S’il est un journal qu’on ne peut suspecter de sympathie pour Hugo Chavez, c’est bien le Figaro. Pourtant lorsqu’il évoque ce 5 juillet le « retour triomphal » du vénézuélien opéré avec succès d’une tumeur à Cuba, il rappelle aux lecteurs qu’il est « Président, élu à trois reprises depuis 1998 et chef de file de la gauche radicale en Amérique latine ». Preuve qu’on peut avoir des convictions plutôt conservatrices sans se départir du minimum vital journalistique.
En mai 2011 la Fondation pour l’Avancée de la démocratie (FDA) du Canada a situé le Venezuela en première place mondiale de la justice électorale, avec 85 points et une qualification A+, suivi en deuxième place par la Finlande avec seulement 40,75 points et une qualification F. Cette qualification s’ajoute à l’évaluation positive réalisée par le Centre Carter et par des centaines d’observateurs internationaux (Union Européenne, OEA, Association des Juristes Latino-américains…) présents dans les nombreuses élections menées au Venezuela depuis 1998.
Mais, Mr. Jean-Pierre Martin, employé de RTL Belgique, n’a pas de temps à perdre dans la lecture d’inutiles et encombrants rapports et encore moins en allant enquêter sur place, vous pensez bien. Le 4 mars 2011, avant d’évoquer avec ironie une initiative de paix du président vénézuélien pour la Libye, sa voix off précise aux spectateurs du JT que le président vénézuélien est un « dictateur ».
En Belgique lorsque vous vous adressez pour la première fois au “Conseil de Déontologie Journalistique”, vous imaginez d’abord un organisme chargé de défendre la profession dans un contexte de discrédit croissant du monde économico-médiatique, et qu’il est composé à cette fin d’experts indépendants, de profs de journalisme, de militants du monde associatif, d’enseignants, de syndicalistes, de comités d’usagers des médias, voire de quidams tirés au sort, etc.
Mais un courriel du secrétaire général vous informe que le « conseil de déontologie journalistique » est composé… en majorité de membres des médias eux-mêmes (1). L’idée qu’être juge et partie puisse causer quelque conflit d’intérêts, et ne constitue pas précisément le meilleur moyen de rendre justice, ne semble en tout cas pas avoir préoccupé les fondateurs de ce “Conseil”.
On devine la suite : “plainte non fondée”, “salutations distinguées”, etc.
Nous publions ci-dessous le rapport envoyé par un des 24 plaignants. Il est le fruit de nombreuses années d’observations de terrain et d’analyses de la désinformation quotidienne sur le Venezuela. Ce rapport factuel et très argumenté a été transmis au CDJ avant sa réunion.
Nous publions ensuite la réponse du CDJ, pour que le lecteur comprenne par quels arguments, un conseil dit de « déontologie » peut arriver à nier jusqu’à l’existence d’une faute professionnelle.
Sa publication aujourd’hui n’aurait guère d’intérêt si son but était d’établir la routine de la propagande sur un “média” comme RTL ou de montrer que le “Conseil de Déontologie” belge a un sérieux besoin de pluralisme sociologique. Il s’agit d’offrir aux citoyens usagers des médias un ensemble suffisant d’éléments vérifiables, en mentionnant les sources, pour qu’ils puissent enfin juger sur pièces. En d’autres mots, de vous informer.
Cette affaire rappelle que les médias ne sont élus par personne mais qu’ils ont des responsabilités sociales. Et que le droit d’informer n’est pas le monopole d’une profession. Sans démocratisation du patrimoine public qu’est le spectre radiotélévisé (comme vient de le faire le parlement argentin), sans réappropriation populaire des médias, sans refonte des écoles de journalisme aux antipodes du formatage dominant, tous les “conseils de déontologie” du monde ne sauraient cacher la misère anti-informative des logiques actuelles.
Note
(1) La composition du CDJ lors de l’approbation de l’avis unanime selon lequel « la plainte n’est pas fondée » :
Journalistes Marc Chamut, Yves Boucau, François Descy, Bruno Godaert
Editeurs Catherine Anciaux, Jean-Paul van Grieken, Jean-Pierre Jacqmin, Philippe Nothomb, Martine Vandmeulebroucke
Rédacteurs en chef N.
