadha­fi et ses forces armées, ils ne « frappent » pas, ils « pilonnent » :

« Kadha­fi pilonne la popu­la­tion civile » (site de France info, 16 mars) ; « Libye : les pro-Kadha­fi pilonnent Zen­ten » (titre d’une dépêche AFP, 19 mars) ; « Les forces pro-Kadha­fi […] ont notam­ment pilon­né la ville pétro­lière de Ras Lanouf » (Libé­ra­tion, 11 mars) ; etc.

Ce Kadha­fi ne res­pecte déci­dé­ment rien. Il aurait pu se conten­ter d’opérer, comme les « alliés », des « frappes ». Des « frappes », dont on nous assure qu’elles sont « ciblées ».

« Ciblées » — Dans le lan­gage mili­ta­ro-média­tique, qua­li­fie les « frappes », de pré­fé­rence à « chi­rur­gi­cales ». Les « frappes chi­rur­gi­cales » ont eu leur heure de gloire, cha­cun com­pre­nant alors que les bom­bar­de­ments étaient effec­tués avec la pré­ci­sion de chi­rur­giens qui tentent de sau­ver des vies et non d’en prendre. Mais la ficelle était peut-être un peu grosse. Désor­mais les frappes sont « ciblées » :

« Paris envi­sa­ge­rait des frappes ciblées en Libye » (titre d’une dépêche Reu­ters, 19 mars) ; « Les frappes aériennes ciblées contre les troupes du colo­nel Kadha­fi vont-elles suf­fire à le chas­ser du pou­voir ? » (ques­tion posée par le Télé­gramme, 22 mars) ; varia­tion sur un même thème avec le site TF1 news : « En Libye, les opé­ra­tions ciblées de la coa­li­tion semblent don­ner de l’air aux insur­gés de Benghazi »

(22 mars) ; etc.

On l’aura donc com­pris : les « frappes » sont « ciblées ». Les jour­na­listes qui reprennent com­plai­sam­ment cette expres­sion se sont-ils deman­dé ce que seraient des « frappes non-ciblées » ? On shoote au hasard ? On déverse des bombes au petit bon­heur la chance ? Que l’on soit dans un chas­seur, un héli­co­ptère de com­bat, un navire de guerre ou un char d’assaut, avant de tirer, on vise. Une cible. Le pro­blème n’est pas de savoir s’il y a une cible, mais quelle est la cible. Dire d’une « frappe » qu’elle est « ciblée » est un arti­fice rhé­to­rique qui tente de rela­ti­vi­ser le carac­tère intrin­sè­que­ment violent d’un bom­bar­de­ment. Et de par­ler, en cas d’erreur sur la cible, de « dom­mages collatéraux ».

« Dom­mages col­la­té­raux » — Dans le lan­gage mili­ta­ro-média­tique, désigne (avec « bavures ») les vic­times civiles des « frappes », lais­sant ain­si entendre que si les guerres font des vic­times — du moins quand « nos » sol­dats y prennent part — c’est tou­jours par acci­dent. Et que c’est bien « dom­mage ». Ce triste euphé­misme, typi­que­ment mili­taire, est tou­jours uti­li­sé par cer­tains jour­na­listes, sans aucune dis­tance cri­tique, et sans guillemet :

« Par ailleurs, il n’y a pas eu de dom­mages col­la­té­raux du fait de l’armée fran­çaise. Cer­tains objec­tifs n’ont pas été visés en rai­son de risques de dom­mages col­la­té­raux, a pré­ci­sé l’état-major fran­çais » (site de France-soir, 22 mars) ; « Libye : les dom­mages col­la­té­raux évi­tés » (titre d’une dépêche sur le site d’Europe 1, 22 mars) ; « Il n’y a pas eu de dom­mages col­la­té­raux du fait de l’armée fran­çaise » (site de 20 minutes, 22 mars) ; etc.

Ce n’est pas nou­veau : Sur les « frappes », « dom­mages col­la­té­raux », « bavures » et autres « inci­dents », voir notam­ment ici même le lexique de la guerre en Afgha­nis­tan et les mots de la guerre contre l’Irak.

Quant aux « forces enne­mies », elles ne font jamais de « dom­mages col­la­té­raux », puisque il va de soi que, tou­jours et par­tout, elles « prennent déli­bé­ré­ment pour cible des civils désar­més ». Ce que fait, bien évi­dem­ment, l’armée « kadha­fiste ».


