« Réconciliation » à la hondurienne

L'accord pour la réconciliation nationale a permis au Honduras d’être réadmise au sein de l’OEA, et prétend veiller au respect et de la protection des droits humains...

mer­cre­di, 14 sep­tembre 2011 / Mau­rice Lemoine /Journaliste

Source de l’ar­ticle : Mémoire des luttes

Signé le 22 mai der­nier par l’ex-président Manuel Zelaya (ren­ver­sé fin juin 2009 par un coup d’Etat) et l’actuel chef de l’Etat Por­fi­rio Lobo, l’Accord dit « de Car­ta­ge­na » était cen­sé mettre un terme à la grave crise poli­tique qui affecte le Hon­du­ras. Ayant pour véri­table inti­tu­lé « Accord pour la récon­ci­lia­tion natio­nale et la conso­li­da­tion du sys­tème démo­cra­tique dans la Répu­blique du Hon­du­ras », il a per­mis à cette der­nière d’être réad­mise au sein de l’Organisation des Etats amé­ri­cains (OEA), le 1er juin 2011, et pré­tend, dans son para­graphe 5, « veiller de manière par­ti­cu­lière au res­pect de la Consti­tu­tion en ce qui concerne les garan­ties du res­pect et de la pro­tec­tion des droits humains ».

S’il a été para­phé mal­gré les sérieuses mises en garde d’une part non négli­geable du mou­ve­ment social hon­du­rien qui, dure­ment répri­mé, a vu en lui une façon insi­dieuse de faire oublier le golpe [1] et d’absoudre ses auteurs, cet accord n’en a pas moins per­mis le retour de M. Zelaya dans son pays, d’où il peut désor­mais assu­mer son rôle de diri­geant de l’opposition – le Front natio­nal de résis­tance popu­laire (FNRP). Tout irait donc pour le mieux dans le (presque) meilleur des mondes si la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » (en géné­ral) et l’OEA (en par­ti­cu­lier) ne se dés­in­té­res­saient tota­le­ment de la curieuse concep­tion qu’a l’oligarchie hon­du­rienne de la « récon­ci­lia­tion » et « des droits humains ».

Le 5 juin, quatre jours seule­ment après que, à San Sal­va­dor, les chefs d’Etats du conti­nent (ou leurs ministres des affaires étran­gères) aient célé­bré le retour « offi­ciel » de la démo­cra­tie à Tegu­ci­gal­pa et de Tegu­ci­gal­pa au sein de l’OEA, le sang cou­lait à nou­veau dans le Bas Aguán – région de la côte atlan­tique, au nord du pays, où trois mille cinq cents familles membres du Mou­ve­ment uni des pay­sans de l’Aguán (MUCA), du Mou­ve­ment pay­san de l’Aguán (MCA) et du Mou­ve­ment authen­tique reven­di­ca­tif pay­san de l’Aguán (MARCA) occupent une par­tie des 20 000 hec­tares de terre que trois grands pro­prié­taires ter­riens – MM. Rei­nal­do Canales, René Morales et Miguel Facus­sé – se sont indû­ment appro­priés au fil des années. Ce 5 juin, donc, un fort contin­gent de poli­ciers, de mili­taires et d’authentiques « para­mi­li­taires » à la solde des ter­ra­te­nientes [2] atta­quait les asen­ta­mien­tos (colo­nies) du MARCA, à Tri­ni­dad, San Isi­dro et San Estebán, avant d’envahir vio­lem­ment les ins­tal­la­tions de l’Institut natio­nal agraire (INA), une enti­té semi-auto­nome de l’Etat, à Sina­loa. Au même moment, des incon­nus inter­cep­taient et assas­si­naient trois membres de la coopé­ra­tive de San Estebán : José Reci­nos Agui­lar, Joel San­ta­maría et Gena­ro Cues­ta. Ce crime por­tait alors à trente-deux le nombre des pay­sans vic­times de la répression.

Depuis, la mort pour­suit son œuvre. Le 16 juillet, tombent Luis Alon­so Ortiz Bor­jas et Constan­ti­no Morales Enamo­ra­do, de la com­mu­nau­té de Nue­va Marañones (MUCA). Une semaine plus tard, le 23, des incon­nus abattent Julián Alva­ren­ga García, pré­sident de l’asentamiento Isla Uno (MUCA) et blessent gra­ve­ment l’un de ses com­pa­gnons, M. San­tos Dubón.

La confu­sion atteint son comble lorsque, les 14 et 15 août, un affron­te­ment aux cir­cons­tances encore non élu­ci­dées coûte la vie à quatre sicaires de M. Facus­sé, en bles­sant onze autres, et quand, le len­de­main, cinq per­sonnes n’ayant rien à voir avec les conflits agraires de la zone sont froi­de­ment exé­cu­tées alors qu’elles sortent des bureaux de l’INA, à Sinaloa.