Société Civile : Nicole Cauchie, Edouard Delruelle, Marc Swaels
Ont également participé à la discussion : Pierre Loppe, Gabrielle Lefèvre, Jacques Englebert, Marc Chamut Président
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I. RAPPORT TRANSMIS AU CDJ POUR ETAYER LA PLAINTE “11 – 16. RTL. Jean-Pierre Martin”.
INTRODUCTION
Depuis douze ans, Hugo Chavez est quotidiennement présenté comme populiste, d’ex-putschiste, etc. par de très nombreux médias dans le monde entier. A tel point qu’on se lasse ou qu’on n’ose plus démentir ce qui, à force d’être répété, est devenu vérité pour une majorité de lecteurs, d’auditeurs ou de téléspectateurs.
Le reportage diffusé par RTL le 4 mars 2011 dans lequel Jean-Pierre Martin affirme qu’Hugo Chavez est un “dictateur” était consacré à la Libye dont on sait qu’elle est gouvernée par un vrai dictateur. L’effet d’association est d’autant plus puissant pour celui ou celle qui ne connaît pas le Venezuela.
Notre plainte auprès du Conseil de Déontologie Journalistique part du principe que les mots ont un sens. Exiger le ressourcement au réel par l’enquête de terrain (ce que manifestement Jean-Pierre Martin n’a pas fait) est notre manière de défendre le métier de journaliste et le droit du public à être informé.
Selon l’Encyclopædia Universalis : « La dictature est un régime politique autoritaire, établi et maintenu par la violence, à caractère exceptionnel et illégitime. Elle surgit dans des crises sociales très graves, où elle sert soit à précipiter l’évolution en cours (dictatures révolutionnaires), soit à l’empêcher ou à la freiner (dictatures conservatrices). Il s’agit en général d’un régime très personnel ; mais l’armée ou le parti unique peuvent servir de base à des dictatures institutionnelles. »
Or :
a) Depuis 1998 le président Chavez a été élu et réélu au terme d’élections pacifiques qui ont toutes été reconnues comme transparentes par la communauté internationale, ainsi que le soulignent les rapports publics des observateurs et des experts électoraux de l’Union Européenne, du Parlement Européen, de l’Organisation des Etats Américains, de la Fondation Carter et de l’Association des Juristes Latino-américains. (NDLR : depuis lors ces nombreux avis concordants ont été encore renforcés par un rapport de mai 2011 de la Fondation canadienne pour l’Avancée de la démocratie (FDA) qui situe le Venezuela en première place mondiale de la justice électorale, avec 85 points et une qualification A+, suivi en deuxième place par la Finlande avec seulement 40,75 points et une qualification F).
b) La Constitution bolivarienne est la seule au monde à instaurer un référendum révocatoire. Les citoyens peuvent révoquer un élu, maire ou président, à mi-mandat. L’opposition en a fait usage en 2004. Chavez a remporté le référendum, et celui-ci a été validé par les observateurs internationaux.
c) Il existe en 2011 au Venezuela une quarantaine de partis, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. L’opposition occupe actuellement 40 % des sièges à l’assemblée nationale, et elle a bon espoir de battre Chavez aux élections de 2012. Le nombre de scrutins organisés au Venezuela est si élevé en comparaison avec les autres pays d’Amérique Latine que l’ex-président Lula a déclaré que “Chavez est le plus légitime d’entre nous”. L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, auteur des “Veines ouvertes de l’Amérique Latine”, a déclaré que “le Venezuela a injecté une bonne dose de vitamines à la démocratie latino-américaine”. Le secrétaire général de l’OEA (Organisation des États Américains) José Miguel Insulza, qui n’est pas un sympathisant du président vénézuélien, a déclaré le 5 février 2011, que “les élections qui ont eu lieu ces dernières années au Venezuela ont été parfaitement normales et nous ne voyons pas pourquoi il n’en serait pas ainsi dans l’avenir”.
