par Salim Lamrani — Interview Radio Monaco — 2011-09-13
Le pays vit en ce moment dans une ère de modernisation sans précédent….
En effet, deux mesures sont à souligner. La première constitue une révolution structurelle de la force du travail. Les autorités ont décidé de procéder à la suppression à moyen terme de près d’un demi-million de postes de fonctionnaires, soit 10% du total, et d’un million d’ici cinq ans.
La seconde mesure est également sans précédent par son envergure. Il s’agit d’une ouverture de l’économie étatique au secteur privé, destinée, entre autres, à légaliser une économie informelle croissante, et à récolter des impôts dans un pays peu habitué à la culture fiscale. L’Etat, qui contrôle près de 90% de l’économie, a décidé de déléguer une partie de ses activités économiques à des personnes privées. Près de 178 nouvelles activités ont ainsi été ouvertes au domaine privé. Il faut savoir que dans 83 secteurs, les nouveaux entrepreneurs pourront désormais embaucher du personnel, prérogative qui a été jusque là une exclusivité de l’Etat, des sociétés mixtes et des entreprises étrangères.
La récente arrivée de la publicité commerciale est un signe de ce changement ?
Il ne s’agit pas à proprement parler de publicité commerciale comme on l’entend en occident, mais simplement de la multiplication des enseignes commerciales indiquant la présence d’un restaurant ou autre commerce en raison de l’accroissement du secteur privé ces derniers mois. Il faut savoir qu’il est passé de 150 000 personnes à plus de 320 000. Il devrait d’ailleurs se stabiliser autour d’un demi-million de micro-entrepreneurs.
Raul Castro est-il bien différent de son parent Fidel ?
D’un point de vue idéologique ou sur les principes fondamentaux, il n’y a aucune différence entre les deux. Néanmoins, il y a une différence notable de style. Raúl Castro est un militaire qui a la réputation d’être très pragmatique. Il a dirigé pendant près d’un demi-siècle l’une des institutions les plus efficaces du pays qui est l’armée. Par ailleurs, Raúl Castro s’est personnellement occupé du développement du tourisme à Cuba, qui est désormais l’un des fleurons de l’économie nationale et la seconde source de revenus du pays. Il a en charge la réforme actuelle du modèle économique cubain et le défi est de taille car les obstacles sont nombreux.
Après le capitalisme, quel est le nouvel ennemi de Cuba ? La corruption ?
Au niveau externe, le principal ennemi reste les Etats-Unis qui imposent des sanctions économiques au caractère cruel et anachronique depuis plus d’un demi-siècle. Elles affectent toutes les catégories de la population cubaine. Il convient de rappeler que ces sanctions revêtent un caractère rétroactif et extraterritorial. J’en parle d’ailleurs en détail dans mon dernier ouvrage Etat de siège qui traite de ce sujet*. Par exemple, tout constructeur automobile, quelle que soit sa nationalité, doit démontrer au Département du Trésor que ses produits ne contiennent pas un seul gramme de nickel cubain pour pouvoir les vendre sur le marché américain. Il en est de même pour toutes les entreprises agroalimentaires souhaitant investir le marché américain. Danone, par exemple, doit démontrer que ses produits ne contiennent aucune matière première cubaine. Donc Cuba non seulement ne peut rien vendre aux Etats-Unis mais se voit également fortement limité dans son commerce. Ces mesures privent l’économie cubaine de nombreux capitaux et les exportations cubaines de nombreux marchés à travers le monde. Pour ces raisons, les sanctions sont rejetées par l’ensemble de la communauté internationale.
Au niveau interne, Cuba doit lutter contre la bureaucratie qui gangrène la société cubaine. La corruption est également un phénomène endémique à Cuba qui affecte parfois les plus hauts niveaux de l’Etat. Le marché noir s’est développé à Cuba depuis la chute de l’Union soviétique. Cuba doit également renforcer la culture du débat et accorder un espace plus large aux opinions hétérodoxes. De la même manière, l’île doit mettre fin à certaines pratiques sectaires encore persistantes. Un gros effort doit être réalisé en termes de productivité et enfin Cuba doit réduire son secteur public qui est hypertrophié.
Des relations « réchauffées » et d’échange avec les États-Unis voire l’Europe sont-elles envisageables dans un avenir proche ?
A vrai dire, la normalisation des relations entre La Havane et Washington dépend moins de Cuba que des Etats-Unis. Le président Raúl Castro a fait montre à plusieurs reprises de sa disposition à dialoguer avec le Voisin de Nord à partir d’une base de respect mutuel, de réciprocité et de non-ingérence dans les affaires internes. A ce jour, ces propositions ont toutes été rejetées par l’administration Obama.
Il faut savoir que la rhétorique diplomatique américaine pour justifier l’imposition de sanctions économiques à Cuba n’a cessé de changer au fil des décennies. Dans un premier, il s’agissait des nationalisations, puis ensuite de l’Alliance avec l’Union soviétique, après de l’intervention cubaine en Afrique contre aider les mouvements de libération nationale en Angola et Namibie et pour lutter contre l’Apartheid. En 1991, à la chute de l’Union soviétique, au lieu de normaliser les relations avec Cuba, les Etats-Unis ont renforcé leur état de siège économique sur la population cubaine et ont cette fois brandi l’argument des droits de l’homme et des prisonniers politiques. Or depuis novembre 2010 et l’accord signé entre le gouvernement cubain et l’Eglise catholique, tous les prisonniers dits politiques ont été libérés. Selon Amnesty International, il n’y a à ce jour aucun prisonnier politique à Cuba. Pourtant, l’administration Obama refuse de lever les sanctions économiques.
Pour ce qui est de l’Union européenne, en dépit de sa puissance économique, elle reste un nain politique incapable d’adopter une politique indépendance de celle de Washington vis-à-vis de Cuba. Officiellement, la Position Commune qui est le pilier de la politique étrangère de Bruxelles vis-à-vis de La Havane depuis 1996 et qui limite fortement les relations se justifie en raison de la situation des droits de l’homme. De tout le continent américain, seule Cuba se voit infliger une position commune. Or, il suffit de jeter un œil aux rapports d’Amnesty International sur les droits de l’homme pour se rendre compte que Cuba est loin d’être le plus mauvais élève du continent en la matière. Il s’agit donc là d’une politique discriminatoire et infondée de la part de l’Union européenne vis-à-vis de Cuba et il lui revient d’y mettre un terme.
* Etat de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba
Prologue de Wayne S. Smith
Préface de Paul Estrade
Paris, Editions Estrella, 2011
15€
Disponible en librairie et sur www.amazon.fr
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