Gilles-le Suisse réduit une date historique de luttes collectives à une seconde fête des mères
Nous publions une réaction du mouvement féministe 8 mars, face à une émission de la RTBF qui se penche sur la journée internationale de la lutte pour les droits des femmes. Comme d’habitude, il règne sur notre chaine publique une incompréhension, une folklorisation et un mépris envers les mouvements pour les droits civils, ainsi que sur leurs revendications, leurs organisations et leurs militants. Cette émission poursuit visiblement des objectifs aussi crasseux que l’objectif de la caméra ce jour-là.
Le 8 mars dernier se tenait une manifestation féministe à Bruxelles afin de sensibiliser à un recul des droits des femmes un peu partout dans le monde. Notre mobilisation répondait également à l’appel international d’une grève des femmes. Le parcours choisi était identique à celui de la Reclaim the night (une marche de nuit) qui fut bloquée et très durement et violemment réprimée par la police le 11 février dernier. À cette occasion, l’émission Sept à la une, incarnée par Gilles le Suisse, s’est imposée, au début de la marche, avec une équipe exclusivement masculine dénuée de toute bienveillance et de considération envers nos revendications, nos méthodes d’organisation et les manifestantes présentes.
Pour nous, le 8 mars est l’occasion de faire le bilan des luttes féministes passées, de célébrer les victoires, de formuler de nouvelles revendications, de constater les combats à mener, de sensibiliser aux inégalités, de renforcer les solidarités internationales entre femmes du monde entier, de nous unir et de s’organiser ensemble. Pour l’équipe de la RTBF, le 8 mars fut l’occasion réaliser une émission ahistorique et dépolitisée, voire de venir harceler les participantes de la manifestation non-mixte que nous organisions sur Bruxelles. Nos luttes féministes ont été traitées avec la même sollicitude qu’une activité commerciale du salon de la femme.
Malgré la reformulation d’une militante, Gilles le Suisse va perpétuellement répéter la « journée de la femme » au lieu de parler de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Renforcé par la distribution de roses, il réduit ainsi cette date historique de luttes collectives à une seconde fête des mères ou Saint Valentin. En ce qui nous concerne, nous parlons intentionnellement DES femmes pour déconstruire une identité normative de « la femme », pour ne pas nier nos différences, ni essentialiser nos vécus. Nous voulons faire de nos expériences individuelles des questions collectives. Nous parlons DES femmes pour articuler les différents systèmes d’oppression (capitalisme, racisme, validisme, etc.) et tendre vers une égalité de toutes les femmes.
Une organisatrice lui indiquera ce qu’il sait déjà, à savoir qu’il s’agit d’une manifestation non-mixte et qu’il ne peut pas rester près du cortège. Le discours introductif d’une autre organisatrice expliquant le pourquoi de la non-mixité comme outil politique d’émancipation sera coupé au montage afin que la situation calque au scénario prémédité des mauvaises féministes qui excluent les hommes cisgenre[[Cis/Cisgenre lorsque le genre que l’on nous a attribué à la naissance est en adéquation avec celui auquel on s’identifie]] de leurs initiatives. Sans surprise, il n’y aura aucune réflexion autour de l’autonomie des luttes, la création de « safe space »[[Le concept de safe space désigne les espaces qui ont pour volonté d’élaborer les conditions nécessaires à la propension d’un sentiment de sécurité, de respect et de bien être pour toutes les personnes victimes d’une ou plusieurs oppressions systémiques.]], l’auto-organisation des femmes, l’élaboration de la sororité, la nécessité de se définir en dehors du regard masculin, le développement de la confiance en soi, etc.
Ainsi, suite à ces mots « Pas facile de se faire rejeter simplement parce que je suis un garçon. Surtout que je voudrais apporter mon soutien à ces femmes », Gilles le Suisse va outre passer les mots d’ordre et s’imposer auprès des manifestantes qui, pourtant, revendiquent notamment la liberté de circuler dans l’espace public sans se faire harceler. L’oppression que représente la simple présence de l’animateur, du cameraman et du preneur de son au sein de la marche est loin d’être prise en considération par les protagonistes. Le « journaliste » souhaite même nous protéger d’un fumigène allumé délibérément par nos soins, « petites femmes fragiles » que nous sommes.
Après s’être fait recadré par plusieurs manifestantes qui insistent à nouveau sur le besoin de visibiliser les femmes, Gilles le Suisse finira par quitter le cortège. « Je suis choqué. Ces jeunes femmes veulent faire passer un message aux hommes mais ne veulent pas qu’on les approche. Je ne me suis jamais senti aussi mal dans mon statut d’homme. » Ces phrases expriment l’idée que nous excluons les hommes cisgenres de nos combats alors qu’il s’agit d’un moyen de s’auto-organiser sur les thématiques féministes qui nous concernent. Nous avons donc à faire ici à l’explication même de pourquoi nous voulions être en non-mixité, à savoir : essayer que nos messages passent avant le ressenti des hommes qui ne veulent se lier aux luttes féministes que lorsqu’elles correspondent à leurs attentes. L’émission de Gilles le Suisse montre ainsi la nécessité de la non-mixité puisque l’accent est porté sur le sentiment d’exclusion vécu par l’équipe de tournage masculine – qu’ils n’ont pas cherchée à comprendre malgré l’opportunité d’écouter les concernées – et non sur les luttes portées par notre manifestation.
A qui dira que c’était de l’humour et que les féministes en sont dépourvues ; nous rappellerons que l’humour est politique et un enjeu de pouvoir. L’humour oppressif conforte l’oppresseur dans une position dominante. Il bénéficie du privilège de définir ce qui est amusant ou non, en obligeant ainsi les opprimé-es à rire de ce qui les affectent au quotidien. Nous insistons sur le fait que la volonté de mettre en œuvre des espaces pour s’exprimer, qu’ils soient mixtes ou non, relève de notre décision et qu’elle doit être respectée.
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