d) Le professeur de journalisme Aram Arahonian, directeur de la revue “Question”, ou le journaliste Eleazar Diaz Rangel, figure historique de la presse vénézuélienne, actuel rédacteur du quotidien centriste « Ultimas noticias » et qui a connu la censure sous les régimes d’avant Chavez, rappelaient récemment qu’en 2011 l’opposition possède 90% du pouvoir communicationnel, d’où elle lance des épithètes dénigrantes contre la majorité du peuple vénézuélien – comme “singes, “plèbe”, “hordes”, “édentés” et autres adjectifs de discrimination ethnique et sociale et d’où elle appelle régulièrement au coup d’État contre un président Chavez, comme l’a fait le chef du patronat en décembre 2010.
e) Une étude du Centre pour la Recherche Économique et Politique (CPER) basé à Washington sur les télévisions vénézuéliennes – médias les plus influents du pays – et qui se base sur les mesures d’audience de AGB Panamerica de Venezuela Medicion S.A. – une filiale vénézuélienne du groupe Nielsen Media Research International – groupe privé indépendant du gouvernement Chavez, montre qu’en 2010 les chaînes publiques ne font que 5,4 % d’audience alors que les chaînes privées font 94,5 % (neutres pour les moins politisées, radicalement opposées au gouvernement d’Hugo Chavez pour la majorité). Cette position dominante de l’opposition dans les médias est la même pour la radio et pour la presse écrite. Il suffit de se promener dans les rues de Caracas, pour voir qu’une majorité des titres disponibles dans les kiosques critiquent Chavez, ainsi que la plupart des radios qu’on peut écouter partout à longueur de journée. Dans les bars et dans les restaurants, la chaine nationale de news en continu Globovision est prépondérante. Son positionnement à droite est si radical que même l’ambassadeur états-unien la trouve peu crédible, selon un câble révélé par Wikileaks.
f) Le cas de Reporters Sans Frontières, très hostile au gouvernement actuel du Venezuela, est intéressant. Son premier président et fondateur, le journaliste français Jean-Claude Guillebaud a critiqué la partialité de Robert Ménard qui avait traité Chavez de “caudillo d’opérette” dans sa revue “Médias” : “Je trouve que sur certains sujets, ils ont été assez imprudents, même si le régime de Chavez n’est pas parfait, je les ai trouvés beaucoup trop proches de la presse anti-Chavez au Venezuela. Il aurait sans doute fallu être plus prudent. Je trouve qu’on les entend très peu sur les Etats-Unis.”
g) Les grands médias relaient parfois, sans la recouper sur le terrain, l’annonce d’une “censure d’Internet au Venezuela”. Pourtant, même un opposant radical comme Federico Ravell, ex-directeur de Globovision et actuel gérant d’une Web de news a reconnu en janvier 2011 qu’il n’y a aucune restriction : “En toute honnêteté, je dois dire que nous ne sommes sentis en rien limités”. Récemment la BBC Monde a confirmé qu’il n’y a pas de censure d’internet au Venezuela. C’est aussi la conclusion d’une étude récente de OpenNet, une initiative qui associe la Harvard Law School au Citizen Lab de l’University of Toronto.
h) En janvier 2011 l’UNESCO a décerné un prix au gouvernement du Venezuela pour la création d’un réseau national d’Infocentres, qui connecte et forme gratuitement des centaines de milliers de citoyen(ne)s jusqu’ici exclu(e)s des technologies massives de l’information. Le gouvernement bolivarien a légalisé des médias communautaires, radios et télévisions, jusque là réprimés et clandestins comme souvent dans le reste du continent. Ils sont aujourd’hui près de 400 dans tout le pays, libres de leur parole. Dans le camp bolivarien on trouve de nombreux sites Web souvent critiques des politiques du gouvernement Chavez comme le site www.aporrea.org
Le gouvernement a aussi développé l’usage de logiciels libres dans toute l’administration publique. Un des “gourous” de la communauté du logiciel libre, Richard M. Stallmann, recommande que l’on étudie les avancées du Venezuela dans ce domaine. Twitter a fait son entrée dans tous les secteurs politiques. Le compte du président a dépassé le million de lecteurs et d’interlocuteurs. Il peut ainsi vérifier de première main la mise en œuvre, les problèmes ou les retards dans l’application des programmes sociaux.
Les points qui précèdent démontrent l’absence de dictature sur le plan des institutions politiques et de la liberté d’expression.
