En France, le petit village de Saillans, expérimente depuis 2014 une forme de démocratie participative. A quelques semaines des élections communales en Belgique, voici un retour sur une expérience qui fonctionne.
Situé sur une des rives de la Drôme, en pleine région du Diois (Sud-Est de la France), le petit village de Saillans, à peine plus de mille habitants, expérimente depuis 2014 une forme de démocratie participative. D’initiative citoyenne, ce projet a dû inventer au fil de l’expérimentation ses propres institutions de participation afin de passer de l’utopie à la réalisation concrète d’une gouvernance alternative. Trois ans après son élection, et alors que l’équipe municipale entame sa dernière année de mandature, Fernand Karagiannis, contremaitre de métier et « élu-référent » à Saillans, a profité du calme de l’été pour répondre à quelques-unes de des questions de la revue Politique. Retour sur une expérience de démocratie participative qui fonctionne.
Pouvez-vous revenir sur la genèse du projet qui a présidé à l’instauration d’une forme de démocratie participative dans la commune de Saillans ? Quel a été le déclencheur de votre volonté de présenter une liste – contre le maire sortant – aux élections municipales de 2014 ?
FK : L’un des déclencheurs de ce « projet » – comme on l’appelle ici – est certainement la constitution d’un collectif d’habitants, en 2013, qui s’opposaient à un plan d’installation d’un supermarché à l’entrée du village. Cette idée de supermarché avait été avancée par l’équipe municipale en place, mais sans concertation avec la population locale. Dans notre dos en quelque sorte. Alors les membres du collectif se sont lancés dans une campagne pour tenter de faire annuler ce projet d’implantation en périphérie du village (accès possible uniquement en voiture). Cette campagne était aussi un moyen de sensibiliser le plus grand nombre d’habitants. Tous les dimanches, pendant le marché, le collectif distribuait de la documentation et discutait avec les habitants de l’incohérence de ce projet de supermarché et du manque de prise de compte des villageois. Cette campagne d’information, et plus largement l’expérience du collectif – qui eu finalement gain de cause – a été l’occasion pour beaucoup d’entre nous – habitants du village – de nous rencontrer, de parler, parfois très longuement. Petit à petit, nos discussions ont dépassé la seule histoire du supermarché pour aborder des sujets plus profonds : les problèmes des habitants, de la vie du village, de la manière dont la municipalité fonctionnait, etc.
C’est à partir de toutes ces rencontres et de toutes ces discussions qu’a mûri l’idée de présenter une liste autonome aux élections de 2014 et de commencer à réfléchir concrètement à un mode de fonctionnement qui pouvait inclure les habitants de la commune. Cette idée a finalement dépassé les seuls membres du collectif et a été reprise par de plus en plus d’habitants. Tous partageaient le constat du manque d’espace de discussion et de participation au sein de la commune. On a commencé alors à imaginer des moyens concrets de faire de la politique autrement avec, en ligne de mire, trois idées simples – mais qui sont pour nous fondamentales au fonctionnement de la mairie : la collégialité, la participation et la transparence. Et aujourd’hui, 3 ans et demi plus tard, je dois dire que non seulement le projet a dépassé nos attentes, mais surtout que ce sont ces trois idées qui, aujourd’hui encore, guident nos actions.
Mais avant d’être élus, vous avez certainement dû faire campagne ? Comment avez-vous organisez celle-ci ?
FK : Nous avons organisé ce qu’on a appelé une « campagne ouverte ». C’est-à-dire sans programme, sans tête de liste et sans équipe municipale préétablie. Le socle de la campagne était de fournir aux habitants – à nous-mêmes ! – des outils pour reprendre le contrôle de notre village, pour se réapproprier notre quotidien. C’est-à-dire que, au lieu de faire des promesses sur des objectifs matériels à tenir, au lieu de parler en termes de résultats tangibles, nous avons, pendant la campagne et avec l’aide de plusieurs habitants du village, organisé des réunions publiques animées avec des méthodes type d’éducation populaire et qui avaient pour vocation précisément de réfléchir aux manières dont nous voulions gérer notre commune. Non pas ce qu’on allait décider mais comment nous avions envie de décider.
