Quand les citoyen·ne·s utilisent leur droit de manifester pour dénoncer les violences policières, les forces de l’ordre répondent par la violence.
Quand les citoyen·ne·s utilisent leur droit de manifester pour dénoncer les violences policières, les forces de l’ordre répondent par la violence
Suite à la manifestation “contre la justice de classe et raciste” de ce dimanche 24 janvier 2021 sur le Mont des Arts à Bruxelles, la Ligue des droits humains (LDH), à travers Police Watch, son Observatoire des violences policières, s’inquiète du nombre d’arrestations et de témoignages indiquant un usage disproportionné et illégitime de la force dans ce genre de contexte. C’est en effet le troisième rassemblement en trois mois portant sur les violences policières et le fonctionnement de la justice qui se fait réprimer de manière excessive au mépris de la loi et des droits fondamentaux.
La loi sur la fonction de police exige que l’usage de la force par la police réponde aux critères de proportionnalité, de nécessité et de légitimité. Lors de trois rassemblements récents, “Justice pour Adil” à Anderlecht le 27 novembre dernier, “Justice pour Ibrahima” à Saint-Josse le 17 janvier et “Contre la justice de classe et raciste” de ce dimanche 24 janvier dernier, de nombreux témoignages nous sont parvenus sur le caractère illégitime de l’usage de la force par la police : des dispositifs policiers disproportionnés et une absence de communication vis-à-vis des manifestant·e·s et passant·e·s, voire des comportements provocateurs, agressifs et intimidants à leur égard ; un non-respect du droit de manifester ; des arrestations arbitraires et violentes, notamment de mineur·e·s souvent racisé·e·s, accompagnées d’insultes racistes et sexistes ; des violations du droit de filmer la police ; des usages disproportionnés et illégitimes de la force pendant la détention ; des conditions de détention ne respectant ni les droits des détenu·e·s, dont de nombreux mineurs, ni les conditions sanitaires ; et le silence des responsables politiques qui couvre ces agissements.
Ces manifestations s’inscrivent dans un contexte plus général de durcissement du maintien de l’ordre ces dernières semaines. La LDH se concentre ici sur ces trois manifestations en particulier, car ce n’est pas seulement l’atteinte au droit de manifester et le dispositif policier disproportionnés qui s’y sont produites qui nous inquiètent, mais également les violences policières contre les personnes racisées en général, les violences policières (physiques et psychologiques) qui ont eu lieu dans l’espace public et en casernes dans le contexte de ces manifestations, et notamment contre les personnes racisées, la manière dont les mesures sanitaires sont instrumentalisées pour empêcher les citoyen·ne·s de demander justice pour les victimes de violences policières et l’arrêt de l’impunité policière à ce sujet, l’arrestation d’un grand nombre de mineurs ainsi que le profilage ethnique pendant la manifestation (que cela soit des jeunes de la manifestation ou qui se trouvaient dans l’espace public à ce moment-là). Par ailleurs, la LDH à travers Police Watch a été spécifiquement contactée par des victimes et parents de victimes pour ces trois manifestations.
Sur base de ces témoignages, de constats réalisés par une présence sur place, des images qui ont circulé et de ce qu’en ont rapporté la presse et les médias en ligne, la LDH a procédé à une analyse des violations des droits humains pendant ces trois manifestations. Cette analyse comporte une série de recommandations afin de garantir le respect des droits humains par la police, même en situation de crise sanitaire.
De nombreuses violations des droits humains au cours des diverses manifestations
Avant d’entrer dans les détails des violations des droits humains, la LDH tient à rappeler le cadre juridique encadrant le recours à la force et à l’arrestation par les personnes dépositaires de l’autorité publique qui doit prévaloir dans le cadre de la gestion négociée de l’espace public. Concernant l’usage de la force, l’article 37 de la loi sur la fonction de police stipule que la police peut “recourir à la force pour poursuivre un objectif légitime qui ne peut être atteint autrement. Tout recours à la force doit être raisonnable et proportionné à l’objectif poursuivi”. En outre, pour ce qui est de l’arrestation, l’article 31 de la même loi rappelle que la police peut procéder “en cas d’absolue nécessité” à l’arrestation administrative d’une personne “qui perturbe effectivement la tranquillité publique”, qui commet une infraction ou, lorsqu’il “existe des motifs raisonnables de croire, en fonction de son comportement, d’indices matériels ou des circonstances, qu’elle se prépare à commettre une infraction”. Pour finir, il est important de rappeler que le code pénal sanctionne en son article 147 tout dépositaire de l’autorité publique “qui aura illégalement et arbitrairement arrêté ou fait arrêter une ou plusieurs personnes”, et ce d’un emprisonnement de trois mois à deux ans.
