Elle n’aurait jamais pu imaginer qu’une peine de prison pendrait au-dessus de sa tête. Pourtant le tribunal correctionnel de Termonde a condamné la chercheuse Barbara Van Dyck à six mois de prison ferme et à une amende de 550 euros. Deux autres accusés ont écopé –dans ce qui est désormais appelé « le procès de la pomme de terre»– de huit mois fermes (il s’agit du soi-disant dirigeant de l’action et d’un inculpé qui aurait blessé un agent de police… au petit doigt) ; deux personnes poursuivies ont été condamnées à six mois fermes et les six derniers inculpés à six mois avec sursis. Ces sanctions sont particulièrement sévères parce que les accusés ne se sont pas présentés lors du verdict. Ils estimaient n’avoir pas bénéficié d’un procès impartial et avaient quitté la salle d’audience lors d’une séance précédente –quand le tribunal avait refusé de juger également 91 personnes qui avaient demandé à être considérées comme des inculpés volontaires.
« Ceci est trop absurde pour être vrai », a déclaré Van Dyck. On a inculpé les onze pour « destructions, coups et blessures et formation de bande ». Pour Barbara Van Dyck, il s’agit là d’accusations tirées par les cheveux. « Ce que nous avons accompli était une action politique. Oui, il y a eu 20 pommes de terre qui ont été abimées, mais en conscience : personne d’entre nous n’a exercé de violence contre la police et cette soi-disant “formation de bande”… Nous étions ensemble pour protester, pas pour commettre de délits ».
L’action avait eu lieu le dimanche 29 mai 2011, jour où cours duquel quelque 250 militants du Field Liberation Movement (FLM) avaient envahi un champ de pommes de terre à Wetteren. Quatre institutions scientifiques y étudiaient le degré de résistance de pommes de terre génétiquement modifiées contre la maladie du mildiou. Les manifestants avaient réussi à pénétrer dans le champ entouré d’une clôture et à y arracher quelques plants. Parmi les manifestants : Barbara Van Dyck, qui s’était présentée comme porte-parole et avait défendu l’action. « Cette action a réussi, mais ce n’est pas la fin », avait-on pu entendre le soir du 29 pendant le journal de la VRT. Son implication et ses déclarations ont coûté à Van Dyck son emploi à la KUL. La procédure que Van Dyck a introduit auprès du tribunal du Travail pour contester son licenciement est toujours en cours, mais avait été mise en stand by aussi longtemps que durait le procès en correctionnelle. Barbara travaille désormais comme chercheuse freelance.
La condamnation du 12 févier n’a pas mis un terme à la procédure : les inculpés ont fait appel et tout le procès devra être recommencé. Mieke Van den Broeck, l’une des avocates du FLM, prétend que les droits de la défense ont été violés. « Les témoins que nous voulions produire n’ont pas été en- tendus, les fragments de vidéo de l’action n’ont pas été regardés et il n’y a pas eu un juge d’instruction indépendant désigné pour une enquête à charge et à décharge. Ce procès est un coup dans le cœur de la démocratie ». Van den Broeck parle aussi d’«un précédent très dangereux qui peut toucher toutes les formes d’action sociétales. La justice belge mine ici la liberté d’expression. Ainsi, toute protestation peut être criminalisée, tout manifestant muselé».
Van den Broeck a aussi des problèmes avec les 25.000 euros de dommages et intérêts que le tribunal a reconnus aux parties civiles. Kristiaan Vandenbussche, l’avocat des plaignants, est par contre très satisfait du jugement. « Un acquittement aurait constitué un encouragement pour détruire à l’avenir d’autres essais de végétaux dans des champs. Comme l’a dit le juge : il y a d’autres manières pour montrer qu’on n’est pas d’accord avec de semblables expérimentations scientifiques ». Quand Van Dyck a pris part à l’action de désobéissance civile, elle savait qu’elle violait la loi et risquait des poursuites éventuelles. Elle dit elle-même qu’elle n’a pas abîmé de plants (bien qu’elle ait été condamnée pour complicité de destruction), mais elle ne condamne pas la destruction. « Il n’y a aucune proportion entre détruire vingt petits plants de pommes de terre et les dommages gravissimes que peuvent causer ces OGM à l’environnement. La santé de la population l’emporte sur le droit à la propriété».
