Carnet de notes d’un anthropologue en Grèce
Notebook of an anthropologist in Greece
Source : blog de Panagiotis Grigoriou. Historien et Ethnologue
Mythes ravageurs, Athènes — 19/09
Jour après jour, nous réalisons davantage, combien et surtout jusqu’à quelle synchronie historique, en somme récente, notre démocratie conservait encore ses chances. Démocratie d’opérette certes, oligarchique, le cas échéant népotiste, et en tout cas bourgeoise, c’est à dire et pour l’essentiel, issue de la Révolution Française. Pourtant, nous sommes déjà assez nombreux à la regretter sous l’Acropole, ce qui ne veut pas dire que notre doxa soit partagée par tout le monde. D’emblée, le régime imposé de « failed state », implique un formatage si possible complet de l’ensemble du système, et pour ce qui est de l’effacement des données nous y sommes, pour ne pas dire que les « données effaçables » c’est bien nous.
Christos, (un athénien, petit entrepreneur dans le bâtiment en cessation d’activité), ne comprend plus rien : « ceci n’a pas de sens, nous mourons, l’argent n’existe plus, ne circule plus, nous ne consommons que le minimum vital et encore, le marché s’est effondré, les politiciens ne trouveront plus d’électeurs-clients du tout, et de toute façon, de la démocratie on s’en fiche, non ? Désormais, ma mère vit parmi nous, c’est aussi grâce à sa maigre retraite que nous nous débrouillons, quelle démocratie ? Mon seul sens, c’est de remplir mon assiette et [de] voir les députés et ministres pendus Place de la Constitution…»
Depuis tant d’années, la faim du sens était savamment organisée, y compris de celui, relevant de nos imaginaires collectifs. Désormais, on sombre dans l’anorexie imposée par une « civilisation » de l’image pléthorique, voilà que la fin du sens tout court, semble proche. Et comme déjà, les « Lumières » n’ont jamais été un passage obligé pour toute l’humanité, on éteindra la lumière un peu partout avant de fermer (définitivement ?) la porte de la démocratie occidentale (ou « démocratie »), pour ouvrir les placards des totalitarismes qui d’ailleurs, ne ressembleront plus à ceux du passé, ne nous y leurrons plus. Vraisemblablement, nous ne pourrons alors que nous dire à nous-mêmes sans s’y tromper, que « c’est [certainement] une chance de ne pas ressembler à ce que le monde nous croit » (Jean Cocteau). Si nous y arriverons…
Nous assistons impuissants au démantèlement d’une réalité et de ses mythes au profit d’une autre, implacable, un événement « cluster » diront même certains. Parmi les mythes savamment entretenus, celui notamment de l’U.E., de ses institutions, de ses processus décisionnels, de ses vitrines et surtout de ses buts, supposons d’ailleurs qu’ils existent, en dehors des lobbys, des banques et des hégémonies nationales, celle de l’Allemagne qui paraît évidente, mais encore, on ne sait pas tout parait-il. Sauf que ce mythe demeure et demeurera ravageur jusqu’à son remplacement par son autre sens, celui de la mutation et/ou de la… contre-mutation. Et n’en déplaise aux gens des gauches, la contre-mutation, n’est pas et ne sera pas forcement synonyme de « contre-révolution », si « évidente » à combattre à leurs yeux il me semble.
C’est ainsi qu’à la mutation véhiculée par la bancocratie (nouveau totalitarisme de fait), une certaine réponse sera la contre-mutation des fascismes, ou pour être plus précis, de leurs analogies et de leurs autres anamorphoses du méta-capitalisme, s’accommodant bien de surcroît, avec le « culturalisme facebook » et les autres nouvelles imageries populaires… C’est ainsi qu’à l’hubris des traders s’ajoute (y compris comme substitut ) désormais, celle des (méta)nazis (de l’Aube dorée). D’ailleurs de nouveaux slogans… de saison, apparus récemment sur les murs d’Athènes, rappellent que les Aubedoriens d’ailleurs en Europe, réserveraient aux Grecs qui s’installent dans ces pays, le même « traitement » que celui « pratiqué » par les milices, bien de chez nous, sur les immigrés installés en Grèce.
Athènes — 19/09 — “Cours d’allemand”
Mais en dehors des slogans, de leur portée réelle, un pas supplémentaire vient d’être franchi par la presse… grandement « autorisée », dans la consécration politique et symbolique de l’Aube dorée. « L’argument », (également répété par les ministres et les politiques Nouvelle Démocratie et PASOK récemment) est en somme le suivant : « L’Aube dorée, tout comme les partis de la Gauche sont dangereux pour la démocratie (sic). Sauf que les braves gens de l’Aube dorée font du bon travail, rappelant qu’il faut enfin mettre de l’ordre dans ce pays imposant le respect des lois. Nous aurons tous à gagner et la démocratie avec en les laissant faire, puis en les incorporant dans les formations politiques de la droite classique ».
