Lamine Bangoura, tué par la police pour un impayé de loyer. Mardi 16 mars, la chambre des mises en accusation de Gand décide que les huit policiers qui ont participé à l’expulsion où Lamine Bangoura a perdu la vie, n’ont pas à en répondre devant la justice. Les parents survivants vont faire appel à la Cour de Cassation.
Pour soutenir la famille qui doit rassembler 30 000€ pour récupérer le corps et en plus de cela verser des frais de justice aux 8 policiers : https://www.leetchi.com/c/justice-for-lamine
Le 7 mai 2018, Lamine Bangoura est mort asphyxié lors d’une intervention policière à son domicile de Roulers, en Flandre Orientale. Tout cela pour un impayé de loyer et un ordre d’expulsion dont le jeune homme n’avait même pas connaissance.
Ce jour-là, Lamine est endormi quand l’huissier de justice, son assistant et deux agents de police sonnent à son domicile. Lamine ne comprend pas ce que lui ordonne l’huissier, car il n’a pas relevé son courrier, dont la lettre d’expulsion. Les choses « tournent mal » et les policiers appellent du renfort. Ils se retrouvent à huit personnes pour expulser le jeune homme.
De cette expulsion « qui a mal tourné », on ne connaitra dans un premier temps que la version policière. Version sur laquelle les huit agents ont eu largement le temps de s’accorder car ils n’ont été auditionnés qu’un mois plus tard par l’organe de contrôle de la police, le comité P. Un délai qui pose question. Ce premier vice de procédure n’a pas inquiété la justice dans son enquête et dans son prononcé de non-lieu. Il n’a pas non plus empêché les médias « mainstream » de relayer la version mensongère des policiers à propos de Lamine. Car oui, une fois de plus, la victime est devenue « responsable » de sa propre mort. « Lamine aurait consommé des stupéfiants et provoqué la police ». Cette stratégie de communication est devenue tellement récurrente dans les cas d’homicide impliquant la police, que l’on peut presque l’anticiper.
Après un an de procédure, la justice a considéré qu’il n’y avait pas de charges suffisantes à l’encontre des huit agents des forces de l’ordre et a prononcé une ordonnance de non-lieu. C’était le 26 juin 2020. Avec le soutien et l’appui de leur avocat maitre Alexis Deswaef, la famille a fait appel de cette décision.
Un nombre élevé d’éléments à charge des policiers
En prenant connaissance du dossier, maitre Alexis Deswaef a été de « mauvaises surprises en mauvaises surprises ». Le dossier est rempli de vices de procédure et d’éléments à charge des policiers.
Il y a premièrement cette fameuse vidéo tournée par l’assistant de l’huissier de justice le jour de l’expulsion. Les images ne peuvent être plus explicites. Pendant 40 secondes, on assite à une scène de meurtre. Plusieurs policiers entourent Lamine et le maintiennent par la force, couché à plat ventre et la tête enfoncée dans le canapé. Le son de cette vidéo est glaçant. On entend les cris de détresse du jeune homme mais personne ne lui vient en aide alors qu’il agonisse. Lamine est mort quelques minutes seulement après cette vidéo. L’usage de la contrainte et de la force a été totalement disproportionné, alors que Lamine était menotté et ne représentait aucun danger.
Notons aussi que les policiers ont fait preuve d’un cynisme sans nom, en prononçant des phrases telles que : « On va encore devoir appeler un corbillard… ». Ou au moment de l’arrivée des secours, en avertissant les ambulanciers de faire attention, car Lamine « fait peut‑être semblant d’être mort »…
Enfin, fait particulièrement sordide dans ce dossier, les policiers ont utilisé des sangles de déménagement [spécialement récupérées dans la camionnette de l’huissier] pour immobiliser et maintenir le jeune homme sur le canapé. Inutile de préciser que cette pratique ne rentre pas dans le manuel de conduite de la police et que ces sangles ont probablement contribué a accéléré l’asphyxie de Lamine.