Van Dyck ne croit pas que le jugement sera une hypothèque pour son avenir et pense encore qu’elle se débarrassera de son casier judiciaire. « Mais quoi qu’il ad- vienne, cela en valait la peine. Nous avons entrepris une action pour placer un problème de société au devant de l’actualité. Et le débat s’est effectivement ouvert. Cela pèse plus lourd que le prix personnel que je dois payer ».
Le jugement est une avant-première en Belgique. Avant, des membres de Greenpeace et des altermondialistes avaient aussi été poursuivis pour « formation de bande » suite à une protestation publique, mais cela n’avait jamais abouti à une condamnation.
Ann-Sofie DEKEYSER
De Standard, mercredi 13 février 2013
La condamnation de Barbara Van Dyck est une honte pour un Etat de droit
Par Lieven De CAUTER
Suite à la condamnation extrêmement sévère de Barbara Van Dyck, Lieven De Cauter appelle à protester. Dans cette Carte blanche postée sur le site DeWereldMorgen.be, De Cauter défend à nouveau l’activisme comme contribution à la démocratie. « Une action est toujours un procédé qui constitue, quelque part, une infraction, dit-il. Chaque fois, elle frôle les frontières de ce qui est autorisé, quand elle prend la forme de la désobéissance civile ou de la résistance ».
C’est une honte. Je vous le dis : c’est vraiment une honte ! La bio- ingénieure Barbara Van Dyck est condamnée à six mois de prison ferme pour avoir défendu dans les médias l’action « Pommes de terre » à Wetteren. Oui, vous lisez bien. Elle n’a donc pas posé d’actes, n’a pas déterré de pommes de terre, encore moins commis d’agissements violents. Elle a simplement émis une opinion : elle a défendu l’action et a annoncé de nouvelles actions. Six mois fermes ? Pour une opinion. Cela n’est simplement pas possible. Jouer le porte-parole d’un réseau d’organisations qui défend le bien-être et l’intérêt général, n’est pas un crime. Et sûrement pas quelque chose qui mérite six mois fermes. Vit-on encore dans un Etat de droit ?
MOI AUSSI. Eh bien, je défends moi aussi cette action et énergiquement, et aussi dans les médias (de manière répétée), donc la juge doit
accepter ma candidature de « comparant volontaire » et celle de la philosophe réputée Isabelle Stengers et de nonante autres. J’exige le droit de défendre cette action. Et oui, pour cela je veux bien un casier judiciaire. « Bienheureux ceux qui sont poursuivis du fait de la justice…» (comme je l’ai déjà écrit dans ma Petite théologie du militantisme suite à son licenciement de la KULeuven). Car il s’agit bien de justice : pour la précaution écologique et les droits sociaux. C’était une action contre la privatisation des semences par des entreprises internationales, une action qui avait pour but d’éveiller l’opinion publique, de l’alarmer sur la sous-estimation des risques pour le milieu.
Maintenant la bonne nouvelle : l’action a déjà eu de l’effet. Toute le Flandre sait à présent qu’il y a des champs de pommes de terre et sait que la modification génétique de plantes par des spécialistes –Barbara, comme je l’ai dit est bio-ingénieure– est considérée comme extrêmement problématique. Mais il y a plus : BASF, le géant chimique (qui était impliqué par le champ d’essai) a décidé d’interrompre ses projets concernant la prise de brevets sur les pommes de terre génétiquement modifiées. Cette décision fait suite à sa désignation explicite lors de la protestation de Wetteren et par un manque évident d’appui social. Ergo : l’activisme rapporte !
Le prononcé du jugement à Termonde constitue néanmoins un précédent extrêmement dangereux. Il est typique que la N‑VA ait trouvé nécessaire de se placer immédiatement derrière le jugement. C’est tout de même hautement inhabituel. Et un peu sinistre. Soit : ce parti nous y a déjà habitués. Où sont les Verts ? Ici, il est urgent qu’on réagisse. Le licenciement de Barabara Van Dyck de la KUL n’y aura pas non plus fait du bien : la juge a évidemment ainsi reçu du recteur un billet de libre condamnation.
