Le capitalisme ne constitue pas un horizon indépassable. C’est ce que tentent de prouver les coopératives intégrales en posant les bases d’un nouveau système économique basé sur l’autogestion, la coopération, les relations de proximité et la décroissance. Ce concept né en Catalogne essaime à travers l’Europe et notamment à Toulouse.
La Coopérative Intégrale Catalane (FR) from Collectif Engrenages on Vimeo.
- Reportage, Toulouse. 7 octobre 2013 / Emmanuel Daniel (Reporterre)
« Nous pouvons vivre sans capitalisme ». Les membres de la Coopérative intégrale catalane (CIC) en sont persuadés. Et ils ne se contentent pas de le clamer. Depuis 2010, ils sont près de dix mille à bâtir « une nouvelle économie basée sur la coopération et les relations de proximité »[Les citations des deux premiers paragraphes sont issues d’[une plaquette réalisée à l’occasion de la venue d’Enric Duran en France]]. Cette coopérative d’un nouveau genre est dite intégrale car « elle regroupe les éléments basiques d’une économie et comprend tous les secteurs d’acitivités nécessaires pour assurer le quotidien ». Coopératives de logement et d’alimentation, centres de santé autogéré, banques, écoles, production d’énergie… La mise en réseau d’alternatives socialement utiles et écologiquement soutenables permet à la CIC de poser les bases d’un nouveau système économique échappant aux règles du marché et au diktat de la rentabilité.
Pour que les membres puissent accéder aux biens et services nécessaires à leur subsistance, des moyens d’échange nouveaux ont été mis en place. L’euro n’a plus le monopole en Catalogne. Les usagers du centre de santé peuvent par exemple payer leur consultation en Ecocoop, la monnaie sociale interne à la CIC, en temps de travail ou… avec un pied de tomates. Créé sous l’impulsion de l’activiste Enric Duran, surnommé le Robin des banques pour avoir escroqué 500 000 € à des institutions financiaires, ce projet constitue « une proposition constructive de désobéissance et d’autogestion généralisée pour reconstruire la société depuis le base ».
Fédérer les alternatives
De l’autre côté des Pyrénées, à Toulouse, cette expérimentation à mi-chemin entre anarchisme et socialisme utopique, a séduit une population animée par une envie radicale de changement. Fin 2012, suite au passage d’Enric Duran et d’autres membres de la CIC, ils étaient près d’une centaine à se regrouper pour créer la Coopérative intégrale toulousaine (CIT). Squatteurs, étudiants, infirmières, graphistes, agriculteurs, bricoleurs, banquiers… Ce collectif hétéroclite espère pouvoir « fédérer et unir les alternatives existantes et en faire naître de nouvelles, comme l’explique Karim, un des piliers de l’initiative. Nous avons déjà tout à Toulouse : un garage associatif, des Amap, des écoconstructeurs, un fournisseur d’accès à internet alternatif, des gens qui travaillent sur l’énergie libre… Sauf que rien n’est connecté », constate-t-il. Et pour Mathieu, électronicien présent depuis la première réunion, le meilleur moyen de fédérer ces initiatives est de développer des monnaies sociales et l’échange non marchand afin de « sortir progressivement de l’euro et du capitalisme ».
Pour y parvenir, les membres de la coopérative intégrale toulousaine se retrouvent chaque mois lors d’une Agora où différents groupes de travail viennent faire état de l’avancée de leurs recherches.
Ce samedi, ils sont une vingtaine à s’être donné rendez-vous dans une chapelle reconvertie en squat. Les uns planchent sur des « projets productifs » tels que la mise en place d’un centre de santé autogéré ou d’un « groupement de consommation » qui vise à supprimer les intermédiaires entre producteurs et consommateurs. Les autres réfléchissent à la meilleure façon d’adapter « le concept de la Coopérative intégrale catalane au contexte juridique et culturel français », selon les mots de Carlos, qui consacre son doctorat en sociologie à l’étude du projet.
