Ce mardi 7 février, un « débat » consensuel se tenait à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Il opposait Caroline Fourest, grande pourfendeuse de soutane et de burqa, auteur d’un film sur Marine Le Pen, la présidente du Front national (FN) français, à… À personne. On cherchera en effet le contradicteur. En vain. Ce pouvait donc être haro sur le baudet…
Le « modérateur » ? L’éternel Guy Haarscher : « nous sommes à l’ULB et il n’est pas possible de laisser la parole à l’extrême-droite ; ici, nous débattons entre démocrates ».
Pour peu aimables que soient leurs idées (il ne s’agit là que de mon humble point de vue), à en croire le philosophe si politiquement correct et tant prisé des milieux bienpensants, le FN et ses 17% d’électeurs ne participeraient pas au débat démocratique de la République française et n’auraient pas voix au chapitre, donc (ce n’est apparemment pas l’avis de Radio-France, qui recevait ce dimanche Louis Aliot, le vice-président du FN et conseiller régional du Languedoc-Roussillon). Tous des fachos ! Présomption d’innocence, quand tu nous tiens…
On se souviendra cependant de plusieurs débats, sur la question israélo-palestinienne, entre autres, reportés sine die (on ne dit pas « censurés », à l’ULB ; tout est question de vocabulaire), parce que le plateau était « déséquilibré », car les organisateurs n’avaient pas pu produire de représentant du point de vue opposé, tous les invités s’étant désistés…
Au programme, aussi, du bouffage de curé à tour de bras (d’imam également), cautionné par les petits rires convenus d’un public en grande partie acquis.
Qu’on est bien entre soi, quand on partage les mêmes stéréotypes…
La vieille rombière ulbiste, cette grabataire de la pensée libre, devenue complètement schizophrène, allait une fois de plus se gargariser des grands principes du Libre Examen, tout en se gardant bien de les mettre en pratique.
La soirée avait commencé en douceur, tranquille, par le charabia inaudible de l’Amphitryon de l’heure, une certaine Emmanuelle Danblon, la honte de son pauvre père, Paul.
S’en suivit ce petit film, attentat de l’invitée du jour : sur une musique stressante et inquiétante (nullement subjective et pas du tout conditionnante — lol), Marine Le Pen avançait au milieu d’une foule de ses partisans…
C’est alors que se produisit l’inespéré : la contradiction, écartée de la scène, s’est invitée à l’ULB.
Un groupe d’étudiants et de citoyens, s’est imposé dans cette parodie de débat, au cri de « burqa bla bla ». Ils firent tant et si bien que le pseudo-débat s’acheva illico : un régal pour ceux qu’insupportent ces grand-messes laïco-maçonniques, si réconfortantes et rassurantes pour les « frères ».
Qui donc disait qu’il n’y avait plus de jeunesse ?
Présent, le Secrétaire perpétuel de l’Académie royale, le noble sieur Hervé Hasquin, tel Mohamed face à la montagne, dit alors la seule intelligente chose de la mémorable soirée, se dressant de la haute taille et de l’impressionnante carrure qu’on lui connaît : « c’est pénible, intellectuellement ! ».
On aurait pu en rester là, lorsque le Haarscher, grand riposteur du tac au tac, assena aux trublions : « j’ai toujours su que vous aviez une burqa dans la tête ; c’est de la censure ! ». Suivi du Recteur Didier Viviers, venu en renfort et qui, monté au créneau, lança un bien senti « attention : nous savons qui sont les responsables ; vous empêchez le débat ! ».
Auquel répondit une voix anonyme dans le public : « mais où est le débat contradictoire, monsieur ? ».
Ce à quoi le vénérable barbu rétorqua : « nous ne sommes pas obligés d’organiser un débat contradictoire en toute occasion ».
Tout était dit.
Pierre PICCININ (historien et politologue)
Quelques considérations élémentaires à propos du chahutage de la conférence de Caroline Fourest à l’ULB
par Abdellah Boudami, jeudi 9 février
Abdellah Boudami est étudiant en science politique à l’Université libre de Bruxelles.
1/ La décision de mettre en place une initiative, initiative qui visait à exprimer notre mécontentement de voir Caroline Fourest invitée à « débattre » de l’extrême-droite, a été prise à plusieurs, suite à des discussions internes, avant d’être relayée sur les réseaux sociaux. Souhail Chichah, qui avait déjà fait l’objet de médiatisations et été au centre d’un débat public en 2010, s’est retrouvé propulsé à l’avant de la scène. Mais il va sans dire que chaque participant assume pleinement sa participation, et a adhéré aux principes de cette initiative en toute connaissance de cause, souvent sans même connaître ou côtoyer Souhail Chichah.