La manifestation “contre la justice de classe et raciste”, le dimanche 24 janvier à Bruxelles
Tout d’abord, la LDH s’inquiète de ce qui semble être une violation du droit de manifester, garanti par l’article 26 de notre Constitution, dans la mesure où, dans le cadre de la manifestation, tout d’abord interdite, et ensuite tolérée pendant 45 minutes, la police a intimidé et empêché celles et ceux qui voulaient rejoindre la manifestation pendant qu’elle était tolérée. Par ailleurs, le droit de manifester a également été mis à mal par une disproportion manifeste du déploiement policier : des policiers anti-émeutes, une trentaine de véhicules de police, des chiens, la cavalerie, des autopompes, des drones et un hélicoptère.
Ensuite, la LDH s’inquiète des nombreux témoignages attestant d’arrestations illégales et arbitraires. Il semble que le dispositif policier ait créé une nasse en poussant les individus vers la Gare centrale au sein de laquelle tout le monde a été arrêté, et ce de manière indifférenciée. En effet, les personnes ont été arrêtées, et ce qu’elles aient respecté l’ordre de dispersion de la manifestation ou non, qu’elles aient même participé à la manifestation ou non (plusieurs personnes ont témoigné avoir été arrêtées aux arrêts de bus ou aux abords de la gare centrale sans avoir participé à la manifestation[1]), permettant de douter du motif de perturbation de la tranquillité publique qui a justifié de nombreuses arrestations. Les chiffres communiqués confirment ce constat : il y a eu 232 arrestations pour 150 participant·e·s à la manifestation, dont 86 personnes mineures (parmi lesquelles des témoignages confirment qu’elles n’étaient pas à la manifestation[2]). L’arrestation a été justifiée par la police par l’intention présumée dans le chef de certain·e·s manifestant·e·s de poser des actes de vandalismes (“Certains avaient l’intention d’aller casser” selon la porte-parole de la zone de police Bruxelles-Capitale/Ixelles), sans qu’aucun acte matériel n’ait été commis dans ce sens, et sans raison de penser que toutes les personnes qui ont été arrêtées allaient effectivement s’adonner à de tels actes, la pratique de la nasse ne permettant pas de différencier les individus. Ainsi, de nombreuses personnes ont été privées de leur liberté de circuler, et ce alors même qu’elles ne troublaient pas la tranquillité publique. Ces pratiques font écho aux témoignages de victimes arrêtées dans le cadre de la manifestation de La Santé en lutte le 13 septembre dernier, sur le territoire de la même commune, et dont l’interpellation citoyenne, soutenue par la LDH, avait alors été refusée par le Conseil communal[3].
La LDH s’indigne qu’il y ait eu dans le chef de certains membres du corps de police un recours disproportionné, déraisonnable et illégitime de la force, et sans preuve que l’objectif ne pouvait être atteint autrement. Tout d’abord, au moment de l’arrestation, plusieurs témoignages attestent de plaquages violents au sol, de chiens lâchés pour poursuivre des manifestants qui s’enfuient, de colsons trop serrés menant à des engourdissements des mains, qui devenaient blanches voire bleues[4], de genoux dans le dos de manifestant·e·s déjà immobilisé·e·s et attaché·e·s[5]. Par ailleurs, plusieurs témoignages confirment qu’une voiture de police arrivant à toute allure a percuté un jeune homme rue Infante Isabelle et l’a projeté sur un fourgon de police dans un choc violent[6]. D’autres témoignages racontent que lorsqu’un jeune de 15 ans se faisait violemment arrêter, une policière aurait déclaré “ça donne envie de donner des coups” questionnant le caractère raisonnable et proportionné de l’usage de la force par certains membres des forces de l’ordre, usage de la force qui rappelons le doit être fait pour un objectif légitime qui ne peut être atteint autrement.
Pendant la détention, plusieurs témoignages font part d’usages de la force non-motivés : des passages à tabac en cellule par des policiers cagoulés avec matraques, casques et protections, des personnes rouées de coup à terre, des pratiques de l’étranglement, des balayages, des coups de poing, de pied, de coude ou de genou, des têtes cognées contre le mur, des personnes tirées par la tête, de gifles, de claques. Ces actes auraient été administrés sans raison, au hasard et “pour l’exemple” après la destruction d’un WC en cellule, ou bien encore en réponse à des demandes concernant les droits des personnes arrêtées comme le droit d’avoir accès à de l’eau, aux sanitaires, ou encore à l’information[7].