Image_3-81.pngFamilles des vic­times, dans le Bas Aguan

C’est tou­te­fois le drame du 14 qui, et pour cause, fait sor­tir les auto­ri­tés de leur léthar­gie : cette fois, les vic­times ne sont pas des pay­sans en lutte mais des hommes de main du « maître de la terre » et roi de la palme afri­caine Miguel Facus­sé. Diri­geant l’INA avec rang de ministre, M. César Ham peut bien affir­mer que ces faits de vio­lence ne peuvent être attri­bués ni au MUCA, ni au MARCA, ni au MCA, le ministre de la sécu­ri­té Óscar Álva­rez, sur ordres du pré­sident Lobo, lance l’ « opé­ra­tion Xatruch II ». Mille mili­taires et poli­ciers sont dépê­chés dans la région pour y « réta­blir l’ordre » et pro­cé­der à un « désar­me­ment » (sous-enten­du : des pay­sans). Une opé­ra­tion simi­laire avait déjà eu lieu en décembre 2010… sans qu’aucune arme ne soit trou­vée [3] !

Réta­blir l’ordre ? Mais quel ordre ? Cette re-mili­ta­ri­sa­tion mas­sive du Bas Aguán n’empêche nul­le­ment l’assassinat, le 20 août, de Secun­di­no Ruiz, pré­sident de la coopé­ra­tive San Isi­dro (MARCA) ; l’exécution et la déca­pi­ta­tion, le 21 août, à La Concep­ción, du vice-pré­sident du MUCA Pedro Sal­ga­do et de son épouse Rei­na Mejía Lico­na ; la mort vio­lente, le 2 sep­tembre, d’Olvin David Gonzá­lez Godoy, membre du MUCA, à proxi­mi­té de la coopé­ra­tive Marañones.

Le calme revien­dra-t-il avec l’approbation par le Congrès, le 7 sep­tembre, d’un décret affec­tant 4 712 hec­tares à sept com­mu­nau­tés appar­te­nant au MUCA et au MARCA ? Le 14 avril 2010, en effet, admet­tant que ses membres avaient le droit d’accéder à la terre, le pré­sident Lobo leur avait pro­po­sé, par l’intermédiaire de l’INA, 11 000 ha en trois par­ties (dont une pre­mière de 4 000 ha), à condi­tion qu’elles aban­donnent l’occupation de vingt-six fin­cas [4] et moyen­nant une indem­ni­sa­tion des pseu­do pro­prié­taires, MM. Morales et Facus­sé. Depuis, la tran­sac­tion traî­nait en lon­gueur, ouver­te­ment sabo­tée par ce der­nier : alors que le gou­ver­ne­ment pro­po­sait 110 000 lem­pi­ras par hec­tare (4 028 euros), il en récla­mait 350 000 (12 800 euros). La négo­cia­tion a fina­le­ment débou­ché sur 135 000 lem­pi­ras par hec­tare (4 963 euros), soit pour les 4 045,70 hec­tares de M. Facus­sé et les 667 ha de M. Morales, une somme de 636 mil­lions de lem­pi­ras (23,3 mil­lions d’euros) [5]. Béné­fi­ciant d’un prêt au taux « pré­fé­ren­tiel » de 10 %, les pay­sans devront les rem­bour­ser dans un délai de quinze ans – l’Etat se por­tant garant de ce remboursement.

Pour posi­tif qu’il soit, cet accord, contes­té par une majo­ri­té des inté­res­sés car ne résol­vant qu’une infime par­tie des conflits agraires, ne garan­tit en rien la fin des reven­di­ca­tions et donc de la répres­sion. Laquelle, par ailleurs, ne se can­tonne pas au seul Bas Aguán. Le 22 août, l’étudiant Nahúm Guer­ra Guer­re­ro, qui par­ti­ci­pait à l’occupation paci­fique de l’Ecole d’agriculture Pom­pi­lio Orte­ga, à San­ta Bár­ba­ra, est tom­bé sous le feu de tueurs cir­cu­lant en auto­mo­bile. Le 7 sep­tembre, à Tegu­ci­gal­pa, Maha­deo Roo­pa­chand Sad­loo, dit « Emo », mili­tant connu et très popu­laire du FNRP, a été fau­ché à son tour, à son domi­cile – une balle dans la tête, quatre dans le tho­rax. Le len­de­main, à Puer­to Cor­tés, le jour­na­liste et tré­so­rier du Front élar­gi de résis­tance popu­laire (FARP) pour le nord du pays [6], était vic­time des tueurs d’un esca­dron de la mort.

