Texte-témoignage sur le racisme ordinaire qui constitue une part de notre héritage culturel…
« T’es sortie avant le terme, et fort heureusement. »
« Tu as les traits relativement fins. »
« Tes cheveux ne sont pas trop moches, mais ta maman a déconné. » (en référence au fait de m’avoir conçue avec un homme noir)
« Vu ta famille paternelle, t’es plutôt claire de peau. »
« T’es pas loin du noir. »
Avant je ne me posais pas de questions sur le racisme de ces phrases que l’on me disait. Certaines me semblaient même des compliments. Être descendante d’Africains ou avoir une peau sombre ne t’exempte pas d’assumer et de reproduire des attitudes racistes et même de ne rien voir de mal dans ce genre de phrases. J’ai eu du mal à en prendre conscience parce que j’ai été élevée avec ma grand-mère blanche qui n’a jamais pardonné à ma mère d’avoir été avec un noir.
Ma grand-mère blanche a été et sera toujours pour moi une sainte femme, malgré ses défauts et malgré son racisme. Analphabète, catholique, pauvre, elle n’a rien fait d’autre que reproduire le cadre d’oppression et de racisme au sein duquel elle a été éduquée. Depuis toute petite elle me disait que je n’avais rien à voir avec mon « autre famille », que leurs coutumes et comportements n’étaient pas les nôtres. Qu’ils étaient arriérés.
Ma grand-mère blanche me disait même que lorsque mon papa m’amenait chez ma grand-mère noire, il ne fallait toucher à rien de ce qu’on me donnerait à boire ou à manger et que lorsqu’ils organisaient une cérémonie, il fallait que je ferme les yeux, que je ne regarde pas.
Ma grand-mère blanche, la personne, qu’à ce jour, j’ai le plus souffert de perdre, était une femme avec des comportements racistes. Je n’ai pas honte de le dire parce que au fur et à mesure que je grandissais et critiquais ces comportements, elle s’est toujours montrée très réceptive et j’ai été témoin du combat qu’elle a mené, dans les dernières années de sa vie, pour éradiquer tout le racisme dont elle avait hérité.
En cachette de mes parents, lorsque nous étions seules, elle et moi, ma grand-mère blanche me faisait des espèces de massages du nez pour me l’affiner davantage, parce qu’il n’était pas possible qu’il soit comme celui de ma grand-mère noire, comme il n’était pas possible que m’attirent les coutumes de cette autre famille.
J’ai grandi avec mille préjugés et comportements racistes aussi, mais j’ai pu faire ce que ma grand-mère blanche n’avait pas pu faire du fait de ses propres limites et de celles de son époque. J’ai pu mettre un terme à la reproduction de ces comportements inculqués.
Par exemple, depuis environ deux ans, j’en suis venue à aimer et à m’intéresser à mes cheveux, parce qu’avant ils me semblaient une calamité. Longtemps je n’ai pas été consciente de mon racisme ni du fait que je reproduisais des modèles à travers lesquels je m’opprimais moi-même. Je voulais d’autres cheveux, un autre nez, un autre passé.
Mais j’ai travaillé là-dessus et je continue à le faire. J’ai dit ce que j’avais à dire, proposé des informations, favorisé des débats, une réflexion. Je ne peux rien faire de plus. Je ne peux pas et je ne suis pas en capacité de me glisser dans la peau d’une autre personne qui ne comprend pas le racisme ni ne s’interroge sur des comportements qui paraissent normaux mais qui sont en fait racistes et perpétuent des stéréotypes. Éduquer est une tâche collective, mais il faut qu’il y ait un intérêt individuel sincère pour avoir le désir de s’éduquer. C’est ainsi.
On m’a demandé malicieusement si moi qui suis aussi engagée dans « ces questions antiracistes », je n’allais pas, aujourd’hui, journée de l’Afrique, me mettre un turban. L’Afrique réduite à un objet d’habillement, mais je n’ai pas réagi. J’ai seulement répondu que non. Je n’ai rien à reprocher aux personnes qui le font de façon respectueuse. C’est juste que je ne vais pas porter, par respect pour l’Afrique, un turban que je n’utilise jamais le reste de l’année.