En juillet 2020, Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, a compâru devant la sous-commission de la Chambre des représentants des USA sur la législation antitrust, commerciale et administrative. L’une des questions qui lui a été posée était de savoir si l’acquisition par Facebook de la société israélienne Onavo donnait à son géant des médias sociaux la possibilité de surveiller les utilisateurs. Zuckerberg a esquivé en répondant : « Je ne suis pas sûr que je qualifierais cela de cette façon ».
Dans le cadre d’une enquête examinant l’historique des acquisitions de Facebook et la façon dont les entreprises qu’il a finalement acquises ont été choisies, une plainte déposée par la Commission fédérale du commerce (FTC) des USA il y a quelques jours a fait valoir que la technologie d’Onavo joue un rôle central dans les efforts de Facebook pour contrecarrer la concurrence.
Facebook a acheté Onavo en 2013 pour 150 millions de dollars. Selon la plainte, Onavo — que la FTC qualifie de « société de surveillance des utilisateurs » — était l’outil technologique utilisé par Facebook pour se renseigner sur les applications concurrentes. La plainte affirme qu’Onavo a été utilisé pour comprendre quelles applications pouvaient constituer une menace potentielle pour Facebook afin de les neutraliser avant qu’elles ne se développent. « Onavo se présentait aux utilisateurs comme un fournisseur de services de réseau privé virtuel sécurisé, mais — à l’insu de nombreux utilisateurs — elle suivait également l’activité en ligne des utilisateurs », selon la plainte.
Un réseau privé virtuel, ou VPN, permet aux utilisateurs d’aller en ligne de manière anonyme et l’utilisation de tels services a explosé pendant l’épidémie de coronavirus. Les experts en cybersécurité avertissent qu’en plus de leurs avantages, de nombreux VPN, en particulier ceux fournis gratuitement, vendent en fait des informations sur les utilisateurs à ce que l’on appelle des courtiers de données pour ce qui est désigné comme des « attaques de l’homme du milieu (ou de l’intercepteur) ».
Depuis son achat, Onavo a fait les gros titres à plusieurs reprises pour son implication troublante dans la collecte d’informations sur les utilisateurs à leur insu, parfois par des méthodes inappropriées, par exemple dans le cadre de l’application Facebook Research.
Pas une banale sortie
Onavo a été fondé en 2011 par Guy Rosen et Roi Tiger, tous deux vétérans de l’unité secrète de cyber-renseignement 8200 des Forces de défense israéliennes. Elle a levé 13 millions de dollars auprès de fonds de capital-risque réputés comme Sequoia Capital, Horizons Ventures et Magma, et au moment de son rachat par Facebook, elle employait une quarantaine de personnes.
L’achat d’Onavo n’était pas une banale sortie israélienne. La vente d’Onavo à Facebook a servi de base sur laquelle l’entreprise de médias sociaux a construit son centre de recherche et développement en Israël. Aujourd’hui, ce centre est le deuxième plus grand de l’entreprise, rivalisant seulement avec son centre usaméricain.
Onavo a développé plusieurs produits. L’un d’entre eux est Onavo Extend, un service qui surveille les applications qui consomment des données et les compresse ensuite pour réduire le coût de leur utilisation.
Mais le produit qui a apparemment le plus influencé la décision de Facebook d’acheter la société est Onavo Insights. Ce service donne aux entreprises des informations sur les applications les plus populaires, le taux de pénétration du marché d’une application donnée, les habitudes d’utilisation des applications concurrentes et des indices qui mesurent l’implication des utilisateurs et leur taux d’utilisation de ces applications. Onavo recueille les données qu’il fournit auprès des utilisateurs qui installent son application.
Après avoir acheté Onavo, Facebook a lancé plusieurs fonctionnalités basées sur la technologie d’Onavo, l’utilisant pour collecter des informations sur les capacités des applications concurrentes. L’objectif, semble-t-il, était de comprendre la concurrence à laquelle Facebook était confronté dans les domaines de la messagerie instantanée et des médias sociaux. On pense que des dizaines de millions d’utilisateurs dans le monde ont installé cet outil de surveillance sans en comprendre le fonctionnement.
Une « connexion sécurisée » ?
Le modus operandi d’Onavo a également produit des scandales antérieurs. En août 2018, Apple a retiré Onavo Protect — une application gratuite de « connexion sécurisée » que les gens pouvaient utiliser tout en utilisant Facebook — de son app store. La raison en était la découverte que l’application violait la politique de confidentialité d’Apple en collectant des informations sur l’utilisation par les utilisateurs de l’iPhone d’applications n’appartenant pas à Facebook.
En 2018 également, le Parlement britannique a publié des documents internes de Facebook qu’il avait obtenus et qui montraient que Facebook surveillait les utilisateurs afin de contrer d’éventuels rivaux commerciaux. Ces documents comprenaient quelque 200 pages de correspondance par courriel de 2012 à 2015, dans lesquelles de hauts responsables de Facebook discutaient de la manière de dissimuler la capacité d’Onavo à continuer à recueillir des informations sur les utilisateurs auprès des utilisateurs involontaires eux-mêmes.
Les documents ont renforcé l’affirmation selon laquelle Facebook a utilisé Onavo, par exemple, pour conclure que WhatsApp se développait rapidement et avait plus d’utilisateurs que Facebook Messenger. Cela a contribué à la décision de Facebook d’acheter l’application rivale.
Les documents ont également montré comment Facebook travaille pour contrecarrer la concurrence. Lorsque Twitter a lancé son application vidéo Vine en 2013, Facebook a réagi en limitant l’accès de cette application aux informations sur ses utilisateurs.
Un courriel a noté que Vine permet aux utilisateurs de localiser leurs amis sur sa plateforme via Facebook. « À moins que quelqu’un ne soulève des objections, nous allons fermer l’accès à l’API de leurs amis dès aujourd’hui » ajoute-t-il, faisant référence à une interface de programmation d’applications qui permet à différents types de logiciels de se connecter les uns aux autres. La réponse de Zuckerberg a été « Yup, go for it » (« Ouais, allez‑y »), selon les documents.
Onavo Protect aurait également aidé Facebook à réaliser que le lancement de la fonction « Stories » d’Instagram réduisait considérablement la croissance de Snapchat, qui était en passe de devenir un concurrent sérieux de Facebook. Facebook n’avait pas réussi à acheter Snapchat, alors il a simplement copié ses capacités, freinant ainsi sa croissance.
Un autre scandale lié à Facebook et Onavo a éclaté en 2019, lorsqu’il est apparu que Facebook avait payé des utilisateurs âgés de 13 à 35 ans jusqu’à 20 dollars pour installer l’application Facebook Research. Cette application, qui est basée sur la technologie d’Onavo, collecte des informations sur les utilisateurs avec leur consentement. La nouvelle a suscité tellement de critiques que Facebook a cessé d’utiliser Onavo.
Facebook a refusé de commenter ces informations.