En outre, les violences ne semblent pas avoir été uniquement physiques, mais également psychologiques. Des témoignages rapportent des menaces de violences, des humiliations, des crachats et des insultes de la part des forces de l’ordre. Certaines insultes ont eu un caractère raciste (des personnes racisées ont été traitées de “macaques” ou de “singes” par la police); mais également sexiste (un policier dans un fourgon aurait déclaré “ça pue la femme ici, c’est dégueulasse” ou encore “ici t’as pas de droits salope”), en claire violation de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et pénalisant les discriminations racistes et sexistes, notamment lorsque les auteurs sont dépositaires de l’autorité publique (art. 23).
La LDH s’inquiète également du fait que les droits des personnes détenues semblent avoir été violés à de nombreuses reprises. Ainsi, le droit d’information du motif de l’arrestation n’a pas été respecté : les personnes ne savaient pas pourquoi elles étaient arrêtées. Les policiers leur donnaient comme motifs tantôt “trouble à l’ordre public”, tantôt “violation des règles covid”, ou encore “rassemblement”, témoignant d’une nébuleuse complète quant au motif de la privation de liberté[8]. En outre, certaines personnes emprisonnées ont témoigné de n’avoir pas eu d’accès à l’eau, de s’être vu refuser l’accès aux toilettes, de ne pas avoir pu passer d’appel externe (alors que la mention “a refusé le contact” figurait sur le formulaire de sortie), d’avoir été enfermées dans des cellules très peu ou pas éclairées et sans chauffage. Il y aurait également eu un cas de non-assistance à personne en situation de détresse physique[9].
Par ailleurs, les policiers ont procédé à une prise de photographies des personnes arrêtées de manière systématique et sans motif. La LDH s’inquiète d’un usage abusif de prise en photo de détenu·e·s au commissariat, sans justification valable, faisant craindre des pratiques de fichage abusives et non transparentes.
Outre la violation des droits des personnes détenues, il y a également eu un non-respect des règles sanitaires pour les personnes arrêtées, étant données que les fourgons et les cellules étaient bondées (la capacité maximale n’était pas respectée)[10].
Pour finir, plusieurs témoignages rapportent des violations du droit de filmer la police, que cela soit par des intimidations des personnes filmant des arrestations, et ce au moyen d’un contrôle d’identité, voire d’une arrestation ; ou encore par la suppression par la police des images filmées par les personnes arrêtées sur leur téléphone[11].
Le rassemblement demandant Justice pour Ibrahima, le 17 janvier à Saint-Josse
À peine une semaine plus tôt, 116 personnes dont 30 mineurs étaient arrêtées dans le cadre d’un rassemblement près de la Gare du Nord à Bruxelles pour demander “Justice pour Ibrahima”, décédé le soir du 9 janvier suite à une arrestation policière[12]. Face à un rassemblement pacifique de quelque 300 personnes, un dispositif policier massif : de nombreux combis, des policiers anti-émeutes et en civil, la brigade cabine et deux pompes à eau. Les images filmées et témoignages de journalistes et manifestant·e·s sur place font état d’un nassage[13] non-justifié du rassemblement et sans aucune communication préalable, au moment où celui-ci tournait à sa fin, empêchant les personnes présentes ou de passage, dont des familles avec de jeunes enfants, de quitter les lieux, et provoquant des tensions et des mouvements de panique alors que les organisateurs appelaient au calme. A partir du jet de quelques projectiles sur la police, celle-ci a eu recours au gaz lacrymogènes et aux autopompes ; comme dans le cas du rassemblement du dimanche 24 janvier, l’intervention policière, plutôt que d’encadrer le rassemblement de manière pacifiante et sécurisante, a poussé à l’escalade, sans qu’aucun dialogue soit possible, pour procéder ensuite à des arrestations massives et arbitraires et une diabolisation des manifestant·e·s. L’usage à bout portant d’un flashball, arme semi-létale, et alors que la personne visée ne représentait aucun danger, est un autre exemple de l’usage disproportionné et illégal de la force ce jour-là[14].
La version policière des événements, que les images filmées et témoignages sur place contredisent, a été largement relayée par les médias et responsables politiques, tant au niveau local que fédéral, contrairement aux revendications légitimes du rassemblement[15].
