Coupe du monde de football 2014 : Risques d’opérations de nettoyage social

Les der­niers mas­sacres d’indigents sans-abri pour­raient être l’œuvre d’escadrons de la mort

brasil_foot.png

La Coupe du monde 2014 sur­vient peut-être au pire moment pour le Bré­sil : celui où le foot­ball a le plus per­du sa légi­ti­mi­té de culture popu­laire et celui où les sup­po­sés béné­fices col­lec­tifs à attendre pour les orga­ni­sa­teurs des grandes com­pé­ti­tions inter­na­tio­nales sont de plus en plus mis en doute

6 mai 2013 — Le Centre natio­nal de défense des droits humains, un orga­nisme par­rai­né par la Confé­rence épis­co­pale du Bré­sil, s’est mon­tré pré­oc­cu­pé par un pos­sible « net­toyage social » des sans-abri, au motif de la célé­bra­tion de la Coupe du monde de foot de 2014.

S’est joint à cette asso­cia­tion, afin d’exprimer éga­le­ment ses craintes au Gou­ver­ne­ment de Dil­ma Rous­sef (du Par­ti des tra­vailleurs), le Conseil natio­nal des pro­cu­reurs géné­raux de jus­tice. Des repré­sen­tants des deux orga­nismes se sont ren­con­trés d’abord avec le ministre du Secré­ta­riat géné­ral de la pré­si­dence, Gil­bert Car­val­ho, afin de lui faire part de leurs craintes. Ces per­sonnes portent actuel­le­ment une atten­tion toute par­ti­cu­lière aux villes qui accueille­ront les matches de la Coupe.

Les orga­ni­sa­tions craignent que la dite « hygié­ni­sa­tion » de ceux qui, pour dif­fé­rentes rai­sons, vivent dans la rue, soit un euphé­misme pour don­ner les mains libres aux bour­reaux des per­sonnes sans défense, invi­sibles pour la socié­té « offi­cielle », mais qui pour­raient être vues par les mil­lions de tou­ristes qui arri­ve­ront au Bré­sil l’année prochaine.

Sans comp­ter que le pape Fran­çois vient à Rio de Janei­ro dans trois mois et que plus de deux mil­lions de per­sonnes seront pré­sentes dans la capi­tale cario­ca à l’occasion des Jour­nées mon­diales de la jeu­nesse, les JMJ, orga­ni­sées par l’Église catho­lique du 23 au 28 juillet 2013[[Ainsi par­mi les prin­ci­pales pro­po­si­tions des JMJ­Rio 2013, on trouve la réponse sui­vante pour celles et ceux – jeunes dévots – qui veulent faire, avec une effi­ca­ci­té com­mer­ciale et en jonc­tion avec les orga­ni­sa­teurs des JMJ, des pro­duits déri­vés avec le logo JMJ Rio 2013 : « L’association de son pro­duit aux concepts et aux valeurs liés aux Jour­nées, une ample expo­si­tion média­tique avec forte divul­ga­tion, une ouver­ture des canaux de vente, une aug­men­ta­tion des ventes, en plus de notre assis­tance pour un meilleur déve­lop­pe­ment et uti­li­sa­tion du par­te­na­riat. » (Réd. A l’Encontre)]]. Un des thèmes mis en avant à cette occa­sion, sur fond d’une pho­to pano­ra­mique de Rio est : « La sécu­ri­té, une prio­ri­té pour les JMJ Rio 2013 ».

Au cours des quinze der­niers mois, 195 dits « vaga­bonds » ont été assas­si­nés, la plu­part brû­lés par des ano­nymes, comme ce fut le cas de Jorge Affon­so, 49 ans, assas­si­né ce dimanche 28 avril 2013 à Jacu­pi­ran­ga, dans l’État de São Paulo.

A Goiâ­nia, c’est une com­mis­sion du minis­tère des droits humains qui a été envoyée pour ana­ly­ser les 29 der­niers assas­si­nats de per­sonnes sans abri.

Selon des chiffres offi­ciels de l’Institut bré­si­lien de géo­gra­phie et de sta­tis­tique, il existe au Bré­sil non moins de 1,8 mil­lion de per­sonnes vivant dans les rues et ce sont moins de 25% des muni­ci­pa­li­tés qui mènent des poli­tiques spé­ci­fiques à l’égard de ces personnes.