Et cette idée de « faire autrement » a inclus dans ce processus beaucoup de personnes – y compris celles qui n’avaient pas forcément voix au chapitre auparavant – dans un esprit d’ouverture et de bienveillance. Si bien que les premiers instigateurs du projet ont été rapidement rejoints par une pluralité d’habitants. Je pense que c’est cette « campagne ouverte » qui a fait adhérer beaucoup de gens à notre liste. Pas une histoire d’idéologie, de gauche, de droite, ni un ralliement sur des idées de fond. Je pense que les gens ont été séduits par l’idée de démocratie participative qui leur avait été exposée lors d’activités d’information organisées par le collectif dans les mois précédents les élections. Et on peut même considérer que le but du collectif était assez modeste ; il n’était ni question de changer la planète, ni même la France. Il n’y avait aucune promesse a priori. Juste la possibilité, si notre projet l’emportait dans les urnes, de poursuivre l’expérimentation participative à l’échelle de la Mairie.
Et comment est-ce que vous êtes passé de cette étape de « campagne ouverte » à celle de présenter une liste ?
FK : Bon, à ce stade-là, ce qui était clair pour tout le monde, c’était qu’on voulait une organisation horizontale. Mais juridiquement, il fallait tout de même une liste avec des candidats à élire. Alors on a fait un petit sondage parmi nous, pour savoir qui était prêt à endosser le rôle d’élu et qui désirait s’impliquer autrement. Vingt-une personnes – pour quinze postes d’élus – se sont portées volontaires et ont travaillé ensemble sur le fonctionnement de la future mairie. Au cours d’une de ces réunions, s’est posée la question concrète de qui, en cas de victoire, endosserait la fonction de maire – fonction que, malgré notre volonté, nous ne pouvions pas supprimer d’un point de vue juridique. Le collectif a finalement décidé de nommer Vincent (Vincent Beillard, Ndlr) – qui était à l’époque veilleur de nuit. En binôme avec Annie (Annie Morin, Ndlr) – retraitée et l’une des doyennes du collectif, ils forment ce que nous nous nommons « le binôme de tête » (l’équivalent dans le système classique du maire et de son premier adjoint). Nous les avons choisis tous les deux pour leur sens de l’écoute et de la recherche de consensus, pas forcément pour leur charisme ou leurs idées. Et pour tout vous dire, le jour où nous les avons choisi, Vincent n’était même pas présent en réunion, il travaillait (rire).
Ça veut dire que, officiellement, ils sont les seuls à pouvoir signer certains papiers, ou à représenter la commune dans certaines instances ? Quelle est la différence avec le système classique, alors ?
FK : Oui bien sûr. Mais c’était le prix à payer pour pouvoir concrètement reprendre en main la commune. Mais la différence avec ailleurs, c’est qu’on a veillé à niveler au maximum les pouvoirs du maire. Tout d’abord, en produisant des mécanismes de collégialité parmi les quinze élus. Tous les élus sont sur le même plan et Vincent a ici la même voix que n’importe lequel d’entre nous. De ce point de vue, son pouvoir est clairement nivelé politiquement. Ensuite, nous avons voulu redonner de la valeur à tous les conseillers municipaux, pour qu’il n’y ait ni accaparation de pouvoir par un seul, ni de « larbins » qui délèguent sans cesse leurs responsabilités. En analysant scrupuleusement les textes juridiques, on a compris que chaque élu pouvait avoir une délégation de compétence. Dans un processus délibératif, nous avons défini huit compétences au bon fonctionnement de la commune – santé sociale ; économie-production locale ; transparence-information ; finance ; jeunesse ; environnement ; travaux ; vie associative – et nommé pour chacune d’entre elles un binôme – ici aussi – « d’élus-référents ». Le fait d’instaurer des binômes, c’était une manière de ne pas concentrer trop dans les mains d’un seul, de diffuser la responsabilité et de produire un sentiment d’équipe et de complémentarité.
Voilà qui est pour ce qui concerne la collégialité entre élus, mais qu’en est-il de la participation citoyenne ?
FK : N’allez pas trop vite. Vous devez d’abord bien comprendre que les « élus référents » n’ont pas de pouvoir d’action autonome. Tout au plus ont-ils pour fonction d’exécuter les décisions du quotidien pour lesquelles une « agora » n’est pas nécessaire : l’installation d’une nouvelle échoppe dans le marché du dimanche, déboucher un égout municipal, etc. Nous voulons être réalistes. On ne va pas faire des agoras pour ça (rires). Du reste, nous ne fonctionnons pas comme ce que l’on nomme d’ordinaire dans les mairies « le Conseil d’Adjoints » : un organe trop confidentiel sur lequel personne n’a de prise. Non ! « Référent » ne veut pas dire de l’élu qu’il est forcément plus « expérimenté » qu’un autre dans cette matière, cela veut dire qu’il est en charge « d’animer » cette compétence dans les commissions participatives. Pour tout ce qui relève des décisions « importantes », c’est le Comité de pilotage qui est compétent.