Mais il y a plus : depuis douze ans, le Venezuela ne vit pas seulement au rythme d’une démocratie représentative, il s’efforce aussi de la renforcer par la construction d’une démocratie participative. Concrètement il s’agit de multiplier l’expérience observée à Porto Alegre (Brésil) du « budget participatif ». Cela a donné l’explosion des « conseils communaux » — actuellement au nombre de 40.000 – dont la responsabilité est de cogérer avec l’Etat une dizaine de milliards d’euros depuis 2007 pour construire écoles, routes, hôpitaux, logements sociaux, coopératives de production ou de services, etc.. – et de faire en sorte qu’un nombre croissant de citoyen(ne)s s’engagent au quotidien dans la gestion de l’Etat et surveillent la mise en œuvre des travaux publics, l’inspection et la réalisation directes de ceux-ci par la population permettant de limiter la corruption administrative.
En décembre 2010, l’Assemblée Nationale a approuvé une “loi d’habilitation” temporaire et prévue dans la Constitution d’avant Chavez, pour permettre au président de prendre des mesures d’urgence pour reloger des dizaines de milliers de victimes d’inondations catastrophiques. Un droit constitutionnel qu’il avait déjà obtenu en 2000, créant 49 lois, dont celle de la réforme agraire ou de la nationalisation du pétrole. Thomas Shannon, le diplomate américain chargé de l’Amérique latine avait d’ailleurs concédé dans un commentaire inhabituellement amical que cette disposition « est valable sous la Constitution et comme tout outil démocratique, dépend de comment on l’utilise ». Faire de ces « pouvoirs spéciaux » « un pas vers la dictature » est donc une énième supercherie.
Les grands médias l’ont pourtant répété, allant jusqu’à déduire que “le parlement est inutile”. C’est faux : le parlement continue de son côté à discuter des lois et à légiférer comme en temps normal. Mieux : on n’a jamais vu au Venezuela, en ce début de 2011, un tel bouillonnement de lois d’initiative populaire. Syndicats, mouvements paysans, groupes féministes, victimes d’escroqueries immobilières, associations de locataires et de concierges : le parlement bruisse de projets législatifs. Les organisations citoyennes manifestent, débattent, critiquent les lois existantes ou en proposent de nouvelles, dans la rue, à la télévision, dans les réunions avec les députés et le président — loi sur le droit des travailleurs, loi contre l’impunité pour les “disparitions” ou les “tortures” commises sous les régimes “démocratiques” d’avant Chavez, loi sur le droit locatif, loi sur l’éducation supérieure, etc… au point que l’Assemblée Nationale vient de créer un centre de réception des projets.
Jean-Pierre Martin répond à un téléspectateur :
“Si je me réfère à tous les observatoires des droits de l’homme et de la liberté de la presse, tous les indicateurs mettent en évidences de graves atteintes aux libertés fondamentales et placent le Venezuela sur la carte du monde parmi les Etats non démocratiques ! C’est sur ces informations que je me suis appuyé. Mais peut-être ont-ils tort ?”
A peu près tous les pays du monde figurant dans le rapport annuel d’Amnesty International. Tout journaliste sait qu’a l’heure de juger de l’état des Droits de l’Homme dans un pays et d’en tirer des conclusions sur la nature de son gouvernement, il faut discerner s’il s’agit de violations isolées ou systématiques ; et qu’il faut aussi observer l’évolution de la situation au fil des années. Ainsi le rapport 2010 d’Amnesty International sur la Belgique évoque-t-il des “recours excessif à la force de la part de la police et d’autres forces de sécurité”, ou des “arrestations et détentions arbitraires”. Cela fait-il du premier ministre belge un “dictateur” ?
Comme vient de le rappeler le théologien Frei Betto, ex-ministre de Lula et auteur du programme “Faim zéro”, le Brésil de 2011 reste un pays où survit l’esclavage et où se produisent des centaines de d’assassinats, tortures, et où les responsables militaires ou policiers restent souvent protégés par l’impunité . Quel journaliste professionnel songerait pour autant à qualifier Mme Dilma Roussef de “dictatrice” ?
