Au Burkina Faso, une communauté qui vivait de l’exploitation artisanale de l’or a du céder ses terres à une société canadienne.
documentaire “Prospérité sous terre”, réalisé par Ronnie Ramirez, à propos de l’exploitation minière au Burkina Faso.
D’où est venue l’idée de tourner Prospérité sous terre ?
La crise financière que nous traversons en Occident nous a tous bousculés et chez Zin TV nous sommes particulièrement attentifs aux alternatives et aux solutions qui émergent en réaction. Mais, par ailleurs, en subsidiant les banques, nos gouvernements semblent tout faire pour maintenir le même système économique en place qui nous a conduit à la récession. D’où sort cet argent qui ne sert pas à financer des politiques sociales ? D’où sort cet argent qui permet à nos pays occidentaux de maintenir une position stratégique et hégémonique sur la planète ? Où allons nous ? Chez Zin TV nous nous posons ce genre de questions et tentons d’apporter un éclairage à notre public. Nous avons donc démarré le projet d’une collection de films qui posent un regard critique sur les modèles de développement, Prospérité sous terre en est le premier.
Nous nous sommes intéressés au Burkina Faso car on y parle de « boom minier ». Un des effets de la crise financière en Occident est la montée subite du prix de l’or dans le marché international et qui est par conséquent responsable d’une ruée vers l’or là ou il y en a. La banque mondiale aidant, exige au Burkina Faso des politiques permissives sous la forme d’un code minier qui accueille les investissements étrangers dans le but, bien-sûr, de contribuer au développement du pays.
Ainsi ces dernières années, des sociétés minières originaires de différents pays se sont installées sur le territoire burkinabé pour y extraire de l’or, dont IAMGOLD qui est la plus importante. Dans le cas de cette société canadienne l’État Burkinabé participe car il est actionnaire à 10%, cela crée l’espoir d’une opportunité historique pour faire bénéficier à sa population des richesses de son sous-sol. Les sociétés minières contribuent donc de manière importante à la caisse de l’État, au trésor public. La question qui est sous-jacente est la distribution des richesses d’une part et d’une autre part, le faible pourcentage perçu par le Burkina Faso pourtant propriétaire du précieux minerais. Malgré cela, d’autres exemples existent, par exemple le projet Koniambo, en Nouvelle-Calédonie, la société Canadienne Falconbridge est associé à une société minière Kanak (propriétaire du massif riche en nickel) pour un actionnariat minoritaire à 49% ou ailleurs ; par exemple au Venezuela, la Constitution oblige toute entreprise mixte à un actionnariat de 51% pour les entreprises nationales.
Fidèle à la démarche de Zin TV nous sommes allés à la rencontre des communautés, dans ce cas-ci celle d’Essakane qui sont directement concernés par les effets de la mine qui s’est installé chez eux. Cela implique passer de temps avec eux, d’ouvrir grand les oreilles et les yeux. Nous sommes partis sans préjugés et avec l’envie de découvrir les choses par nos propres yeux, mais la réalité est criante de vérités qu’elle nous gifle par sa violence.
Comment s’est déroulée la production ?
Chez Zin TV nous avons réunis les moyens qui nous ont permis de mener à bien ce projet, nous avons planifié ce qui est planifiable et nous sommes partis avec le minimum. Sur place, les rencontres se sont succédé dans un tournant favorable au film avec en finalité des portraits dissonants et contradictoires et qui impliquent les acteurs liés à la problématique. Chaque jour nous rencontrions des nouveaux lieux, des nouveaux personnages et des nouvelles situations. J’ai fait tout ce qui est possible dans ces conditions pour avoir du recul afin de construire un récit cohérent et juste.
Nous avons également travaillé sur la musique du film avec Patrick Kabré, un jeune musicien Burkinabé, talentueux et gagnant du prix National de la chanson contemporaine. Durant le tournage, on se téléphonait régulièrement et je lui racontais ce que nous voyons et cela l’aidait à adapter ses compositions. De retour à Ouagadougou, il avait préparé une série de propositions musicales que nous avons enregistrés.
Durant toute la période sur place, nous avons investis notre temps dans la relation que nous avons établis avec nos personnages filmés, les musiciens et autres collaborateurs directs, le film en porte la trace et le rends ainsi particulier. C’est une qualité en bénéfice du film. Nous avons vécu cette expérience de manière intense car elle est humaine et cinématographique, une véritable aventure.