“Notre presse germanophone…”
Inutile de dire que certains journaux mémorandistes comme Kathimerini, se permettent des éditoriaux dans le très mauvais genre : « L’Aube dorée comme une chance pour la Démocratie », pour « démontrer l’utilité dans le retour à l’ordre, détruit par tente ans de pratiques gauchistes » et j’en passe, article dont le résumé est justement celui… de « l’argument » (Kassimatis, Kathimerini, 16/09/2012).
Notre vie quotidienne est en train de s’alourdir, heureusement, je me suis retrouvé durant un bref moment sur l’île d’Astypalaia, où j’ai un peu renoué avec certains aspects d’un quotidien partagé avec les pêcheurs, on dirait même comme jadis, que c’était de « l’anthropologie maritime », néanmoins sous fond de crise (voir le billet du blog intitulé : « La fille du roi » ). C’est à cette occasion, qu’une tranche de micro-histoire, dénichée et ainsi sommairement racontée, m’a incité à rechercher des informations sur John Foster, vaillant pilote de la RAF dont l’appareil fut abattu en mer Égée durant la 2ème Guerre mondiale, et sauvé par les habitants d’une petite île située au Sud d’Astypalaia, Syrna.
En tout cas, j’ai bien remarqué que chez les Astypaliotes, la destruction de l’imaginaire collectif est partielle, contrairement à ce qui se passe à Athènes, car déjà, ces marins-pêcheurs et éleveurs, semblent moins nostalgiques d’un passé idéalisé et pour cette raison sans doute, ils demeurent peu réceptifs au discours aubedorien, par les temps qui courent c’est appréciable.
Sauf qu’à Athènes, les nouvelles ne marquent plus une seule pause, depuis la… boîte, Pandore et ses crépuscules. Car lutter contre un « monstre gluant » qui non seulement court désormais les rues, mais qu’il devient même par endroits… l’asphalte, n’a rien d’évident. À gauche, on reconnaît désormais publiquement qu’il y a urgence. Hier soir (19/09), lors d’une réunion publique, co-organisée par les contributeurs des pages culturelles du quotidien Avgi (SYRIZA) et par la rédaction de la revue (mensuelle politique et culturel) Unfollow, il était justement et uniquement question de la réaction face à l’Aube dorée. Nous étions bien très nombreux, et à remplir les locaux jusqu’aux murs, au jardin de la Société des Archéologue, rue Hermès, entre le cimetière antique du Céramique et un terrain de… friche économique, laissé à l’abandon et aux chats errants !
“Lors d’une réunion publique (19/09)…”
Et déjà l’évidence : « Le fascisme prend, l’Aube dorée n’est pas la seule composante de ce type au sein de la société grecque, [et] elle bénéficie en plus, d’alliés politiques [au sein de la droite dite classique et du PASOK], institutionnels, symboliquement créateurs de représentations et de mentalités, à savoir, une partie de l’Église, de l’Armée, de la Police, de l’Administration, du monde des entreprises, sans oublier évidement les clubs de supporteurs, hooligans ou pas… donc notre première tâche, consiste à ne plus permettre aux autres formations politiques (de la coalition du mémorandum) de faire comme si l’Aube dorée n’existe pas. Nous avons besoin d’alliés au sein du monde bourgeois comme diraient encore certains marxistes, justement pour défendre la démocratie bourgeoise » (Makis Kouzelis, universitaire, parmi les intervenants).
“Lors d’une réunion publique (19/09)…”
Puis, Nikodèmos Maina Kinioua, citoyen grec originaire d’Afrique et membre de l’association Asante, a tiré la sonnette d’alarme : « la société grecque reste parfaitement passive face aux agressions commises sur les immigrés par l’Aube dorée », tandis que d’autres intervenants ont souligné que « le problème de l’immigration est posé par la mondialisation, la gauche ne doit pas le nier non plus ».