Le rassemblement demandant Justice pour Adil, le 27 novembre 2020 à Anderlecht
À peine deux mois plus tôt, lors du rassemblement du 27 novembre à Anderlecht pour demander “Justice pour Adil”, alors que la veille le parquet demandait un non-lieu à l’encontre des policiers, près de 90 personnes ont été arrêtées, dont de nombreux mineurs. Alors qu’une marche pacifiste dont des familles avec enfants se détachait du rassemblement pour prendre une photo sur le square Albert, un dispositif policier massif a été déployé, avec canons à eau, unités cagoulées et d’intervention et brigade canine, sommant les personnes présentes ou de passage à se disperser. Nassées entre deux lignes de police, elles ont été bousculées, provoquées, pour certaines violentées, sans pouvoir se disperser alors qu’elles le demandaient, comme le montrent des images filmées recueillies entre autres par ZinTV[16]. Au vu des images, le nombre d’arrestations est là aussi choquant. Les personnes ont été embarquées dans deux commissariats différents. Nombreuses d’entre elles ont relevé qu’une majorité de personnes blanches avaient été amenées dans les casernes d’Etterbeek alors qu’une majorité de personnes racisées, dont des mineurs, avaient été amenées au commissariat Démosthènes à Anderlecht où les témoignages étaient particulièrement violents. Plusieurs témoignages font état de coups, d’étranglements, de colsons douloureux et d’insultes racistes. Certains agents auraient enlevé leur matricule au cours des violences infligées. Dans le cas des mineurs, les parents n’ont pas été prévenus de leur arrestation et ils n’ont pas non plus été raccompagnés chez eux. Parmi les personnes arrêtées, une juriste présente lors du rassemblement pour effectuer une observation légale des agissements des forces de l’ordre, a été forcée de se déshabiller au commissariat et de faire des génuflexions. Un éducateur spécialisé hémiplégique et épileptique a également été violenté dans le cadre du rassemblement alors qu’il intervenait pour pacifier la situation[17]. D’autres personnes ont reçu l’ordre de se disperser pour être arrêtées quelques rues plus loin, à l’abri des images, alors qu’elles rentraient chez elles. D’autres encore ont été arrêtées alors qu’elles circulaient librement dans le quartier, sans participer au rassemblement. Dans les commissariats, des photos ont été prises des personnes détenues sans justification, et sans que les motifs d’arrestation n’aient été donnés. Elles n’ont pas non plus reçu d’extrait du registre de privation de liberté à leur sortie, malgré les demandes répétées. Pour finir, la LDH s’étonne que plusieurs personnes ayant participé à la manifestation aient reçu une sanction administrative communale de 250€.
Conclusions et recommandations de la Ligue des droits humains
La lutte contre les violences policières demeure une nécessité actuelle brûlante et une obligation internationale de la Belgique. Dans leurs recommandations faites à l’État belge[18], le Comité européen de prévention de la torture (CPT) et le Comité contre la torture de l’ONU (CAT) soulignaient que « L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre les mauvais traitements, y compris ceux fondés sur une quelconque forme de discrimination et en sanctionner les auteurs de manière appropriée »[19]. Près de 10 ans plus tard, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies émettait des recommandations similaires[20]. Malgré cela, il faut relever la persistance d’allégations crédibles et récurrentes de mauvais traitements par les forces de l’ordre, mettant en évidence le non-respect par les autorités belges de leurs obligations internationales.
De ce fait, la LDH émet les recommandations suivantes :
Lors de manifestations et rassemblements
- La LDH recommande le respect du droit de manifester pour toutes et tous dans le respect des règles sanitaires. La LDH recommande également que, vu l’objectif affiché des autorités publiques, que ces mesures soient également respectées dans la dispersion des manifestant·e·s et lors des arrestations qui auraient lieu (y compris dans les fourgons et en cellule).
- Afin de respecter ce droit à manifester, la LDH invite les autorités à ne pas faire un usage abusif de mesures pouvant dissuader des personnes d’exercer ce droit fondamental, créant un chilling effect[21]. Ainsi, la LDH dénonce l’usage systématique et abusif des sanctions administratives communales et des transactions pénales utilisées lors et aux alentours des manifestations, et appelle les pouvoirs publics et le parquet à en limiter l’usage, étant donné que cela contribue à ce chilling effect. Il faut rappeler que les autorités publiques doivent faire preuve de tolérance vis-à-vis des manifestations pacifiques, même lorsqu’elles se déroulent sans autorisation formelle ou lorsqu’elles ne respectent pas les formalités prévues par la réglementation locale[22]. Par ailleurs, tant que les manifestant·e·s n’ont pas d’intentions violentes, les autorités doivent tolérer leur expression[23] et les perturbations mineures qu’engendre inévitablement toute réunion tenue sur la voie publique. Enfin, selon la Cour européenne des droits de l’homme, infliger une sanction, même légère, à des manifestant·e·s pour avoir exprimé pacifiquement leur point de vue dans l’espace public revient à violer leur liberté d’expression et de réunion, même si la manifestation n’était pas formellement autorisée[24].