Je m’exprime ici en mon nom, et utilise le « nous » pour tous ceux du collectif ayant participé à l’action et qui estimerait se retrouver dans mes positions.
2/ Nous estimons que l’invitation de Caroline Fourest dans l’enceinte de l’Université libre de Bruxelles, pour une conférence durant laquelle elle devait s’exprimer à propos de l’extrême-droite et de son caractère éventuellement fréquentable, cette invitation revêtait un caractère inadmissible. Un argument étrange est souvent revenu dans la bouche de nos détracteurs : Caroline Fourest est venue ce soir-là déconstruire les thèses de Marine Le Pen et consorts. Autrement dit, si par ailleurs il est vrai qu’elle s’exprime un peu virulemment sur l’islam et les musulmans, il ne s’agissait pas dans son chef de parler de « nous », pour le coup, et donc nous aurions du poliment nous taire et acquiescer. Or il ne s’agit pas dans notre chef de disqualifier son analyse de l’extrême-droite, mais sa légitimité même à le faire. En effet, si le glissement opéré par l’extrême-droite en France et ailleurs pour déshumaniser les musulmans et attiser la haine à leur encontre s’est opéré sur le mode de la défense de la laïcité, il faut noter que les principaux arguments qui ont permis ce glissement sont très précisément développés dans les thèses, les ouvrages et les prises de position de Caroline Fourest. On pourrait même avancer qu’une figure comme Caroline Fourest est plus dangereuse que Marine Le Pen, car alors que cette dernière est située et avance à visage découvert, Fourest vernit d’un voile de respectabilité ce qui constitue la même trame raciste, les mêmes généralisations musulmanophobes.
Preuve en est, parmi des centaines d’autres, ce fameux article publié dans le Wall Street Journal le 2 février 2005, et intitulé « War on Eurabia » (Guerre de l’Eurabie, ce dernier terme étant très fréquemment utilisé par les néoconservateurs islamophobes les plus radicaux), dans lequel Caroline Fourest opère une essentialisation du musulman, le présentant comme membre d’une communauté homogène[[Essentialisation qui prend le pas sur les diverses tendances et sensibilités des musulmans, les enfermant dans un déterminisme purement constitutif d’un racisme évident. Extrait édifiant de l’article du WSJ : « Soit ils [les musulmans] choisissent l’option djihadiste comme Aymen al Zawahiri, No 2 et cerveau de Al-Qaeda, ou soit ils optent pour une approche “réformiste”, des Islamistes inspirés par les Frères Musulmans tous poursuivant le même rêve, prescrit par Hassan Al-Banna, pour faire en sorte que “le drapeau de l’Islam flotte partout ou vit un Musulman” ».]], d’une cinquième colonne dans le monde occidental, ce dernier étant la base arrière du recrutement des soldats d’un choc des civilisations en train de se dérouler. Il y a fort à parier que si l’on remplaçait le mot « musulman » par le terme « juif » dans le texte cité, Caroline Fourest n’attirerait pas la même sympathie, et il est évident que les chiens de garde d’un principe du « libre examen », au demeurant mourant et vidé de sa substance, auraient été moins prompts à sacraliser son droit à l’expression. A juste titre d’ailleurs. Et c’est là un « deux poids, deux mesures » qui ne contribue qu’à alimenter des ressentiments très légitimes.
