Vandana Shiva : Les grands médias occultent que Monsanto a poussé 284.000 paysans indiens au suicide

Par Per­icles De Oliveira

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MST


Tra­duit par Thier­ry Deronne

Le modèle de l’agro-business veut trans­for­mer les per­sonnes en « consom­ma­teurs » de leurs pro­duits. Le consom­ma­teur est une réduc­tion subal­terne de l’être humain.

Van­da­na Shi­va appelle tous les citoyens à s’engager dans la jour­née mon­diale de lutte pour les ali­ments sains et contre les entre­prises trans­na­tio­nales que la Via Cam­pe­si­na, des mou­ve­ments de femmes et des cen­taines d’organisations réa­li­se­ront dans la semaine du 16 octobre 2013 : ce sera l’occasion d’unifier nos voix sur le plan mondial.

C’est pour près de 3000 per­sonnes que la célèbre scien­ti­fique indienne Van­da­na Shi­va a réa­li­sé un expo­sé d’une heure et a répon­du aux ques­tions, ouvrant la IIIème jour­née inter­na­tio­nale d’agro-écologie à Botu­ca­tu, Bré­sil, l’après-midi du 31 juillet.

Van­da­na Shi­va a com­men­cé par racon­ter sa vie d’étudiante en bio­lo­gie et en phy­sique quan­tique à l’université, alié­née par rap­port aux réa­li­tés du monde, jusqu’au choc que signi­fia pour elle le tra­gique acci­dent sur­ve­nu dans l’usine états-unienne de pes­ti­cides Union Car­bide, ins­tal­lée à Bho­pal qui cau­sa la mort de 35 mille indiens, il y a trente ans. A par­tir de là, elle s’est conver­tie à la cause du peuple et n’a ces­sé d’enquêter sur les acti­vi­tés des entre­prises trans­na­tio­nales dans l’agriculture.

Elle est aujourd’hui consi­dé­rée comme une des prin­ci­pales scien­ti­fiques et cher­cheuses en matière des atteintes à la san­té et de la des­truc­tion de la bio­di­ver­si­té que les OGM et les pro­duits agro-toxiques des entre­prises trans­na­tio­nales causent dans le monde entier.

Elle est repar­tie des consé­quences de la “révo­lu­tion verte” des années 60, que le gou­ver­ne­ment des États-Unis impo­sa à son aire d’influence comme moyen de vendre plus de pro­duits agro-chi­miques et plus de mar­chan­dises agri­coles, sub­ju­guant la pay­san­ne­rie de tous ces pays. Résul­tat : 65% de toute la bio­di­ver­si­té et des res­sources en eau douce mon­diale ont été pol­luées par les agro-toxiques. Des études montrent que 40% de l’effet de serre qui affecte le cli­mat pla­né­taire est cau­sé par l’usage exces­sif et non néces­saire de fer­ti­li­sants agri­coles chi­miques. Dans de nom­breuses régions d’Europe, à la suite de la mor­ta­li­té et de la dis­pa­ri­tion des abeilles, la pro­duc­ti­vi­té agri­cole a déjà chu­té de 30%. Van­da­na Shi­va a rap­pe­lé que si nous nous cal­cu­lions les pré­ju­dices et les coûts néces­saires pour réta­blir la bio­di­ver­si­té, rééqui­li­brer l’environnement et remé­dier aux dégâts cli­ma­tiques, le mon­tant en dol­lars dépas­se­rait le chiffre d’affaires de la vente de biens par les entreprises.

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En ce qui concerne l’action des entre­prises trans­na­tio­nales qui opèrent dans l’agriculture – Mon­san­to, Bungue, Syn­gen­ta, Car­gill – Van­da­na explique qu’elles contrôlent la pro­duc­tion et le com­merce mon­dial de la soja, du maïs, du col­za et du blé, mar­te­lant via la publi­ci­té que l’humanité dépend des ali­ments pro­duits par l’agro-business. En réa­li­té l’humanité se nour­rit de cen­taines d’autres végé­taux et sources de pro­téines qu’elles écartent et n’ont pas encore pu contrôler.

Pour la cher­cheuse “ces entre­prises qui pro­meuvent les OGM n’ont rien inven­té et n’ont rien déve­lop­pé. La seule chose qu’elles ont faite fut d’opérer des muta­tions géné­tiques qui existent dans la nature pour ren­ta­bi­li­ser la vente de leurs pro­duits agro-toxiques.”