- La LDH demande l’interdiction de l’usage des drones à des fins d’identification de personnes physiques par la police, particulièrement dans le cadre de l’exercice de la liberté de manifestation. Dans l’intervalle, une évaluation du recours à ce type de technologie est nécessaire.
- La LDH invite les forces de l’ordre à ne pas avoir systématiquement recours à la technique de la nasse pour disperser une manifestation, dans la mesure où cela crée un groupe de personnes indifférenciées, forçant l’arrestation des personnes sans prendre en compte leur comportement ni leur risque réel pour l’ordre public. Cette technique policière fait l’objet de critiques en ce qu’elle constituerait une atteinte injustifiée et disproportionnée aux libertés fondamentales. En France, elle fait d’ailleurs l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil Constitutionnel[25].
Concernant les arrestations - La LDH rappelle que les arrestations ne peuvent être motivées par des critères basés sur la couleur de peau ou l’appartenance ethnique (réelle ou supposée) des personnes et rappelle l’interdiction du profilage ethnique[26]. En outre, la LDH rappelle sa demande de mettre en place des récépissés de contrôle d’identité[27] afin de favoriser la communication, d’objectiver le phénomène de profilage ethnique et de le réduire, conformément aux engagements internationaux de l’Etat belge[28].
- La LDH insiste sur l’importance du respect du cadre légal dans le cas de privation de liberté des mineur·e·s, et notamment du fait de prévenir les parents. Elle insiste sur la vulnérabilité et l’obligation de protéger ces derniers, conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant.
- La LDH rappelle l’importance fondamentale du respect des droits des personnes privées de libertés, dont le droit à l’accès à de l’eau, à de la nourriture, aux sanitaires, à de l’assistance en cas de danger, à un coup de fil à un proche, ainsi que le droit d’être informé des raisons de son arrestation. Elle rappelle également le fait que le Comité P a déjà émis des recommandations à cet égard[29], recommandations qui ne sont visiblement pas toujours respectées.
- La LDH condamne l’usage systématique et motivé de la prise en photo des personnes arrêtées. Une photo peut être prise sans l’accord des personnes arrêtées uniquement sur demande des autorités judiciaires ou si c’est nécessaire pour pouvoir les identifier (s’ils disposent de la carte d’identité par exemple). Il faut alors qu’il y ait un lien prouvé avec une infraction concrète.
- La LDH rappelle également les recommandations du Comité P en matière d’arrestations administratives à grande échelle : “Ne pas prolonger sans raison(s) valable(s) le maintien des entraves (colsons) à l’ensemble des personnes détenues ; (…) Prévoir au cours de la procédure de traitement des personnes arrêtées un contrôle systématique des colsons et remplacer les colsons trop serrés. Être à l’écoute des personnes arrêtées demandant que des colsons trop serrés leur soit (sic) enlevés. (…) Éviter les attitudes et propos provocants à l’égard des personnes arrêtées. (…) Informer systématiquement et de manière correcte les personnes arrêtées administrativement des éléments repris à l’article 33ter de la loi sur la fonction de police.”[30]
De manière générale
- La LDH rappelle que l’usage de force doit toujours être proportionné, raisonnable, et effectué dans le but d’atteindre un objectif légitime qui ne peut être atteint autrement. Ainsi, les passages à tabac et autres violences non-nécessaires sur des personnes privées de leur liberté (d’autant plus lorsqu’elles se passent pendant le temps de la détention hors de la sphère publique) ou les violences exercées au moment de la privation de liberté qui serait disproportionnées (plaquages au sol systématique, lâchés de chiens) ne semblent prima facie pas relever de l’usage de la force proportionné et nécessairel. Ces violences peuvent par ailleurs constituer des traitements inhumains et dégradants interdits par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH)[31]. Or, des allégations crédibles de violation de l’article 3 doivent nécessairement entraîner des enquêtes indépendantes, effectives et rapides.