Cela sans parler des analyses étayées et argumentées, démontrant sans doute aucun le caractère musulmanophobe prégnant tout au long des ouvrages de Caroline Fourest. Exemple parmi d’autres, le dossier édifiant proposé par le collectif Les mots sont importants[[Etudes de cas : Soeur Caroline Fourest et ses ami(e)s : http://lmsi.net/-Soeur-Caroline-Fourest-et-ses-ami-]]. Et ceci sans même aborder les cas nombreux et avérés de citations tronquées, de procédés malhonnêtes et de dispositifs mensongers dont Caroline Fourest est l’artisan régulier. Souvent épinglée[[Notamment ici : Sébastien Fontenelle et collectif, Les Editocrates, ou comment parler de (presque) tout en racontant (vraiment) n’importe quoi, Editions La Découverte, 2009 ; Pascal Boniface, Les intellectuels faussaires : Le triomphe médiatique des experts en mensonge, Gawsewitch Editeur, 2011 (liste non exhaustive).]], jamais remise en questions par ses laudateurs, on peut s’étonner qu’une Université basée sur le principe du libre examen ne s’embarrasse pas de ces éléments quelque peu à charge de « l’intellectuelle » et persiste à l’inviter une énième fois, dans ce qui semble être une illustration d’un syndrome « BHL » (maintes fois pris la main dans le sac des procédés honteux et des mensonges douteux, toujours invité et applaudi, par les mêmes d’ailleurs qui louent les travaux de Caroline Fourest)
3/ Concernant la liberté d’expression et l’importance du débat argumenté, quelques éclaircissements s’imposent. Premièrement, Caroline Fourest n’est pas venue débattre, mais profiter d’un boulevard offert sur mesure par ses laudateurs, sans qu’il n’y ait aucun espace de contradiction digne de ce nom, et alors même que l’absence d’interlocuteur contradictoire avait été utilisé comme prétexte afin de censurer des conférences antérieures. Toutes les libertés d’expression se valent, mais certaines plus que d’autres, apparemment. C’est là une nouvelle illustration de ce « deux poids, deux mesures » quasi systématique. Précisons qu’il a été demandé aux autorités de l’ULB de ne permettre ce débat qu’en cas de possibilité de contradiction, demande refusée.
En outre, cet espace lissé et cette soirée d’auto-congratulations se révèlent plus scandaleuses encore quand on sait l’espace médiatique outrancièrement accordé à Caroline Fourest, la popularité de ses thèses dans les médias traditionnels de gauche comme de droite, le caractère profondément dithyrambique des intellectuels et journalistes qui la vénèrent dans un champ médiatique où le renvoi d’ascenseur constitue le nœud des relations de copinages et de collusions politiques et médiatiques. Alors même qu’ont été démontrés ses recours aux mensonges et aux manipulations, tandis que ses thèses racistes sont relayés depuis plusieurs années dans le contexte de ce qui est présenté comme un choc des civilisations entre un Occident civilisé, assiégé, et une horde de musulmans fanatiques et liberticides, Caroline Fourest bénéficie en sus d’un espace à l’ULB où diffuser sereinement son venin.
Enfin, parler d’un espace de débat sans aborder la question des rapports de force que cet espace sous-tend, des disqualifications à la parole vécues par des groupes sociaux, et sans mettre en avant les tendances lourdes et les lignes de forces qui font que certaines représentations partagées prennent sens et légitimité dans une circulation circulaire et écrasante des idées, tandis que d’autres peinent à faire entendre leur voix, et bien c’est parler pour ne pas dire grand chose. Autrement dit, donner le micro à Souhail Chichah au milieu du chahut, signifier à la salle que ce dernier à deux minutes pour s’exprimer, s’étonner qu’il ne se saisisse pas de cette opportunité [[Ce qui n’est même pas vrai. Ce que les médias taisent, c’est que lorsque Souhail Chichah s’est décidé, après avoir lancé des slogans, à argumenter sa démarche, le micro a été coupé et le chahut tel que l’on entendait plus rien. Par ailleurs, entouré d’une foule de personnes qui vous filment et vous invectivent en même temps, avec Caroline Fourest qui fait quasi du front-contre-front, je défie quiconque de s’exprimer aisément.]], c’est faire preuve d’une mauvaise foi assez ahurissante.
4/ Concernant maintenant le mode d’action utilisé et ses conséquences probables ou visibles, il convient également de recadrer le débat. Rappelons que le chahut comme moyen d’exprimer un mécontentement, comme façon de bouger les lignes de force, comme manière de bousculer l’ordre établi et faire évoluer les mentalités, non seulement est partie constitutive de la mémoire des luttes progressistes, traversant les époques et les nations depuis des décennies, mais qu’en plus de cela, l’Université libre de Bruxelles, dans sa noble tradition de précurseur des enjeux cruciaux dans les débats sociétaux et de remise en cause des schèmes et des représentations sclérosées, a vu des dizaines d’exemple de chahutages, bien plus sérieux et sans doute parfois bien moins pacifique que ce que l’on a pu voir en cette soirée du 7 février. Citons, entre autres, les évènements de Mai 68, le combat du MLF (Mouvement de Libération des Femmes, notamment lors de l’irruption de militantes sur le tombeau du soldat inconnu, ce qui avait été considéré à l’époque comme un blasphème et un sacrilège sans nom), les mouvements des droits civiques des années 1950 et 60 aux Etats-Unis, les occupations pour les droits des sans-papiers et contre la marchandisation de l’université, etc., etc. Ce qui sur le moment choquait et interpellait, est rétrospectivement et à la lumière des réalités vécues, considéré comme partie intégrante de luttes légitimes et salutaires.