Dans le cas du Venezuela, le rapport d’Amnesty publié en mai 2011 salue “les avancées du Venezuela en matière de réduction de la pauvreté” en comparant même ces avancées au drame social persistant dans la plupart des pays, et ne parle pas de disparitions forcées ou de tortures comme politique gouvernementale, mais fait état d’exactions menées par des policiers qui peuvent être membres de corps locaux, régionaux de police, affectés à des maires ou à des gouverneurs de droite ou de gauche selon les cas.
C’est parce que beaucoup de policiers étaient impliqués dans des violences, meurtres, actes de corruption, ou peu efficaces face à la délinquance, que le gouvernement Chavez a décidé de créer en 2010 un nouveau corps national de police qui prend peu à peu la place de cette police fragmentée. La nouvelle, contrairement aux antérieures, reçoit une formation approfondie en matière de droits de l’homme. Maurice Lemoine, spécialiste de l’Amérique Latine qu’il parcourt depuis trente ans et ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique, a enquêté récemment sur place sur la genèse de cette formation.
De la même manière l’armée vénézuélienne poursuit son évolution positive en matière de droits de l’homme. Rappelons qu’en 1990 Hugo Chavez avait fondé son « mouvement bolivarien » par rejet du pinochetisme alors dominant en Amérique Latine sous l’impulsion de la National Security et par indignation face au rôle répressif des militaires lors du massacre du Caracazo de 1989 (bilan : entre 2000 et 3000 morts, le président Carlos Andrés Perez ayant donné aux forces armées l’ordre de tirer sur la population lors d’émeutes de la faim dues aux mesures du FMI). La maxime fondatrice du « mouvement bolivarien » était une phrase de Bolivar : « Maudit le soldat qui retourne son fusil contre son peuple ».
Elu président en 1998 Hugo Chavez a mis fin à la formation des militaires vénézuéliens par la tristement célèbre School of Americas, d’où sont sortis depuis des décennies les dictateurs et les bourreaux du continent latino-américain. Il a engagé des milliers de militaires médecins, ingénieurs du génie dans les programmes sociaux (santé publique, construction de logements sociaux, etc..), ce qui a fortement aidé à nouer des liens de respect avec la population. J’en suis témoin : avant l’arrivée du gouvernement actuel, les gens tremblaient quand un soldat s’asseyait à côté d’eux dans un autobus. Aujourd’hui ils ne le remarquent même plus, signe palpable de l’abandon du caractère répressif des forces armées.
Une des lois en discussion au parlement en mars 2011 est une loi contre l’oubli et contre l’impunité pour les disparitions, les fosses communes d’opposants et les tortures perpétrées sous les régimes antérieurs. Le gouvernement actuel a été salué par Amnesty International pour sa nouvelle loi contre la violence subie par les femmes, AI y voit un « exemple pour la région » tout en regrettant la lenteur de sa mise en application.[Même si Amnesty n’est pas infaillible faute d’enquête sur place ou d’influence par des sources politisées [comme ce fut le cas pour RSF, cette organisation fait un travail très utile en recommandant au gouvernement d’aller plus vite et plus loin, vu les évidentes lenteurs persistantes dans les réformes nécessaires. Sur ce thème des “droits de l’homme au Venezuela” notons aussi que la grande majorité des médias étant défavorable au gouvernement Chavez, il n’est pas rare de voir que lorsqu’un membre de l’opposition est arrêté ou jugé pour des faits de corruption, il est aussitôt transformé par ces médias en “prisonnier politique” ou en “persécuté par Chavez”. Des faits semblables se produisent en Équateur et en Bolivie, où un gouverneur imputé pour plusieurs cas de corruption a fui la justice et a récemment demandé et obtenu l’asile au Paraguay en se présentant comme “persécuté politique” de Evo Morales. Sur ces méthodes, on peut lire]]
Autres faits notables, la régularisation massive des sans-papiers (notamment de millions de colombiens arrivés au Venezuela comme travailleurs clandestins) qui disposent aujourd’hui de droits sociaux (comme logement, santé, éducation) et politiques (comme le droit de vote), ou la lutte relancée en décembre 2010 contre l’esclavage de travailleurs ruraux, notamment dans l’Etat du Zulia.