- La LDH rappelle l’obligation pour les agents dépositaires de l’autorité publique d’être identifiables à tout moment (dans l’espace public, comme dans les casernes et commissariats), conformément à l’art. 41 de la loi sur la fonction de police du 5 août 1992 et comme le recommande le Comité permanent de contrôle des services de police (Comité P)[32].
- La LDH demande l’interdiction d’armes dites sublétales telles que les flashballs dont l’usage en Belgique est régulièrement orienté vers les personnes racisées. En outre, le Comité P recommande de ne pas avoir recours à ce type d’armement dans le cadre de la gestion négociée de l’espace public[33]. Quoi qu’il en soit, une évaluation du recours à ce type d’armement est nécessaire.
- La LDH rappelle le respect de la liberté de circuler et de ne pas être arrêté arbitrairement pour toute personne se trouvant dans l’espace public.
- La LDH rappelle le droit fondamental de filmer la police[34] et demande que celui-ci soit respecté à tout moment.
- La LDH insiste sur le fait que l’impunité de certains membres de la police lorsque ceux-ci commettent des abus est un obstacle à la bonne administration de la justice et à la confiance publique en la police. Au niveau judiciaire et disciplinaire, elle recommande ainsi à l’Etat fédéral de renforcer l’accessibilité de la justice en limitant les nombreux freins existants : acter les plaintes de manière régulière ; limiter les risques de représailles judiciaires (par exemple en prévoyant une jonction systématique des dossiers, comme recommandé par le Comité des Droits de l’Homme et le Comité contre la torture des Nations Unies[35]) ; renforcer l’accès à l’aide juridique ; lutter contre l’arriéré judiciaire… En outre, la LDH recommande de prévoir un mécanisme de plainte efficace et performant pour permettre une réponse opérante au phénomène. De ce fait, des injonctions devraient être données aux parquets afin de porter une attention particulière à cette question et d’y apporter une réponse efficace, soit à travers une politique de poursuites, soit à travers le développement de la médiation pénale dans ce type de situations. Au niveau politique, elle rappelle qu’une réaction ferme des autorités est attendue en cas d’abus de la part de la police et que tout déni politique de ces abus aggrave la situation et participe à l’impunité de la police.
- La LDH considère que les dépositaires de l’autorité publique doivent montrer l’exemple dans le respect des lois contre les discriminations, que celles-ci soient racistes, sexistes, ou homophobes. De ce fait, elle dénonce la surexposition des personnes racisées à la surveillance policière, la gestion différenciée du maintien de l’ordre en fonction de la race, ainsi que les processus de criminalisation racialisée. Par ailleurs, elle rappelle que toute allégation crédible de mauvais traitement à caractère raciste doit faire l’objet d’une enquête indépendante et effective[36].
- la LDH appelle au respect de la Convention des droits de l’enfant et à la mise en oeuvre des recommandations du Délégué général aux droits de l’enfant pour un apaisement entre jeunesse et police[37].
[1] “Une plainte déposée au comité P : que s’est-il passé dimanche à Bruxelles à l’issue de la manifestation contre la “justice de classe”, RTBF, 26 janiver 2021, https://www.rtbf.be/info/regions/detail_que-s-est-il-passe-dimanche-a-l-issue-de-la-manifestation-contre-la-justice-de-classe?id=10682890&utm_source=rtbfinfo&utm_campaign=social_share&utm_medium=fb_share&fbclid=IwAR3kOOzmXxux1Wz0i-Ga6eSe3DftvVUmzDRlCTZpdWwl2T6yq3yhZBci0Ho
[2] “86 mineurs arrêtés dimanche à Bruxelles : des manifestants témoignent de violences policières”, BX1, 26 janvier 2021, https://bx1.be/bruxelles-ville/86-mineurs-arretes-dimanche-a-bruxelles-des-manifestants-temoignent-de-violences-policieres/?theme=classic&fbclid=IwAR2jsSBhaKs5R6wpYK3UDmzGgHB7G0ALNx_9T86Uh6Xs6hUkXGX7_pfOY9s
[3] https://lasanteenlutte.org/les-responsables-politiques-ne-peuvent-continuer-a-cautionner-les-violences-policieres/
[4] “Avec les gens arrêtés sans motif à la manif contre la justice de classe”, Vice, 25 janvier 2021, https://www.vice.com/fr/article/88akyp/avec-les-gens-arretes-sans-motif-a-la-manif-contre-la-justice-de-classe?utm_source=vicefbbefr&fbclid=IwAR0CIOOo1tRNyMkVXIFwG7HjxzPyKVQwhbc8YXW_IUbzKsu04TwdqawyBB4
[5] “Avec les gens arrêtés sans motif à la manif contre la justice de classe”, Vice, 25 janvier 2021.