Puis de retour à Bruxelles, le cœur entre nos mains, car on s’est vraiment attaché aux personnes rencontrés avec qui nous avons vécu des moments profonds et mémorables, nous avons démarré la post-production chez Zin TV. C’est là que l’écriture du film commence vraiment, j’avais une structure narrative en tête et qui s’est confirmé, nos personnages ont commencé à prendre forme et ils sont croustillants, la situation est riche et le décor est surprenant… Même si l’on veut rester maitre à bord, la matière filmé a commencée à imposer ses règles et qui par exemple ont fait dépasser largement la durée estimé au départ. Somme toute, il s’agit d’un témoignage sincère, d’une situation donnée.
Avez-vous rencontré des difficultés ?
Lorsque nous avons signalé auprès de nos ambassades notre volonté de voyager vers le nord du pays, elles nous ont supplié de ne pas nous y rendre car la région était déclarée « zone rouge », c’est-à-dire que notre sécurité n’y était pas garantie. A quelques kilomètres de la frontière du Mali, avec une intervention militaire imminente et des groupes islamistes armés qui rôdent, friands en kidnapping de blancs. Sincèrement, on avait pris peur, on est loin d’être des aventuriers et on veut encore faire plein d’autres films encore. Mais, pour nous, il était hors de question de venir de l’autre bout de la planète pour finalement ne rien faire.
Pour Zin TV il y a une nécessité politique d’être aux côtés des communautés dans les moments difficiles, surtout quand aucune caméra ne s’intéresse plus à eux. On a téléphoné à nos contacts sur place, on s’est informé et on a pris la décision de partir quand-même. Il n’y avait pas eu encore d’antécédents de kidnappings, juste des grandes précautions. Mais, sais-t-on jamais, serions-nous les premiers ? Sur le chemin, on nous décourageait au fur et à mesure que l’on se rapprochait. N’y allez pas ! Vous n’aller pas revenir !!! Mais nous avons été discrets, nous étions entre bonnes mains et avons étés sages, on a même envoyé nos messages journaliers auprès de nos ambassades pour les rassurer.
Notre accueil dans les communautés a été émouvant, les gens sont d’une gentillesse et d’une générosité merveilleuse. Cela, dans un décor ingrat, des cabanes éparpillés sous un soleil écrasant, beaucoup de poussière, c’est un peuple humble avec des besoins basiques urgentissimes et ils sont délaissés par le monde entier. Ils vivent dans des conditions de précarité effroyable, matériellement ils n’ont rien ! Souvent pas d’eau, des enfants sous-alimentés, des maisons en ruines, les soins de santé et la scolarité manquent cruellement. C’est une vraie catastrophe. Ils sont bien conscients de tout cela, mais ils ont une attitude digne et intelligente. Ils n’étaient tout simplement pas au courant des projets d’expansion de la mine et que par conséquent ils allaient être déplacés.
Sinon, nous étions un mois avant les élections municipales et avons parfois été soupçonnés d’être manipulés ou de prendre parti pour l’un ou l’autre tendance, les tensions étaient bien palpables, surtout que notre caméra déambulait librement dans les rues des communautés déplacées mais aussi à l’intérieur de la mine d’or. Mais de manière générale, nous avons adopté un comportement des plus respectueux envers tous, on a coopéré avec les autorités locales et les représentants d’IAMGOLD ont aussi été très chaleureux avec nous. Sans aucune difficulté nous avons pu filmer la mine de l’intérieur, c’est-à-dire derrière les gardes armés et grillages de barbelés.
Qu’avez-vous vu exactement dans la mine d’or ?
Nous avons introduit une demande formelle, après avoir montré patte blanche, rencontré le responsable administratif d’IAMGOLD on nous a gentiment ouvert les portes. Se déplacer à l’intérieur de la mine impliquait respecter des consignes de sécurité, nous avons donc du suivre une formation en la matière, endosser un uniforme de travail, des lunettes et un casque de sécurité. On nous a guidé partout et on a filmé seulement les premières étapes de la chaine de production, filmer le produit fini, c’est‑à dire le lingot d’or est tout simplement interdit de tournage pour des raisons de sécurité. D’ailleurs nous avons appris que dans l’iconographie officielle d’IAMGOLD on évite de montrer l’or, il est inexistant. C’est intéressant car l’inverse est bien plus courant, en général les entreprises préfèrent montrer le produit fini et non pas dans les conditions dans lequel le produit a été fabriqué. IAMGOLD fait donc de sa chaine de production et conditions de travail sa vitrine et évite de montrer les lingots qui partent en avion par caisses chaque semaine. Lors d’une réunion avec eux nous avons demandé pourquoi on pouvait pas filmer les lingots, ils nous ont répondu que c’est pour éviter des phantasmes associés à une vie de luxe. Pour ma part, je pense que c’est une forme de prudence démesurée puisqu’on ne peut jamais cacher le soleil avec un doigt.