Sur le plan international le gouvernement bolivarien est également actif en matière de droits de l’homme : Hugo Chavez a critiqué les méthodes des FARC, comme les enlèvements d’êtres humains, favorisant diverses médiations internationales pour leur libération, ce qui lui a valu les remerciements des familles d’otages. Au sein de l’UNASUR le Venezuela vient de voter le 13 mars 2011 l’aide juridique aux victimes de la dictature de Duvalier en Haïti.
Que Jean-Pierre Martin qualifie Hugo Chavez de « dictateur » n’est pas le seul mensonge présent dans son reportage. Faisant allusion à son initiative de paix, il conclut par cette phrase, pour lui donner un poids majeur : « personne ne le prend au sérieux. » Or les pays de l’ALBA qui se réunissaient le même jour (4 mars) à Caracas pour parler notamment de la Libye, ont tous appuyé cette initiative. Le lendemain la chancelière espagnole Trinidad Jiménez et la Ligue Arabe avaient annoncé leur intention de l’étudier, le gouvernement libyen l’ayant acceptée. L’ALBA est composé des huit pays suivants : Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Antigua-et Barbuda, la Dominique, le Venezuela, l’Equateur, Cuba, la Bolivie et le Nicaragua.
Réduire tous ces pays à “personne” montre qu’on n’est plus dans le journalisme ni dans le commentaire mais dans l’occultation, au nom de l’aversion idéologique que nourrit Jean-Pierre Martin pour le président vénézuélien. Il ne s’en cache guère si on en juge par cette réponse étonnante, rédigée à la troisième personne, à un téléspectateur : “Bonjour, le journaliste a bien pris connaissance de votre courriel. Il a vingt-sept ans d’expérience et une bonne connaissance des relations internationales. Il sait que Chavez a fait du Venezuela un régime non démocratique. Les vénézuéliens privés de liberté, de presse libre n’aspirent qu’à la fin de ce régime. C’est utile de le rappeler pour éviter de sombrer dans le « politiquement correct ». Cordialement, Jean-Pierre Martin. »
En guise de conclusion…
En ce début de 2011 le contraste est saisissant entre l’Europe et le Venezuela. S’agissant de la France, le CEVIPOF, laboratoire de recherches associé au CNRS, indique que seuls 38 % de français font encore confiance à leurs députés et que 57% considèrent que la démocratie ne fonctionne “pas bien” ou “pas bien du tout”. 39 % des français expriment de la méfiance, 23 % du dégoût, 12 % de l’ennui vis-à-vis de la politique.
Au même moment, l’ONG chilienne indépendante Latinobarometro classe le Venezuela comme un des pays latino-américains où la population croit le plus dans la démocratie (84% des citoyen(ne)s). Les chercheurs attribuent ce record de confiance à la concrétisation effective de politiques sociales et économiques attendues par la population.[La CEPAL, organisme de l’ONU qui mesure les progrès économiques et sociaux en Amérique Latine, a fait l’éloge en novembre 2010 du Venezuela “en tête, avec l’Argentine, le Brésil et la Bolivie, de la réduction de l’inégalité et de la pauvreté pour les dix dernières années”.]] Pour Latinobarometro “il est paradoxal que ce soit au Venezuela que les gens croient le plus à la démocratie et que ce soit en même temps le pays le plus critiqué sur l’état de sa démocratie”.[[Pour qui souhaiterait approfondir cette analyse, citons quelques articles utiles comme [Why is Hugo Chavez called a Dictator ? Jan 31st 2011 , by John E. Jones, Jan 27th 2011 , by Mike Whitney, ou Walking the Walk : The Contrast between Chavez and Obama — Centre for Research on Globalization, ]]
Thierry Deronne, Tournai, 14 mars 2011
II. Réponse in extenso du Conseil de déontologie journalistique : avis du 6 avril 2011
Plainte 11 – 16
Divers c. Martin 1 RTL-TVi JT
Objet : recherche de la vérité 1 confusion faits-opinions absence de rectification
Plainte de
Divers plaignants (identités connues du CDJ)
contre
Jean-Pierre Martin et RTL-TVi, avenue Jacques Georgin, 2, 1030 Bruxelles
En cause :
Une séquence du JT de RTL-TVi du 4 mars consacrée à la révolte populaire en Libye.