C’est l’organe principal que l’on a instauré dans notre municipalité. Y siègent, bien évidemment, tous les élus, qui donnent leur opinion de façon égale, mais aussi les habitants de la commune. Tout le monde a droit de venir et d’intervenir. Cette instance est notre colonne vertébrale en quelque sorte : c’est le lieu des débats, des discussions, parfois des désaccords, mais aussi de la recherche du consensus. C’est vraiment l’endroit où nous élaborons ensemble, sur un pied d’égalité, l’avenir de notre village. Lorsque qu’une discussion se clôture par un vote de l’assemblée – ce qui est rare, la majeure partie des décisions tentant de se faire à l’unanimité – tous ceux qui sont présents peuvent s’exprimer. Et ce, que nous soyons 15 ou 30 ! Bien évidemment, ces mécanismes ne se sont pas mis en place du jour au lendemain. Il a fallu remettre « la politique au milieu des gens ». Et afin de faire venir un maximum de monde au Comité de pilotage, l’équipe municipale met en place de nombreux outils d’information : plusieurs panneaux d’affichage dans la commune, des lettres d’info régulières, la publication des comptes rendus des réunions sur le site internet, etc. Sans tous ces outils, c’est impossible ! C’est primordial que tout soit public, que chacun sache de quoi il en retourne. C’est ça la transparence ! Et ce n’est qu’à partir de là que les gens ont envie de donner leur avis.
A côté du Comité central de pilotage – ouvert à tous – il existe des commissions participatives pour chacune des compétences que j’ai mentionnées, animées par le binôme d’élus-référents. Chaque année, ces commissions font le point sur les travaux écoulés et avancent de nouveaux projets au Comité de pilotage. Il y a alors la possibilité de monter un Groupe Action Projet (GAP) pour mettre en place un projet sollicité par l’une de ces commissions. Le GAP, qui regroupe des habitants volontaires et un ou plusieurs élus, étudie concrètement sa réalisation, instruit le dossier en quelque sorte, avant de le soumettre au Comité de pilotage. S’il aboutit, et moyennant les budgets, la municipalité gérera alors l’exécution de ce projet. En trois ans, une trentaine de GAP ont été mis sur pied, concernant autant la circulation et la mobilité, l’extinction nocturne de l’éclairage public, le jardin public, le site internet, la salle des fêtes, le fleurissement, etc. On discute bien entendu de la priorité des GAP pour le bien collectif. Faute de budget, et en dépit du travail du GAP, tous les projets ne peuvent aboutir. Mais au moins, tout le monde est au courant, tout le monde sait pourquoi tel ou tel projet n’aboutit pas, et tout le monde a pu donner son avis et participer à la décision.
Le fonctionnement des GAP nous permet aussi de traiter un très grand nombre de dossiers, qu’on n’aurait pas pu traiter seulement entre élus. C’est aussi une manière de ne pas considérer qu’il y a des gros et des petits dossiers. Toutes les idées méritent d’être exploitées dès lors que quelques habitants estiment que c’est le cas. On ne peut pas réduire notre action communale à la construction, par exemple, d’un grand bâtiment qui symboliserait notre législature. Certes c’est aussi important de construire et de préparer l’avenir, mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi toutes les actions qui font que les gens se sentent bien dans leur environnement de vie. Cela n’est jamais comptabilisé : le bien être de participer au bien commun. Moi, je crois en cette force-là !
Qu’est ce qui garantit, selon vous, cette bonne articulation entre GAP, Comité de pilotage, élus-référents et tous les habitants ? Qu’est ce qui empêche le projet de se refermer sur lui-même ?
FK : Je n’ai pas encore évoqué le rôle de l’Observatoire de la Participation, chargé de référer au Comité de pilotage les remarques et les critiques quant aux pratiques participatives. A l’origine, ce comité était composé des six personnes qui s’étaient déclarées comme désirant être candidates, mais qui s’étaient rétractées faute de place sur la liste. Ce « conseil des sages » a rapidement évolué pour intégrer six autres habitants. L’observatoire remplit trois fonctions : former les habitants au rôle d’animateur dans les commissions participatives, établir des évaluations sur le bon fonctionnement participatif de la commune et émettre de nouvelles propositions pour améliorer la participation à l’échelle de la commune. C’est dans ce cadre que, récemment, en 2017, ils ont proposé d’introduire une dose de tirage au sort afin d’impliquer toujours plus de monde dans les processus de participation. Y compris des gens qui ne viennent pas aux réunions, qui n’osent pas, mais qui n’en pensent bien sûr pas moins. Il s’agissait d’approfondir encore notre pratique de la démocratie, de ne jamais rester en l’état, d’inclure plus de personnes encore.