Abordons l’argument de l’efficacité et de la stratégie. Nombre de détracteurs ont objecté que ce chahutage bon enfant n’a fait que renforcer le racisme et les clichés. C’est évidemment absurde. Le racisme ne s’apprécie pas à l’aune de la faute supposée de ceux qui ont sont victimes, et il serait assez risible, par exemple, d’objecter aux organisateurs et participants du mouvements de boycott des bus de Montgomery par les Noirs en 1950, dans le cadre du mouvement des droits civiques, que ce boycott n’arrangeait pas leur cause puisque cela radicalisait les positions ségrégationnistes. Ensuite, les évènements de la soirée du 7 février, bien plus que d’avoir renforcé quoique ce soit, n’ont fait que mettre en lumière des clichés, des réflexes racistes et des stéréotypes profondément ancrés. Ces évènements ont joué le rôle d’un sel dans une précipitation chimique, cristallisant et troublant ce qui jusque là semblait un liquide limpide et tranquille. Et c’est en cela, sans doute, que ce fut une réussite : il n’est qu’à se pencher sur les qualificatifs utilisés par les médias et certains acteurs du débats (entre autres jolies choses : « intégristes », « islamistes », « forme talibanesque » (sic !), « attentat », « étrangers à nos valeurs », la liste est longue… ) pour capter la réalité tangible de représentations collectives pour le moins discutables. Or, c’est précisément, à nos yeux, ce qui justifie que l’on s’oppose si vivement à Caroline Fourest, puisqu’elle incarne à merveille l’intellectuelle de gauche qui, elle et d’autres, ont rendu acceptable et relevant du sens commun des thèses aux relents racistes nauséabonds. Autrement dit : en brisant l’ordre tranquille du discours ronflant d’un racisme bienséant cassant du sucre sur le dos des racistes hérétiques du FN, en refusant de s’expliquer en deux minutes dans la précipitation (ce qui aurait d’ailleurs tué dans l’œuf la bonne suite du chahutage, puisqu’alors tout serait rentré dans l’ordre), en nous plongeant littéralement dans la gueule du loup, nous avons créé les conditions d’un débat large, public, sans doute toujours inégal et précaire, mais c’est par ses secousses opérées à la marge de l’ordre établi que nous somme à même d’inscrire dans l’air du temps des problématiques autrement ignorées.
5/ Demande-t-on de Noël Godin et de son cri de guerre (Gloup ! Gloup !) qu’il soit efficace et argumenté, lorsqu’il entarte Bernard-Henry Lévy ?
Attend-on de ceux qui subissent de plein fouet le racisme véhément qui gangrène toujours plus l’espace démocratique, attend-t-on de ses personnes qu’elles se contentent de glisser deux ou trois questions polies à l’issue d’une conférence qui tient du monologue ?
L’interdiction du voile à l’école, la criminalisation des mouvements de boycott des produits issus des colonies israéliennes, l’interdiction dans la rue du voile intégral, l’irruption jusque dans la vie privée par des dispositifs législatifs (telle que l’interdiction, chez elles (!) du voile pour les nounous en France), les censures que subissent les artistes et chanteurs identifiés comme « maghrébins » ou « musulmans », la tenue de débats « en démocratie » de thèses racistes et fascisantes, sont-elles le fait de l’extrême-droite de Marine Le Pen et de Filip Dewinter, ou au contraire surviennent-elles dans un climat musulmanophobe entretenu par Caroline Fourest et ses soutiens ?
Pense-t-on qu’une légitime colère exprimée par les individus qui ressentent jusque dans leur chair les conséquences de ce climat xénophobe doit obligatoirement être efficace pour être salutaire ? Est-il même envisageable, dans ledit climat, au point où nous en sommes aujourd’hui, qu’une action antiraciste puisse être efficace ?
Plutôt que de lyncher un chercheur de l’ULB qui a l’immense mérite de secouer la monotone orthodoxie de l’ULB, ronronnement favorisé par la bureaucratisation issue du processus de Bologne, penchons-nous sur ces dernières questions. Les explorer sera la seule manière de répondre à des attentes légitimes et à un vrai débat, lui urgent.
6/ « Je suis un Nègre des champs » (Malcolm X)
« Le Nègre, il t’emmerde » (Aimé Césaire)