Et l’aporie fut enfin : « Peut-on s’adresser aussi à cet État, pour combattre l’Aube dorée, en tout cas, pour ce qui est de certaines de ses actions illégales, lorsque l’État gangrené du mémorandum est déjà un destructeur du lien citoyen », question véritable… réponse improbable. Et enfin, Artemis Kalofyri, enseignante, a rappelé « que le symbolisme fasciste domine les représentations des élèves du secondaire depuis déjà 2008 au moins. Les Aubedoriens recrutent en passant par Facebook, et ces jeunes, se représentant souvent une bien mauvaise image de soi-même, retrouvent dans l’organisation, reconnaissance, protection et un certain usage de la force. Ces garçons, sont évidement issus de la culture de l’image et des jeux vidéo, internet compris, [en plus] du lifestyle. La passerelle de l’hooliganisme a certes joué un rôle hélas funestement précurseur, dans le recrutent aubedorien à travers la population scolaire jusqu’en 2009 – 2010, mais c’est tout. Depuis, les élèves proches de l’Aube dorée, argumentent politiquement, leur discours est issu d’une systématisation holistique de l’histoire et de l’analyse sociale, c’est du construit, évidement raciste, anti-gauche, et relevant d’une culture disons militaire. D’ailleurs le réseau des salles de gymnastique (musculation et arts martiaux) sont en interconnexion je dirais organique avec l’Aube dorée en ce moment.
“Entre le cimetière antique du Céramique et un terrain de… friche économique”
Parfois issus de l’immigration albanaise, ces jeunes souhaitent vivement intégrer l’armée ou la police car à leurs yeux, c’est la seule perspective professionnelle digne et certaine. Je n’ai jamais caché mon engagement à gauche, mais je n’ai jamais non plus, isolé ces élèves, au contraire, j’ai toujours voulu entretenir le dialogue avec eux. Ils me racontent qu’au sein des locaux de l’Aube dorée, ils trouveront de l’encadrement recherché, un endoctrinement idéologique par des DVDs, et un entrainement ou perfectionnement dans les arts martiaux et les tactiques d’attaque contre les manifestants d’abord, et les autres « cibles » ensuite. Pourtant, par des mobilisations massives dans la rue face à l’Aube dorée et sans violence autre que celle du nombre, déjà dans deux quartiers de l’agglomération, les Aubedoriens ont cessé d’apparaitre car ils ont peur du nombre en face… ».
Mondes du dedans, mondes du dehors et le monstre… qui n’a plus besoin de se montrer doux. Étudiants, intellectuels et autre auditoire conquis d’emblée, parmi le lectorat d’Avgi et celui de la revue Unfollow, évidemment. Mais en dehors de chez les archéologues, le vaste monde des énormes réduits règne en maître. Comme ces jeunes gens qui agressent déjà verbalement des Africains Place Monastiraki, nos chats de passage et autres âmes errantes. Heureusement que nous pouvons encore admirer ce qui reste des bâtiments issus du Bauhaus à Athènes, ou à Weimar, c’est selon.
“Bâtiments issus du Bauhaus à Athènes” — 09/2012
J’ai aussi vu hier (19/09) des manifestants communistes aussi en nombre… homéopathique devant l’Université, où à proximité, des affichettes nous informant que nous pouvons appendre l’allemand pour 14 euros l’heure de cours. D’ailleurs, notre presse germanophone, est à l’origine d’initiatives éditoriales intéressantes ce dernier temps. Mais ailleurs, cette autre Allemagne, c’est à dire sa politique, contribue à la déréalisation de notre démocratie et in fine de la sienne. Nous imaginons aussi des ministres du Gouvernement français ou néerlandais par exemple, faire la morale aux syndicalistes du pays : « Ne bougez pas trop car notre austérité n’est rien, comparée à celle subie par les Grecs, eux, ils sont anéantis » . Fusillés pour l’exemple alors ces Grecs ?
“Des manifestants communistes…” — Athènes 19/09
A Athènes c’est aussi nos liens qui en souffrent, suspendus comme le futur. De la crise et de ses réalisations concrètes évidement. Sous cet angle, le mémorandum est une réussite, le monde du travail n’est plus, et le monde avec. C’est sans doute… l’angle mort au rétroviseur de l’élite politique européenne. À Athènes, une partie des habitants ne sortent plus car pour eux, tout geste quotidien devient inabordable. C’est pour y faire face justement, que j’ai accompagné mon ami chômeur à certaines de ses démarches hier. Sa santé s’aggrave et il pense que seule la mort l’attend. Je lui ai offert un sandwich grec nommé souvlaki, en phase avec les… vitrines des boutiques du vieux centre-ville : « Greek is chic », puis, nous avons bu le café chez un autre ami écrivain. Les deux souvlaki à deux euros chacun, plus une sucrerie à un euro, ainsi qu’un kilo de raisin, sans oublier le ticket de métro, ont vite épuisé mon budget journalier, car les donations de septembre envers le blog sont moins nombreuses qu’avant.
Les éventuels lecteurs traders du blog en rigoleront, le temps qu’il fait à Athènes, beau et chaud en ce 20 septembre, ainsi, et selon une campagne publicitaire du Ministère du tourisme : « Nous vivons [effectivement] notre mythe en Grèce ».