Yanik Sansonnens, lundi 23 janvier 2012
Le procès civil de l’affaire du « Nestlégate » s’ouvre demain à Lausanne. Neuf plaignants, membres de l’organisation altermondialiste Attac, réclament à la multinationale veveysane et à l’entreprise Securitas une indemnité de 27 000 francs et la publication du jugement dans la presse.
Ecrivain et membre fondatrice d’Attac, Susan George est l’une des parties au procès. Pour cette intellectuelle franco-américaine, il faut que justice soit faite. « La Suisse, un pays garant des libertés individuelles et chantre de la démocratie, ne doit pas permettre à Nestlé d’utiliser des méthodes moralement et légalement répréhensibles. Dans cette affaire, nos libertés d’opinion et d’expression ont été bafouées. Si Nestlé peut agir comme bon lui semble en Suisse, nous ne sommes plus en démocratie.»
L’éthique de Nestlé
Les faits remontent à l’automne 2003. Sous le pseudonyme de « Sara Meylan », une employée de Securitas rejoint la section d’Attac Vaud, alors en pleine préparation du livre « Attac contre l’empire Nestlé ». Ayant gagné la confiance du groupe, elle participe à plusieurs réunions privées, où elle a accès à des documents confidentiels. Elle livre à Nestlé des comptes-rendus détaillés de ces discussions. Ses rapports mentionnent également des détails sur la vie privée des auteurs. Peu après la révélation des faits, en 2008, une deuxième taupe de l’entreprise de sécurité sera confondue.
- Dans ce dossier, les citoyens helvétiques sont également invités à s’interroger sur l’éthique et les valeurs morales véhiculées par le colosse de l’agroalimentaire. Barbara Rimml est militante chez Attac et une des auteurs du livre « Attac contre l’empire Nestlé ». Elle rappelle qu’une « plainte a été déposée il y a trois ans. Tout a pris beaucoup de temps et j’espère que la justice fera son travail.» Mais qu’escompter finalement de la justice, quand on repense au volet pénal de l’affaire ? A la suite des révélations de la TSR à l’été 2008, une plainte a été déposée. La procédure s’est conclue par un non-lieu, en juillet 2009.
Pas une exception
Le juge d’instruction Jacques Antenen (aujourd’hui commandant de la police vaudoise) a en effet estimé que la seule infraction susceptible d’être poursuivie, à savoir une contravention à la loi fédérale sur la protection des données, était prescrite au bout de trois ans. Il n’a tenu compte que de la première espionne, qui a agi entre l’automne 2003 et l’été 2004. Quant à la seconde taupe, débusquée par Attac en septembre 2008, le juge d’instruction ne l’a pas prise en considération.
En attendant la décision du Tribunal d’arrondissement lausannois, une question plus globale se pose. Cette affaire représente-elle un cas isolé ou d’autres scandales couvent-ils en toute impunité ? On se souvient qu’après le Nestlégate, une autre infiltration d’un agent de Securitas avait déjà été mise au jour : à Lausanne une jeune femme avait espionné durant plusieurs années le Groupe Anti-Répression (GAR), toujours pour le compte de Nestlé.
« Je serais très surpris si cette affaire était une exception. L’intelligence économique est si grande et les procédés utilisés par les multinationales sont tels, qu’il y a aucune raison que Nestlé soit la seule. Des méthodes d’espionnage sont aussi utilisées dans des domaines plus sensibles comme le nucléaire ou les industries polluantes », affirme Jamil Soussi, avocat à Genève. A l’époque, le Nestlégate a été fermement condamné par bon nombre d’élus, sans pour autant qu’une remise en question du système législatif ne soit envisagée.
Nestlé est confiant
Selon Me Soussi, « l’arsenal législatif est assez fort en Suisse, mais le problème réside dans les moyens mis en œuvre pour traquer les espions, ainsi que dans la faiblesse des délais de prescription en général ».
Quant au montant dérisoire (27 000 francs) demandé par Attac, en réparation du tort moral subi, Me Soussi n’est pas sûr que les plaignants reçoivent autant : « L’indemnisation pourrait être inférieure, mais le plus important pour les plaignants reste l’obtention du principe de la condamnation. Le risque de prescription est aussi possible au vu de l’écoulement du temps et de la série d’obstacles procéduraux à venir.»
Contactés, Nestlé et Securitas n’ont pas voulu s’exprimer sur un procès en cours. Porte-parole de Nestlé, Nina Caren Backes précise tout de même : « Nous avons obtenu une ordonnance de non-lieu au procès pénal et nous sommes confiants quant à l’issue de la procédure civile.» La justice saura-t-elle se montrer à la hauteur de l’événement ? Elément de réponse dès demain, au Palais de justice de Montbenon. Le procès est ouvert au public.
Source : courrier