La technique du tirage au sort a été expérimentée dernièrement pour la création de notre Plan Local d’Urbanisme (PLU) – qui fait partie des objectifs fixés pour la rentrée. Nous avons d’abord tiré au sort 140 personnes (parmi les 1080 électeurs de Saillans) en faisant attention à la parité des genres, et à la représentation des quartiers de la commune (Saillans est divisé en quatre « quartiers », Ndlr). Les personnes tirées ont reçu un courrier leur indiquant qu’ils pouvaient participer à ce groupe de pilotage citoyen pour le PLU. Cinquante d’entre eux se sont rendus à la réunion explicative.
Avoir s’être vus signifier ce qu’une telle procédure allait induire en terme de participation et d’engagement – au moins une réunion par mois – vingt-cinq personnes ont accepté de participer au second tirage au sort, qui détermina les 12 participants qui composent aujourd’hui ce groupe de pilotage citoyen (GPC) de la révision du PLU. Nous avons aussi délégué à un cabinet d’urbanisme l’organisation d’ateliers participatifs avec les membres du GPC, accompagnés des quatre élus-référents et de deux agents (seize personnes au total). Et ça marche ! Dans ce groupe de pilotage, presque 75% n’étaient pratiquement jamais venus à une réunion à la mairie avant le tirage au sort. Et ils ont malgré tout accepté de participer après le tirage au sort. Et c’est ce groupe de citoyen qui va décider au final du PLU. Cela veut dire que ces personnes se forment – notamment en droit, en urbanisme – comme les élus. Ils apprennent de ce processus. C’est aussi très gratifiant ! Il en résulte un sentiment d’être soudés les uns avec les autres. Et puis, on le voit, ça donne du plaisir aux gens. Ce n’est pas un travail. On le fait pour se réapproprier notre quotidien.
Est-ce que vous vous appuyez sur des bases théoriques, ou des idéologies philosophiques, pour mettre en place ces mécanismes participatifs ?
FK : Pas vraiment, je dois dire, et c’est peut-être aussi cela qui sort de l’ordinaire. Nous n’avons pas réfléchi à partir d’une théorie existante à mettre en pratique. Nous avons réfléchi à partir de nos expériences et de notre ressenti en tant qu’habitants de Saillans. Dans le fond, l’idéal qu’on défend, c’est un idéal de démocratie radicale. Pas de la démocratie où tous les 5 ans, on nous demande d’émettre un vote et puis plus rien. Comme ce que le maire précédent nous rétorquait à l’époque du collectif : « C’est moi qui ai été élu, c’est moi qui suis légitime !». Non ! Nous avons co-construit sur la base de ce ressenti partagé. En se demandant sans cesse ce qui serait encore plus démocratique. Et il y a toujours une réflexion sur comment les habitants – un plus grand nombre possible – s’impliquent jusque dans les processus décisionnels. Et puis c’est tout le monde qui vient apporter sa pierre à l’édifice. Par après, on s’est formés aux méthodes d’animation et d’éducation populaire. Nous n’avions bien sûr aucune connaissance de ces techniques à la base. Cela nous a aidés à créer ces institutions et structures de participation, sans quoi notre projet n’aurait pas tenu un an. Ici, on peut dire qu’on est sorti de l’utopie, qu’on a élaboré quelque chose de cohérent et qui permet de gérer la commune, tout en impliquant les gens, de l’élaboration jusqu’à la décision.
Quelles sont les limites institutionnelles de votre mode de fonctionnement ? Et est-ce qu’on vous a mis des bâtons dans les roues au moment de la mise en place de la nouvelle équipe municipale ?