À São Pau­lo seule­ment, on cal­cule qu’environ 15000 per­sonnes n’ont pas de mai­son, et que 5000 sont dans cette situa­tion depuis plus de dix ans. Mal­gré le fait qu’en 2009 le Gou­ver­ne­ment du pré­sident de l’époque, Lula da Sil­va, ait lan­cé le Pro­gramme de poli­tique natio­nale en faveur des dits « vaga­bonds », les auto­ri­tés tendent à fer­mer les yeux sur cette cruelle réalité.

Pour­tant, pour le socio­logue Mau­ri­cio Botrel, du Centre natio­nal des droits humains, il ne fait pas de doute que les poli­tiques locales en faveur de ces per­sonnes sont indis­pen­sables, cela pour évi­ter un « net­toyage social » effec­tué géné­ra­le­ment dans l’obscurité de la nuit et applau­di en silence par les bien-pensants.

Le Pro­cu­reur géné­ral de l’État du Río Grande do Sul, Eduar­do Vei­ga, pré­sident du Groupe de tra­vail natio­nal sur les droits humains, a affir­mé que les minis­tères publics des États étaient en train d’être encou­ra­gés à finan­cer l’implantation de comi­tés muni­ci­paux en faveur des sans-abri dans tout le pays.

Que les craintes expri­mées par cer­tains évêques et pro­cu­reurs géné­raux ne sont pas infon­dées, c’est ce que révèle d’ailleurs le pré­cé­dent de Rio, lorsque des repor­ters de la Fol­ha de São Pau­lo ont décou­vert en 2009 que la mai­rie de Rio se met­tait sou­dain à « recueillir » des « vaga­bonds » afin de faire bonne impres­sion auprès de la Com­mis­sion du Comi­té olym­pique (outre la FIFA de Sepp Blat­ter, dont « l’intégrité » dans le busi­ness du foot est à peu près à hau­teur de celle de Ber­lus­co­ni dans la ges­tion poli­tique de son « entre­prise Ita­lie » durant des années…) cen­sé don­ner aus­si un pré­avis sur la pré­sence du Mon­dial dans la capi­tale carioca.

María Cris­ti­na Bore, pré­si­dente natio­nale des Poli­tiques de la rue, a affir­mé qu’une opé­ra­tion de net­toyage social des sans-abri « était à l’ordre du jour », au motif du Mondial.

Policiers paulistes suspectés de « nettoyage social »

Des enquê­teurs de São Pau­lo pensent que les der­niers mas­sacres d’indigents sans-abri pour­raient être l’œuvre d’« esca­drons de la mort » qui essaient d’éliminer plus de 10000 men­diants vivant dans les rues de la plus grande ville du Brésil.

Tra­vaillant sur de nom­breuses d’hypothèses, mais sans pistes défi­ni­tives, les enquê­teurs de São Pau­lo essaient de résoudre le dra­ma­tique puzzle des der­niers assas­si­nats d’indigents sans-abri qui ont mis la ville en état de choc et qui font craindre que les « esca­drons de la mort » [qui ren­voient aux pires pra­tiques des dic­ta­tures mili­taires et de la police mili­taire bré­si­lienne dont des membres fai­saient des « heures sup­plé­men­taires »] soient en train de réa­li­ser de macabres tâches de « net­toyage social » dans les rues paulistes.

Pour la pre­mière fois depuis que les enquêtes ont été com­men­cées, il y a un peu plus d’une semaine, en cette fin avril 2013, le com­mis­saire Luiz Fer­nan­do Lopes Teixei­ra a inter­ro­gé des poli­ciers et des gar­diens de sécu­ri­té par­mi ceux que l’on soup­çonne d’être les auteurs de ces attaques bru­tales, per­pé­trées dans la capi­tale éco­no­mique et finan­cière du Bré­sil, qui ont pro­vo­qué la mort de douze men­diants au cours des der­nières semaines.

Jusqu’à pré­sent, trois hypo­thèses étaient avan­cées pour expli­quer les attaques : des jeunes néo­na­zis ou skin­heads ; des matons enga­gés par des com­mer­çants du centre de la ville pour se défaire des men­diants indé­si­rables ; ou alors une dis­pute interne entre les pauvres eux-mêmes.

Mais au cours des der­nières heures s’est ren­for­cée l’idée selon laquelle il s’agirait de groupes de « net­toyage social » inté­grés par des poli­ciers et même des gar­diens de sécu­ri­té (liés à des firmes pri­vées dites de sécu­ri­té, qui sou­vent engagent des poli­ciers, par­fois expul­sés de la police à cause de com­por­te­ments inacceptables).