Elle a expli­qué que Mon­san­to a réus­si à prendre le contrôle de la pro­duc­tion du coton en Inde avec l’appui de gou­ver­ne­ments sou­mis, néo-libé­raux et qu’aujourd’hui 90% de la pro­duc­tion dépend des semences et des poi­sons. Ce qui a entraî­né une des­truc­tion du mode pay­san de pro­duc­tion du coton et l’endettement géné­ra­li­sé des pro­duc­teurs. La conjonc­tion de l’usage de pro­duits toxiques qui ont mené à la dépres­sion et à la honte de la dette, ont pous­sé depuis 1995 284.000 pay­sans indiens au sui­cide. Un véri­table géno­cide occul­té par les grands médias du monde entier et dont le cou­pable prin­ci­pal est l’entreprise pri­vée Monsanto.

Mal­gré tout ce sacri­fice en vies humaines, Mon­san­to reçoit dans son pays 200 mil­lions de dol­lars annuels, per­çoit des royal­ties pour l’usage de semences géné­ti­que­ment modi­fiées de coton.

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La cri­tique du modèle de l’agro-business en général

Le modèle de l’agro-business n’est qu’une forme de s’approprier les béné­fices des biens agri­coles mais il ne résout pas les pro­blèmes du peuple. La preuve : en aug­men­tant beau­coup la pro­duc­tion, nous pour­rions ali­men­ter 12 mil­liards de per­sonnes alors qu’aujourd’hui nous avons un mil­liard de per­sonnes qui souffrent de la faim quo­ti­dien­ne­ment, 500 mil­lions d’entre elles étant des pay­sans qui ont vu leur sys­tème de pro­duc­tion d’aliments détruit par l’agro-business.

Les pro­duits agri­coles sont de simples mar­chan­dises, plus des ali­ments. 70 % des ali­ments dans le monde res­tent pro­duits par les pay­sans. Nous devons com­prendre que les ali­ments sont la syn­thèse de l’énergie néces­saire aux êtres humains pour sur­vivre à par­tir du milieu où ils vivent, recueillant cette éner­gie de la fer­ti­li­té et de l’environnement. Plus grande la bio­di­ver­si­té natu­relle, plus grand le nombre de sources nutri­tives et plus saine pour les humains l’alimentation pro­duite dans cette région. L’agro-business a détruit la bio­di­ver­si­té et les sources d’énergie véritables.

Les entre­prises uti­lisent le fétiche de la publi­ci­té des tech­niques modernes de la bio-tech­no­lo­gie uti­li­sées pour aug­men­ter la pro­duc­ti­vi­té des plantes. Mais ce n’est qu’un hame­çon : quand on fait des recherches sur ces bio-tech­no­lo­gies on se heurte au secret. Dans le fond elles ne sont que des méca­nismes pour aug­men­ter la ren­ta­bi­li­té des grandes plan­ta­tions ; l’agriculture indus­trielle est la stan­dar­di­sa­tion de la connais­sance, la néga­tion de la connais­sance de l’art de culti­ver la terre. La vraie connais­sance est déve­lop­pée par les agri­cul­teurs eux-mêmes et par les cher­cheurs dans chaque région, dans chaque biome, pour chaque plante.

Le modèle de l’agro-business veut trans­for­mer les per­sonnes en « consom­ma­teurs » de leurs pro­duits. Nous devons com­battre l’usage et le réduc­tion­nisme du terme “consom­ma­teurs”, pour uti­li­ser l’expression “êtres humains” ou per­sonnes qui ont besoin de vie saine. Le consom­ma­teur est une réduc­tion subal­terne de l’être humain.

Les entre­prises de l’agro-business disent qu’elles incarnent le déve­lop­pe­ment et le pro­grès, qu’elles contrôlent 58% de toute la pro­duc­tion agri­cole mon­diale, mais en fait elles ne donnent du tra­vail qu’à 3% des per­sonnes vivant dans le monde rural. C’est donc un sys­tème anti-social.

La scien­ti­fique indienne a révé­lé qu’elle fait par­tie d’um groupe de 300 autres cher­cheurs inter­na­tio­naux qui se sont consa­crés à étu­dier l’agriculture pen­dant trois années inten­sives et ont démon­tré que ni la révo­lu­tion verte des États-Unis ni l’usage inten­sif des semences trans­gé­niques et des pro­duits agro-chi­miques ne peuvent résoudre les pro­blèmes de l’agriculture et de l’alimentation mon­diales. Seule peut le faire la récu­pé­ra­tion des pra­tiques agro-éco­lo­giques em har­mo­nie avec la bio­di­ver­si­té, par­tout sur la planète.

