En avril dernier, la junte militaire a intronisé un gouvernement civil chargé d’engager le pays vers une démocratie qu’elle qualifie de « disciplinée ». Impensable il y a encore quelques mois, les autorités viennent de débloquer l’accès à certains sites de médias étrangers. Un signe d’ouverture qui ne fait pas oublier qu’une vingtaine de journalistes sont toujours détenus dans les geôles du pays et qu’oser parler de démocratie reste passible de peine de prison. Leurs collègues clandestins continuent de lutter au quotidien depuis l’étranger ou sur le terrain pour témoigner des risques encourus. L’un d’eux, la Democratic Voice of Burma, nous a ouvert ses portes.
C’est dans une atmosphère sérieuse mais néanmoins chaleureuse que je suis reçue dans les bureaux de la Democratic Voice of Burma (DVB), à Mae Sot, en Thaïlande. Pour y parvenir, un journaliste est venu me chercher dans le centre-ville. L’adresse doit être tenue secrète. C’est ici que le réseau des vidéo-journalistes s’organise. Surnommés « VJ », ils sont chargés de récolter informations et témoignages en Birmanie, en toute clandestinité, caméra au poing et, surtout, sous le manteau. Myo Min Naing me reçoit. Le responsable du réseau des VJs a passé onze ans en prison pour ses activités politiques. Sa meilleure arme aujourd’hui, c’est l’information. « La liberté de la presse n’existe pas en Birmanie, déplore-t-il. Mais nous sommes prêts à prendre tous les risques pour informer le peuple et dénoncer les abus du régime. » Une dizaine de journalistes travaillent dans les locaux de la DVB, équipés d’ordinateurs, de télévisions, de magnétoscopes et d’un studio.
Une couverture périlleuse
Pwagyi est en charge de la coordination des opérations sur le terrain. Il m’explique qu’une centaine de leurs journalistes opèrent depuis la Birmanie. Tous mènent une double vie. Ils sont pour la plupart enseignants, avocats ou policiers et viennent d’un milieu aisé, afin de pouvoir justifier, en cas d’arrestation, le port d’une caméra ou d’un appareil photo. Pour plus de sécurité, ils ne se connaissent pas. « Je n’ai rencontré personne de la DVB en Birmanie, raconte Joseph Allchin, reporter qui a couvert les élections de novembre 2010. Je ne savais ni qui ni où ils étaient. En cas d’arrestation et d’interrogation musclées, voire même de torture, je n’aurais rien pu révéler. » Sam (un pseudonyme) est l’un des journalistes de la DVB qui a couvert la révolution safran en 2007. Un travail qui a donné lieu à un documentaire, Burma VJ, nominé aux Oscars en 2010. Les images que le monde a pu visionner de cet événement proviennent pour la plupart de ces journalistes, ceux de l’étranger ayant été refoulés par le régime. Sam raconte comment il a réussi à passer à travers les mailles du filet : « En cas d’arrestation, Il faut être malin et improviser rapidement une histoire pour justifier sa présence, le port d’une caméra ou d’un appareil photo. Et détruire rapidement les preuves sans se faire voir. Beaucoup d’informateurs du gouvernement sont déguisés en civil. Il s’agit aussi de savoir les repérer, de part leur allure, mais aussi de part leur comportement. »
Les ondes de la liberté
Depuis une vingtaine d’années, plusieurs médias birmans en exil ont vu le jour sous l’impulsion de la génération des révoltés de 1988. Parmi les plus célèbres, la Democratic Voice of Burma, l’Irrawaddy et Mizzima. La DVB a été créée en 1992, en Norvège, par des exilés proches d’Aung Saan Suu Kyi. Depuis 2005, cette chaîne de radio-télévision diffuse par satellite en Birmanie. Suivie chaque jour par près de 10 millions de téléspectateurs et d’auditeurs dans le monde, elle est financée par des ONG et la communauté internationale, notamment la Norvège, le Danemark et les États-Unis. « Les donateurs nous soutiennent pour lutter contre la censure du gouvernement birman. Ils attendent de nous un travail journalistique indépendant et une information de qualité », estime Joseph Allchin. Au cours de l’entretien, je remarque un journal en anglais posé sur le bureau, le New Light of Myanmar. « C’est un quotidien contrôlé par l’État. Tous doivent publier en deuxième page des textes de propagande désignant les médias étrangers et birmans en exil, tels que la BBC ou la DVB, comme des assassins propagateurs de haine », explique Myo Min Naing.