[6] “Une plainte déposée au comité P : que s’est-il passé dimanche à Bruxelles à l’issue de la manifestation contre la “justice de classe”, RTBF, 26 janvier 2021.
[7] “Une plainte déposée au comité P : que s’est-il passé dimanche à Bruxelles à l’issue de la manifestation contre la “justice de classe”, RTBF, 26 janvier 2021 ; “86 mineurs arrêtés dimanche à Bruxelles : des manifestants témoignent de violences policières”, BX1, 26 janvier 2021.
[8] “Avec les gens arrêtés sans motif à la manif contre la justice de classe”, Vice, 25 janvier 2021.
[9] “Avec les gens arrêtés sans motif à la manif contre la justice de classe”, Vice, 25 janvier 2021.
[10] “86 mineurs arrêtés dimanche à Bruxelles : des manifestants témoignent de violences policières”, BX1, 26 janvier 2021 ; “Avec les gens arrêtés sans motif à la manif contre la justice de classe”, Vice, 25 janvier 2021.
[11] “Avec les gens arrêtés sans motif à la manif contre la justice de classe”, Vice, 25 janvier 2021.
[12] Arthur Sente, “Décès d’un jeune homme après son passage au commissariat de Sanit-Josse : ce que l’on sait”, Le Soir, 11 janvier 2021, https://plus.lesoir.be/348260/article/2021 – 01-11/deces-dun-jeune-homme-apres-son-passage-au-commissariat-de-saint-josse-ce-que
[13] La nasse ou le nassage est une technique de maintien de l’ordre qui consiste à isoler et enfermer une partie d’un défilé de manifestant·e·s, pour un temps qui n’est pas prédéterminé, dans l’espace public (la rue le plus souvent), au sein d’une surface délimitée par des barrages ou des cordons de policiers ou par du mobilier urbain, sans issue ou avec des issues contrôlées.
[14] “Manifestation Ibrahima : nouvelle vidéo montrant un policier faire usage d’un flashball”, Cité 24, janvier 2021, https://cite24.com/manifestation-ibrahima-nouvelle-video-montre-un-policier-faire-usage-dun-flashball/
[15] Retour sur la manifestation du 13 janvier pour Ibrahima, Opinion par Khadija Senhadji, 17 janvier 2021, Le Vif, https://www.levif.be/actualite/belgique/retour-sur-la-manifestation-du-13-janvier-justice-pour-ibrahima/article-opinion-1381033.html
[16]“Justice pour Adil”, 21 décembre 2020, https://zintv.org/video/justice-pour-adil/
[17] Témoignage de Yassine (nom modifié) diffusé sur les réseaux sociaux le 9 décembre 2020 https://www.facebook.com/permalink.php?id=107557947551595&story_fbid=214379710202751.
[18] Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), 8 mars 2018, CPT/Inf (2018) 8, §§ 12 et suivants. Voir également Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), 20 avril 2006, CPT/Inf (2006) 15, §§ 11 et 12 ; Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), 23 juillet 2010, CPT/Inf (2010) 24, §§ 13 et suivants.
[19] Comité contre la torture, Observations finales : Belgique, 19 janvier 2009, CAT/C/BEL/CO/2, § 13.
[20] Human Rights Council, Draft report of the Working Group on the Universal Periodic Review – Belgium, Geneva, 11 April 2016 (A/HRC/32/8), pt. 139.8 – 139.10.
[21] Le ‘Chilling Effect’ (qui peut être traduit par « effet bloquant » ou « intimidation judiciaire ») consiste en droit à empêcher ou décourager une personne physique ou morale d’exercer ses droits en la menaçant d’intenter une action en justice.
[22] CEDH, Oya Ataman c. Turquie, 5 décembre 2006, §§ 33 – 44 ; CEDH, Nurettin Aldemir et autres c. Turquie, 18 décembre 2007, §§ 43 – 46.
[23] CEDH, Faber c. Hongrie, 24 juillet 2012, §§ 42 – 59.
[24] CEDH, Faber c. Hongrie, 24 juillet 2012, §§ 42 – 59 ; CEDH, Tatar et Faber c. Hongrie, 12 juin 2012, §§ 36 – 42 ; CEDH, Karademirci et autres c. Turquie, 25 janvier 2005.