Autogestion, consensus et subsidiarité
Les discussions vont bon train, mais aucun vote ne viendra ponctuer la journée. En effet, cette assemblée ouverte à tous n’a pas vocation à prendre des décisions. « On concoit la prise de décision comme nécessairement concommitante de l’action. Le groupe de travail le plus petit va prendre les décisions qui sont liées à son activité selon le principe de subsidiarité », précise Carlos. Ainsi, chaque groupe d’action (santé, logement, consommation, juridique…) est autogéré et prend ses décisisons au consensus. Et pour que cette addition de forces autonomes trouve sa cohérence, les groupes mandatent un ou plusieurs de leurs membres pour rendre compte de leurs travaux lors de réunions de coordination entre groupes ou pendant l’Agora.
Cette assemblée, conçue comme un temps de délibération et d’échange a pour vocation de permettre aux différents membres de la Coopérative intégrale toulousaine d’avoir une vue d’ensemble sur les actions en cours. Elle offre également la possibilité à des groupes de travail de recruter de nouveaux membres. Ainsi, pendant la journée, l’équipe qui œuvre à la mise en place du centre de santé autogéré s’est étoffée. Trois praticiennes de santé, en activité ou en formation, ont rejoint le projet tandis que d’autres sont venus grossir les rangs des groupes logement et consommation.
Repenser nos moyens d’échange
Après presque un an de travail, les membres de la Coopérative intégrale toulousaine ont élaboré les statuts de l’association, lancé un système d’échange local (SEL) afin de partager biens, services et compétences sans utiliser d’argent et commencé à démarcher les producteurs locaux. Ceux-ci sont prêts d’une centaine à se tenir prêts. « J’attends que les outils soient en place pour m’impliquer », explique Théo, informaticien. En effet, tant que les moyens d’échange permettant aux producteurs de subvenir à leurs besoins sans passer par le système marchand ne seront pas fonctionnels, le projet ne pourra guère compter que sur le bénévolat pour avancer. « Ils sont tous en train de nous demander quand est-ce qu’ils pourront échanger entre eux », se réjouit Karim.
Mais il leur faudra patienter au moins six mois. Le temps pour le « groupe inter-échange » de trouver une formule qui permette au plus grand nombre d’y trouver son compte. « Nous voulons mettre en place un système qui puisse répondre tout de suite aux besoins des membres, ceux qui ont du temps mais pas d’argent mais aussi ceux qui ont de l’argent mais pas de temps », détaille Karim. Plusieurs modèles sont à l’étude comme les monnaies complémentaires, les SEL, les banques de travail ou les cryptomonnaies décentralisées comme les Bitcoins.
Une autre économie est possible
Mais peu importe les moyens d’échanges qu’ils choisiront, si les membres de la CIT veulent rassembler autant de producteurs et consommateurs que leurs voisins catalans, il leur faudra présenter des réalisations concrètes. Ils comptent donc d’abord expérimenter le système à petite échelle pour tester sa viabilité. « Si ça marche, on ne restera pas à 50 ou 100. Au vu de la situation économique et sociale actuelle, les gens sont déjà demandeurs d’une autre manière de fonctionner », argue Karim.
L’ampleur prise l’expérience catalane leur fait penser qu’une qu’une autre économie, viable et soutenable, est possible. Et ils ne sont pas les seuls à le croire. D’autres territoires se sont également lancés dans l’aventure en Espagne mais également à Nantes, Marseille, en Ariège et en Belgique.
Et même si le chemin emprunté est long et sinueux, les Toulousains sont persuadés de ne pas faire fausse route. « Les membres de la coopérative intégrale sont en train de générer le changement. On n’attend pas que ce soit les politiques qui le fassent à notre place, expose Carlos. On agit maintenant, depuis la base, pour créer des alternatives au système ».
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Source : Emmanuel Daniel pour Reporterre.
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