« Kadha­fiste »
 — Désigne les par­ti­sans du dic­ta­teur libyen par­fois appe­lés « pro-kadha­fi ». Tout comme les « sar­ko­zystes » ou les « pro-sar­ko­zy » sont, en France, les par­ti­sans du pré­sident fran­çais. Soit. Mais ces der­nières semaines, l’usage du terme « kadha­fiste », s’est sou­vent sub­sti­tué à « loya­liste » pour dési­gner l’ennemi et ses armes.

« Moha­med Nab­bous, ingé­nieur en télé­coms, pho­to­graphe et blo­gueur impro­vi­sé, est mort, tué par un sni­per kadha­fiste dans une rue de Ben­gha­zi » (site de La règle du jeu, 20 mars) ; « L’aviation kadha­fiste, qui compte sur le papier plus de 200 appa­reils de com­bat, ne semble en mesure d’en ali­gner qu’une qua­ran­taine » (site de l’Express, 18 mars) ; « Le pré­sident fran­çais et le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique ont été les avo­cats les plus fer­vents de l’instauration d’une zone d’exclusion dans le ciel libyen afin de neu­tra­li­ser l’aviation kadha­fiste » (site de 20 minutes, 15 mars) ; etc.

« Sni­per kadha­fiste », « avia­tion kadha­fiste »… Ima­gine-t-on un seul ins­tant les médias fran­çais nous par­lant de « sol­dats sar­ko­zystes », d’ « avia­tion oba­miste » ou de « marine came­ro­niste » ? Évi­dem­ment non. Le pas­sage par un adjec­tif déri­vé du nom du dic­ta­teur est une prise de posi­tion contre les forces armées libyennes, dont on se gar­de­ra ici de mino­rer la vio­lence. Mais cela ne doit pas inter­dire de rele­ver un abus de lan­gage qui, consciem­ment ou non, par­ti­cipe du carac­tère par­ti­san de l’ « infor­ma­tion » dif­fu­sée au sujet de la Libye. Le JDD a publié sur son site, le 20 mars, une dépêche dont le titre était : « Libye : Paris confirme avoir abat­tu un avion kadha­fiste ». Si l’inverse s’était pro­duit, le JDD aurait-il titré « Libye : Tri­po­li confirme avoir abat­tu un avion sar­ko­zyste » ? C’est peu vrai­sem­blable. Les avions sont « fran­çais ». Pour cer­tains, ce sont même « nos » avions…

« Nos sol­dats » — Se dit, avec « nos » moyens mili­taires, des forces enga­gées par l’État fran­çais dans la guerre qui ne dit pas son nom. Un appel empa­thique et patrio­tique à l’identification avec les sol­dats français.

Nous l’avions noté dans un pré­cé­dent article (http://www.zintv.org/spip.php?article322) : cer­tains jour­na­listes ont adop­té une atti­tude tel­le­ment va-t-en guerre que l’on se demande par­fois s’ils n’ont pas déjà revê­tu leur treillis pour aller prendre direc­te­ment part aux com­bats. Il semble que jusqu’à pré­sent, aucun d’entre eux n’ait fran­chi le pas. Mais à l’écrit, cer­tains y sont déjà, et s’expriment comme s’ils étaient membres à part entière de l’état-major français :

« L’arrivée sur zone du groupe aéro­na­val consti­tue donc un ren­fort impor­tant, démul­ti­pliant nos moyens mili­taires dans cette par­tie de la Médi­ter­ra­née » (le Pari­sien, 22 mars) ; « Jusqu’à pré­sent, aucun avion fran­çais n’a été direc­te­ment mena­cé par la défense aérienne libyenne, mais nos appa­reils ont été “illu­mi­nés” same­di par les radars de pour­suite » (Jean-Domi­nique Mer­chet, de Marianne, le 21 mars) ; « Alors que nos sol­dats sont enga­gés en Afgha­nis­tan, l’ouverture d’un nou­veau front ter­restre en Libye semble peu pro­bable en cas d’enlisement du conflit » (la Dépêche, 22 mars) ; « Nos Mirage ont cepen­dant réel­le­ment mis le feu à une concen­tra­tion de chars et de véhi­cules kadha­fiens aux envi­rons de Ben­gha­zi » (Guy Sit­bon, de Marianne, le 21 mars) ; etc.

