Lorsque les troupes nazies pénètrent dans le ghetto de Varsovie le 19 Avril 1943, afin de le liquider, elles ne s’attendent pas a trouver 750 Juifs et Juives armé·es derrière des barricades, prêt·s à les combattre.
Enfermée et tassée entre des murs et des barbelés depuis novembre 1940, la population du ghetto a déjà chuté de 450.000 à 70.000 personnes en moins de 3 ans, en raison des déportations quotidiennes vers le camp de mise à mort de Treblinka.
L’organisation juive de combat (OJC) qui planifie et organise l’insurrection a été initiée par les mouvements de jeunesse présents dans le ghetto.
Mais c’est tout le ghetto de Varsovie qui se soulève et soutient les 750 combattant·es. Malgré les conditions dramatiques de leur lutte, des milliers de personnes acculées se sont dressées et organisées contre les nazis. Ces femmes et ces hommes se sont aussi battu·e·s pour que leur mémoire nous parvienne et nous inspire dans nos combats actuels.
Le 19 avril, date du début du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, symbolise l‘extermination des Juifs d’Europe par les nazis. La révolte d’avril 1943 se produisit dans les conditions terribles d’un ghetto déjà en partie vidé de ses habitants.
En effet, depuis le 23 juillet 1942, jour après jour, cinq à six mille personnes étaient emmenées par les nazis, du ghetto vers la « Umschlagplatz » ou « place du transbordement » puis déportées vers le camp d’extermination de Treblinka.
Le début du ghetto
Le ghetto de Varsovie a été instauré le 12 octobre 1940, date qui correspondait cette année-là à la grande fête juive de Yom Kippour.
Les nazis, dans leur rage antisémite, utilisaient souvent les dates des fêtes religieuses juives afin de procéder à des persécutions particulières ou de marquer leur « connaissance » du judaïsme.
Les nazis annoncèrent à la population juive qu’elle devait déménager dans ce « quartier juif » exigu qui fut ceint de barbelés. Le 16 novembre, on y transfère de force les Juifs, soit un tiers de la population de la ville, qui doivent se concentrer sur sur 2,4% de sa superficie : 450 000 personnes sont alors coupées du reste du monde.
L« Aktion » comme l’appelaient les nazis, de déportation vers la mort, débuta le 22 juillet 1942. Cette date correspondait au jour de Tish’a Beav, qui commémore par le deuil et le jeûne la destruction du Temple juif de Jérusalem par l’armée romaine en l’an 70 de notre ère.
Chaque 22 juillet à Varsovie, une marche démarre du monument de l’« Umschlagplatz », lieu d’où partaient les convois de déportés puis parcourt l’ancien espace du ghetto, dont il ne subsiste strictement rien.
Elle se termine devant le centre culturel et de mémoire dédié à Emmanuel Ringelblum, héroïque historien du ghetto et animateur du réseau « Oneg Shabbat » qui en préserva la mémoire.
Une révolte préparée
La déportation des Juifs de Varsovie s’inscrivait dans le cadre de la plus vaste « Aktion Reinhardt », organisée par les nazis en Pologne occupée ; celle-ci inclut la construction des camps d’extermination de Belzec (mars 1942), Sobibor (mai 1942) et Treblinka (juillet 1942).
Ce dernier camp joue un rôle particulier dans l’extermination des Juifs de Varsovie. 280 000 Juifs déportés de la capitale polonaise y seront assassinés.
L’Aktion de Varsovie prit fin temporairement le 21 septembre suivant, à nouveau durant le jour de la plus importante fête juive, Yom Kippour.
Après cette grande déportation, le ghetto de Varsovie est réduit à un camp de travail où 36 000 Juifs survivent officiellement et où 20 à 25 000 clandestins se cachent. Son sursis tenait d’une part à la pénurie de main‑d’œuvre gratuite dont l’administration nazie voulait disposer, et d’autre part à la nécessité d’une pause afin de recenser et d’expédier vers le Reich les biens volés dans le ghetto.
Quelques jours après le début de la déportation de juillet, la résistance juive s’unifia dans un « Bloc antifasciste et se dote d’une branche armée, l’Organisation juive de combat (OJC), fondée le 28 juillet 1942. Cette démarche déboucha plusieurs mois plus tard sur le soulèvement du ghetto
Les premières opérations de l’OJC furent dirigées contre les responsables de la « police juive » et autres collaborateurs.
En janvier 1943, une seconde Aktion visant à liquider le reste du ghetto fut interrompue par les nazis eux-mêmes au bout de quatre jours, face à la résistance et au fait que la population se cache dans un réseau souterrain creusé durant des mois.
Heinrich Himmler, en déplacement à Varsovie, ordonna alors la destruction du ghetto et de ses habitants. Au même moment le ghetto de Cracovie est liquidé en Mars 1943.