Des escadrons organisés

« Il est clair qu’il s’agit d’un crime effec­tué par un ‘groupe orga­ni­sé’ (ce qui exige une plus grande pro­tec­tion sociale pour les habi­tants de la rue) et que ce n’est pas une action iso­lée », a com­men­té Pedro Mon­te­ne­gro, le défen­seur géné­ral du peuple (Ombuds­man) du Secré­ta­riat natio­nal des droits humains.

L’hypothèse prend toute sa force quand on consi­dère que les cas de São Pau­lo se dif­fé­ren­cient des assas­si­nats de men­diants dans les rues d’autres villes bré­si­liennes, qui ont, eux, presque tou­jours un carac­tère iso­lé et occa­sion­nel. Le mas­sacre de la ville pau­liste a eu un plus grand impact, de par la quan­ti­té de vic­times que ces atten­tats clai­re­ment pla­ni­fiés ont fait en peu de jours.

Des faits simi­laires se sont pro­duits dans les années nonante à Río de Janei­ro, où, pen­dant plu­sieurs années, des cen­taines d’enfants et d’adolescents avaient été assas­si­nés par des esca­drons de la mort, com­po­sés dans de nom­breux cas par des agents de police en congé, enga­gés par les com­mer­çants locaux pour « net­toyer » la zone de délin­quants pré­su­més et de per­sonnes com­met­tant des délits mineurs.

Actuel­le­ment, les auto­ri­tés de la plus grande ville du Bré­sil – avec 10,5 mil­lions d’habitants – craignent que ces pra­tiques d’homicides ne soient en train de s’installer là où vivent près de 10400 sans-abri, selon des cal­culs de la Pas­to­rale catho­lique du « peuple de la rue » de São Paulo.

Mais l’inquiétude pau­liste s’étend à d’autres zones, comme la ville méri­dio­nale de Por­to Alegre, où il existe la crainte que des groupes de fana­tiques se livrent à de nou­veaux atten­tats, comme l’a expli­qué Cla­ri­na Glock, la jour­na­liste qui coor­donne la publi­ca­tion du jour­nal Boca de rua fait par des per­sonnes vivant dans la rue.

Dans cette ville du sud du pays, il n’existe pas les groupes tra­di­tion­nels de São Pau­lo qui dis­cri­minent et attaquent ceux qui viennent du Nor­deste, la région qui est source de la plus grande migra­tion interne du Bré­sil. La jour­na­liste ajoute que « oui, il y a des groupes de skin­heads, et la len­teur avec laquelle les cri­mi­nels de São Pau­lo sont iden­ti­fiés peut sti­mu­ler des attaques sem­blables dans d’autres lieux ».

En plus, des cas de São Pau­lo, d’autres men­diants ont été assas­si­nés la semaine pas­sée dans l’État de Per­nam­bu­co (nord-est) par des hommes qui leur ont tiré des­sus depuis un véhi­cule en marche.

La police soup­çonne que ces homi­cides ont été com­mis par une bande de tueurs sévis­sant dans la ville de Recife, capi­tale de Per­nam­bu­co, et qui fait déjà l’objet d’une enquête pour d’autres attaques contre des per­sonnes sans-abri.

Ain­si, le pano­ra­ma des plus dépossédé•e•s au Bré­sil – et en Amé­rique latine en géné­ral – est tou­jours plus dra­ma­tique, parce qu’à la pau­vre­té et à l’abandon s’ajoutent main­te­nant les haines « sociales » qui font que beau­coup de gens s’érigent en juges et décident de faire jus­tice eux-mêmes.

En juin 1990, Amnes­ty Inter­na­tio­nal a publié une infor­ma­tion sur les vio­la­tions des droits humains per­pé­trées dans les prin­ci­pales villes bré­si­liennes qui arri­vait à la conclu­sion que, de plus en plus, la police répon­dait à la vio­lence sociale crois­sante en pre­nant elle-même la jus­tice en main. Ce docu­ment don­nait l’alerte sur des pra­tiques telles que l’exécution extra­ju­di­ciaire d’enfants et d’adultes par la police et les esca­drons de la mort, l’utilisation de la tor­ture par les agents de sécu­ri­té et les trai­te­ments inhu­mains subis par les déte­nus. Qua­torze ans plus tard, les vio­la­tions des droits humains en rela­tion avec la vio­lence urbaine conti­nuent à être un pro­blème qu’il est néces­saire d’affronter.