[25] C. Polloni, “Maintien de l’ordre : la « nasse » est attaquée”, Mediapart, 17 décembre 2020, https://www.mediapart.fr/journal/france/171220/maintien-de-l-ordre-la-nasse-est-attaquee?utm_source=article_offert&utm_medium=email&utm_campaign=TRANSAC&utm_content=&utm_term=&xtor=EPR-1013-%5Barticle-offert%5D&M_BT=2456375171916.
[26] On peut parler de profilage ethnique lorsque la police procède à un contrôle motivé par l’apparence et non en lien avec les agissements. Des stéréotypes ou des suppositions négatifs liés à l’ethnicité, la couleur de peau, la nationalité ou religion sont alors l’occasion de contrôler, fouiller ou arrêter, au lieu d’une justification objective et raisonnable.
[27] Le principe du récépissé implique que soit remis à chaque personne contrôlée une attestation indiquant a minima la date, le lieu, et le motif du contrôle d’identité.
[28] Human Rights Council, Draft report of the Working Group on the Universal Periodic Review – Belgium, Geneva, 3 February 2016 (A/HRC/32/8), Recommendations 138.73, 138.74, 139.8, 139.9 and 140.25. A cet égard, voir également Ligue des Droits Humains, « Contrôler et punir ? Etude exploratoire sur le profilage ethnique dans les contrôles de police : paroles de cibles », Bruxelles, 2016 (https://www.liguedh.be/wp-content/uploads/2017/03/rapport_profilage_ethnique_ldh.pdf) ; Amnesty International Belgique, « On ne sait jamais avec des gens comme vous – Politiques policières de prévention du profilage ethnique en Belgique », Bruxelles, mai 2018 (https://www.amnesty.be/IMG/pdf/rapport_profilage_ethnique.pdf) ; P. CHARLIER, Protéger nos libertés et garantir notre sécurité, La Libre Belgique, 8 décembre 2015 (http://www.lalibre.be/debats/opinions/proteger-nos-libertes-et-garantir-notre-securite-5665a7da35708494c9581fef).
[29] Comité permanent de contrôle des services de police, « La notification des droits dans le cadre des privations de liberté dans les lieux de détention de la police et l’application du droit à l’assistance médicale et du droit à un repas dans ce contexte », Enquête de contrôle, 9 décembre 2019.
[30] Comité permanent de contrôle des services de police, Recommandations en cas d’arrestations administratives à grande échelle, Enquête de contrôle, 26 mai 2020, §§ 11, 12, 13 et 19.
[31] CEDH (G.C.), Bouyid c. Belgique, 28 septembre 2015.
[32] Comité permanent de contrôle des services de police, Recommandations en cas d’arrestations administratives à grande échelle, Enquête de contrôle, 26 mai 2020, § 21.
[33] Ibid, § 23.
[34] Voir entre autres CJUE, 14 février 2019, C‑345/17, Sergejs Buivids ; CEDH, Butkevich c. Russie, 13 février 2018 ; CEDH, Pentikäinen c. Finlande, 20 octobre 2015 ; Civ. Bruxelles, (4ème ch.), Jugement 2019/22791 du 24 octobre 2019, Trib. Pol. Brabant Wallon, Division Wavre, Jugement 2018/233 du 12 novembre 2018 ; D. Voorhoof, « Geen verbod op filmen van politieagenten », De Juristenkrant, n° 380, 19 décembre 2018.
[35] Lorsqu’une personne portant plainte à l’encontre des forces de l’ordre est elle-même poursuivie pour rébellion ou faits similaires (outrage, incitation à l’émeute…), les deux dossiers sont systématiquement traités distinctement. Or, ils sont bien évidemment indissociables. Des raisons évidentes de bon sens et d’efficacité imposent qu’une seule instance judiciaire connaisse de l’ensemble des faits, au même moment.Le Comité des droits de l’homme de l’ONU ainsi que le CAT recommandent d’ailleurs une jonction systématique des dossiers(Comité contre la torture, Observations finales : Belgique, 19 janvier 2009, CAT/C/BEL/CO/2, § 11 ;Observations finales du Comité des droits de l’homme : Belgium, 12 août 2004, CCPR/CO/81/BEL, n° 12).
[36] Voir entre autres CEDH, Turan Cakir c. Belgique, 10 mars 2009.
[37] Avis du Délégué général aux droits de l’enfant, Jeunesse et police : pour un apaisement, Février 2012, http://www.dgde.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=34fffc2a873dd952f7c2ae33b06047e70caca51d&file=fileadmin/sites/dgde/upload/dgde_super_editor/dgde_editor/documents/groupes_de_travail/Jeunesse_et_police__recommandations_pour_un_apaisement.pdf