Au cas où le public ne l’aurait pas com­pris, « nous » sommes en guerre. Ce n’est pas l’armée fran­çaise qui bom­barde la Libye, c’est la France (comme l’ont com­plai­sam­ment sou­li­gné les médias qui, plu­tôt que de titres sur le déclen­che­ment de la guerre elle-même, ont pré­fé­ré (comme nous l’avions rele­vé) pro­cla­mer à la « Une », à grand ren­fort de « coco­ri­cos » que « la France frappe la pre­mière »). Ce n’est pas l’armée fran­çaise qui bom­barde la Libye, c’est « notre » armée. Cha­cun est ain­si invi­té à se sen­tir per­son­nel­le­ment concer­né et impli­qué dans l’offensive en cours. Un rap­pel à l’ordre patrio­tique, accom­pa­gné de moult articles van­tant les mérites et les com­pé­tences de « notre armée ». À moins qu’il ne s’agisse d’un simple appel au civisme… Pour­quoi en dou­ter ? D’ailleurs, « nos » jour­na­listes ne man­que­ront pas, à l’avenir, d’évoquer le des­tin de « nos » pro­fes­seurs, de « nos » magis­trats et de « nos » chô­meurs, lorsqu’ils se mobi­li­se­ront à leur tour. Et ils repren­dront, comme ils le font avec « nos » offi­ciers, le moindre de leurs termes.

« Sur zone » — Désigne, dans le lan­gage mili­ta­ro-média­tique, la loca­li­sa­tion de « nos » sol­dats et de « nos » armes :

« L’arrivée sur zone du groupe aéro­na­val consti­tue donc un ren­fort impor­tant » (site du Pari­sien, 22 mars) ; « Mais le coût des sor­ties devrait être en par­tie réduit avec l’arrivée mar­di sur zone du porte-avions Charles de Gaulle » (site du Nou­vel Obs, 22 mars) ; « La France dis­pose d’une cen­taine de Rafale et Mirage 2000, en plus d’avions de sur­veillance Awacs. Un porte-héli­co­ptères de type Mis­tral était de plus récem­ment sur zone » (site du Pari­sien, 20 mars) ; ou encore ce titre, mys­té­rieux pour les non-ini­tiés, sur le site du Ber­ry Répu­bli­cain : « Un Awacs fran­çais est sur zone dans le ciel libyen ». Diantre.

L’emploi récur­rent de l’expression « sur zone » est un exemple par­mi d’autres de reprise qua­si-auto­ma­tique de termes du lan­gage mili­taire. Nou­velle confir­ma­tion de ce déso­lant mimé­tisme qui pousse nombre de jour­na­listes qui « couvrent » les guerres à se prendre pour des mili­taires en sin­geant leur voca­bu­laire. Machi­na­le­ment ou pour avoir le sen­ti­ment de par­ti­ci­per à l’effort de guerre ? On ne sait… Mais cha­cun avoue­ra qu’un tel mimé­tisme qui n’apporte rien à la pré­ci­sion ou à la qua­li­té de l’information est symp­to­ma­tique d’un cer­tain jour­na­lisme de guerre, qui se fait même par­fois un peu plus mili­taire que les pro­pos de l’armée elle-même.

« Pro­pa­gande » — Se dit (presque) exclu­si­ve­ment, dans les médias fran­çais, des inter­ven­tions du colo­nel Kadha­fi et de ses par­ti­sans, des infor­ma­tions qu’ils dif­fusent et des images qu’ils montrent :

« [Kadha­fi] va recou­rir à l’arsenal com­plet de ses méthodes à la fois ter­ro­ristes et de pro­pa­gande » (Chris­tian Maka­rian, site de L’Express, 20 mars) ; « Après les pre­miers suc­cès mili­taires, la pro­pa­gande libyenne redouble » (titre d’une dépêche AFP, 11 mars) ; « À l’école de la pro­pa­gande Kadha­fi » (titre d’un repor­tage de Del­phine Minoui, du Figa­ro, 19 mars) ; etc.

Cette dis­tance salu­taire (et lar­ge­ment jus­ti­fiée en l’occurrence) ne s’applique ni aux prises de posi­tion des gou­ver­ne­ments impli­qués dans l’offensive mili­taire contre le régime de Kadha­fi, ni aux infor­ma­tions dis­til­lées par leurs forces armées, ni à leur voca­bu­laire. Comme s’ils ne rele­vaient pas eux aus­si d’une pro­pa­gande dont le jour­na­lisme de guerre se serait affran­chi. Ce dont on est en droit de douter…

Julien Salingue (avec Hen­ri Maler)