Les faits
Le 4 mars, une séquence du JT de 13h00 est consacrée à la Lybie. A la fin, le journaliste Jean-Pierre Martin évoque en une phrase une offre de médiation faite par le président vénézuélien Chavez, en qualifiant celui-ci de « dictateur ». Il ajoute que personne n’a pris cette proposition au sérieux.
Des militants de la solidarité avec le Venezuela et d’autres personnes se mobilisent pour introduire des plaintes au CDJ.
De son côté, RTL est aussi alertée en direct par un tiers. La chaîne refuse un droit de réponse parce que les conditions n’en sont pas réunies mais retire la séquence des archives sur son site.
Le déroulement de la procédure
Entre le 9 et le 28 mars, 24 personnes ont introduit une plainte au CDJ à propos du JT de RTL-TVi diffusé le 4 mars 2011. 7 de ces plaintes sont recevables. Elles soulèvent un enjeu à la limite entre la déontologie et l’autonomie rédactionnelle. Les autres plaintes étaient irrecevables soit parce qu’elles ne désignaient pas clairement la séquence visée, soit parce qu’elles n’étaient pas explicites sur l’enjeu déontologique soulevé (art. 13 du Règlement de procédure du CDJ). RTL-TVi et le journaliste visé ont été avertis le 10 mars et ont répondu le 14 mars. Les plaintes arrivées ultérieurement n’apportaient pas d’éléments supplémentaires. Un des plaignants a demandé à être entendu par le CDJ. Le secrétaire général l’a rencontré le 1er avril. Aucune information nouvelle pertinente pour le dossier n’en est sortie.
2 Recherche de médiation :
Des plaignants demandent (au total) : des excuses du journaliste une rectification à l’antenne un reportage de même longueur sur le caractère démocratique du Venezuela.
D’autres rejettent toute médiation : « Aucune excuse ne peut être évoquée pour un journaliste qui décide, sciemment, de travestir la vérité des faits pour exprimer son opinion personnelle. » RTL-TVi n’estime pas la médiation opportune parce qu’elle impliquerait la reconnaissance d’une faute
Récusation : des plaignants ont demandé la récusation de D. Demoulin, F. Grosfilley, L. Haulotte, S. Rosenblatt. Toutefois, D. Demoulin et S. Rosenblatt étaient absents lors de la réunion du CDJ le 6 avril. F. Grosfilley et L. Haulotte n’ont pas participé à la discussion. La demande de récusation devient donc sans objet.
Les arguments des parties
1. Les plaignants
Un défaut de recherche de la vérité : Hugo Chavez a été élu et réélu à plusieurs reprises. Il ne peut donc être qualifié de dictateur ; des faits erronés non rectifiés : d’une part, la qualification de « dictateur ».
D’autre part, J‑P. Martin affirme dans son commentaire que personne ne prend la médiation d’Hugo Chavez au sérieux, alors que quelques pays l’ont appuyée ; une absence de vérification de la crédibilité des sources critiques envers le pouvoir vénézuélien ; une confusion entre les faits et l’opinion du journaliste qui induit le public en erreur. Son opinion ne s’appuie sur aucun fait. La liberté de commentaire ne permet pas de mentir. Toutes les plaintes n’évoquent pas tous les arguments.
2. RTL-TVi
L’utilisation d’un terme controversé (celui de dictateur attribué au président Hugo Chavez) s’appuie sur de nombreux rapports critiques émanant d’ONG comme Human Rights Watch et Amnesty international. Même s’il peut sembler préférable d’utiliser une formule plus détaillée pour pouvoir étayer cette affirmation, RTL-TVi dit défendre le droit pour ses journalistes d’utiliser des termes facilement compréhensibles par le grand public.
Selon la chaine, les plaignants contestent le jugement porté par la rédaction sur un régime politique et l’expression d’une différence d’appréciation sur la nature de ce régime. Mais cela n’implique pas la commission d’une faute déontologique. J‑P. Martin reconnaît que le terme dictateur n’est pas le plus approprié et peut être discuté. Il a été choisi trop rapidement. Mais ce choix relève de la responsabilité des journalistes et une éventuelle erreur n’est pas une faute déontologique. On ne peut en aucun cas accepter de faire taire les journalistes critiques.