Un corps détenu à la morgue depuis bientôt 3 ans
A ce jour, le corps de Lamine se trouve toujours à la morgue, depuis presque trois ans. Il a d’abord été détenu sur ordre du juge d’instruction pendant près d’un an, le temps de l’enquête. Ensuite, lorsque la famille a été autorisée à récupérer celui-ci, la facture s’élevait à 8 000 euros (somme que la famille était incapable de payer). La famille s’est tournée vers le CPAS. Un comité de concertation composé d’un magistrat, d’un employé du service social et d’un représentant de la police s’est mis en place pour tenter de trouver une solution à cette situation. La famille a finalement réussi à réunir la somme de 3 000 euros, mais ce n’était toujours pas suffisant pour les gestionnaires de la morgue. Les pouvoirs publics ont refusé de lever l’hypothèque sur la restitution du corps. L’empêchement de réaliser la sépulture de Lamine et de permettre à sa famille de commencer son deuil est totalement indécent et relève visiblement d’une forme de chantage pour contraindre les Bangoura à abandonner la procédure. En attendant, la facture augmente de 25 euros par jour de retard et la somme actuelle s’élèverait à environ 30 000 euros.
Un silence médiatique assourdissant
Malgré la profonde gravité de cette affaire, celle-ci a été invisibilisée depuis presque trois ans, auprès de la majorité des médias traditionnels, particulièrement du côté francophone. Ce silence assourdissant s’explique difficilement. Si Lamine avait été belgo-belge, en aurait-t-il été autrement ?
Seul le quotidien néerlandophone — De Morgen — a publié une enquête implacable fin octobre 2020, signée Douglas De Coninck et Samira Atillah. Cette enquête est basée sur la récupération et le traitement des enregistrements radio de la police datant du jour des faits. Cet article, révélant de nouveaux éléments à charge des policiers, n’a pas fait beaucoup de bruit mais a eu le mérite de relancer l’affaire. Depuis janvier dernier, quelques médias commencent enfin à traiter l’affaire Lamine Bangoura à la hauteur de la gravité des faits. C’est‑à-dire la mort d’un jeune homme âgé de 27 ans, suite à des violences policières, aggravée par l’impossibilité pour la famille de se voir restituer le corps de leur enfant.
Un rassemblement sous haute surveillance
Ce 4 févier 2021 avait donc lieu l’audience en appel pour le renvoi ou non des huit policiers devant la cour constitutionnelle. A cette occasion, un grand nombre de personnes souhaitait manifester son soutien à la famille Bangoura sur la place Kouter, située juste à côté du palais du justice de Gand. La police et les autorités locales ont tenté par de nombreux moyens de les dissuader de se rassembler.
Le rassemblement a d’abord été autorisé par le bourgmestre De Clerc, pour une cinquantaine de personnes maximum, mais les organisateur.rice.s ont été sommé.e.s de donner les coordonnées de tou.t.e.s les participant.e.s [pratique très questionnable], ce qu’iels ont formellement refusé.
Après de multiples rebondissements, la mobilisation a finalement été purement et simplement interdite la vieille. Le pouvoir communal a‑t-il subi des pressions ? Redoutait-il un quelconque « débordement » ?
Tout semble confirmer que l’expression du moindre soutien à la famille dérange les autorités locales et leur hiérarchie. Un impressionnant dispositif policier a été mis en place sur la place Kouter (au moins huit camionnettes de police dont deux blindées et de nombreux policiers en civil pour « surveiller » la poignée de militant.e.s.
Finalement, une petite vingtaine de personnes a accompagné la famille jusqu’à l’entrée du palais de justice. Ensuite, les personnes se sont à nouveau retrouvées sur la place Kouter et y sont restées pendant trente minutes avant d’être chassées. Quelques-unes sont restées jusqu’à la fin de l’audience pour recueillir les premières impressions de l’avocat et des parents de Lamine. Tout s’est passé dans le calme et avec beaucoup de dignité.
Un renvoi devant la cour constitutionnelle ?
En conclusion, l’audience de ce 4 février 2021 a permis l’analyse de nouveaux éléments à charge des policiers, notamment le visionnage de la vidéo de 40 secondes qui montre clairement ce qu’il s’est passé juste avant le décès de Lamine. Ce dernier a été immobilisé et maintenu sous la contrainte et avec une force disproportionnée par des agents de police, ce qui engendré son asphyxie et sa mort.
Le 16 mars prochain, la cour de justice se prononcera sur le renvoi ou non des huit policiers responsables devant le tribunal correctionnel. Pour la famille Bangoura, qui mène seule ce combat depuis trois ans, il est fondamental que le débat puisse enfin avoir lieu en audience publique. Et pour le système judicaire, ce serait l’occasion d’envoyer enfin un signal fort au monde politique en mettant fin à l’impunité policière mise en évidence dans ce dossier.