Le 19 avril 1943, correspondant cette année là au début de la fête juive de Pessah, les unités SS chargées de liquider le ghetto sont repoussées par les combattants. Ceux-ci ne disposent que de quelques revolvers et grenades. Quand le millier de soldats allemands pénètrent en force dans le ghetto, les résistants les attendent barricadés dans leurs bunkers et leurs caves. Au nombre de 1000 environ, ils sont regroupés principalement dans l’Organisation des Combattants Juifs, (OJC, ZOB en polonais) commandée par le jeune Mordehaï Anilewicz, membre de l’organisation de jeunesse Hachomer Hatzaïr.
Dès l’invasion de la Pologne par les nazis, Anilewicz avait rejoint avec des membres de son groupe l’est de la Pologne, pour aider à retarder l’avance allemande. Après l’invasion de ces régions orientales de la Pologne par les armées de Staline, à la suite du pacte germano-soviétique, les Soviétiques l’arrêtent et l’emprisonnent. Il est libéré peu de temps après, et retourne alors à Varsovie
Face à l’insurrection, le commandant allemand est relevé de ses fonctions, le général SS Jürgen Stroop lui succède. Il est lui-même est pris de court par la rébellion des « sous-hommes » ainsi que les nazis qualifiaient les Juifs. Dès lors, les troupes SS vont incendier systématiquement les immeubles et propulser du gaz dans les souterrains afin d’en déloger les résistants.
Ces derniers vont tenir pendant un mois, malgré leur très faible niveau d’armement et de nourriture. Plus de deux mille SS, soutenus par de l‘artillerie et des blindés, incendient le ghetto, maison après maison. Les Juifs sont asphyxiés, carbonisés, enterrés vivants dans les abris où ils sont retranchés.
Six mille Juifs présents dans le ghetto trouvent la mort dans les combats ou se suicident. Sept mille sont fusillés sur place. Les autres sont déportés. Une poignée de miraculés échappe à la mort en s’enfuyant par les égouts.
Le 16 mai 1943, Stroop fait dynamiter la grande synagogue du ghetto. Il annonce à Himmler : « Il n’existe plus de quartier juif à Varsovie. »
Le testament de Mordehaï Anilewicz
La rébellion se termine à la mi-mai. Mordehaï Anilewicz se suicide le 8 mai avec une partie de la direction de l’OJC ; il a 24 ans.
Le 23 avril 1943, il avait écrit dans une dernière lettre :
« Les Allemands ont fui par deux fois du ghetto. L’une de nos compagnies a résisté 40 minutes et une autre s’est battue pendant plus de six heures… Nos pertes en vies humaines sont faibles et ceci est également une réussite…
Grâce à notre radio, nous avons entendu une merveilleuse émission relatant notre lutte. Le fait que l’on parle de nous hors du ghetto nous donne du courage.
Soyez en paix, mes amis de l’extérieur ! Peut-être serons-nous témoins d’un miracle et nous reverrons-nous un jour. J’en doute ! J’en doute fort !
Le rêve de ma vie s’est réalisé. L’auto-défense du ghetto est une réalité. La résistance juive armée et la vengeance se matérialisent. Je suis témoin du merveilleux combat des héros juifs… »
Quelques jours plus tard, le 12 mai, Szmuel Zygielbojm, représentant du mouvement ouvrier juif Bund dans le gouvernement polonais en exil à Londres, se suicide dans cette ville.
Il proteste ainsi contre l’inaction des gouvernements alliés, dûment avertis de la situation en Europe de l’Est et notamment en Pologne.
Lui-même avait alerté publiquement sur l’extermination en cours.
Il laissa une lettre dont voici des extraits :
« Derrière les murs du ghetto se déroule à présent le dernier acte d’une tragédie sans précédent dans l’Histoire. La responsabilité du forfait consistant à exterminer la totalité de la population juive de Pologne retombe au premier chef sur les exécutants ; mais, indirectement, elle rejaillit également sur l’humanité tout entière. Les nations et les gouvernements alliés n’ont entrepris jusqu’ici aucune action concrète pour arrêter le massacre.
En acceptant d’assister passivement à l’extermination de millions d’êtres humains sans défense – les enfants, les femmes et les hommes martyrisés – ces pays sont devenus les complices des criminels […]. Mes camarades du ghetto de Varsovie ont succombé, l’arme au poing, dans un dernier élan héroïque. Il ne m’a pas été donné de mourir comme eux, ni avec eux. Mais ma vie leur appartient et j’appartiens à leur tombe commune. Par ma mort, je désire exprimer ma protestation la plus profonde contre la passivité avec laquelle le monde observe et permet l’extermination du peuple juif.
Je suis conscient de la valeur infime d’une vie humaine, surtout au moment présent. Mais comme je n’ai pas réussi à le réaliser de mon vivant, peut-être ma mort pourra-t-elle contribuer à arracher à l’indifférence ceux qui peuvent et doivent agir pour sauver de l’extermination – ne fût-ce qu’en ce moment ultime – cette poignée de juifs polonais qui survivent encore. Ma vie appartient au peuple juif de Pologne et c’est pourquoi je lui en fais don… » (Londres, mai 1943)