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Maha­deo Roo­pa­chand Sad­loo, dit « Emo », assas­si­né le 7 septembre

Face à l’hécatombe, les auto­ri­tés font preuve d’une fer­tile ima­gi­na­tion. Ain­si, la vio­lence qui affecte le Bas Aguán serait-elle due à la pré­sence d’un groupe (lire : une gué­rilla) « d’au moins trois cents hommes armés » obéis­sant aux ordres d’un indi­vi­du nom­mé « El Coman­dante » et entraî­né par « deux Nica­ra­guayens » – ori­gi­naires, on l’aura com­pris, d’un pays membre de l’Alliance boli­va­rienne des peuples de notre Amé­rique (ALBA) [7]. En revanche, d’après le com­mis­saire Mar­co Tulio Pal­ma Rive­ra, chef de la Direc­tion natio­nale d’investigation cri­mi­nelle (DNIC), qui mène l’enquête sur le meurtre d’ « Emo », « l’hypothèse la plus forte est qu’il s’agit d’un crime de droit com­mun, sans carac­tère idéo­lo­gique [8] ».

On ignore pour l’instant si la démis­sion du ministre de la sécu­ri­té Óscar Álva­rez, sur­ve­nue le 9 sep­tembre, à la demande du pré­sident Lobo, est due à son échec dans la lutte contre une insé­cu­ri­té galo­pante, ou si elle est une consé­quence de pres­sions inter­ve­nues après les décla­ra­tions fra­cas­santes qu’il a faites le 31 août : ce jour-là, en effet, il a dénon­cé « qu’au moins dix offi­ciers de la police natio­nale se sont trans­for­més en “contrô­leurs aériens” per­met­tant l’atterrissage [au Hon­du­ras] de nar­co-avions qui trans­portent de la drogue du sud du conti­nent jusqu’en Amé­rique du Nord [9] » et a annon­cé qu’il vou­lait épu­rer l’institution.

Ce pavé dans la mare a fait d’autant plus d’effet que, quelques jours plus tard, il a été sui­vi de la publi­ca­tion, via Wiki­Leaks, d’un câble « secret » de l’ambassade amé­ri­caine daté du 19 mars 2004 et inti­tu­lé « Un avion du nar­co­tra­fic brû­lé dans la pro­prié­té d’un émi­nent Hon­du­rien » [10]. Le docu­ment détaille com­ment, le 14 mars de cette année-là, un bimo­teur char­gé d’une tonne de cocaïne et pro­ve­nant de Colom­bie a atter­ri sur l’une des pro­prié­tés de M. Miguel Facus­sé située à Faral­lones (côte nord du Hon­du­ras) ; com­ment le char­ge­ment fût trans­fé­ré dans une cara­vane de véhi­cules escor­tés par trente hommes for­te­ment armés ; com­ment l’aéronef fût brû­lé, en plein jour, près de la piste d’atterrissage, et enter­ré le 15 au soir, avec l’aide d’un bull­do­zer. Sans mettre ouver­te­ment en cause M. Facus­sé, le rap­port signé par l’ambassadeur Lar­ry Leon Pal­mer n’en rap­porte pas moins que sa pro­prié­té « était for­te­ment sur­veillée ce qui rend “ques­tion­nable” la ver­sion selon laquelle des étran­gers auraient pu y péné­trer et uti­li­ser la piste d’atterrissage sans auto­ri­sa­tion », sachant par ailleurs « que Facus­sé était pré­sent (…) au moment où ont eu lieu les faits ». Enfin, men­tionne le câble, « cet inci­dent marque la troi­sième occa­sion où, au cours des quinze der­niers mois, l’on a vu des tra­fi­quants de drogue en rela­tion avec cette pro­prié­té de M. Facus­sé ».

Sans aller au-delà de ce que sug­gère ce docu­ment, on n’en com­prend pas moins que, vu sous cet angle, cer­taines « élites » du Bas Aguan pré­fèrent voir la zone four­miller de para­mi­li­taires et de poli­ciers que… de paysans.

Pho­tos : Mau­rice Lemoine

[1] Coup d’Etat.

[2] Grands propriétaires.

[3] Lire « Bras de fer au Hon­du­ras », Le Monde diplo­ma­tique, juin 2011.

[4] Pro­prié­té.

[5] Sont concer­nées les fin­cas La Auro­ra, La Confian­za, Isla 1 et 2, Marañones, La Concep­ción, La Lem­pi­ra et San Estebán.

[6] Après le retour d’exil de M. Zelaya, la résis­tance popu­laire a pris la déci­sion de consti­tuer un Front élar­gi (FARP) regrou­pant le FNRP et d’autres sec­teurs de l’opposition, en vue des élec­tions pré­vues en 2013.

[7] L’ALBA regroupe la Boli­vie, Cuba, la Domi­nique, l’Equateur, le Nica­ra­gua, le Vene­zue­la, Saint-Vincent-et-les-Gre­na­dines, Anti­gua et Bar­bu­da ; le Hon­du­ras en fai­sait par­tie avant le coup d’Etat.

[8] El Heral­do, Tegu­ci­gal­pa, 9 sep­tembre 2011.

[9] La Pren­sa, Tegu­ci­gal­pa, 1er sep­tembre 2011.

[10] Radio La Pri­merí­si­ma, Tegu­ci­gal­pa, 3 sep­tembre 2011.