Le gouvernement vient cependant d’instaurer une réforme pour convaincre d’un assouplissement de la censure. Dorénavant, les articles sur l’art, le sport, la santé, les nouvelles technologies, la littérature pour enfants et les romans de gare n’auront plus besoin de recevoir le sceau de publication du Bureau de la censure. Mais si un article critique le régime, le journaliste et le rédacteur en chef seront condamnés pour crime d’État. « C’est un coup d’épée dans l’eau. Cela nous force simplement à nous autocensurer », s’insurge Myo Min Naing. Plus surprenant peut-être, en septembre dernier, le gouvernement a autorisé la diffusion sur internet de sites étrangers jusque là censurés. Parmi eux, Voice of America, la BBC, YouTube, mais aussi Democratic Voice of Burma. Une mesure qui suit les déclarations du président Thein Sein en mars dernier, qui avait souligné que le gouvernement et le peuple devaient « respecter le rôle des médias » et que ceux-ci constituaient un « quatrième pouvoir » dans le pays. Selon David Mathieson, spécialiste de la Birmanie à Human RightsWatch, ces récentes mesures et déclarations ne constituent pas un espoir pour la liberté de la presse en Birmanie. « Beaucoup de journalistes sont toujours en prison et le système drastique de la censure persiste, insiste-t-il. Le gouvernement cherche en réalité à se servir des médias pour améliorer son image et mieux contrôler la diffusion des informations. Il a pour volonté de sophistiquer son système de propagande. »
Ennemis public s
En Birmanie, les journalistes clandestins, considérés comme des ennemis publics, vivent dans les mêmes conditions que les prisonniers politiques. La DVB compte à elle seule 17 journalistes derrière les barreaux. « Nous recevons parfois des mails des nos collègues en prison. On sait tout de suite qu’il s’agit de membres du gouvernement qui tentent d’infiltrer notre réseau », explique Myo Ming Naing. Pour mieux comprendre leurs conditions de détention, rendez-vous est pris dans les bureaux de l’AAPP, l’association d’aide aux prisonniers politiques basée à Mae Sot, en Thaïlande. Min Min, le responsable communication de l’AAPP, me reçoit et me montre des maquettes de prisons birmanes et des photos qui reproduisent les conditions de détention des prisonniers. Lui-même a passé cinq ans dans les prisons birmanes pour avoir tenté de créer un syndicat étudiant. Il fut jugé sans avocat pour le défendre et a été torturé à maintes reprises par des officiers militaires. « Une fois, ils m’ont frappé continuellement pendant 14 jours d’affilée, le jour, mais aussi en plein milieu de la nuit, révèle-t-il. Parfois, je devais rester debout dans une position très douloureuse. Si je tombais, ils me frappaient. Après avoir mangé, ils me battaient jusqu’à ce que je vomisse. Comme c’était très douloureux, j’ai appris à me nourrir le moins possible, juste de quoi survivre. Cela faisait moins mal comme ça. »
Pour Min Min, le mouvement démocratique en Birmanie reste en marche. « En prison, j’ai rencontré beaucoup d’enseignants, d’avocats et de politiciens. Nous parlions souvent de démocratie, des systèmes français, anglais ou américain, de la nature de la démocratie, qui change d’un pays à l’autre. Nous nous demandions souvent ce qu’elle devrait être en Birmanie. C’est grâce à ces rencontres que j’ai décidé de travailler pour l’AAPP. » Son président, Bo Kyi, se dit ne pas être dupe face à la démocratie « disciplinée » proposée par le gouvernement. « La torture reste une pratique courante, affirme-t-il. La plupart des prisons ne possèdent pas de cliniques pour soigner les malades et les prisonniers sont sous-alimentés. Afin d’effectuer une véritable transition démocratique, le gouvernement doit libérer sans conditions les prisonniers politiques. Il faut une véritable réforme, un décret officiel. » Les reporters clandestins ont sans doute un rôle important à jouer dans les débats internationaux sur les changements politiques en Birmanie. « Je veux dire la vérité à mon peuple. Nous sommes tous fatigués de la propagande d’État. Je veux raconter aux Birmans son présent et son histoire ». conclut Sam.
XUAN DAO LE
Source de l’article : GAVROCHE