Elle a conclu sa cri­tique du modèle de l’agro-business en mon­trant com­ment son pro­jet génère la des­truc­tion, la peur, parce qu’ il est basé sur la concen­tra­tion et l’exclusion. C’est pour cela que les entre­prises pro­cèdent à l’intimidation ou à la coop­ta­tion des scien­ti­fiques qui s’opposent à elles.

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La solu­tion : l’agro-écologie.

Le modèle agro-éco­lo­gique est le seul qui per­mette de déve­lop­per des tech­niques accrois­sant la pro­duc­ti­vi­té et la pro­duc­tion sans des­truc­tion de la bio­di­ver­si­té. L’agro-écologie est la seule forme de créer de l’emploi et des formes de vie saines pour que la popu­la­tion puisse vivre en milieu rural sans être contrainte de se mar­gi­na­li­ser dans les villes.

Sur­tout, les méthodes agro-éco­lo­giques sont les seules qui per­mettent la pro­duc­tion d’aliments sains, sans poisons.

6 recom­man­da­tions aux jeunes étu­diants en agro-éco­lo­gie et aux pro­duc­teurs agricoles.

1. La base de l’agro-écologie est la pré­ser­va­tion et la mise en valeur des sources nutri­tives exis­tantes dans le sol – en cela elle s’est réfé­rée à une autre scien­tique pré­sente à cette ren­contre et qu’elle a écou­tée atten­ti­ve­ment – la pro­fes­seure Ana Maria Pri­ma­ve­si. Nous devons appli­quer des tech­niques qui garan­tissent la san­té du sol et de cette san­té recueillir les fruits en termes d’énergie saine.

2. Sti­mu­ler et pro­mou­voir le contrôle des semences par les agri­cul­teurs. Les semences sont la garan­tie de la vie. Nous ne pou­vons per­mettre que des entre­prises pri­vées, trans­na­tio­nales, les trans­forment en mar­chan­dises. Les semences sont un patri­moine de l’humanité.

3. Nous devons lier l’agro-écologie à la pro­duc­tion d’aliments sains qui garan­tissent la san­té et peuvent ain­si conqué­rir les coeurs et les esprits des habi­tants des villes comme des zones rurales, de plus en plus empoi­son­nés par les mar­chan­dises trai­tées par les agro-toxiques (mul­ti­pli­ca­tion de can­cers depuis qua­rante ans). Si nous lions les ali­ments à la san­té des per­sonnes, nous gagne­rons des mil­lions des habi­tants des villes à notre cause.

4. Nous devons trans­for­mer les ter­ri­toires sous contrôle des pay­sans en véri­tables sanc­tuaires de semences, d’arbres sains, de cultures de la bio­di­ver­si­té, d’élevage d’abeilles, de diver­si­té agricole.

5. Nous devons défendre l’idée, qui fait par­tie de la démo­cra­tie, de la liber­té des per­sonnes de choi­sir les ali­ments. Les pro­duits de réfé­rence ne peuvent pas se réduire à ceux que les entre­prises décident de mettre dans les rayons.

6. Nous devons lut­ter pour que les gou­ver­ne­ments cessent d’utiliser des fonds publics qui appar­tiennent à l’ensemble des citoyens, pour les trans­fé­rer en sub­ven­tions aux grands pro­prié­taires et entre­pre­neurs de l’agro-industrie. C’est ce qui se passe dans le monde entier et aus­si en Inde. Le modèle de l’agro-business ne sur­vi­vrait pas sans ces sub­ven­tions et sans les avan­tages fis­caux offerts par les gou­ver­ne­ments qui les garantissent.
Sur les dif­fi­cul­tés de la tran­si­tion à l’agro-écologie…

En Inde, rap­pelle Van­da­na Shi­va, on a vécu des pro­blèmes majeurs à l’époque du colo­nia­lisme anglais. Gand­hi a ensei­gné que la force est de tou­jours “lut­ter pour la véri­té”. Le capi­tal trompe, ment, pour pou­voir accu­mu­ler des richesses. Et la véri­té est avec la nature, avec les per­sonnes. S’il existe une volon­té poli­tique de réa­li­ser des chan­ge­ments, s’il y a une volon­té de pro­duire des ali­ments sains, il devien­dra pos­sible de les cultiver.

Van­da­na Shi­va a conclu en appe­lant tous les citoyens pré­sents à s’engager dans la jour­née mon­diale de lutte pour les ali­ments sains et contre les entre­prises trans­na­tio­nales que la Via Cam­pe­si­na, des mou­ve­ments de femmes et des cen­taines d’organisations réa­li­se­ront dans la semaine du 16 octobre 2013 : ce sera l’occasion d’unifier nos voix sur le plan mondial.

Botu­ca­tu, 1 août 2013.