D’avance, le signal était déjà clair pour la juge : Barbetje devait sauter. Et la juge a fait son travail. Elle a condamné Barbara parce qu’elle était devenue une sorte de symbole. Il ne peut en être autrement, parce que les faits n’autorisent pas une sentence aussi extrême. Pas non plus par défaut. Le recteur doit avoir maintenant du regret de son comportement étourdi à cause de ce licenciement précipité. J’ose l’espérer. Moi, cela m’empêcherait de dormir, honoré recteur. Je n’aimerais pas beaucoup me trouver à votre place maintenant. Et cela je le dis sans joie maligne, mais plutôt par collégialité, même avec une certaine pitié.
Quand Bahar Kimyongür avait été condamné comme terroriste, il avait fallu cinq procès pour forcer l’acquittement. Le militantisme de la Plateforme pour la libre expression et son correspondant francophone, le CLEA, n’y sont pas pour rien. Je vous le dis : le militantisme rapporte ! Donc les jeunes et tous les personnes de bonne volonté doivent faire entendre leur voix. Ceci n’est pas possible, vraiment pas.
L’affaire est trop importante. Il ne s’agit pas seulement des conséquences écologiques possibles de plantes modifiées mais aussi de la privatisation du bien commun de l’humanité, des semences par des multinationales. Cela, on ne peut pas le laisser arriver.
Nous ne pouvons surtout pas tolérer la criminalisation de l’activisme, pas dans un État de droit. Il y a un droit à la libre expression et il y a un droit au militantisme. C’est une contribution importante au débat de la société et donc pour la démocratie. L’argument de la juge, selon lequel y a d’autres méthodes pour lancer ce débat, signifie de facto la restriction du droit à l‘activisme, parce qu’en se limitant à écrire des idées, on ne déclenche pas de vrais débats. Cela, le soussigné ne le sait que trop bien. C’est par l’action, comme la grève ou l’occupation d’une place (pensez aux pique-niques dans les rues), qu’on peut faire changer les choses. Une action est toujours un procédé qui est quelque part une infraction, ou qui frôle les frontières de ce qui est autorisé, par une forme de désobéissance civile ou de résistance. Sinon, ce n’est pas une action. Et c’est par cette action, et par cette action seulement, que maintenant tout le monde en Flandre a connaissance du champ de pommes de terre de Wetteren. Autrement, cela n’aurait jamais percé. Maintenant cela fait la une des journaux.
ESPOIR. Mais il y a de l’espoir : dans un nouveau procès il est impossible que le juge puisse suivre la première sentence. D’ailleurs, les droits de la défense ont été violés en n’autorisant aucun témoin ni des images vidéo et en ne désignant pas un juge d’instruction qui apporte des arguments à décharge. Mais le plus grave est l’accusation elle-même. Appliquer l’accusation de formation de bande au militantisme est une forme extrêmement inquiétante d’abus de la loi. Rien moins que cela. Car la loi sur la formation de bande est très claire : il s’agit de crimes, pas de militantisme. Le militantisme est exclu par la lettre de la loi, sans parler de l’esprit de la loi.
Quand Greenpeace a été poursuivi par Electrabel pour la même plainte –formation de bande– cela a fait long feu. Parce que l’entreprise s’est rendu compte qu’elle souffrirait d’une perte d’image. Donc, l’opinion publique est dans ce cas, d’une im- portance primordiale. C’est pourquoi j’appelle chacune et chacun à exprimer son horreur au sujet de ce jugement. Des témoignages publics de soutien pour Barbara et ses compagnons sont bien sûr aussi les bienvenus. Regardez-la (une belle photo dans le Standard) ! Nom de Dieu, ce n’est pas une criminelle ! On le voit dans tout son être : c’est une vraie idéaliste qui, avec le Field Liberation Front, nous a tous secoués pour qu’on se réveille. Je l‘ai déjà écrit avant : elle mérite une statue. Elle est… la Jeanne d’Arc de l’éco-militantisme en Flandre ! Oui, elle est tout cela. On peut bien se mettre à rassembler des fonds, pas pour sa statue (elle devra encore attendre) mais pour aider à payer les dommages et intérêts astronomiques et les coûts de justice qui s’accumulent. Belges, conscients de l’environnement, plongez dans votre porte-monnaie, mais surtout : faites entendre votre voix ! Réveillez-vous, jeunesse de Flandre ! Avant que les multinationales n’aient privatisé vos petites frites et étouffé toute action sociale !
Lieven De CAUTER
philosophe de la culture, écrivain et militant
POUR TOUTES MARQUES DE SOLIDARITÉ AVEC NOS CAMARADES
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