Tout d’abord, j’aimerais vous remercier toutes et tous pour votre présence ici.
Je remercie également Luk Vervaet pour l’initiative de cette conférence, Zoé Génot pour la mise à notre disposition de la salle au sein de parlement fédéral, et tous ceux qui ont veillé à sa bonne organisation.
Que vous ayez répondu à cette invitation, signifie pour nous que vous n’êtes pas indifférents à toutes les souffrances vécues par nos proches en détention arbitraire victimes d’injustices et de terribles atrocités.
Voici déjà 5 ans que la vie de mon frère a totalement basculé ! Voici 5 ans qu’il endure les pires horreurs dans un déni total de justice !
Ali est passé du bonheur le plus complet, puisqu’il venait d’avoir une petite fille après une longue attente de plusieurs années, au pire cauchemar qu’un être humain puisse sans doute imaginer, en l’occurrence l’enfermement. Amina, cet enfant qu’il souhaitait tant, parait comme un don du ciel car c’est à travers elle aujourd’hui qu’il trouve la motivation de l’espoir et la motivation de la vie.
Ali confie également combien il puise sa force au travers du travail acharné de ses avocats, du comité qui s’est crée autour de son affaire, le comité FREEALI, composée de centaines de personnes avec à sa tête notre cher Luk Vervaet, ainsi que sa famille qui lui a fait la promesse de ne jamais l’abandonner ! Cela l’encourage à mener lui-même un combat pour ne pas sombrer dans le désespoir et le renoncement. « Comment pourrais-je abandonner alors que tous ces gens se mobilisent pour moi », dit-il.
Cela fait des années que nous luttons contre un adversaire monstrueux. Cet adversaire sans visage se nomme INJUSTICE ! La lutte s’est avérée très dure, difficile et peut-être encore longue. Pourtant nous disposons des moyens qui nous permettraient d’avoir gain de cause dans la mesure où Ali est avant tout un ressortissant belge. C’est ici en effet qu’il a passé la majeure partie de son existence et non pas au Maroc. Et, à ce titre, il a juste sollicité la protection et la sécurité que la Belgique prétend garantir à ses citoyens. Cette demande est restée sans réponse jusqu’à ce jour.
Malgré tous les efforts fournis, on mesure notre impuissance face à l’autorité, face à ceux qui prétendent aux responsabilités mais qui se sont lâchement détournés. Tels des Ponce Pilate, ils se sont lavés les mains et ont livré Ali à ses tortionnaires. Nos appels à l’aide et notre souffrance ont été ignorés. Nous avons été confrontés au mépris et à l’indifférence d’un état de droit vis-à-vis de son citoyen alors que l’on s’attendait à sa bienveillance.
Nos proches condamnés injustement n’ont eu droit à aucun égard. Ils ont eu à subir la parodie de justice à laquelle s’est livré le Maroc sous le regard complice des autorités belges. Aujourd’hui, mon frère et d’autres innocents payent le prix de la duplicité et des accords malsains entre ces deux états.
Malgré cela, Ali adresse un message aux autorités belges, ce message enregistré en audio est disponible sur le net. Il appelle toujours à la recherche de la vérité sur son affaire, c’est la seule chose qui compte à ses yeux. Il sait qu’une justice digne de ce nom ne conclurait qu’à son innocence. Dans ce message poignant, il raconte également toutes les souffrances endurées mais qu’il ne garde toutefois aucune rancœur, selon son propre terme, envers la Belgique. La chose primordiale pour lui étant de retrouver sa famille.
Comme je l’ai dit, Ali garde espoir, il ne renonce pas, il ne plie pas. Il mène son propre combat mais de l’intérieur, selon ses moyens et capacités. Malgré les risques encourus, il a notamment dénoncé la torture qui lui a été infligée en déposant une plainte. Il n’ignorait pas bien entendu les conséquences d’une telle démarche mais il a affronté sa peur. Il a dénoncé cette pratique méprisante, indigne, comme un homme libre alors qu’il se trouve entre les mains de ses bourreaux. Il paye aujourd’hui le prix fort de cette action par des traitements plus indignes les uns que les autres.
Cela fait 5 ans, cinq années d’emprisonnement pour un homme sur lequel se sont acharnées les justices espagnoles et marocaines, sans que ni l’une ni l’autre ne produise la moindre preuve qui puisse justifier ces cinq années d’enfermement. Et moins encore la lourde peine prononcée par le Maroc. Pourtant Ali est resté l’homme qu’il a toujours été : fort, honnête, fier et digne. Pardonnez-moi de dire ici combien je suis fière de lui et combien je suis heureuse, malgré ma douleur, que l’enfermement ne l’ait pas aigri, que la prison n’ait pas fait de lui un homme méconnaissable pour sa famille et ses proches.
