Dialogue imaginaire entre les personnes enfermées dans les centres pour migrants et les responsables politiques pendant la période de confinement. Un film qui explore le potentiel politique du found footage sur base de témoignages téléphoniques enregistrés dans les centres et images officielles du taskforce qui gère la crise du coronavirus.
La détention en centre fermé est devenue illégale. L’inaction de nos responsables politiques menace les plus vulnérables d’entre nous. Au regard de la loi, la détention des étrangers est permise pour autant que leur expulsion du territoire demeure une possibilité. Dans le contexte qui est le nôtre, celui d’une fermeture des frontières et d’une interruption du trafic aérien international, le rapatriement des détenu.e.s est tout simplement empêché et le maintien de leur détention devient de facto illégal.
Dès l’ouverture des centres fermés à la fin des années 1980, nombre de militant.e.s et associations se sont opposés à ces dispositifs carcéraux qui privent des personnes de leur liberté pour l’unique motif suivant : l’absence d’un titre de séjour valable. Dans une lettre ouverte adressée à la Première ministre belge, une centaine d’avocat.e.s ont récemment appelé à la cessation des activités de tous les centres fermés.
Depuis le début de la période de confinement, nous avons réalisé une enquête afin d’évaluer les ajustements apportés par l’Office des étrangers et vérifier la mise en applications des mesures de sécurité prescrites par les autorités. Nous avons joint par téléphone une vingtaine de détenu.e.s avec lesquel.le.s nous sommes restés en contact durant les quatre dernières semaines. Ce sont ces échanges qui nous permettent aujourd’hui d’alerter l’“opinion publique” quant à l’évolution dramatique de la situation.
Si l’on se permet de faire l’économie de l’illégitimité et de l’illégalité encore plus actuelle de centres fermés, les conditions de détentions y sont particulièrement préoccupantes. Ces dernières ne permettent aucunement d’envisager un respect des règles de confinement auxquelles il est pourtant indispensable de s’astreindre. Les conditions sanitaires sont déplorables et vont à l’encontre des recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé, mais aussi des mesures prescrites par notre gouvernement. De plus, les seules dispositions appliquées par l’Office des étrangers ne semblent avoir pour conséquence que le renforcement d’un régime punitif, restrictif et une mise en danger permanente des détenu.e.s et du personnel du centre fermé. Étant donné le peu d’informations mises à la disposition de la population, il nous a paru important de rendre publics la situation et le quotidien dont font état les détenu.e.s de ces centres. Nous avons choisi de faire entendre leurs voix et c’est avec l’espoir de rendre davantage sensible une situation abstraite que nous avons mené plusieurs entretiens téléphoniques. Ces documents enregistrés avec 11 personnes enfermées dans les centres de Merksplas, Holsbeek et Vottem, sont alarmants.
La crise sanitaire actuelle est révélatrice des inégalités qui structurent notre société, une société dont nous avons – plus encore aujourd’hui qu’hier – l’opportunité et le devoir de changer. Il est urgent que les mesures de protection soient appliquées à nous tou.te.s, que la solidarité dont nous pouvons témoigner ne soit pas réservée à certain.e.s mais profitable à chacun.e d’entre nous. Il en va de l’intérêt commun, de la santé publique et du respect des droits humains les plus fondamentaux. Nous ne pouvons décemment pas ignorer une partie de notre société, dont le seul « crime » est de manquer d’un document administratif. Nous demandons la fermeture des centres fermés et la libération immédiate de tous le détenu.e.s.
Ines Bahja
Les entretiens téléphoniques qui ont été enregistrés sont accessibles ici
Si vous souhaitez soutenir des associations qui viennent en aide aux personnes enfermées dans des centres fermés :
Contact : gettingthevoiceout@riseup.net
Compte : BE58 5230 8016 1279 BIC : TRIOBEBB
Cracpe — Collectif de Résistance Aux Centres Pour Étrangers
Contact : cracpe@skynet.be
Compte : CRACPE : IBAN BE89 0003 2598 6785
Extraits de témoignages
« Je suis tombé malade dimanche [le 22 mars 2020) dernier. À 9 h 45, j’ai dit à l’infirmière que je n’étais pas bien, j’avais mal à tête, je tremblais, j’ai mon corps qui était très chaud. Elle a pris note, elle est partie et elle ne m’a rien dit. À partir de 15 h 30 – 16 h, ça a commencé à devenir vraiment grave […] Dans ma chambre, un ami à côté qui est parti crier sur eux [le personnel du centre fermé] et il leur a dit : « Il est malade, pourquoi vous le laissez seul comme ça ? […] J’avais 39 de fièvre alors ils m’ont dit qu’il fallait qu’on me garde. Je pouvais plus retourner dans ma chambre avec les gens parce que c’est dangereux. Ils m’ont mis en isolement en bas tout seul […] »
Vottem, le 28 mars 2020 (l’homme interviewé n’a pas vu de médecin durant la durée de son isolement médical. Il sera reconduit dans l’aile commune, en contact avec les autres détenu.e.s)
« Le personnel ne porte pas de gant, pas de masque, rien. Quand ils entrent dans le centre, ils mesurent seulement leur température, s’ils ont de la fièvre ou pas, ils entrent comme ça, mais sans masque et sans gant » Holsbeek, le 25 mars 2020
« Ils veulent nous amener dans nos pays d’origine, où on va aller ? On n’y connait personne. Moi j’ai quitté ce pays à l’âge de 14 – 15 ans » Vottem, le 29 mars 2020
« On est ici enfermés pour des papiers. Aujourd’hui, nous savons que tous les aéroports sont fermés et on sait pas quoi faire de nous, on est ici dans les oubliettes » Vottem, le 27 mars 2020
« Les personnes qui décident de faire une grève de la faim, on les enferme et on les met à l’isolement, on les met au cachot. On prétend qu’on fait ça pour que les gens ne prennent pas exemple sur lui » Vottem, le 27 mars 2020
« Franchement, je suis désolé de le dire mais la Belgique, que ce soit en détention dans les prisons ou les centres illégaux, ils ont largement dépassé les droits de l’homme. C’est moi qui le confirme » Vottem, le 31 mars 2020