L’intérieur de la mine est spectaculaire, c’est un contraste immensurable avec le monde extérieur qui l’entoure. Dans le périmètre de la mine tout est amplifié, tout est organisé minutieusement pour que tout soit mis à profit, il y a régulièrement un dynamitage qui fait trembler la zone, un ballet incessant d’énormes camions avec des pneus de 4 mètres et qui transportent 15 tonnes de roches explosés, ils circulent 24h sur 24h et 7 jours sur 7 dans un brouillard de poussière, téléguidés depuis une tour de contrôle. C’est un décor industriel de pointe avec un bruit assourdissant en continu venant des gigantesques machines qui broient les blocs de pierre ou du tapis roulant qui transporte le minerai, il y a d’énormes réservoirs de carburant et partout des travailleurs qui bossent avec des instruments indescriptibles, tous sont muni d’une bouteille d’eau minérale.
On a vu dans la fosse de 100 mètres de profondeur la nappe phréatique, on y a vu aussi sur les côtés les galeries creusées par les anciens orpailleurs. Cela donne une idée de comment un orpailleur suivait verticalement une veine d’or, l’impression est bizarre car c’est comme au musée où l’on voit les galeries des fourmis coupé à la transversale. C’est aussi une zone où règnent des lois de travail canadiennes, au resto on mange même du sirop d’érable, cornflakes, épinards… tous les aliments sont importés du Canada. Le soir, toujours à l’intérieur, nous avons pu boire des bières dans le “maquis” de la mine, échanger avec quelques représentantes des 10% d’employés féminines… Nous avons confortablement dormi dans le plus grand hôtel de la région qui se trouve à l’intérieur de la mine avec plus de 600 chambres équipées en air conditionné, télé et internet. Au petit matin nous avons filmé ce qui est bien plus qu’une séance de gym des travailleurs, puis quelques projets de développement durable d’IAMGOLD auprès des communautés affectées.
Qu’en pensez-vous personnellement ?
Je pense qu’IAMGOLD fait ce que l’État leur permet de faire. D’ailleurs, les gens ne sont pas contre le fait qu’il y ait une mine d’or, ils veulent juste qu’avec les bénéfices de la mine on puisse nourrir, éduquer et soigner chaque enfant du pays. Aux yeux des habitants c’est une opportunité de développement gâchée puisqu’ils ne voient pas de bénéfices sociaux immédiats. Ils se sentent bernées et la rancune des communautés affectées grandit, la situation risque bien d’exploser. Car ce qui est violent, c’est le contraste entre la réalité à l’intérieur de la mine d’or et l’énorme précarité à l’extérieur. D’autant que la durée de vie d’IAMGOLD est estimée à 12 ans, sans compter les projets d’expansion. Les Canadiens partirons lorsqu’il ne restera plus d’or à exploiter, ce qui est logique, ils ne sont venus que pour cela. Donc, quelque part c’est maintenant ou jamais, et la balle est dans le camp de l’État car c’est elle qui impose les règles du jeu. Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas allé au Burkina Faso pour réduire une réalité à un pamphlet politique, la réalité est complexe, j’essaye au mieux d’être juste.
Pensez-vous que le film pourra changer quelque chose ?
Si un film pouvait changer la société ça se saurait, mais un film n’est pas stérile pour autant, il peut susciter la réflexion et la prise de conscience sur une réalité ignorée, et de cette manière contribuer indirectement à des changements. Un film est en quelque sorte une bouteille que l’on jette à la mer, remplis de messages… On ne peut pas prévoir ce qui peut se passer après la projection du film, mais je trouve que tenter d’organiser la réaction du public est prétentieux et dangereux.
Cet entretien a été réalisé le 15 février 2013, par Maxime Kouvaras (Zin TV).