Abdoulaye Wade contre le peuple sénégalais

Wade sortira par la petite porte, alors que ses deux prédécesseurs, Senghor et Abdou Diouf, sont sortis par la grande.

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Par Dem­ba Mous­sa Dem­bé­lé, Membre du Forum social séné­ga­lais (FSS), 6 février 2012 

La vali­da­tion, par le Conseil consti­tu­tion­nel séné­ga­lais, de la can­di­da­ture à l’élection pré­si­den­tielle du pré­sident sor­tant Abdou­laye Wade a créé une situa­tion qua­si-insur­rec­tion­nelle dans notre pays. La rai­son ? Cette can­di­da­ture consti­tue une vio­la­tion fla­grante de la Consti­tu­tion. D’ailleurs, après sa réélec­tion en 2007, jugée frau­du­leuse par l’opposition et une bonne par­tie de l’opinion, Wade avait lui-même affir­mé qu’il ne pou­vait pas se repré­sen­ter en 2012. Avant de se dédire publiquement.

C’est donc contre l’avis de la qua­si-tota­li­té des consti­tu­tion­na­listes du pays que les juges du Conseil consti­tu­tion­nel ont vali­dé la can­di­da­ture du pré­sident Wade. Pour nombre de cri­tiques, cela ne devrait pas éton­ner vu la com­po­si­tion du Conseil et les faveurs octroyées par Wade à ses membres. Ain­si, le pré­sident de cette ins­ti­tu­tion, Cheikh Tidiane Dia­kha­té, a vu son salaire rele­vé de façon sub­stan­tielle par Wade. Selon la presse, lui et les autres membres du Conseil ont récem­ment reçu des véhi­cules 4x4 flam­bant neuf et d’autres pri­vi­lèges. C’est pour­quoi cer­tains disent que leur déci­sion est en par­tie le résul­tat de cette cor­rup­tion déguisée.

Des morts sur la conscience

Abdoulaye-Wade.jpg Un autre fac­teur a pu peser dans la déci­sion de Cheikh Tidiane Dia­kha­té et de ses col­lègues : ils avaient sans doute pré­sent à l’esprit le sort réser­vé à Me Baba­car Sèye, assas­si­né en 1993 lors de l’élection pré­si­den­tielle de cette année-là. Comme on le sait, de forts soup­çons conti­nuent de peser sur le pré­sident Wade comme prin­ci­pal com­man­di­taire de ce meurtre cra­pu­leux. Ses détrac­teurs disent que s’il a pu le faire alors qu’il était dans l’opposition, aujourd’hui qu’il est au pou­voir, il a tous les moyens de com­man­di­ter d’autres meurtres et de les maquiller.

La déci­sion du Conseil consti­tu­tion­nel a été accueillie par de vio­lentes mani­fes­ta­tions à tra­vers tout le pays. En moins d’une semaine, six per­sonnes ont per­du la vie suite aux ras­sem­ble­ments orga­ni­sés pour pro­tes­ter contre la vali­da­tion de la can­di­da­ture de Wade. A part le poli­cier tom­bé le ven­dre­di 27 jan­vier, les vic­times ont été abat­tues de sang froid par les forces de l’ordre. Ain­si donc, Wade a‑t-il déjà six morts sur la conscience. Compte tenu de la déter­mi­na­tion des forces vives de la nation et de la grande majo­ri­té du peuple séné­ga­lais, d’autres pertes de vies humaines sont mal­heu­reu­se­ment à craindre si Wade per­siste à main­te­nir sa can­di­da­ture. S’il a pu dire qu’il ne vou­lait pas mar­cher sur des cadavres pour accé­der au pou­voir, le voi­là main­te­nant en train d’en accu­mu­ler pour y res­ter coûte que coûte, et cela en vio­la­tion de la Loi fon­da­men­tale du pays.

Beau­coup s’interrogent sur les rai­sons de cet entê­te­ment. Même à sup­po­ser que la Consti­tu­tion lui donne le droit de se repré­sen­ter, cela vaut-il la peine de per­sis­ter face à un rejet aus­si mas­sif du peuple séné­ga­lais ? Au-delà du pro­blème juri­dique, se pose un pro­blème éthique et moral fon­da­men­tal : com­ment accep­ter qu’au 21e siècle un vieillard de près de 90 ans pré­tende gou­ver­ner un pays dont plus des deux tiers des habi­tants ont moins de 40 ans ? Les chefs reli­gieux doivent avoir le cou­rage de regar­der Wade en face et de lui dire la véri­té : il doit par­tir pour évi­ter au pays un bain de sang.

Une sor­tie par le petite porte

wade_de_gage.jpg Quoi qu’il arrive main­te­nant, une chose est sûre : l’histoire por­te­ra un juge­ment sévère sur la pré­si­dence de Wade. Après la joie immense res­sen­tie par des mil­lions de Séné­ga­laises et de Séné­ga­lais le 19 mars 2000, lorsqu’il fut élu à la magis­tra­ture suprême contre le pré­sident sor­tant Abdou Diouf, per­sonne n’aurait pen­sé que l’on vivrait un tel cau­che­mar. Wade a ain­si pro­fi­té des acquis démo­cra­tiques arra­chés de haute lutte par le peuple séné­ga­lais pour accé­der au pou­voir, et il a ensuite ten­té d’imposer une dévo­lu­tion monar­chique de ce pouvoir.

Wade sor­ti­ra par la petite porte, alors que ses deux pré­dé­ces­seurs, Sen­ghor et Abdou Diouf, sont sor­tis par la grande. Sen­ghor avait volon­tai­re­ment aban­don­né la pré­si­dence à un âge moins avan­cé que celui de Wade. Quant à Abdou Diouf, il eut la luci­di­té et l’élégance de recon­naître sa défaite en 2000 et de trans­mettre paci­fi­que­ment le pou­voir. S’il avait écou­té cer­tains fau­cons de son régime le Séné­gal aurait pu vivre des heures sombres et sanglantes.

Pour évi­ter d’allonger la liste des vic­times, il faut que le pré­sident entende rai­son et renonce à sa can­di­da­ture. C’est pour­quoi les forces vives du pays ont orga­ni­sé la résis­tance popu­laire contre la vio­la­tion de la Consti­tu­tion. Cette résis­tance légi­time doit s’amplifier et avoir le sou­tien de l’ensemble du peuple séné­ga­lais. Et les peuples finissent tou­jours par avoir le der­nier mot.

Source : mede­lu