Les réflexions du CDJ
1. Dans sa tâche de traitement des plaintes, le Conseil de déontologie journalistique examine des cas particuliers de pratique journalistique. La question posée ici au Conseil est précise : en qualifiant le président vénézuélien Hugo Chavez de« dictateur », le journaliste Jean-Pierre Martin a‑t- transgressé la déontologie ? Le COJ n’a donc pas à se prononcer sur la nature du régime vénézuélien ni sur la problématique globale des médias dans la géopolitique internationale.
Dans son avis 10 – 04, le COJ a considéré que l’usage du terme « populiste » par une journaliste pour qualifier le Parti Populaire ne constitue pas une faute déontologique. Ce terme, fréquemment utilisé en science politique, relève de la liberté de commentaire des journalistes. http//www.deontoloqiejournafistiqu… 0 – 04%20avis%20final.pdf
Le même raisonnement peut être appliqué dans ce cas-ci. Le terme « dictateur » n’a pas de définition juridique précise ni de définition politique certaine et univoque. Par sa nature même, il est de l’ordre de l’opinion, et non du fait. Son usage relève de la liberté du locuteur qui dispose donc d’une marge d’appréciation. Ceci est vrai aussi pour les journalistes. Certes, ceux-ci sont tenus de rechercher la vérité, de respecter l’impartialité et de ne pas confondre les faits et les opinions. Ils ne peuvent inventer une réalité factuelle pour justifier une opinion. I/s doivent aussi utiliser le plus possible les termes les plus appropriés pour décrire une situation.
Cependant, dans son ouvrage récent Déontologie du journalisme (2010), le professeur Grevisse précise : « 1/ serait évidemment ridicule de penser que l’impartialité signifie l’absence d’opinion ; ce qui serait un comble pour une ’profession’ fondée sur l’exercice de la liberté d’expression des individus. » (p. 182).
L’article 17 du Code de déontologie interne de RTL-TVi (2003) prévoit que : « Les journalistes de RTL-TVi s’appliquent à distinguer clairement les faits du commentaire. La relation objective, honnête et impartiale des faits ne prive pas le journaliste de son pouvoir d’analyse, de sa liberté d’expression et de son droit à la critique. (. ..) ».
Le professeur Jespers précise dans son cours de Déontologie des médias à l’ULB que « 1/ faut entendre ici le mot ’commentaires’ au sens de ’opinion procédant d’un parti-pris. » (p. 85). Les sources d’informations crédibles sur le Venezuela présentent des analyses variées à propos du régime politique dans ce pays et de la situation des droits humains. En optant pour une des interprétations possibles découlant de ces sources, un journaliste fait dès lors un choix qui relève entièrement de sa marge d’appréciation et de sa liberté d’expression. 1/ ne porte pas atteinte à la recherche de la vérité, à l’impartialité, ni ne dénature les faits. 1/ ne transgresse donc pas de règle de déontologie journalistique.
2. Le second reproche adressé par un des plaignants porte sur l’affirmation selon laquelle personne n’a accordé de l’intérêt à la proposition du président Chavez d’intervenir comme médiateur dans le conflit libyen, alors qu’un groupe de 8 pays latino-américains l’a soutenue. Ce reproche porte sur un aspect marginal et ne modifie en rien le fond du sujet traité. 1/ n’y a donc là aucun enjeu déontologique.
La décision : la plainte n’est pas fondée. Les opinions minoritaires éventuelles : N.
La publicité demandée : N. 155, rue de la loi, bte 103, 1040 Bruxelles tél 02/280.25.14 fax 021280.25.15 info@deontologiejournalistigue.be ; www.deontologiejournalistigue.be
La composition du CDJ lors de l’approbation de l’avis
Journalistes : Marc Chamut, Yves Boucau, François Oescy, Bruno Godaert
Editeurs : Catherine Anciaux, Jean-Paul van Grieken, Jean-Pierre Jacqmin, Philippe Nothomb, Martine Vandemeulebroucke
Rédacteurs en chef N.
Société Civile : Nicole Cauchie, Edouard Delruelle, Marc Swaels
Ont également participé à la discussion : Pierre Loppe, Gabrielle Lefèvre, Jacques Englebert, Marc Chamut Président, André Linard Secrétaire général
Signatures
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