Enfin, je profite de l’opportunité qui m’est donnée ici pour m’adresser une fois de plus aux politiques, à ceux qui ne souhaitent peut-être pas m’écouter mais qui devront m’entendre.
N’est-il pas temps de réagir ?
L’indifférence n’a‑t-elle pas assez duré !
Nous sommes éreintés, épuisés et usés par la douleur qui ne nous quitte plus !
Nous, nous arriverons à tenir encore, j’en suis sure, mais qu’en est il de nos parents ?
Mon père ne cesse de dire qu’il craint ne plus être là lorsque Ali recouvrera la liberté !
Il est envahi par une tristesse qui ne s’estompe plus, il a l’air tellement amer et si sombre !
Toutes ces mamans également qui pleurent l’absence de leur fils, toutes ces épouses qui attendent impatiemment le retour de leur époux. Tous ces enfants qui savent ou pas la vérité sur l’enfermement de leur père mais qui sont néanmoins privé d’un amour et d’une présence tellement vitale pour leur l’équilibre affectif et psychologique.
A tous les responsables politiques je lance un appel à l’aide ! Une demande urgente d’intervenir et qu’ils prennent enfin leurs responsabilités à l’égard de ces citoyens belges qu’ils ignorent sous prétexte de leur bi nationalité.
Je continuerai sans relâche à dénoncer l’indifférence voire la négligence de l’état belge. Je continuerai à dénoncer l’abandon de nos proches et le silence sur leurs extraditions vers un pays qui pratique la torture. Ces extraditions ayant été pratiquées dans le mépris flagrant des conventions internationales empêchant justement tout transfert vers des pays qui pratiquent la torture. Je considère par conséquent qu’il y a complicité de l’Espagne et de la Belgique sur tous les actes de barbaries infligés à mon frère par l’état marocain.
Je considère que la Belgique s’est rendue coupable en n’apportant aucune assistance à Ali qui se trouvait en danger dès son extradition vers le Maroc en décembre 2010. Comme je l’ai dit, il continue aujourd’hui à subir des mauvais traitements et chaque jour est un calvaire.
La Belgique est autant coupable que la main du tortionnaire marocain parce qu’elle a pratiqué et continue à pratiquer la loi du silence. Ce silence de plomb a anéanti non seulement des hommes innocents mais également leurs familles. Des voix s’élèvent de plus en plus pour dénoncer ce silence comme un véritable racisme d’état à l’égard des bis nationaux. J’aimerais tellement ne pas y croire mais c’est l’amer constat que l’on peut faire.
En tous les cas, je suis pour qu’une commission d’enquête fasse la lumière sur le rôle joué par l’état belge dans l’extradition d’Ali vers le Maroc ou du moins sur les véritables raisons du mutisme qui entoure l’affaire de mon frère et celle des autres détenus belges au Maroc.
Cette commission s’appuierait par exemple sur le rapport de Monsieur Juan Mendez, comme vous le savez, rapporteur spécial de l’ONU, lequel a rédigé un rapport sur la torture au Maroc. Ce rapport a été rendu public le 13 janvier 2013 à Genève et il confirme sans détours que le Maroc continue à pratiquer la torture et les mauvais traitements de manière habituelle.
Vous savez également peut-être que Monsieur Mendez a rendu visite à mon frère et a pu mesurer l’ampleur de ses effroyables conditions de détention. Il a pu également constater les traces de tortures toujours visibles sur le corps d’Ali.
En conclusion, comme Ali, je suis prête à pardonner à condition que la lumière soit faite et que justice soit rendue non seulement pour mon frère mais aussi pour tous les citoyens belges détenus injustement au Maroc. Je demande leur libération pure et simple au nom de la justice, au nom des droits de l’homme et au nom de toutes les familles concernées.
Enfin, je n’ai pas de mots pour dire encore toute ma gratitude à Luk Vervaet, aux avocats d’Ali, Me Dounia Alamat, Me Christophe Marchand, Me Cohen ainsi qu’à tout le comité de soutien et à tous les anonymes qui portent la cause d’Ali et des autres détenus. .
Je vous remercie infiniment pour tout ce que vous faîtes.
Merci.
Farida Aarrass.
http://prisonnierseuropeensaumaroc.blogspot.be/2013/03/intervention-de-farida-aarrass-la.html