FK : Sincèrement, oui ! A l’intercommunalité par exemple. Ils nous ont clairement mis de côté avec mépris. Ils y ont même fait élire l’ancien maire qu’on avait battu aux élections en tant que vice-président de l’interco’. C’est complétement aberrant. Depuis, et on le voit bien dans nos rapports avec eux, ces gens ne donnent de crédit qu’à la fonction de maire. Ils dénient le fait que nous avons chacun des compétences entre nous et n’envoient les informations liées à nos compétences qu’au seul maire. C’est pareil pour la préfecture. Et cette routine est assez difficile à casser, même après trois ans d’exercice. En fait, toutes les institutions officielles avec lesquelles l’équipe municipale est en rapport refusent d’intégrer un autre schéma que le schéma classique. On sent bien que les instances officielles n’existent que pour voir exister et agir des « chefs » et qu’enrailler quelque peu ce mode de faire est très compliqué… Pour autant, je dois avouer que cette histoire avec l’interco’ nous a aussi bien soudé entre nous. Et plus on s’est senti marginalisés par les institutions extérieures, plus grand a été notre envie de résister et de reprendre possession de notre quotidien dans la commune.
D’un autre côté, et je ne sais pas vraiment à quoi cela est dû, mais nous n’avons pas eu de réel opposition organisée. Même l’équipe de l’ancien maire, qui raillait notre élection, n’est pas devenue une force d’opposition organisée. Jamais ils ne se sont structurés pour s’opposer à tel ou tel processus, ou à telle ou telle décision. Comme si le projet avait recueilli une telle adhésion, qu’ils n’avaient plus voulu s’y opposer. Lorsque le projet est entièrement transparent, et ouvert à la participation, ça attise plutôt l’envie de le co-construire, de le transformer de l’intérieur que de s’y opposer frontalement. Evidemment, nous sommes bien conscients de l’utilité d’une opposition, de la nécessité de laisser s’exprimer les antagonismes. Il faut de la matière. Et c’est également le rôle de toutes les instances participatives que de faire remonter les critiques qui s’élèvent. Et ces critiques sont légitimes. Je considère que c’est une chance, pour nous élus, d’avoir des gens qui partagent la même conception que nous sur l’essence du projet et qui savent être très critiques lorsqu’ils estiment que nous dévions de notre intention de départ (et croyez-moi ils savent être francs quand il le faut) (rires).
A l’inverse, vous avez des alliés parmi d’autres communes de France ou ailleurs ?
FK : Pas tant que ça quand même (sourire). Nous avons bien eu quelques contacts avec la mairie de Grenoble (Eric Piolle (EELV), Ndlr). Nous avons également eu des contacts avec Jo Spiegel (maire de la petite commune alsacienne de Kingersheim, Ndlr) qui s’est fait connaître en introduisant des doses de participation à l’échelle de sa commune. Néanmoins, le mode de fonctionnement semble rester vertical. Dans le cas de Saillans, nous avons revendiqué haut et fort le projet participatif. Radicalement revendiqué même. C’est le fondement de l’action de notre équipe.
Les prochaines élections municipales devraient avoir lieu au printemps 2020. Ce qui veut dire qu’on approche bientôt de la fin de votre mandature. Quelles sont vos intentions pour la suite ?
FK : avons justement prévu une réunion prochainement dans laquelle chacun des élus est invité à présenter son bilan et surtout ses intentions de continuer, ou non, à être impliqué en tant que référent. Je peux déjà vous dire que tous les membres de l’équipe ne vont pas rester impliqués de la même manière. Si la réflexion sur la prochaine mandature n’en est qu’à ses débuts, l’idée est de repartir comme en 2014, c’est-à-dire en repartant dans une « campagne ouverte », sans équipe préformée d’élus, ouverte aux habitants de Saillans. Il est évidemment hors de question que l’équipe municipale sortante téléguide tout le processus. Nous ne voulons pas reproduire. Nous voulons refaire un projet qui donne envie en remettant la méthode au même niveau que le fond. Même si, au niveau des résultats, j’ai l’impression que nous avons bien travaillé, que beaucoup de projets ont pu être réalisés durant cette mandature. Si l’ancien maire présente une liste, l’argument de l’inefficacité ne pourra pas nous freiner. Donc même si dans l’équipe actuelle, nous ne sommes pas nombreux à continuer, peu importe, l’idée c’est d’initier quelque chose de nouveau, par exemple avec des évolutions et les conseils de l’observatoire de la participation. C’est le projet qui doit perdurer, pas les personnes.
Propos recueillis sur place par Angèle Minguet (politologue, Univ. La Sapienza – Rome) et Youri Lou Vertongen (politologue, USL‑B).
Source : Revue Politique
Lire l’article de Siné hebdo : Saillans, une expérience de démocratie directe